Anima de Wajdi Mouawad

Anima de Wajdi Mouawad

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Pucksimberg, le 16 octobre 2012 (Toulon, Inscrit le 14 août 2011, 44 ans)
La note : 9 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 10 avis)
Cote pondérée : 8 étoiles (402ème position).
Discussion(s) : 1 (Voir »)
Visites : 13 884 

Un roman profond, violent, bouleversant et poétique

Lire Wajdi Mouawad c'est accepter d'être bousculé, séduit et horrifié. Ce roman ne peut laisser insensible personne.

Wahhch Debch découvre avec horreur le corps mort de sa femme, un corps violé et torturé par un être monstrueux. Comment surmonter une telle vision ? Comment lutter contre une telle impuissance ? Wahhch n'a pas le choix, il a besoin de retrouver cet être sanguinaire qui a commis un tel acte. Il ressent le besoin viscéral de voir son visage. A partir de cet instant, tel un animal aux aguets, il part à la recherche du meurtrier, non pas pour donner du sens à son existence, mais parce que cela répond à un besoin intime.

Ce roman n'est pas une simple plongée dans la psyché d'un être qui crie vengeance, il renferme une âme, des réactions instinctives, des pulsions, un besoin, des sentiments incontrôlables.
L'originalité de ce roman est qu'il est raconté et vu à travers le regard d'animaux. Le chien, le chat, l'araignée, le cheval et des dizaines d'autres animaux sont les narrateurs de ce roman, des narrateurs qui le croisent durant son odyssée violente au pays du sens et des sens. Les animaux ressentent son mal être, sa tristesse, son désespoir, tout comme Wahhch lui-même semble parfois être en osmose avec ces animaux. Les animaux et les hommes semblent se justifier l'un l'autre. On n'est nullement gêné par ces narrateurs et leur sensibilité enrichit amplement le récit.

L'écriture est magistrale ! Mouawad est un poète, on le sait dramaturge, et joue avec le langage et parfois avec la syntaxe pour toucher au mieux son lecteur. Les métaphores sont nombreuses et très évocatrices, celle du "bouquet de fleurs sur son ventre cassé" est poignante.

L'auteur ne ménage pas son lecteur, certaines scènes sont d'une violence inouie et l'on se demande même jusqu'où l'écrivain ira dans ces évocations ! La cruauté des hommes et des animaux est déchirante, le sang est l'élément liquide le plus souvent convoqué dans ce texte. ( scènes de combat, sang bu ... ). Cette violence est au service du propos du Mouawad et n'est en rien gratuite, même si le lecteur ressent le besoin de poser le roman dix secondes quelquefois pour accepter ce qui est décrit.

Une oeuvre aboutie aux confins de l'(in)humanité. Un auteur à découvrir pour la force des ses images, pour son regard sur le monde et pour sa langue travaillée.

Message de la modération : Prix CL 2015 catégorie roman de langue française

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Intéressant pour la forme mais lassant sur la longueur

6 étoiles

Critique de Mimi62 (Plaisance-du-Touch (31), Inscrit le 20 décembre 2013, 71 ans) - 23 avril 2024

