Le vieux jardin de Hwang Sok-Yong

Le vieux jardin de Hwang Sok-Yong
(O lä toin čōñ uōn)

Catégorie(s) : Littérature => Asiatique , Littérature => Romans historiques

Critiqué par Falgo, le 25 août 2012 (Lentilly, Inscrit le 30 mai 2008, 85 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 3 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (24 562ème position).
Visites : 5 953 

Un ouvrage majeur.

J'ai acheté ce livre par le plus grand des hasards, pour 1 €, dans une brocante du village d'Alboussière. Et c'est ainsi aux fins fonds de l'Ardèche que je découvre ce qui me paraît être un véritable chef d'oeuvre.
Le roman, plus ou moins autobiographique, se déroule en Corée du Sud dans les années 1970-2000 entre les dictatures de Park Chung-hee et Chôn Tuhwan et les aspirations populaires à la démocratie. Le détenu 1444, O Hyônu, sort de prison après 18 années passées derrière les barreaux. Déjà le récit minutieux, simple, sans grandiloquence ni adjectifs surabondants de cette sortie, des difficultés, des peurs et des émotions liées au retour à une vie normale de ce prisonnier politique prend à la gorge et crée en sa faveur une profonde sympathie. Pris par le souvenir des jours heureux et de son amour perdu pour Han Yunhi, O Hyônu retourne à la maison qu'ils ont habitée quelques temps avant son arrestation. Il y découvre qu'elle l'avait achetée et y avait laissé à son attention un récit de sa vie pendant le temps de son incarcération. Dès lors se mêlent subtilement les souvenirs de la vie en prison de l'homme et ceux de la vie libre de la femme comme en contrepoint se renvoyant l'un à l'autre et à ceux de leur vie commune, autour des luttes qui ont accompagné le massacre de Kwangju (18 mai 1980). Au delà de la vie des deux personnages principaux, le lecteur découvre une multitude de personnalités secondaires aux portraits fortement tracés et la vie quotidienne des Coréens en cette période charnière qui a vu le basculement du pays de la dictature à la démocratie par delà la tentation communiste. Cette narration à deux voix, inscrite entre l'amertume d'un idéalisme jamais concrétisé et la fierté d'y avoir participé, est véritablement poignante de bout en bout, et tellement humaine.
C'est au Victor Hugo des Misérables que ce livre me fait penser tant son ambition est haute et la réalisation à sa mesure. L'écriture est simple et poétique, dense et précise, servie par une construction constamment surprenante et efficace.
Je le répète: un chef d'oeuvre qui sait restituer excellemment destins personnels et évolutions d'une époque et que je presse tout un chacun de découvrir.
Pour moi, je me précipite sur les autres livres de cet auteur.

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"Il y avait un jardin qu'on appelait..."

7 étoiles

Critique de SpaceCadet (Ici ou Là, Inscrit(e) le 16 novembre 2008, - ans) - 28 juin 2015

Parmi les événements qui ont marqué l'histoire récente de la Corée, le massacre de Gwanju est sans doute celui qui aura le plus marqué la mémoire des sud-coréens. A l'instar de l'auteur, Oh Hyun Woo (personnage principal du roman) bien qu'ayant participé à l'organisation de ces manifestations (interdites par l'armée), en est absent au moment où le massacre a lieu. Son nom se retrouvant cependant parmi la liste des personnes recherchées par la police, il entre alors dans une existence d'homme traqué et devient une menace pour la sécurité de ses camarades.

Emprisonné au début des années 1980, libéré dix-huit ans plus tard, c'est dans un pays et un monde méconnaissables que Oh Hyun Woo tente de rattraper le cours de son existence. Mais quelle place peut bien trouver un ancien activiste militant contre le régime dictatorial, dans un pays où la démocratie a finalement pris le pas sur la dictature, et où l'engagement politique a cédé au matérialisme inhérent à une société dominée par la consommation?

A pas hésitants, Oh Hyun Woo réintègre peu à peu ce monde transformé puis allant de découvertes en désillusions, il se réfugie bientôt dans cette maison de campagne où dix-huit ans plus tôt, il a vécu, l'espace de quelques mois, un moment idyllique auprès d'une femme qu'il n'a jamais pu oublier.

