Le poème de Jacques & l'Ambassadeur de Philippe Blanchon

Le poème de Jacques & l'Ambassadeur de Philippe Blanchon

Catégorie(s) : Littérature => Francophone , Théâtre et Poésie => Poésie

Critiqué par Eric Eliès, le 1 décembre 2012 (Inscrit le 22 décembre 2011, 50 ans)
La note : 8 étoiles
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Une poésie singulière, fortement narrative, qui se déploye dans la temporalité d'une vie

Ce recueil de Philippe Blanchon, qui tenait il y a quelques années une très belle librairie sur le cours Paul Landrin à Toulon (littérature et poésie garnissaient les rayons et une belle table en bois ; en sous-sol une petite salle permettait d'accueillir des expositions, dont une fut consacrée à Jean Legrand), se compose de deux longs poèmes appartenant au genre, un peu suranné, de la poésie narrative. L’écriture poétique s’apparente ici par moments à de la prose qui aurait fait l’objet d’un long et minutieux travail de réflexion sur le rythme et sur la découpe, presque ciselée, de la phrase en vers libres ; elle appartient néanmoins pleinement à la poésie, par le choix des images (et ce dès le 1er vers : « Le matin est un rire d’étourneau »), par une certaine forme de déconstruction syntaxique dans les rejets et les ruptures et par le choix des verbes qui n’est pas celui de la langue usuelle et vise à susciter des images et à donner une densité de présence aux choses (« si l’arbre affleure les sourcils du ciel / comme la nudité / aux draps de sa toise » (…) « le ciel mange l’orage / qui s’en va s’allonger »). Il faut souligner dans le récit la force des verbes d’action associés aux choses et aux éléments, qui semblent dotés d’une vie propre et, par contraste, font s’effacer les personnes, qui sont souvent hésitantes et introverties, notamment Jacques. Il y a aussi, par-dessus tout, la volonté d’expression d’un rapport au monde donné à « ressentir » et non simplement décrit et/ou analysé.
Nous sommes donc très loin d’un roman en vers (ce recueil de Philippe Blanchon n’a rien à voir avec un roman en vers comme « Edel » de Paul Bourget !), même si le poète détaille les actions, les paroles et les pensées de Jacques qui est d’ailleurs présenté à la 3ème personne. Le récit est ainsi émaillé d’apartés et de réflexions philosophiques et artistiques, qui semblent parfois émaner de l’auteur. Ce choix de distanciation, qui créé un espace où l’auteur s’insère en narrateur entre Jacques et le lecteur, est ce qui s’apparente le plus à un procédé romanesque au sein du poème, notamment lors des dialogues de Jacques avec d’autres interlocuteurs (la bibliothécaire, etc.) ou via le récit de l’ambassadeur ; la forme poétique, sans totalement disparaître, s’estompe alors dans les procédés du discours. Le récit est également historiquement circonstancié en évoquant des faits et des débats d’opinion (la place de l’Eglise dans la société, etc.) caractéristiques du début du XXème siècle. Il contient en outre une forme d’humour assez subtile, qui parvient à s’insérer dans la tonalité poétique du récit sans la dégrader ; par exemple, lorsque Jacques se met à soliloquer en état d’ébriété…

La singularité de cette poésie, à contre-courant d’une certaine « avant-garde » ayant renié la lisibilité et la singularité du regard, est son inscription dans la durée et dans le quotidien d’une vie. Comme si la poésie pouvait (devait ?) être partout…

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