Une intrigue de départ classique pour un polar : une personne découvre assassinée celle qu'il aime. Les circonstances font qu'il est le principal suspect. Assez rapidement le genre polar devient tout à fait secondaire.
La traque en elle-même n'est plus qu'un prétexte à changer de situation, devenant le fil rouge pour conduire le déroulé. L'intérêt et l'originalité résident en ce que chaque chapitre donne la parole à un animal qui donne sa version de la perception des faits selon leur particularité. Les chiens auront une vue assez anthropomorphique alors que l'araignée sera davantage dans celui d'un prédateur en attente.
Si l'on se laisse entraîner par cette originalité, l'intrigue s'enlise pour laisser une place très importante aux animaux qui, finalement, deviennent le seul intérêt de l'ouvrage. Plusieurs fois le propos tourne en rond et l'on finit par se lasser ce qui est bien dommage. Cinquante à cent pages en moins auraient rendu le tout plus efficace.
De même pour les titres de chapitres indiqués uniquement en latin. Pourquoi ne pas avoir donné également leur nom usuel afin d'éviter une recherche devenant vite fastidieuse et nuisant au soutien de l'intérêt.
La violence permanente m'a laissé assez indifférent car ce milieu a déjà été traité par ailleurs. Je suis, pour ma part, resté totalement indifférent à cette atmosphère, je n'étais même pas spectateur, cela se déroulait en fond, l'intérêt étant vraiment la forme utilisée.
Pas grand chose à dire sur l'écriture en elle-même. Elle ne m'a pas particulièrement enthousiasmé, ne m'a pas vraiment rebuté ; je l'ai trouvée assez froide, un peu répétitive. Là aussi je n'ai pas été touché.
Une lecture que je ne regrette cependant pas. C'est curieux mais j'ai un sentiment d'inachevé dont je n'arrive pas vraiment à préciser la raison. Un manque d'émotion probablement.

Animal ou Humain

10 étoiles

Critique de Shan_Ze (Lyon, Inscrite le 23 juillet 2004, 41 ans) - 10 septembre 2015

J'ai lu Forêts de cet auteur, une pièce de théâtre insolite. Quand j'ai vu que l'auteur, Wajdi Mouawad avait écrit un roman, j'ai tout de suite eu envie de le lire. Mais je ne m'attendais pas à une telle claque. Je n'avais aucune idée du sujet du livre en le commençant mais j'ai rapidement été prise par la particularité de la narration. Chaque chapitre est raconté par un animal qui raconte le désespoir de Wahhch et sa quête de vérité.
Un roman à tiroirs, des thèmes qui en appellent d'autres et une forme qui surprend. Plus on avance dans l'histoire, plus on prend conscience de la cruauté du meurtrier. Cependant, le mystère persiste… les pages se tournent toutes seules pour comprendre Wahhch, pour savoir qui il est. J'ai été très touchée par l'écriture de Wajdi Mouawad, la première partie m'a bercée par son rythme avec les différentes attitudes du protagoniste, la seconde m'a ensorcelée et la troisième m'a carrément écoeurée, bouleversée, comment de telles horreurs peuvent-elles exister ?
J'ai entendu parler de la Guerre au Liban, mais je n'avais jamais vraiment pensé que des hommes pouvaient être terrifiants à ce point. L'auteur est libanais et raconte l'histoire de son pays en se servant de divers éléments : la culture des Indiens Mohawks, les animaux, la nature… Wahhch se rapproche de l'animal, l'animal se rapproche de lui, Mouaawad confronte le monde des hommes et celui des animaux, qui est finalement le plus « animal » ? le plus « humain » ?
Un roman qui ne s'oublie pas.

Humaine bestialité !

10 étoiles

Critique de Frunny (PARIS, Inscrit le 28 décembre 2009, 59 ans) - 19 juillet 2015

Wajdi Mouawad (1968- ) est un homme de théâtre, metteur en scène, auteur, comédien, directeur artistique, plasticien et cinéaste libano-canadien (québécois).
Anima (Actes Sud-2012) - est salué par la critique et remporte de nombreux prix littéraires.

De retour à son domicile, Wahhch Debch découvre le corps mutilé, violé et torturé de son épouse Léonie.
Un monde s'effondre. Il ne souhaite alors qu'une chose; comprendre. Comprendre comment un tel massacre a été rendu possible, quel visage peut avoir celui qui a été capable de perpétrer un acte si abominable.
Une quête sanglante, bestiale, restituée au lecteur par la "voix" animale. De courts chapitres où l'animal (chien, chat, Chauve-souris, cheval,... ) devient le narrateur. Un narrateur qui ressent plus qu'il ne raconte (les ondes, les odeurs, ...).
Une quête qui le confrontera à l'Histoire sanglante des Etats-Unis (Extermination des indiens, Guerre de Sécession) et à sa propre histoire (le massacre de Sabra et Chatila)
Libanon (Illinois), Carthage (Missouri), Cairo (Illinois), Angola (Louisiane), des villes au lourd passé. De Montréal à la Californie, Wahhch Debch se heurte à l'extrême violence de l'Histoire du Monde.
Un électrochoc qui va le renvoyer à son enfance et aiguiser la nécessité absolue de comprendre les zones d'ombre posées par ses parents adoptifs.

