L'affaire Eszter Solymosi de Gyula Krúdy

L'affaire Eszter Solymosi de Gyula Krúdy
(A Tiszaeszlari Solymosi Eszter)

Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone , Littérature => Romans historiques

Critiqué par Pucksimberg, le 5 mai 2013 (Toulon, Inscrit le 14 août 2011, 44 ans)
La note : 6 étoiles
Moyenne des notes : 7 étoiles (basée sur 4 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (26 706ème position).
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L'affaire Dreyfus hongroise

En 1882, une petite bonne de 14 ans a disparu à Tiszaeslar, petit village hongrois. Assez rapidement, les soupçons accusent la minorité juive. En effet, ce même jour, plusieurs hommes se réunissent à la synagogue, des hommes qui intriguent, des sacrificateurs. On en vient à déduire qu'ils cherchent un abatteur rituel. Les Juifs sacrifieraient un chrétien pour ajouter son sang au pain azyme de la pâque, c'est ce qui se dit. Eszter Solymosi est forcément la pauvre figure sacrificielle de ce rituel monstrueux.
L'antisémitisme va alimenter ces accusations complètement absurdes et iront jusqu'à anéantir les pauvres juifs innocents.

Ce récit d'une extrême richesse relate un fait divers historique qui a secoué le pays et qui témoigne de la force de certaines rumeurs qui prennent racine dans l'intolérance et la bêtise. De nombreux hommes seront jugés, dont le bedeau de la ville Josef Scharf. Le pire est dit dès le début du roman : toutes ces accusations, ces mensonges et ces propos orduriers sont nés du témoignage du fils même de Josef !

Ce roman d'une infinie précision est fort documenté et restitue à merveille ce contexte et ce procès. Gyula Krudy ( 1878- 1933 ) est considéré comme l'un des plus grands auteurs hongrois. Sandor Marai dit de lui : "Gyula Krudy est un géant." Le procès est décrit avec vitalité et un sens critique aigu. L'écrivain brosse le portrait de tous les personnages liés à cette affaire ( témoins, accusés, juges, commissaires, voisinage, flotteurs ... ). De plus, ce roman vaut aussi pour sa puissance évocatoire d'une époque qui n'est plus. L'écrivain propose une photographie de la Hongrie de cette époque en contextualisant cette affaire devenue nationale, voire internationale. Le lecteur ne suit pas qu'un ou deux personnages, c'est un microcosme qui est ressuscité et auquel il faut se familiariser. Pas facile ...

Certaines scènes sont captivantes ( scènes de procès, les déchirants affrontements de Josef avec son fils, le cadavre et les flotteurs ... ). D'autres sont plus ennuyeuses. On peut se perdre parfois dans la multitude de détails. On aimerait souvent que le roman gagne en concision. On comprend le besoin de Krudy de tout raconter pour immortaliser cet épisode qui devrait servir de leçon, mais pour le lecteur basique que je suis le plaisir de lire a été saturé par autant de précision.

Il n'en demeure pas moins que ce roman reste un témoignage de qualité et indispensable, une arme de combat car il ne faut pas oublier et une oeuvre riche qui peut rappeler les romans de certains célèbres romanciers français aux descriptions méticuleuses. Il faut saluer aussi le travail remarquable de la traductrice, très investie. L'édition contient des notes explicatives, une annexe dans laquelle Catherine Fay présente l'auteur hongrois et donne des indications sur la prononciation de noms hongrois.

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Le déchaînement absurde de l'antisémitisme

8 étoiles

Critique de Poet75 (Paris, Inscrit le 13 janvier 2006, 67 ans) - 3 avril 2015

C'est un roman, mais qui se fonde essentiellement sur des faits bien réels, sur une affaire qui défraya la chronique dans la Hongrie de 1882 comme l'affaire Dreyfus le fit un peu plus tard en France. Eszter Solymosi est une petite servante de 14 ans qui, alors qu'elle avait été envoyée par sa patronne faire une course, disparaît mystérieusement. Sur les accusations inconsidérées d'un gamin et parce que, ce même jour, se tient à la synagogue de Tiszaeszlar , le bourg où vivait la servante, une réunion ayant pour but de désigner un abatteur rituel, on en vient très vite à accuser les juifs d'avoir perpétré un crime. C'est le déclenchement d'une vague d'antisémitisme absurde et irraisonné dans tout le pays, d'autant plus qu'on finit par trouver un corps féminin flottant dans le fleuve local. "Ce sont les Juifs qui, après l'avoir tuée selon leurs rites, y ont jeté son corps!", affirme-t-on. Treize accusés finiront par comparaître dans un procès, et il faudra le courage et la clairvoyance de quelques-uns pour s'opposer à la haine du Juif et pour confondre les ignorants. Un grand roman qui suscite encore aujourd'hui, paraît-il, des polémiques en Hongrie!

Alerte antisémitique

8 étoiles

Critique de Débézed (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 76 ans) - 25 juillet 2013

Environ cinquante ans après les événements, au moment où Hitler accède au pouvoir, Gyula Krùdy écrit l’histoire de la disparition d’Eszter Solymosi, l’émotion qui en suivit et le procès qui conclut l’affaire, on pourrait y voir une forme d’avertissement comme on pourrait aussi considérer la réédition de ce texte comme une réplique à la montée actuelle de l’extrême droite en Hongrie, ce que la traductrice ne manque pas de souligner en évoquant : « l’opportunité de rééditer cet ouvrage au moment où la Hongrie secoue ses vieux démons ».

