Moi et une vieille négresse voluptueuse de Pedro Juan Gutiérrez
(Yo y una lujuriosa negra vieja)
Catégorie(s) : Théâtre et Poésie => Poésie , Littérature => Sud-américaine
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L'ANIMAL TROPICAL SE FAIT POÈTE
Beaucoup l’ignorent, mais Pedro Juan GUTIERREZ, notre « Animal tropical » de La Havane, est aussi un grand poète à ses heures. Bien entendu avec un écrivain de cet acabit, pas question de poésie "classique" et encore mois « traditionnelle » bien sûr!....
C’est avant tout de la poésie très réaliste, ancrée dans la vie de tous les jours. C’est en prose, il n’y a pas de rimes, très peu de ponctuation et pas de virgules. C’est un flot, un torrent de mots qui se déverse sur le lecteur. Tout comme son écriture, c’est violent, heurté, vif, sec, choquant, sans fioritures, sans circonvolutions, brut de décoffrage, sans complaisances aucune. Il y a des gros mots et des mots crus, des insultes, sans compter sur les habituels "défauts" du cubain : une bonne dose de sexe, de lubricité, de machisme et quelques vérités toujours bonnes à dire, et notamment, au pouvoir dictatorial en place !...
Une poésie de combat en quelque sorte. L’auteur s’en explique dans un de ses poèmes :
« Et les poètes sont en panne
Il n’y a rien de beau à chanter
c’est malheureux pour les poètes
Tout est foutu
De cette façon c’est impossible d’écrire de la poésie nutritive
de la poésie alimentaire
de la poésie qui ferait dire aux dames sensibles
oh quel grand poète magnifique c’est un classique!
Non / rien de cela »
Comme toujours dans l’œuvre de M. Pedro Juan GUTIERREZ , la ville de La Havane, sa ville est au centre de l’œuvre, (celle qu’il n’hésite pas à appeler l’autre ville éternelle…), avec bien sûr ses lieux de prédilection comme le Malecón :
« Sur le Malecón un édifice s’est incliné
comme la tour de Pise
et les gens sont sortis en fuyant »
Les gens, le « petit peuple » les habitants des villes de Cuba, qui vivent et survivent comme ils le peuvent entre pénurie, folie, prostitution, misère, bourbier, famine…
« Des gens accablés et de mauvaise mine Des saoulards
sont assis sur les trottoirs en attendant le néant »
La mer, omniprésente, bien sûr :
« Et moi malheureusement
je ne peux pas regarder seulement la mer
La mer salvatrice bleue
L’éternelle très belle et brillante mer. »
On remarquera aussi des hommages appuyés à d’autres grands poètes d’Amérique Latine comme p. ex. au chilien Nicanor PARRA (*1914) le chantre de l’antipoésie :
"La ville antipoétique
Nicanor Parra devrait la visiter"
Voilà, il n’y pas grand-chose à dire de plus de cette poésie d'amour, de tendresse, de vie, de survie, de mort, de folie…
Voici donc le poème homonyme du recueil :
"Moi et une vieille négresse voluptueuse"
Il y a longtemps une Haïtienne
lors d’une séance de vaudou / à Guantánamo
m’a dit qu’elle survolait ma maison
la nuit
transformée en chouette
Et cela fut ainsi
dès lors / pendant plusieurs années
une chouette planait au-dessus de ma maison
elle chantait lugubrement
en volant à toute allure
Les extra-terrestres commencèrent eux aussi à apparaître
La nuit ils plongeaient dans la mer devant chez moi
Une fois ils ont envahi ma chambre
et la salle à manger de la voisine
Et ils ont même envoyé un des leurs
Dans le corps d’un Mexicain de Sonora
À cette époque j’ai découvert que ma femme
était une alcoolique insatiable et belliqueuse
et que moi j’étais un alcoolique agressif
avec une passion d’assassin au point de donner des coups de poignard et de pistolet
J’ai aussi découvert que je n’aimais pas Shakespeare
ni rien d’exemplaire ou de canonique
Je déteste les théoriciens de la littérature
avec leurs étiquettes et leurs archives très bien classées
Je ne supporte pas non plus la vie maritale
ni les gouvernements autoritaires et répressifs
ni les séances de A.A.
J’ai découvert que la vie était dangereuse
lorsque l’on a notre propre façon de penser / surtout
lorsque notre propre façon de penser est trop présente
et que ma génération survit
enfermée dans la déception et la rage
et ce que l’on peut faire de mieux c’est de s’éloigner de tout
Et vivre
Dans une petite maison face à la mer
Une petite maison en bois
où le vent siffle à travers les fentes de la fenêtre
Accompagné d’une vieille noire libidineuse
pervertie et déchaînée
Je pourrais ainsi aboutir à une fin acceptable
( il ne faut même pas penser à une fin heureuse)
Face à la mer
avec une vieille négresse
sale et à moitié folle
tout comme moi.
Et en VO espagnole :
"Yo y una lujuriosa negra vieja"
Hace años una haitiana
en medio de una consulta de vudú / en Guantánamo
me dijo que ella volaba sobre mi casa
por las noches
en forma de lechuza
Y así fue
a partir de ahí / durante muchos años
una lechuza pasaba sobre mi casa
cantaba tétricamente
y seguía volando aprisa
También comenzaron a aparecer los extraterrestres
Por las noches se hundían en el mar frente a mi casa
Alguna vez incursionaron en mi cuarto
y en la sala de la vecina
Y hasta enviaron a uno de ellos
con un cuerpo de mexicano de Sonora
Por esa época descubrí que mi mujer
Era una alcohólica insaciable y belicosa
y que yo también era alcohólico-agresivo
con pasión asesina hasta las puñalás y los balazos
Descubrí además que no me gusta Shakespeare
y nada que sea canónico y ejemplarizante
Detesto a los teóricos de la literatura
con sus etiquetas y sus archivos bien ordenados
Tampoco resisto la vida matrimonial
ni los gobiernos autoritarios y represivos
ni las sesiones de A.A.
Descubrí que la vida es peligrosa
cuando uno tiene criterios propios /sobre todo
cuando uno tiene demasiados criterios propios/
y que mi generación sobrevive
atrapada en el desencanto y la furia
y lo mejor que se puede hacer es apartarse de todo
Y vivir
en una casita pequeña frente al mar
Una casita de madera
donde el viento silbe en las rendijas
acompañado por una lujuriosa negra vieja
pervertida y desenfrenada
Así podría llegar a un final aceptable
(ni pensar en un final feliz)
Frente al mar
con una negra vieja
sucia y medio loca
igual que yo
A noter que ce livre est vendu avec un court CD Audio, ou l’auteur lit lui-même ses poèmes en langue Espagnole.
Les éditions
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Moi et une vieille négresse voluptueuse
de Gutiérrez, Pedro Juan Rosique-Hernández, Clemente (Traducteur) Fugère, Jean (Traducteur)
Lanctôt
ISBN : 9782894852996 ; EUR 19,00 ; 21/02/2005 ; 125 p. ; Broché
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