Une oeuvre d'une puissance incroyable !
Les messages sont multiples mais le dénominateur commun reste la violence. Violence "animale" ? Au diable ce qualificatif qui tenterait d'aligner l'animal à l'Homme .
L'auteur tend à démontrer que l'Homme est bien pire. Il est LE nuisible de la création, capable des pires déviances sans nécessité vitale.
Le point de vue de l'animal -au delà de l'originalité stylistique - apporte une réelle puissance aux thèmes traités.
Un roman que j'ai dû reposer à quelques reprises, la violence étant parfois insoutenable.
Un véritable chef d'oeuvre qui vous hantera longtemps.
Un très, très grand livre !

Voyages au fin fond de la nature humaine...

10 étoiles

Critique de Pieronnelle (Dans le nord et le sud...Belgique/France, Inscrite le 7 mai 2010, 77 ans) - 1 mars 2015

Dès le début la lecture devient une épreuve.
Néanmoins, après la scène terrifiante d’un crime d’une violence inouïe , la fascination s’installe grâce à tout un monde parallèle animal qui regarde, ressent, et suit l’homme dans sa démarche désespérée tout au long d’un voyage destiné à retrouver le meurtrier de sa femme afin d’essayer de comprendre l’incompréhensible et se libérer d’un sentiment de culpabilité.
Il y a aussi comme un lien qui unit l’homme aux animaux et qui semble se tisser autour de lui ; et les regards,les signes, les gestes d’attention, de délivrance, les caresses parfois qu’il leur adresse sont particulièrement touchants ; on a le sentiment que ce sont eux qui lui permettent de continuer sa quête vers une rédemption qu’au début on a du mal à bien comprendre. Car qu’est-ce qui pousse cet homme à aller se jeter dans la gueule du loup ?

Cette sorte de fusion entre l’animal et l’homme est d’une incroyable poésie malgré certaines scènes de cruauté. Sans doute parce que cette dernière est plus facilement acceptée comme naturelle, car primitive, chez l’animal, et ressentie comme monstrueuse chez les hommes. Il y a une vraie réflexion sur la violence ; fait-elle partie intégrante des rapports humains ? Est-elle un moyen de défense face aux incompréhensions, aux injustices de la vie ? Est-elle profondément ancrée dans les instincts de vie ? Peut-elle être réellement gratuite même lorsqu’elle est particulièrement abominable ? La violence subie induit-elle un désir de violence parce que paradoxalement elle est inacceptable chez l’être humain ?
Ce voyage dans une sorte d’enfer adouci par le murmure des pensées des animaux est très envoûtant. On y découvrira la réalité indienne au coeur des réserves canadiennes, lieux où la solidarité côtoie la cruauté et où la déchirure avec un noble passé de liberté se ressent dans toute son injustice ; ce peuple aura été détruit deux fois, par la conquête de ses terres et par l’écrasement d’une société inadaptée à son mode de vie et de pensée. En cela il rejoindra celui du passé de l’homme dont on découvrira qu’il est né à Chatila, camp palestinien au Liban, une “réserve sans territoire”...tous deux, comme beaucoup dans le monde, peuples déracinés, arrachés à leur mémoire.

C’est une sorte de fable fantastique aux réalités brutales d’un univers de violence dans le monde des humains victimes mais également responsables de leurs déchéances par leur incapacité à pouvoir et vouloir être heureux,et dans lequel un homme désespéré, en plein désarroi part à la recherche de lui-même ; sa fragilité le rendant presque invulnérable, comme s’il était protégé par tous ces animaux qui l’accompagnent en se passant le relais. Invulnérable jusqu’à la rencontre avec l’assassin ; deux scènes extrêmement éprouvantes pour le lecteur provoqueront un basculement dans le livre ; difficiles à admettre, elles apparaissent cependant comme une sorte de sacrifice afin de mieux comprendre la violence subie par la femme assassinée et comme les épreuves nécessaires pour accéder au deuxième voyage.

