Muss/Le grand imbécile de Curzio Malaparte

Muss/Le grand imbécile de Curzio Malaparte

Catégorie(s) : Littérature => Biographies, chroniques et correspondances

Critiqué par Lectio, le 21 novembre 2012 (Inscrit le 16 juin 2011, 75 ans)
La note : 5 étoiles
Moyenne des notes : 7 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (41 956ème position).
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le grand dépit

MUSS c'est le diminutif affectueux donné par la mère de l'auteur à Mussolini. C'était une femme simple, croyante, intelligente bien que dépourvue d'éducation scolaire. Ainsi la décrit Kurt Erich SUCKERT (1898-1957), son fils né en Toscane d'un père allemand. Officiellement K.E. SUCKERT deviendra CURZIO MALAPARTE afin de marquer son appartenance au peuple toscan. Romancier, chroniqueur, nouvelliste, auteur pour le théatre et le cinéma, journaliste (la stampa), combattant et correspondant de guerre, il est l'un des grands écrivains italiens du XX ème siècle. Membre du parti fasciste dès 1920 il devient un théoricien du fascisme. Il fréquente à ce titre Mussolini dont il entreprend une biographie dès 1931. MALAPARTE attendait du fascisme une révolution sociale. Les dérives réactionnaires et les bouffonneries égocentriques de Mussolini éloignent l'écrivain. Les critiques sur le Duce le condamneront à la prison, à l'éloignement à l'ile de Lipari, à l'exil. Malgré tout, Mussolini lui épargnera une longue et pénible peine. Mais Malaparte conservera une haine féroce de cet épisode inspirateur de MUSS et du GRAND IMBECILE." tu ne sais pas combien je t'ai haï, Muss. Combien de fois je t'ai craché à la gueule dans ma cellule de régina coeli, la cellule n°461 du 4ème secteur.." Tout est dit. Muss ouvrage inachevé comme le grand imbécile commence par une analyse de l'émergence du fascisme et son ancrage en Italie, la préfiguration du nazisme. Livre de haine et de désillusion, lignes acides, violentes, méchantes, railleuses. La trilogie chère à Malaparte - dégoût, honte, pitié- s'expose avec force. Pourfendeur de l'égotisme d'un dictateur cruel, crétin et ridicule, Malaparte n'épargne ni l'église catholique terreau du fascisme ni les italiens (dévots, jaloux, vaniteux, chicaneurs, avocaillons..) Le grand imbécile est une parodie d'un vieux conte toscan (très cruel) et met en scène une révolte des italiens contre leur ducé. Ce récit montre toute l'ambiguïté des sentiments de Malaparte. Ici les Italiens organisent une vengeance bouffonne et se sauvent à force de dérision et d'ironie. Ambiguïté également vis à vis de Mussolini. Les pages où Malaparte, à la morgue, ferme les yeux du dictateur, sont les plus poignantes. Les liens affectifs entre les deux hommes n'ont jamais disparu. MUSS ne fut qu'un grand coup de colère. Leur égotisme les avait rapprochés et séparés.

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La critique de Patryck Froissart

9 étoiles

Critique de FROISSART (St Paul, Inscrit le 20 février 2006, 77 ans) - 18 octobre 2015

Muss, suivi de Le Grand imbécile. 02/2012. 224 p. 18 €
Ecrivain(s): Curzio Malaparte Edition: La Table Ronde


Le savoir donne d’emblée le genre et la tonalité du contenu : une biographie satirique du dictateur, que l’auteur a commencé à rédiger en 1931, à laquelle il a travaillé de manière intermittente jusque dans les années cinquante, et qui n’a jamais été achevée.

Muss mêle tout à la fois l’essai politique, la satire violente, le pamphlet, et des fragments de récits autobiographiques concernant les relations personnelles, conflictuelles, entre le dictateur et l’écrivain engagé, qui fut membre et grand théoricien du Parti Fasciste Italien avant de s’affirmer comme l’un des plus farouches opposants au mussolinisme.
Dans un style flamboyant, Malaparte accumule les attaques virulentes contre le Duce et son régime, et, en parallèle, contre Hitler et le nazisme, en utilisant la dérision et la caricature.
« Mais Hitler a-t-il vraiment l’étoffe d’un grand homme ? D’après Mussolini lui-même (qui doit avoir une certaine expérience des grands hommes de son espèce), on pourrait croire qu’Hitler n’est rien d’autre qu’un homme assez gras, de taille moyenne, aux moustaches ridicules, qui marche en se dandinant, et dont la seule force consiste en sa capacité à se faire passer pour une sorte de Jules César tyrolien. Ce jugement de Mussolini serait peut-être juste s’il n’était entaché d’une pointe de jalousie. On pourrait de toute façon objecter que Mussolini aussi est un homme gras, de taille moyenne, qui marche en se dandinant, et dont la seule force consiste à se faire passer pour une espèce de Jules César à la veille de la conquête des Gaules » (page 47).
Pour Malaparte, Mussolini a dévoyé la révolution fasciste pour la seule satisfaction de son ego.
« Or, pour Mussolini, la dictature n’était que le moyen d’imposer aux Italiens l’idolâtrie de sa personne» (page 87).
La haine de l’écrivain s’exprime à son paroxysme, en des phrases à la fois lyriques et crûment réalistes, lorsqu’il relate les exactions dont il a lui-même été victime :
« Tu ne sais pas combien je t’ai haï, Muss. Combien de fois je t’ai craché à la gueule, dans ma cellule de Regina Coeli, la cellule n° 461 du 4e secteur, dans la puanteur des punaises et de la moisissure, dans l’odeur des excréments qui s’exhalait du seau… » (page 120).
Mais la mort refait du tyran un homme, devant la dépouille de qui Malaparte oublie sa haine pour déplorer la lâcheté collective :
« Ce qui comptait, c’était qu’il était un vaincu, que tous l’avaient renié, qu’ils l’avaient tué comme un chien, pendu par les pieds, couvert de crachats et d’urine, au milieu des hurlements féroces d’une foule immense qui, la veille encore, l’applaudissait, lui lançait des fleurs par les fenêtres » (page 145).

Le Grand Imbécile est une mise en scène burlesque de la rébellion imaginaire de la cité du Prato, chère au cœur de l’auteur, contre un Duce grotesque à qui les Pratois opposent une chatte, attachée sur les remparts selon une ancienne tradition.
Les cinéphiles y revivront l’épisode du film 1900 de Bertolucci, dans lequel le fasciste éventre d’un coup de tête une chatte pendue à un mur.
L’écriture y est d’une admirable fluidité, le texte semble avoir été rédigé d’un seul trait de plume, la charge contre le dictateur y est continue, exacerbée, soutenue par une expression ponctuée d’invocations, d’exclamations : un long cri, un défoulement, un soulagement vomitoire, libératoire, sur cinquante pages qui se lisent sans reprendre souffle.

Patryck Froissart

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