La pluie ébahie de Mia Couto

La pluie ébahie de Mia Couto
(A chuva pasmada)

Catégorie(s) : Littérature => Africaine , Littérature => Européenne non-francophone

Critiqué par Sissi, le 6 avril 2015 (Besançon, Inscrite le 29 novembre 2010, 53 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (22 864ème position).
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"Dans notre pays, toute eau est bénie"

Dans un petit village du Mozambique, la pluie ne tombe plus ; suspendue, à l’état de « pluviotis », elle semble comme arrêtée dans son mouvement et reste dans l’air, sans s’abattre sur le sol.
Le narrateur, un enfant qu’on a toujours traité « d’ébahi » parce qu’il est « lent pour agir », y voit alors comme « une sœur tellement maladroite qu’elle ne savait même pas tomber. »

Tout petit livre aux chapitres courts et affublés d’un petit nom charmant et poétique comme « Une étrangère aux ongles de rubis », « Gouttelette volant sans poids », « La dernière gestation de la tristesse », « Le soupir de la fumée », La pluie ébahie mêle contes et légendes, croyances ancestrales et rites traditionnels avec un quotidien plus cru (le petit blanc, fils du patron de l’usine, n’a pas droit de jouer avec les « nègres », ce mot qu’il n’ose pas prononcer ; le père, usé par la mine, ne fait que dormir « par tristesse ».)

Cette eau qui se refuse à tomber, c’est à la fois ou peut-être un châtiment de Dieu, une rébellion de l’eau contre les hommes, le faute des fumées de l’usine ou encore la conséquence de l’éternel et contesté célibat d’une tante restée vieille fille au grand dam de son père :

« Quand la bouche reste trop longtemps sans embrasser, la salive se transforme en poison. »

Ce père, le très frêle grand-père du narrateur, attaché à sa chaise de peur qu’il ne s’envole, rivé en permanence face à la « chaise sacrée » (et vide) de sa défunte épouse incarne la mémoire vivante de ces légendes d’antan et se fait le transmetteur d’une certaine sagesse :

« -La vieillesse n’est pas un âge, c’est une décision.
- Une décision ?
- La vieillesse est un abandon. »


Tantôt drôle et amusant, tantôt émouvant et toujours plein de tendresse, ce beau texte nous emmène au Mozambique, dans un village traditionnel et teinté de magie, dont on perçoit toute l’âme à travers les mots simples mais remplis de poésie que son auteur a su choisir .

« Nous respirons toujours la saudade comme une mer où, dans une autre vie, nous avons baigné. »

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Sécheresse humide

9 étoiles

Critique de Débézed (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 76 ans) - 14 janvier 2016

Ce magnifique texte de Mia Couto ne correspond à rien de connu et de codifié, c’est évidemment un peu un roman avec une histoire, des personnages et une chute mais c’est aussi un conte, une fable, une parabole de l’Afrique d’aujourd’hui, c’est également une forme de manifeste contre le peu de respect des colons envers le pays et ses habitants et, pour moi, c’est de la poésie en prose, un travail sur l’écrit, sur les mots, sur le langage. Une merveille de texte rempli de mots inventés, tous plus goûteux les uns que les autres à déguster sans modération : chantepleurant, pluviotis, s’irrupta, poissonnement du temps, pêchitude, … Il faut impérativement saluer le travail que la traductrice a dû fournir pour rendre la version française aussi alléchante.

« A la courbe du fleuve » pour parodier VS Naipaul, dans un petit village indigène du Mozambique, il ne pleut plus depuis longtemps, l’eau ne tombe plus, elle reste en suspension entre ciel et terre, les gouttes ne sont pas assez lourdes pour se répandre sur le sol et l’abreuver comme il le faudrait. Malgré l’humidité ambiante tout sèche, le fleuve ne coule plus, le grand-père s’assèche lui aussi. « Grand-père était en train de sécher. En lui j’assistai à la vie et à sa destinée : nous naissons eau, nous mourrons terre ». Chacun des membres de la famille réagit à sa façon et cherche une solution pour mettre un terme à cette sécheresse nébuleuse. L’enfant regarde, écoute, participe à sa façon au désarroi des adultes, il écoute le grand-père figé sur son siège qui raconte l’histoire familiale, la tradition, les secrets de famille, les forces occultes, le mauvais sort…, la tante qui se répand en prières et autres bondieuseries enseignées par les blancs, le père croit encore aux dieux de ses ancêtres, et la mère, qui, elle seule, a compris que cette situation ne doit rien à un quelconque être supérieur, qu’il ne s’agit en fait que de la pollution provoquée par l’usine construite à proximité par les blancs.

Avec ce texte court, magnifique, Mia Couto démontre, une fois de plus, qu’on peut évoquer énormément de choses sans profusion de mots qu’il suffit de bien les choisir et éventuellement d’inventer ceux qui manquent en déformant ceux qui existent. Ainsi, avec la voix et les mots du poète, il dénonce l’agression des marchands contre l’Afrique, les atteintes à la nature, à l’environnement en général, les reliquats de racisme, le sort réservé aux femmes, l’obscurantisme religieux, la misère de l’Afrique, notamment de l’Afrique du sud-est. Cette Afrique que tous veulent quitter, ce n’est pas un hasard s‘ils ont appelé leur village « Senaller ».

Mia Couto a incontestablement la stature d’un nobélisé, espérons que l’Académie suédoise aura le bon goût de lui en offrir le costume.

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