Pour ce deuxième voyage, qui représente en fait la véritable quête de l’homme, il lui faudra franchir une ligne représentée par un chien sauvage au nom étrange de Mason-Dixon line, compagnon fidèle sous l’aspect d’un monstre noir au coeur tendre, le seul désormais à raconter l’histoire de cet homme. Alors qu’on aspire enfin au passage des “ténèbres à la lumière” la violence explose de nouveau et atteint son paroxysme pour parvenir à une délivrance aussi terrifiante que salvatrice. Violence de masse, celle qu’on nomme massacre. Le froid, l’abattement s’empare alors du lecteur...

Et ce dernier se plait à regretter le premier voyage où les états d’âmes de certains animaux étaient fabuleux, en particulier celui du singe du chef indien qui va aider l’homme à retrouver l’assassin :
“ J’aime trop les humains ! j’aime qu’ils me servent, j’aime les regarder pleurer, j’aime les regarder souffrir, j’aime les regarder vivre, j’aime les savoir ignorants de ma tendresse à leur égard, j’aime les savoir convaincus de mon incompétence à comprendre leur monde, de mon incapacité à les écouter et partager leurs peines et leurs tristesses “.
Il y a des scènes très puissantes comme celle où des centaines de chauves souris se jettent sur l’homme comme pour lui absorber tout le noir et la terreur qui l’envahissent :
“Sans hésiter nous nous sommes abattues sur son corps, habitées par le désir ardent de le toucher, de le recouvrir, de l’ensevelir, d’unir ses cris à nos cris et de dissoudre son odeur par nos odeurs(...) agglutinées, peaux et fourrures mêlées, nous l’avons senti s’assoupir. Se détendre. Son esprit s’est ouvert, nous lui avons alors fait don de nos secrets et de nos mystères, il s’est oublié, il s’est endormi...”
Celle dans la bétaillère avec les chevaux enchaînés est terriblement poignante :
“Où sont les courses folles contre la lumière ? Soleils, soleils ! Creuset des larmes d’or ! Dans les plaies, les plaines où la nuit brille encore aux chants des oiseaux oubliés à tous les coeurs dehors !! Soleils !! Défaites nos liens de sang !”

Impossible, après avoir lu ce livre de ne pas être effarés, voire abattus, par la cruauté des hommes à l’égard des animaux et envers eux-mêmes. Confrontation philosophique de l’homme/animal avec l’animal/homme, il nous questionne profondément sur notre part d’inhumanité et notre capacité à nous détruire.
Livre essentiel, éprouvant, d’un extraordinaire écrivain qui nous met face à ce que nous-sommes...

de la bestialité des hommes

10 étoiles

Critique de Ellane92 (Boulogne-Billancourt, Inscrite le 26 avril 2012, 49 ans) - 21 janvier 2015

Wahhch Debch, canadien d'origine libanaise, découvre sa femme enceinte assassinée, atrocement torturée. Poussé par une nécessité intérieure qu'il ne comprend pas forcément, il décide de partir à la recherche du tueur. Les premières pistes l'emmènent dans une réserve indienne dans laquelle les autorités n'ont pas droit de cité. Mais plus qu'une chasse à l'homme, c'est une plongée dans sa propre histoire qui attend Wahhch.

