Michael K, sa vie, son temps de J. M. Coetzee
( Life and time of Michael K)
Catégorie(s) : Littérature => Africaine , Littérature => Anglophone
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Bienheureux les coeurs purs!
Michael K est né avec un bec-de-lièvre. « La lèvre se retroussait comme un pied d’escargot; la narine gauche s’ouvrait, béante. » D’une certaine façon, cette anomalie va ruiner sa vie. Très tôt, sa mère, abandonnée de son mari, le place dans un orphelinat où on le traite comme un arriéré mental. Il finit par en sortir et travaille pour un temps comme jardinier municipal. Sa mère, sentant sa fin venir, exprime le désir de quitter Le Cap et de finir ses jours sur les terres de son enfance. Mal en point, elle ne supporte pas le voyage. Pour combler son vœu, son fils ramène ses cendres. Une guerre civile larvée détruit lentement le tissu social du pays. Michael K, qui ne comprend ni les tenants ni les aboutissants de cette guerre, essaie d’éviter la tourmente. N’est-il pas jardinier? Il mène une vie sauvage, dans un coin désolé, sur la terre d’enfance de sa mère, faisant pousser des potirons. La guerre le rattrape, on le met dans un camp…
Cette histoire touchante m’a rappelé Candide. Michael K est un candide qui traverse un pays miné par la guerre, la haine… Tout comme le personnage de Voltaire, il finit par conclure qu’il vaut mieux échapper à l’Histoire et se faire jardinier, quitte à finir dans une fosse commune. Ici s’arrête le parallèle : Michael K n’a pas l’ironie mordante de Candide. Son refus de l’Histoire est purement instinctif. On pense aux béatitudes évangéliques : « Bienheureux les doux, car ils posséderont la terre. »; « Bienheureux les cœurs purs, car ils verront Dieu.» Pauvre béatitude! Pauvre Michaël K ! Il se trouve toujours quelqu’un, gens de bonne volonté ou tortionnaire, pour le ramener dans le rang. Un clan, une barricade ou une clôture, peu importe. Pour les jardiniers de la terre, oui, « l’enfer c’est les autres». Tous exigent que Michael K prenne acte de l’état de guerre et qu’il agisse en conséquence. L’ombre n’existe pas. On ne peut pas vivre la nuit! Les potirons qui poussent dans le désert sont aussi politiques. « Il n'est coin de la terre/Où je ne vous entende/Il n'est coin de ma vie/À l'abri de vos bruits » (Gilles Vigneault)
Cette vie si dénuée de sens, larvée, frugale, à ras de terre, toute tournée vers un inaccessible jardin terrestre, cette insignifiante de vie finit par remettre en cause le système qui la porte, ou plutôt auquel elle échappe, la communauté des humains; encore faut-il que quelqu’un accepte de la regarder et ce sera le médecin chargé de Michael K dans un camp : « Je vais te dire la signification de ce jardin sacré et séduisant qui fleurit au cœur du désert et dont les fruits sont l’aliment même de la vie. Le jardin vers lequel tu te diriges actuellement est nulle part et partout, sauf dans les camps. C’est un autre nom du seul lieu où tu es chez toi, Michael, où tu ne te sens pas sans foyer. Il est en dehors de toutes les cartes, aucune route n’y conduit qui soit une route ordinaire, et tu en connais seul le chemin. »
Et si Michael K était une métaphore de l’Afrique?
Les éditions
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Michael K, sa vie, son temps [Texte imprimé], roman J. M. Coetzee trad. de l'anglais par Sophie Mayoux
de Coetzee, J. M. Mayoux, Sophie (Traducteur)
Seuil / Points (Paris).
ISBN : 9782020404556 ; 7,00 € ; 17/03/2000 ; 229 p. ; Poche
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En-dehors du monde
Critique de Stavroguine (Paris, Inscrit le 4 avril 2008, 40 ans) - 1 mars 2013
A première vue, Coetzee semble nous raconter une errance. Michael K quitte Le Cap pour emmener sa mère dans la campagne où elle a grandi et où elle désire mourir. Alors, le roman prend des allures de road trip dans lequel Michael K va au gré de la route et des rencontres en poussant l’espèce de brouette dans laquelle il transporte sa mère. Un peu à la manière de La Route, de McCarthy, d’autant que l’Afrique du Sud ravagée par la guerre civile semble avoir peu de choses à envier aux paysages post-apocalyptiques de l’Américain en terme d’horreur et d’immensité vide.
Quand on regarde de plus près, par contre, on perçoit une réflexion sur l’impossibilité d’être neutre, l’impossibilité de faire fi des circonstances qui vous entourent pour juste suivre sa route tout droit et emmener sa mère à l’endroit où elle désire mourir en paix. La paix n’est pas une préoccupation dans un monde en guerre, et ce monde ne laisse personne oublier qu’on est en guerre. Ainsi, tout le roman repose sur une incroyable méprise : là où Michael K refuse le monde, le monde entier lui demande de prendre position. Il faut choisir son camp : pour des gens dont la vie est organisée par le combat, il est impossible de comprendre et d’accepter qu’un homme puisse refuser l’état de guerre.
Michael K nous rappelle alors le Magistrat de En attendant les barbares. Lui aussi voulait gérer son camp dans la paix en ignorant l’état de guerre artificiel qui opposait les Barbares à l’Empire. Comme Michael, le Magistrat s’était vu imposer un camp : forcément celui des ennemis, parce que dans le doute... Coetzee nous évoque même le mythe du vieux sur la montagne quand Michael K renonce à vivre parmi les hommes, et même à vivre tout court lorsqu’il refuse de s’alimenter.
Mais Michael K n’est pas en quête de sagesse. Ce n’est pas Siddharta. Michael K n’est que lui-même, qui veut qu’on le laisse tranquille, qui se cache pour ne plus faire partie du monde des vivants où son royaume n’est pas, où il n’est que brinquebalé contre son gré d’un camp à l’autre. Alors, Michael K devient une sorte de héraut de la liberté de conscience, du droit constamment bafoué de ne pas se sentir concerné. Les gens n’acceptent pas qu’on ne veuille pas prendre part à ce qui leur semble capital ; ça risquerait de leur rappeler leur insignifiance.
Oui, il s’agit bien de Michael K, sa vie, son temps. Les siens. Pas ceux dans lesquels il est contraint d’évoluer et qui ne l’intéressent pas. On serait presque tenté de voir là-dedans une quête d’identité. Comment se définir en faisant abstraction de ce qui nous entoure. Encore une oeuvre forte de Coetzee.
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