La vie ordinaire de Marcel Peltier

La vie ordinaire de Marcel Peltier

Catégorie(s) : Théâtre et Poésie => Poésie

Critiqué par Lucien, le 13 novembre 2003 (Inscrit le 13 mars 2001, 69 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (25 668ème position).
Discussion(s) : 1 (Voir »)
Visites : 5 551  (depuis Novembre 2007)

La vie, tout simplement.

Haïku, prononcé à la française, fournit une rime suffisante à «cucul».
Je vous rassure tout de suite : avec ceux de Marcel Peltier, on est loin du compte. Rien de moins éthéré, de moins conventionnel, de moins évanescent que ces «haïkus, senryus libres et autres abacules».
Dès le titre, on retrouve l’amour de Marcel Peltier pour la vie, la vie toute simple. Cette vie quotidienne qu'il ne sacralise pas, qu'il ne célèbre pas mais dont il détecte, radar hypersensible, la modeste grandeur, la picturale petitesse. La bassesse, jamais. La vie ordinaire, comme on dirait «l'ordinaire de la messe» : rites, gestes, regards, silences, et les humbles émois, et les sous-entendus :
elle avec son sourire et sa robe toute souillée
la table à langer & mère et bébé les yeux dans les yeux
Le tercet classique du haïku, mais pourquoi raboter les mètres pour qu’ils entrent bon gré mal gré dans le moule 5 & 7 & 5 ? Pourquoi la majuscule en début de vers ? Ici, rien de stéréotypé. Ici, rien de majuscule. La vie. La vie sans cesse nouvelle et minuscule. Nécessité, petit fruit du hasard.
Dès le sous-titre, on retrouve le goût de Marcel Peltier pour la précision, pour la théorie bien pensée : «haïkus, senryus libres et autres abacules»…
Haïku, «instant croqué sur le vif» où n'entre pas l'émotion du photographe. Instantané à la Cartier-Bresson :
petit soleil au travers des vitres sales
la lumière plus intense – le soleil brille sur les jasmins jaunes
Senryu, et surgit le moi. Et rugit l'émoi, à peine. Expressionnisme tendre :
en mai – ne jamais m'endormir avec un regret
un doigt dans son dos – frissons partagés
Abacule… et Marcel Peltier crée un genre, démontrant aussi son amour pour les arts plastiques (l'huile originale qui orne la couverture est sienne). Abacule, «petit cube constituant l’élément d’une mosaïque». On songe aux violons éclatés de Picasso, aux abstractions de Nicolas de Sta‘l. Collages. Recyclages.
dans la boîte à cigares : les pièces trouées de vingt-cinq centimes
son carnet de cuisine – avec une vieille recette calligraphiée
«Tout haïku devrait pouvoir être lu à haute voix en une respiration.» Suivant ce critère, les haïkus de Marcel Peltier sont exemplaires. J’aime à redire à voix haute, au rythme naturel de mes poumons, ce tercet à mi-chemin du haïku libre et du senryu :
interdiction de stationner & mais ils s'embrassent

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Arrêts sur image

8 étoiles

Critique de Kinbote (Jumet, Inscrit le 18 mars 2001, 65 ans) - 25 janvier 2006

Si vous souhaitez lire des haïkus d’aujourd’hui, qui ne sont pas conventionnels (dans leur forme) tout en respectant l’esprit de ce genre poétique, lisez cette petite centaine de haïkus d’un auteur qui a su marquer sa singularité dans cette grande famille internationale des haïkistes !
La vie ordinaire, c’est la vie de tous les jours, telle que chacun peut la percevoir, ou en tout cas la reconnaître. Car les meilleurs haïkus touchent chacun à la façon d’une réminiscence. "Mais c’est bien sûr !" est-on tenté de dire à chaque fois, et cela fait comme l’effet d’une révélation. Et on remercie autant qu’on jalouse celui qui a su trouver les mots, la concision propre à ces tercets pour résumer une impression déjà vue, pressentie, mais jamais au fond enregistrée de la sorte - avec cette précision, cette sensibilité aux êtres et aux choses.

le ciel devenu noir
avec des éclairs au loin -
l’insecte dans mon verre

sur l’autoroute –
tous les voyants de l’auto
mis au rouge

longue file d’attente
devant la poissonnerie -
tes oreilles rougies

Peltier manie l’ironie, l’humour et s’inscrit là aussi dans une tradition ancienne ; les meilleurs s’y sont frottés.

remue-ménage
dans le ventre de l’ordinateur -
ma faim

Il y a une façon de lire les haïkus sans s’attarder, sans chercher autre chose que ce qui est dit dans l’élan de la vision. C’est après lecture, souvent, qu’ils font leur oeuvre en nous, qu’il résonnent de mille échos.
Et si un jour nous regardons notre quotidien autrement, s’il nous vient l’envie de fixer un moment parmi d’autres, l’auteur de haïkus a gagné, et c’est ce qui se passe avec les productions de Marcel Peltier.

les rires des enfants
dans les arcs-en-ciel du jet d’eau -
mille éclaboussures

l’érable pourpre –
ce qu’il en reste
dans la lumière du soir

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