C'est un roman étrange que signe le Québécois d'origine libanaise Wajdi Mouawad ! Le trait le plus étrange, et le plus significatif, est bien sûr que l'histoire nous est racontée au travers du regard d'animaux, grosses et petites bêtes, qui croisent la route de notre héros, qui cherche au fond la vérité de sa propre histoire. Seule la quatrième et dernière partie, qui est également la plus courte, nous est contée par un "homo sapiens sapiens" (bien que, dans le roman, la plupart de ceux qui se tiennent sur deux pattes ne méritent pas vraiment le qualificatif de "sage" !!). La violence dans Anima est omniprésente, les actes des hommes sont souvent insoutenables. C'est le regard animal qui donne au lecteur le détachement suffisant pour avancer dans l'histoire. Si les animaux suivent Wahhch, c'est parce qu'ils reconnaissent en lui une part d'eux-mêmes ; certains l'aideront, d'autres seront aidés, d'autres enfin retourneront simplement à l'activité qui est celle de leur race. Ce qui est étrange également dans ce roman, qui saute aux yeux, c'est que l'humanité et la bestialité ne sont pas souvent du côté où on pourrait/devrait les attendre.
S'il faut un peu de temps pour s'habituer aux changements de perspectives liés à la gente animale qui prend parole lors du chapitre (ne maîtrisant pas les noms latins, j'ai eu le plaisir de découvrir dans le texte à quelle espèce appartenait le narrateur d'un temps), le livre devient vite difficile à lâcher : envoûtant, hypnotisant, repoussant, à la limite du supportable parfois, on s'acharne à suivre notre héros malmené dont on ne fait que deviner les états d'âmes et les raisons qui le poussent à suivre sa quête. Nous, nous poursuivons, dans l'espoir d'un peu de lumière, d'un peu de paix, d'un moment de rédemption, pour lui, pour l'humanité qu'il décrit. Mais Anima est résolument un roman noir d'une très grande force, et le mieux que son auteur semble proposer, c'est regarder en face ce que l'on est, être en accord avec soi-même (quel qu'en soit le prix!), et croiser la route d'un Mason Dixon Line.
Anima est une très belle découverte, noire, envoûtante et originale. A réserver aux "âmes insensibles" !

Il n'y a pas de durée, il n'y a que des instants, et la juxtaposition des instants donne l'illusion de la durée.

On peut se raconter toutes les histoires que l'on veut, la résurrection, la téléportation, toute la science-fiction : "moi" restera toujours "moi" et "cet endroit" restera toujours cet endroit.

Il y a des êtes qui nous touchent plus que d'autres, sans doute parce que, sans que nous le sachions nous-mêmes, ils portent en eux une partie de ce qui nous manque.

l'âme animale

9 étoiles

Critique de Koudoux (SART, Inscrite le 3 septembre 2009, 60 ans) - 17 janvier 2015

Un homme entre chez lui et découvre sa femme sauvagement assassinée.
Au début, on pense commencer un roman policier mais on se rend vite compte que ce livre va nous apporter bien plus.
L'originalité de ce roman est que les narrateurs sont des animaux.
L'auteur va revenir sur un massacre qui s'est passé au Liban.
Le lecteur est secoué tant par l'originalité du livre que par la violence décrite.
Bonne analyse des personnages.
Un livre à conseiller aux lecteurs qui aiment sortir des chemins battus.

Du Canada au Liban …

8 étoiles

Critique de Tistou (, Inscrit le 10 mai 2004, 68 ans) - 27 décembre 2014

Violence est quand même le maître-mot de ce beau roman.
Dans une première approche on pourrait surtout mettre en avant son principe rédactionnel : faire raconter l’histoire par des animaux, toutes sortes d’animaux. Des plus communs et familiers, chiens, chats aux plus sauvages, corbeaux, renards ou aux plus incongrus, vers, mouches, parasites divers. Cela permet ainsi à Wajdi Mouawad de suivre sans peine la traque de l’assassin de sa femme par Wahhch Debch.
C’est vrai que le procédé est original, mais ce qui me reste surtout après lecture de ce roman ce sont des passages d’une intense violence, d’évocations d’actes de cruauté difficilement soutenables.
C’est que Wahhch Debch, comme l’auteur j’imagine, est canadien. Mais Canadien qui vient du Liban, et, dans le cas de Wahhch Debch, d’origine palestinienne – Sabra et Chatila si ça vous rappelle des choses !
Le roman entier est placé sous le signe de la violence, gratuite et cruelle. Dès le départ, puisque les premières lignes nous racontent la découverte du corps violenté, torturé, de sa femme par Wahhch Debch et qu’on apprend in petto qu’il a été enterré vivant étant enfant. Violence toujours lorsque, sur la piste de l’assassin – pas pour se venger mais pour le voir, pour vérifier que ce n’est pas de lui qu’il s’agit – il finit par le rencontrer. A lui de subir alors des violences … C’est assez terrible.

