Petites méditations métaphysiques sur la vie et la mort de Arnaud Villani
Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Philosophie , Sciences humaines et exactes => Essais
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L'association de Vie et Mort.
Malheureusement guère relayé ou commenté, ce livre d’Arnaud Villani mérite pourtant toute notre attention. Il s’attaque aux deux sujets les plus résistants de l’entreprise philosophique : la vie et la mort, le levant et le couchant de toute la pensée. Parce qu’on ne peut proprement faire l’expérience de la mort qu’en troisième personne, et parce que la mort, aussi, est la certitude la plus ferme de la vie en même temps qu’elle est l’événement le moins connu de tout ce qui peut nous arriver (nous ne faisons que reprendre les brillantes observations de Jankélévitch), on voit bien que les grands discours s’effondrent vite devant la finitude et qu’à vouloir dire coûte que coûte ce qui ne peut l’être, on risque de vaines spéculations ou de pauvres digressions. Mais si la mort est un mystère entendu, rien ne dit que la vie ne soit pas davantage réfractaire à toute tentative de conformation verbale. Par son exubérance et sa façon de produire un désordre cohérent, la vie s’est volontiers dérobée devant les théories qui ont essayé de la saisir, et que ce soit le finalisme, le mécanisme ou le vitalisme, pour n’en citer que quelques-unes, rien ou presque n’a pu produire un discours assuré en ce qui concerne le vivant. On a donc le sentiment d’un encombrement de théories dès lors que la question de la vie ou de la mort se pose. On a même l’impression que la réflexion nous a été confisquée, comme si la tâche était trop difficile pour un seul homme et qu’il fallait nécessairement s’en remettre à des notions communes, des idées suffisamment éprouvées ou discutées pour qu’on veuille encore en formuler d’autres.
À rebours de ces maigres contentements et de ces certitudes datées, A. Villani se propose d’y aller franchement, de mettre les pieds dans le plat si l’on peut dire, ainsi se met-il en situation de « catabase », bien décidé à descendre dans l’Hadès, afin, sait-on jamais, d’en « ressortir plus vivant » (p. 7). Cette descente se fera dans la plus stricte nudité de l’homme, c’est-à-dire sans Dieu (cf. p. 11), sans espèce de viatique réconfortant ou de formule toute faite, parce que s’il est quelque chose d’absolument certain en cette vie, c’est que nous mourons plus que nous ne pensons, ce qui remet d’emblée le cogito cartésien à sa juste place – la place du mort. Affranchis de cette illusion qui voudrait que l’esprit puisse nous sauver de la certitude mourante (le corps), nous sommes alors prêts à exister enfin, en l’occurrence à ne laisser personne être homme à notre place (cf. p. 26). Il n’y a en effet d’existence que pour celles et ceux qui se confrontent immédiatement à l’énorme mystère qui gît en nous : celui d’une vie qui se comprend à l’horizon d’un « Je meurs » invisible. Ce faisant, nous devrions sentir monter en nous la petite valeur d’un projet, à savoir la justification de notre présence parmi la frénésie du vivant. Nous devrions nous sentir « individuellement justifiés » (p. 22).
Contre la tradition qui n’a eu de cesse de conjurer le corps, l’auteur prend la défense de la chair, proche d’affirmer que l’âme est bel et bien ce à cause quoi le corps s’est jusqu’à présent empêché de vivre. On sait que l’esprit est chargé, voire surchargé, d’idées structurantes qui nous contraignent à percevoir le monde d’une manière très intellectuelle. Il n’y a en outre aucune raison de disqualifier les philosophies idéalistes, néanmoins, dans la perspective d'une plongée nudiste dans le bain de la mort, on devrait savoir préférer les forces du corps à la continuité des représentations, la volonté directe au lieu de l’esprit déductif. En rapatriant le corps dans le débat, on sera peut-être capable de comprendre ce qui se passe quand nous disons « Je meurs ». On sera peut-être également guéri de l’encyclopédisme objectif, de cette tendance à créer des ensembles arbitraires de phénomènes, faisant du monde une sorte de vague et triste nuancier où se sont perdues les singularités. « Je ne pleure pas des totalités, je pleure cette femme, ces enfants, cette maison. » écrit fort justement A. Villani (p. 33). Être conscient du tout qui préside au particulier, donc, mais être simultanément en mesure de considérer le détail pour ne pas s’enfermer dans une vue de l’esprit. Aristote a mis de la nécessité dans les effets, nous enjoignant à remonter aux causes, cependant cette démarche ôte à la vie son extravagance, sa « puanteur des choses contingentes » (p. 49). A. Villani refuse d’être une sorte de mathématicien du vivant. Il ne souhaite pas se faire stylite haut perché, pas plus qu’il ne souhaite rivaliser de style (cf. p. 34). Ce que l’auteur espère, c’est continuer d’habiter la sagesse de celui qui peut dire sans sourciller qu’il est plus difficile de vivre que de faire des mathématiques. Mourir est une chose impensable ; c’est même une chose incalculable. Quant à l’âme, elle est probablement introuvable, comme l’ont éventuellement mieux envisagé les amis de Socrate tandis que ce dernier les accablait de preuves fallacieuses !