Décédée quelques années plus tôt, Han Yoon Hee y a laissé des lettres et des cahiers, mémoires à la lecture desquels Hyun Woo revit cette période magique de l'année 1980 pour ensuite découvrir ce que fut l'existence de celle qu'il a aimée.

C'est donc par le biais de ces deux voix superposées, celle de Hyun Woo et celle de Yoon Hee, que nous est tracé, le portrait d'une génération et d'une époque dans l'histoire de la Corée.

Hwang Sok-yong puise sans doute dans son passé et ses expériences pour donner vie et vraisemblance au personnage de Hyun Woo. La voix narrative est juste, les descriptions sont remarquables de précision, on devine les émotions derrière chaque mot, bref on y croit à cent pourcent. Mais peu à peu, cette voix s'efface derrière celle de sa compagne, qui, dehors et libre de ses mouvements, tente de vivre sa vie.

C'est sans doute dans le but de refléter la distance s'installant peu à peu entre les deux amants que le personnage de Yoon Hee change de manière si abrupte lorsqu'elle apprends que Hyun Woo a été condamné à la prison à vie. Mais lui accorder un ton différent de ce qu'il fut en première partie du récit ainsi qu'une personnalité apparemment en mutation, constitue ici un choix risqué. La crédibilité du personnage ayant par ce procédé, tendance à s'effriter, à la longue, l'histoire contée par cette narratrice, -une histoire porteuse de nombreux éléments appartenant tant à l'intrigue qu'au développent thématique-, finit par paraître superficielle, convenue, quand elle ne frôle pas l'invraisemblance.

Au surplus, cette partie du récit donnant plus ou moins précédence à la voix de Yoon Hee, l'équilibre narratif précédemment instauré est rompu et le roman semble s'éloigner de sa voie et de son rythme initiaux.

En dépit de ces faiblesses, habilement conçu et servi par une prose délicate, poétique et riche en images, 'Le vieux jardin' reste, un roman de bonne facture. Un roman à saveur sociologique qui, tout en explorant certains aspects de l'histoire et de la société coréenne, livre une réflexion pertinente sur le thème de l'engagement politique.


N.B. Lu en traduction anglaise.

Un beau récit à deux voix

7 étoiles

Critique de Fanou03 (*, Inscrit le 13 mars 2011, 49 ans) - 6 mai 2015

Arrêté dix-huit ans plus tôt à cause de son engagement dans l'opposition politique à la dictature militaire qui sévit alors dans son pays la Corée du Sud, O Hyonû est enfin relâché, bénéficiant d'un assouplissement du régime. Les premières pages du livre nous montrent le narrateur, Hyonû, affaibli mentalement et physiquement par les années d’isolement et de tortures infligées aux prisonniers politiques, errant dans une Corée qu’il ne connaît plus. Il découvre les cahiers et les carnets de dessin laissés par Yuhni, une jeune professeur de peinture, qui avait caché Hyonû au cours de sa clandestinité, avant son arrestation. Elle y raconte les événements de sa vie, ses réflexions et les sentiments que lui inspire leur histoire d'amour.

C’est alors un récit à deux voix qui s'engage, l’un faisant écho à l'autre: celle de Hyonû qui nous décrit ses années d’engagement politique en tant que jeune militant, son histoire d’amour avec Yuhni puis les terribles années de prison; et celle de Yunhi, jeune mère célibataire qui tient plus que tout à sa liberté, dans une Corée qui change mais qui reste encore fidèle à ses modèles familiaux traditionnels. Nous suivons le parcours personnel de Yunhi, ses rencontres et son séjour à Berlin pendant la chute du Mur.

À travers ces deux narrateurs, l’auteur, lui-même militant dans l’opposition pendant la dictature militaire, rend hommage à ses compagnons de luttes, à leurs blessures et à leurs sacrifices. En cela son roman fait acte de mémoire pour les générations actuelles. Pour la fille des deux narrateurs en particulier, qui est âgée d’à peine vingt ans au moment de la libération de son père, le récit devient donc à la fois le témoignage de l’amour de ses parents et un témoignage politique.