« Ils avaient tant joué à mourir dans les bras l’un de l’autre, qu’en la trouvant ensanglantée au milieu du salon, il a éclaté de rire, convaincu d’être devant une mise en scène, quelque chose de grandiose, pour le surprendre cette fois-ci, le terrasser , l’estomaquer, lui faire perdre la tête, l’avoir.
Lâchant le sac plastique jaune, le matin même elle lui avait dit de sa voix enjouée Tu achèteras du thon car le-thon-c’est-bon, il comprenait qu’elle était déjà morte puisqu’elle avait les yeux ouverts, le regard fixe et tenait, entre ses mains, sa blessure, le couteau planté là dans son sexe. »

Mais qu’on n’en déduise pas pour autant qu’il s’agit d’un roman pesant, pénible à lire. C’est un très beau roman, duquel parfois il faut lever le nez pour reprendre sa respiration et accuser le coup des évocations, par moment à la limite du soutenable.
Et les animaux, alors, me direz-vous ? C’est qu’il y a une relation particulière de Wahhch Debbch avec la gent animale. Cet aspect des choses est traité, habilement dirai-je, aux franges du fantastique. Wahhch Debbch a une communication particulière avec les animaux, animaux qui font ici entendre leurs voix puisque ce sont eux qui racontent ce qui se déroule et notamment plus sous l’angle « ressenti » que sous un angle purement factuel. C’est un procédé plutôt élégant.
Néanmoins, ce qui me reste demeure cette terrible violence …

Un roman d'une puissance rare

10 étoiles

Critique de Aliénor (, Inscrite le 14 avril 2005, 56 ans) - 2 octobre 2013

Le début de cette histoire pourrait être celle d’un roman policier de facture classique. Un homme rentre chez lui un soir et trouve sa femme morte, assassinée et atrocement mutilée. Fou de douleur, il se lance dans une longue traque, sur les traces du meurtrier présumé. Ce qui l’anime n’est pas le désir de vengeance, mais la volonté de mettre un visage sur l’auteur des actes de barbarie commis sur celle qu’il aimait par dessus tout.

Sa longue quête à travers le Canada puis les Etats-Unis, le lecteur la suit pas à pas, accompagnant le héros dans sa solitude désespérée. Une solitude que suivent aussi avec attention tous les animaux et insectes qui croisent le chemin de Wahhch Debch, décelant en lui la nature animale qui en fait un être humain à part, un frère auquel parfois ils viennent en aide.

Tous prennent la parole pour évoquer leur ressenti et raconter les faits, et telle est l’originalité de ce livre d’une puissance rare, qui n’a donc rien d’un roman policier de facture classique. Cheval, corbeau, chien, chat, mais aussi araignée ou papillon, sont quelques exemples d’espèces qui racontent cette histoire violente – parfois jusqu’à l’insoutenable – et pourtant d’une incroyable beauté. Des animaux humanisés, dotés de sentiments, à qui Wajdi Mouawad donne la parole qui leur manque, et qui les fait alors ressembler étrangement aux hommes avec lesquels ils cohabitent. Par leurs voix mêlées, le destin tragique de Wahhch Debch va peu à peu se dessiner. Cet homme a subi, dans son enfance, un terrible traumatisme que la mort de sa femme a mis au jour. Un traumatisme enfoui dans une mémoire qui ne veut laisser surgir que quelques impressions, liées à des animaux ayant subi le même sort funeste que lui. De ce traumatisme il ne faut rien révéler, tant son horreur, qui sera finalement dévoilée au héros, achèvent de donner à ce roman sa force et sa magnificence. Ces mots peuvent sembler contradictoires, et pourtant ce voyage initiatique est à la fois bestial et fascinant, violent et beau.

