Simenon jeune journaliste, un anarchiste conformiste de Jacques-Charles Lemaire

Simenon jeune journaliste, un anarchiste conformiste de Jacques-Charles Lemaire

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Critiques et histoire littéraire , Littérature => Biographies, chroniques et correspondances

Critiqué par Macréon, le 21 février 2003 (la hulpe, Inscrit le 7 mars 2001, 90 ans)
La note : 7 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (40 525ème position).
Visites : 5 384  (depuis Novembre 2007)

Un chroniqueur de dix sept ans.

Personne n'ignore que Simenon avait été journaliste avant de commencer son parcours d'obstacles littéraire qui devait le mener à partir de 1931 à la production de romans d’une force extraordinaire.
Mais aucun livre n’avait été consacré, ou alors superficiellement, à cette période peu connue de sa vie.
Voila qui est fait. Jacques- Charles Lemaire,spécialiste de la langue et de la littérature française du Moyen-Age, professeur à l’ULB et docteur en philosophie et lettres, s’intéressant aussi à l'histoire de la franc-maçonnerie, admirateur et connaisseur des ouvrages de Simenon, a disséqué une série d'articles parus dans la Gazette de Liège entre janvier 1919 et décembre 1922.

Après cette période journalistique, Simenon se fait la main et publie à jet continu des romans"faciles" et même très faciles jusqu'en 1931 ( exemple: L'étreinte tragique , Orgies bourgeoises) sous un nombre invraisemblable de pseudonymes (Jean du Perry, Christian Brulls) et des romans populaires chez Arthème Fayard.
Cette usine à livres, aussi médiocre soit-elle, prépare sans doute la fécondité à venir. Chez le même éditeur, en effet, les choses sérieuses vont commencer et aussi une création intense paraissant sous son patronyme. Les chefs d'oeuvres se succèdent. Onze romans en 1931 (Monsieur Gallet décédé), , onze en 1932 (Chez les Flamands), sept en 1933, (Le Haut Mal, l’Ecluse N¡ 1, le Coup de lune )
En 1934, Simenon passe chez Gallimard et le rythme de parution ne marque guère le pas.( de 1934 à 1945). En 1938, il rédige même douze livres ( la Marie du port). Sa production semble se ralentir pendant la guerre (la vérité sur Bébé Donge).
Les Presses de La Cité entrent en scène à partir de 1945 et publieront les romans très forts et parfois très noirs comme Je me souviens, Trois chambres à Manhattan,( 1946), Lettre à mon juge(1947), La Neige était sale et Pedigree(1948),. De 1952 à 1961, paraissent encore de très nombreux Maigret et quelques “romans-romans" ou romans “durs" avant d’en arriver à Lettre à ma mère(1974), Mes dictées(1975) et enfin son terrible chef-d’oeuvre , Mémoires intimes ( 1985).
Revenons à 1919. Pendant 4 ans,en dépit de son très jeune âge (17 ans) , Simenon est un des collaborateurs appréciés de Joseph Demarteau, directeur de la Gazette de Liège (qui lui pardonne quelques fredaines) et surtout le billettiste , à la plume légère et impertinente, sous les noms
de Monsieur le Cocq ou Georges Sim . Billets intitulés “ Hors du poulailler". Vivants, percutants et primesautiers.
Volontiers polémiques mais pas vraiment agressifs, quand on pense à cette époque où la presse était partout extrêmement virulente. Il s'en prend aux joyeusetés parlementaires, à la Russie bolchévique( " on égorge un czar pour établir un dictateur"), Amusé, il propose l'esperanto comme
alternative aux problèmes linguistiques. Il s’arrête à décrire un Nord Africain vendeur de tapis, de châles et de couvre-lits dans un café: un billet brillant et "bien vu" ( p.133). Il choisit le thème de sa ville qu'il décrit magnifique (page 103): "Il y a des trains, des soldats, des tramways et des voitures, des escarpes, des douairières, des ribauds, des bourgeois, des gueux,des rapins, des servantes, de vieux savants très fous et des fous remplis de bon sens.On y rit, on y pleure, on y danse etc."
N'oublions pas que le journal est "catholique et conservateur." Exemple: Georges Sim reproduit assez longuement, avec les commentaires appropriés, la teneur d'un livre d’un certain Hoornaert “ destiné à mettre en garde contre les plaisirs de rencontre." Attitude un peu cagote qui ne manque pas de sel quand on connaît aujourd’hui le prurit relationnel très marqué de notre romancier. L’alacrité de ses chroniques, le style n'ont rien à voir et ne semblent pas annoncer le sérieux, la densité , l'humanité de ses futurs tours de force littéraires, rarement ironiques ou moqueurs.
En raison de la parution de 15 articles sur le "péril juif" , le professeur Lemaire lui reproche “un antisémitisme virulent et intégralî et l’accuse d'avoir mené une croisade violente et injustifiable contre les Juifs, "dénuée de la plus petite nuance restrictive." Simenon s'inspire en effet largement de deux livres de l'époque, Gorges Batault (le problème juif) et Roger Lambelin (Le règne d'Israël chez les Anglo-saxons) fustigeant notamment l’omniprésence juive dans les sphères dirigeantes, les accusant aussi d’avoir participé de façon décisive à la révolution bolchévique. Les articles de Georges Sim , qui enfoncent parfois des portes ouvertes, procèdent de la méthode du démarquage.
Il n’y a donc pas plagiat puisqu'il recourt constamment à la technique de citations et d’emprunts.
Georges Sim reproduit d'assez larges extraits des fameux "Protocoles de Sion " qu'il considère lui-même comme apocryphe. Ce faux issu d’une officine tsariste faisait et fait toujours les délices des antisémites de tout bord. Interrogé à ce sujet en septembre 1985 , l'écrivain répliqua que ces articles étaient une commande de son directeur , que ceux traitant des Sages de Sion ne reflétaient nullement sa pensée d'alors. "Toute ma vie, j'ai eu des amis juifs avec lesquels je m’entendais parfaitement y compris le plus intime de tous, Pierre Lazareff. Les locataires polonais et russes en pension chez ma mère étaient pour moitié des Juifs avec lesquels je me suis toujours parfaitement entendu."
Que tout cela ne nous empêche pas de lire et de relire les grandes réussites romanesques de cet auteur actuellement fêté comme il se doit.