L’affaire Eszter Solymosi prend corps en avril 1882, à Tiszaeszlàr, dans la vallée de la Tisza, elle « commença à intéresser les gens une fois qu’on eut perdu toute trace de la fillette ; il est vrai qu’après cela, on parla d’elle dans le monde entier car partout fut colportée la nouvelle calomnieuse selon laquelle le rituel religieux pour la Pâque juive exigeait d’ajouter le sang d’une jeune fille chrétienne à la farine du pain azyme ». Sous l’influence d’un foyer antisémitique ardent, une partie de la population accuse les Juifs d’avoir utilisé le sang d’Eszter pour la pratique de ce rituel. Le fils du bedeau de la synagogue confirme cette présomption par un témoignage accablant. Les passions se déchaînent, les antisémites font feu de tout bois, les Juifs, surtout étrangers, sont chargés de toutes les misères, incendies et empoisonnements de puits notamment, qui surviennent périodiquement. « Jamais il n’a été très bon d’être juif mais à cette époque là, être juif à Tiszaeszlàr, c’était pire que d’être chien. »

En s’appuyant principalement sur la presse contemporaine des faits, Krùdy présente l’affaire sous deux angles : l’affaire telle qu’elle est vécue dans le déchaînement passionnel de l’époque et l’affaire telle qu’elle ressort de l’instruction et du jugement. Il se livre à reconstitution exhaustive de l’histoire mais aussi du contexte social, économique, politique et historique, avec les personnages qui l’animent. Il explore toutes les pistes possibles même les plus improbables : indices, racontars, affabulation, mauvaises intentions, préjugés, haines ancestrales, légendes, inventions… pour cerner au plus près possible la machination raciste montée contre une communauté mal acceptée. Il décortique le contexte de l’époque jusque dans ses moindres ramifications pour démonter l’enquête, bribe par bribe, pour en montrer toutes les failles et dénoncer les préjugés et partis pris. N’oublions pas que ce texte a été initialement publié dans un périodique, ce qui a une influence non négligeable sur la forme du roman actuel et sur le rythme de l’intrigue ralenti par la répétition et la reformulation de certains éléments du récit afin que le lecteur puisse resituer chaque épisode dans l’ensemble de l’histoire.

Ce texte est aussi un excellent témoignage sur la Hongrie à la fin de l’époque des Habsbourg, juste après qu’elle a pris quelques distances avec Vienne, la vie des provinces éloignées, la misère d’une bonne partie de la population, le fonctionnement de la justice, le statut et le sort des Juifs dans un antisémitisme endémique et chronique débordant dans l’ensemble de l’Europe centrale qui aboutira à la Shoah. Ce texte pose aussi, indirectement, le problème de l’intégration de cette communauté présente depuis des siècles dans cette région en évitant soigneusement de se fondre dans la collectivité nationale même après l’affaire. Et Gyula Krùdy a bien flairé le danger : « On ne pouvait abandonner un tel foyer sans s’être assuré de l’avoir asphyxié pour ne pas risquer qu’il s’enflamme à nouveau au moindre coup de vent car, dans l’âme du peuple, il y avait encore assez de matériau inflammable ». C’était en 1931 et le feu brûlait déjà dans bien des âmes.

Antisémitisme Hongrois

7 étoiles

Critique de Elya (Savoie, Inscrite le 22 février 2009, 34 ans) - 12 mai 2013

Je suis soulagée de voir que quelqu’un s’est déjà penché sur le commentaire de L’affaire Eszter Solymosi, avec un ressenti similaire au mien, notamment concernant les annotations précieuses de l’édition.
Commenter, critiquer ou argumenter au sujet de L’affaire Eszter Solymosi n’a rien d’évident, tant ce livre dépasse le cadre cossu du roman ordinaire. Gyula Krudy, cet écrivain Hongrois, quitte le bien connu roman-intrigue où l’on devine plus ou moins l’enchaînement des évènements et la trame narrative sous-jacente, pour aboutir à une sorte de roman-enquête. L’intérêt ne réside pas dans un quelconque suspense mais plutôt dans le récit d’une réalité, d’un évènement aux apparences anodines, tenant du fait divers.

Ce livre a été édité voilà déjà plusieurs décennies en Hongrie et c’est en 2013 que parait cette première traduction française. Je ne sais pas si en Hongrie le sujet de ce roman est aussi connu que des histoires judiciaires telles que l’affaire d’Outreau en France, mais je le suppose pour qu’on ait eu envie d’en faire un livre au contenu si dense.
En France, cette histoire judiciaire est moins connotée mais reflète l’antisémitisme qui sévissait encore fortement après la seconde guerre mondiale. La Hongrie est de nos jours un pays tristement réputé pour ses notes encore antisémites. La lecture de L’affaire Eszter Solymosi permettra de se familiariser avec le climat de méfiance qu’il régnait il y a peu dans les campagnes Hongroises et qui se répercute aujourd’hui encore.

Pour vraiment apprécier, je pense qu’il faut se sentir lié avec l’histoire de la Hongrie ou de l’antisémitisme, sinon cette lecture paraîtra fastidieuse. Dans tous les cas, il s’agit d’un témoignage d’une réelle valeur sociologique.

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