J’ai refermé ce livre à regret, sonnée, parcourue de frissons. Cette histoire est bouleversante et le personnage de Wahhch Debch est d’une grande intensité. Il y a longtemps que je n’avais pas eu une telle émotion lors d’une lecture; à vrai dire je ne sais pas si j’avais déjà éprouvé des sentiments de cette nature. Je ne relis jamais de livres déjà lus, tant il m’en reste à découvrir et je ne veux pas perdre de temps. Pourtant, celui-ci fera exception. Pour la première fois, assurément, je sais que je relirai Anima pour éprouver de nouveau ce que j’ai ressenti.

Nous scandalisons les animaux

9 étoiles

Critique de Libris québécis (Montréal, Inscrit(e) le 22 novembre 2002, 82 ans) - 28 décembre 2012

Pour ce roman, Wajdi Mouawab a repris la structure de Visage retrouvé, son précédent roman. Même ce titre aurait pu servir pour définir la quête de Wahhch Debch, le protagoniste d’Anima, un Montréalais d’adoption. C’est le même souffle (anima) qui pousse l’homme à adapter le conscient à l’inconscient, qui camoufle le passé sous des images qui sont objets d’étude en onirologie. En somme, l’auteur tente de répondre à une question fondamentale : comment se fait-il que je suis ce que je suis ? Mais, surtout, comment puis-je me libérer d’un formatage indésirable ? C’est ce à quoi le héros s’applique à découvrir.

Sa démarche s’enclenche avec le meurtre sadique de sa femme Léonie commis par Welson Wolf Rooney. Le héros se jure de trouver ce Mohawk, qui, de surcroît, a profanée son corps en perforant l’abdomen à l’instar du mâle de la termite pour ensemencer les femelles. Pour ne pas se sentir coupable de cet assassinat gratuit, il lui faut sans faute voir ce tueur, dont la trace le conduit à Kahnawake au sud de Montréal. Mais dans une réserve indienne, on ne choisit pas de se livrer à ses initiatives. Les Indiens lui conseillent plutôt de poursuivre Rooney jusqu’aux États-Unis, où il ira sûrement se cacher chez sa sœur pour échapper à la SQ (Policiers du Québec). C’est la traversée du continent qui débute. Un road novel qui dévie de son parcours quand Rooney connaît une mort tragique. Wahhch change alors de cap pour la Californie, où habite maintenant son père adoptif.

Ce canevas cache une quête éperdue, qui origine d’un passé malheureusement brouillé par le temps. Le héros s’applique à déterrer ses racines libanaises en s’informant auprès de ses compatriotes exilés aux États-Unis. Il se rappelle qu’il a été enterré vivant dans une fosse avec des chevaux morts même s’il a survécu à une fusillade sauvage commandée par celui-là même qui l’a sauvé. Élevé par cet homme violent, il ne pouvait qu’être stigmatisé par tout comportement inhumain. On doit payer pour cette violence que l’on inflige à l’humanité. De là à ce que Wahhch Debch se donne le rôle de justicier, il y a un seuil facile à franchir.

L’auteur a brossé un tableau très sombre de la société. Une société qui se prête à la monstruosité, comme l’a aussi illustré Jean Barbe dans Comment devenir un monstre. Les lecteurs sensibles ont intérêt à contourner cette œuvre aucunement brodée à l’aiguille. C’est plutôt taillé avec le couteau de Rambo. Et le couteau vole bas. Même si le sang teint presque toutes les pages, il reste qu’il s’agit d’un roman des plus achevé.

Un roman dont la narration est confiée aux animaux. Il ne s’agit pas d’un bestiaire. La gent poilue ou ailée se contente d’observer les faits et gestes des humains, voire de protéger le héros contre ceux qui le prennent à partie. Même un chien monstrueux l’accompagne dans son périple, un périple qui le renseigne sur notre caractère primaire. Tous ces animaux sont malheureux de le constater. En fait, ils sont la bonne conscience d’un héros qui cherche tout de même le bonheur dans un monde en manque de sens.

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  Mouawab, l'écrivain de la violence 25 Libris québécis 20 juillet 2015 @ 13:38

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