Connectez vous pour ajouter ce livre dans une liste ou dans votre biblio.

Les éditions

  • Simenon jeune journaliste [Texte imprimé], un anarchiste conformiste Jacques-Charles Lemaire
    de Lemaire, Jacques-Charles
    Éd. Complexe / Littérature (Bruxelles. 2003)
    ISBN : 9782870279526 ; 21,00 € ; 31/01/2003 ; 240 p. ; Broché
»Enregistrez-vous pour ajouter une édition

Les livres liés

Pas de série ou de livres liés.   Enregistrez-vous pour créer ou modifier une série

A contre courant.

8 étoiles

Critique de Patman (Paris, Inscrit le 5 septembre 2001, 62 ans) - 24 février 2003

Vu le centenaire que l'on vient d'inaugurer, il y a profusion actuellement de livres qui sortent sur Simenon...tout est prétexte à une étude fouillée, Simenon en Amérique, Simenon photographe, Simenon et les femmes, Simenon-ci, Simenon-là, ... mais tout le monde encense le Maître...sauf Lemaire ! Lui, n'hésite pas à pointer du doigt quelques petites erreurs de jeunesse du père de Maigret. J'ai assisté hier à un débat quelque peu houleux entre Lemaire et quelques Simenolâtres... suite des échanges prévue le 17 mars prochain à 20h à la Maison du Livre ! Qu'on se le dise.

Forums: Simenon jeune journaliste, un anarchiste conformiste

Il n'y a pas encore de discussion autour de "Simenon jeune journaliste, un anarchiste conformiste".