Ainsi n’est-il pas la peine de tout vouloir éclairer d’une lumineuse raison. En se faisant héraclitéen, on accepte comme un fait brut de l’existence que la mort s’échange avec la vie, que ce mouvement de va-et-vient est permanent, fondateur d’une polémologie cohérente (cf. p. 62). Cet échange du vivant et du mourant est une catallactique autrement plus riche que celle qui voudrait que nous existions dans les limites d’une économie de marché. En fait, il n’y a pas réellement d’entité dominante dans cette affaire d’échange. Ni le Jour ni la Nuit ne dominent, ni le Grand ni le Petit ne s’affermissent au détriment d’un autre ; il n’y qu’une situation d’échange, un effet constant de permutation, et cela élimine toute la puissance de la mort au profit d’une pure force d’habitation des entités (cf. p. 69 où l’auteur rappelle fort justement les principes souvent galvaudés de la pensée de Parménide, en complément des analyses faites au sujet d’Héraclite).
Il est difficile, bien sûr, de ne pas penser exclusivement les contraires et les affrontements (la vie contre la mort, le clair contre l’obscur, etc.), cependant le registre même d’une authentique sagesse doit plutôt nous encourager à surmonter cette première pensée, quasiment primesautière, en vue d’une pensée de l’intervalle, du passage, du mouvement, de la dynamique, autant d’espaces et d’énergies qui entérinent une force d’habiter. Alors seulement nous en viendrons à reconnaître qu’être mort, c’est encore être quelque chose (cf. p. 83).
Rares au final ont été les philosophies à donner autant de crédit à la vie et à la mort. Platon a sans doute été le pire avec sa philosophie sans vie (cf. p. 81), mais il n’a fait qu’inaugurer des raisonnements de bon ton, des discours qu’il nous faut dorénavant encanailler et sortir de leurs gangues. Pour cela, commençons par être calmes devant la mort, jugeons que la mort est à sa place où qu’elle arrive, surtout quand elle survient au milieu de nos habitudes (cf. p. 96). Bien mourir, en somme, c’est ne pas se sentir injustement déplacé. En réalité, ce qui contrevient à cette sage résignation, c’est la société et ses réflexes de bannissement. Avec son commentaire sur les hétérotopies, ces lieux absolument autres que nous ne voulons pas regarder ou croiser et où vivent des individus marginalisés, Foucault a parfaitement étudié le phénomène d’épuration de la mort. Dans la société du cogito triomphant, on ne veut pas de cogito moribond. L’enjeu consiste donc à retrouver une place pour la mort ou tout simplement pour le « contrariant », à réhabiliter ce qui a été congédié trop vite (cf. p. 101). Renégocions par conséquent le mouvement pour ce qu’il est (un échange), c’est-à-dire un trajet « prépositionnel » qui va toujours DE---À, de quelque chose vers quelque chose (cf. p. 126), une locomotion qui passe de l’un à l’autre et qui honore l’intensité perdue d’une puissance d’installation ou de réinstallation, noyée sous les flots d’une représentation hiérarchique du monde où l’esprit du vivant croit chaque fois qu’il écrase l’esprit du mort.
Les éditions
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Petites méditations métaphysiques sur la vie et la mort [Texte imprimé] Arnaud Villani
de Villani, Arnaud
Hermann / Philosophie (Paris. 2005)
ISBN : 9782705667160 ; 26,00 € ; 09/06/2008 ; 127 p. ; Broché
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