Le Vieux Jardin est aussi la chronique sociale d’un pays dont l’histoire est souvent méconnue en Europe. Elle plonge le lecteur à une période charnière où, au nom de la lutte contre l'idéologie communiste, un régime, soutenu pourtant par un pays démocratique (les États-Unis), interdit la liberté d’expression et réprime brutalement toute opposition politique. Mais la force du livre est d’engager une réflexion sur le combat pour la liberté et les idéaux qui dépassent la seule histoire de la Corée: quelques individus peuvent-ils parvenir à vaincre un système autocratique ? Ce genre de combat n’est-il pas vain ?

L’autre aspect fondamental du livre est cette trame narrative très particulière où les récits de Yunhi et Hyonû s'entremêlent. C’est une histoire d'amour qui survit à la mort, puisque c'est en quelque sorte la lecture que Hyonû fait des cahiers de Yunhi qui nous la fait vivre et revivre. C’est cette lecture qui permet par ailleurs à Hyonû de déclencher son propre récit, d’exorciser ses peurs et de commencer ainsi à reconstruire ses souvenirs perdus.

Le roman se construit autour de multiples dualités qui se répondent. Dualité spatiale d’abord : les villes (Séoul notamment, lieu de la lutte politique) et la campagne (Kalmoe, lieu de l'histoire d'amour de Hyonû et de Yunhi) correspondent à deux espaces géographique qui se font face; Dans le même ordre d’idée, Berlin et la Corée, deux pays à des milliers de kilomètres connaissent des situations politiques équivalentes. Dualité humaine ensuite : le propre père de Yuhni, avec qui la relation était difficile, était un militant, communiste tout comme Hyonû, et Yuhni y voit plus qu’une coïncidence. Très troublante aussi est la rencontre de Yuhni avec Maria, cette berlinoise âgée et seule dont le mari était peintre, tout comme Yuhni, ce qui la renvoie à ses interrogations sur la place de l’art dans sa propre vie. Enfin et surtout, les récits des deux narrateurs forment un véritable dialogue et viennent parfois jusqu’à se confondre.

Un homme sort après dix-huit ans de prison, la femme qu’il a aimée est morte: le ton général du récit ne pouvait être que mélancolique. Le récit de Hyonû en particulier est un peu plus froid peut-être que celui de Yunhi. Est-ce donc sa longue incarcération qui l'a endurci ainsi? Mais souvent la mélancolie est étrangement sereine, et tout baigne d’une douce tristesse, rarement désespérée. Même Berlin inspire de la tendresse à Yunhi.

Nous nous sentons très proches des personnages, ces hommes et ces femmes qui sont dépeints avec leur force et leurs contradictions. A travers Yunhi en particulier, l'auteur dresse un beau portrait de femme, complexe et riche. Avec Hyonû, l'auteur nous offre la description d'un homme brisé par l'épreuve carcérale et dont le retour à la vie s'avère douloureux. Mais c'est aussi tous les personnages qui côtoient Yunhi et Hyonû qui tissent au fil des pages le dense tissu humain dont est fait le roman.

La présence de la Nature imprègne tout le roman. Parfois discrète (le marronnier à Berlin) elle est évidemment très forte dans les passages concernant Kalmoe. Elle est plutôt apaisante et surgit là où on ne l'attend pas, notamment en prison, à travers les animaux qui accompagnent parfois les prisonniers, ou le petit jardin dont Hyonû a la responsabilité à la fin de sa détention.

Enfin, quel est donc ce « Vieux Jardin » qui donne le titre au roman ? D’après l'auteur il vient d’une légende du même nom qui évoque un lieu sans souffrance et sans guerre. Espérons en tout cas que Hyonû, revenu de l'enfer carcéral dans un pays démocratique mais où règne le libéralisme qu’il a toujours combattu, réussisse, grâce à son dialogue avec Yunhi et avec sa fille, à trouver la quiétude et la paix

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