Giacomo Joyce de James Joyce

Giacomo Joyce de James Joyce
(Giacomo Joyce)

Catégorie(s) : Littérature => Anglophone , Théâtre et Poésie => Poésie

Critiqué par Stavroguine, le 9 décembre 2013 (Paris, Inscrit le 4 avril 2008, 40 ans)
La note : 10 étoiles
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Une culotte de dentelle

« Qui ? Un visage pâle cerné de lourdes fourrures odorantes. Ses gestes sont craintifs et nerveux. Elle utilise un face-à-main. Oui. Une brève syllabe. Un rire bref. Un bref battement de paupières. »

Qui? Amalia Popper, qui par la suite deviendra la traductrice italienne des oeuvres de James Joyce et l’auteur de la première biographie qui lui sera consacrée dans la Botte, mais qui n’est encore qu’une étudiante triestine à qui il dispense ses cours d’anglais lorsque l’Irlandais lui dédie son Giacomo Joyce.

Ce court poème en prose écrit entre 1912 et 1914 ne sera publié pour la première fois qu’en 1968, longtemps après la mort de son auteur. Il était déjà paru une fois en français, chez Gallimard, en 1973, et était depuis indisponible jusqu’à ce que les jeunes éditions Multiple ne décident de l’exhumer pour notre plus grand plaisir et de nous le présenter dans une nouvelle traduction.

Joyeux génie mélancolique, dublinois triestin, Joyce y évoque la passion interdite bien commune du maître pour son étudiante. Mais Joyce ne serait pas Joyce s’il ne faisait que cela. Alors, parce qu’il est Joyce, il se fait Giacomo, comme Casanova, comme, nous l’apprend Yannick Haenel dans une postface instructive, les Italiens nomment avec humour ces amoureux que l’on aime à moquer, Léandre taquins ou Dom Juan ironiques. Giacomo Joyce ainsi rit de lui car il se sait ridicule aux yeux du lecteur et de l’observateur, de la camarade qui « tortillant son corps tortillonné, ronronne dans un vénétien sans armatures : che coltura ! ». L’humour du poète est un refuge à sa passion et sa frustration. Car Amalia Popper - que Joyce, par discrétion, se refuse à nommer - demeurera à la façon de la Béatrice de Dante « vierge de sang et de viol ».

Ainsi, le poète au détour des scènes sans lien décrites dans cette oeuvre fragmentaire, se plaît à évoquer la « lame du chirurgien » qui seule « a fouillé ses entrailles et s’est retirée, laissant la béance de son sillon dans son ventre ». Car Joyce, pour son élève, devra se contenter de rester professeur :

«  Ses yeux ont bu mes pensées : et dans la tiède obscurité moite et invitante de sa féminité, mon âme, en dissolution, a jailli, inondé et éjaculé une semence abondante. »

Misérable consolation.

La traduction est coquine ; la poésie se fait auto-dérision. En même temps, elle laisse libre court au fantasme, seule réponse à l’indifférence dont l’élève gratifie son vieux maître qui, dans ses rêves, fait glisser des déshabillés dévoilant des « fesses minces d’argent poli », et dans un dernier vers implore même : « Love me, love my umbrella ».

Comme toujours, chez Joyce, le langage est tout et le professeur d’anglais démontre, s’il en était besoin, qu’il est doué pour les langues. Ainsi, l’oeuvre ne se contente pas d’être touchante, émouvante, drôle, érotico-onirique, avant tout elle est belle et sensuelle. Pour ceux que l’idée de se plonger dans Ulysse effraye, elle peut être une porte d’entrée dans l’oeuvre de Joyce. Pour tous, présentée dans la belle édition concoctée par Multiple, c’est une fine culotte de dentelle qu’on imagine faire glisser sur les cuisses de la femme désirée.

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