Essais esthétiques de David Hume

Essais esthétiques de David Hume
(Essays moral, political and literary)

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Philosophie , Sciences humaines et exactes => Essais

Critiqué par Gregory mion, le 30 juillet 2012 (Inscrit le 15 janvier 2011, 41 ans)
La note : 10 étoiles
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"Feeling good", ou l'homme toléré dans ses sensations.

David Hume était un homme gras à l’esprit léger, versé dans l’enquête philosophique et suffisamment honnête pour prendre en considération les défaillances de l’homme. Il est donc un philosophe de son époque (XVIIIème siècle), très ancré dans l’esprit des Lumières où commence à s’imposer la constitution de l’individu moderne, doté de ses sensations, de ses croyances et de son imagination. Cette attention à l’expérience subjective est le maître mot de la tradition empiriste, née dans le giron de la philosophie britannique, mais Hume est certainement le plus radical des empiristes dans la mesure où il récuse toute possibilité d’intervention mystique après la collection des premières sensations – il se détache en ce sens de Shaftesbury, lequel postulait un accord entre les sensations et des significations spirituelles ou religieuses. Pour Hume, il y a des expériences qu’il faut étudier pour comprendre leur degré d’instruction, mais il y a aussi des pensées qu’il faut apprendre à raisonner si l’on ne veut pas tout entier ployer sous les contraintes de la nature humaine. C’est que l’homme est naturellement porté au sentiment d’ACCOUTUMANCE, preuve s’il en est que l’imagination et la faculté de croire dominent les pouvoirs de l’esprit. Que le soleil se lèvera demain, nous le pensons tous par habitude, mais en faisant cela, nous transformons en nécessité ce qui ne relève finalement que d’une variété de la CONSTANCE. Si bien que ce qui intéresse Hume, c’est la manière dont se forment nos croyances, ainsi que la possibilité de penser l’unité d’un « Je » qui saurait utiliser ses expériences en vue d’une socialisation optimisée. Ce n’est pas forcément un didactisme moral qu’il nous présente, mais plutôt une relecture des devoirs de l’homme en dehors des prescriptions théologiques qui ont longtemps traversé la pensée, avec plus ou moins d’intensité. Et tout ceci part d’un constat : l’imperfection est dans la nature des hommes, alors ne l’ignorons pas et voyons ce que nous pouvons en retirer de positif.

À ce titre, la réflexion sur les arts prend toute son importance dans les Essais Esthétiques. En tant que l’art produit en nous de nouvelles croyances, il est bon d’en saisir les valeurs potentielles et de ne pas toujours s’en remettre au relativisme du goût. Ceci inaugure chez Hume la différenciation entre le Beau naturel et le Beau artistique : le premier repose sur l’utilité (tel animal est beau car il possède une force de travail impressionnante), le second sur la reconnaissance d’une belle œuvre en tant qu’elle peut être appréciée par un raisonnement délicat ou un raisonnement qui a subi une correction éclairée.
En parallèle, Hume n’ignore pas que la nature humaine est quelque part toujours uniforme car, sinon, certaines œuvres d’art n’auraient pas résisté au temps et au scepticisme. C’est donc qu’il existe un « standard » du goût, toutefois cette norme subjective doit être reconsidérée car si les œuvres du passé sont plus facilement tributaires d’opinions unanimes, il n’en va pas de même pour les productions contemporaines, surtout en un siècle où la parole est délestée des autorités de la chaire. Dans cette perspective, ce sont de nouvelles autorités qu’il est nécessaire d’identifier, et Hume va clairement s’appesantir sur le rôle des EXPERTS dans le jugement des choses esthétiques. Le métier de l’expertise des arts est aux antipodes des expertises théologiques où les débats herméneutiques n’en finissent plus d’érudition et d’auto-cloisonnement. Un expert est un individu doué d’une constance intellectuelle, d’un « entendement sain », qui sait à la fois dire et faire parce qu’il a de nombreuses fois répété l’exercice, octroyant à sa parole les alibis de l’expérience. En cela, un peintre qui écrit sur son art nous est plus utile qu’un théoricien des arts qui serait loin d’une pratique – Hume, ainsi, n’aurait pas démenti le fabuleux journal de Paul Klee. L’expert, par conséquent, ne se réduit pas à une méthodologie de la critique qui tenterait de saisir des structures et des systèmes. L’expert fouille dans les sensations et les sentiments, il est conscient qu’il existe quelque chose comme une psychologie du sujet expérimentateur, et comme Hume, on peut dire que la recherche de l’expert débute dans le CHANGEMENT.

La suite de ces préliminaires ou de ces recommandations de bon aloi, c’est que l’art détient la capacité d’intégrer l’homme au tissu social. Selon Hume, l’art doit être principe d’intégration et d’élévation ; l’art ne doit pas soumettre et asservir, d’où ses idées défavorables envers les arts d’ordre religieux. On peut lire en filigrane de ces idées l’apparition discrète d’une « esthétique de l’existence », voire d’une soma-esthétique pour reprendre le vocabulaire des philosophes de l’art inscrits dans le pragmatisme américain moderne. En tant que l’art touche presque à une fonction thérapeutique, il dédouane les masses des maladies de la politique et des réflexes sédentaires. En d’autres termes, l’art est susceptible d’apporter une connaissance supplémentaire au cœur des foules, ce qui explique les faveurs de Hume lorsqu’il ne trouve pas inconsidéré de penser que les génies sortent d’abord des fortes densités populaires, et non, contrairement aux anciennes théories latines du génie, d’une forme de parenté atavique qui se prolonge même dans la mort – les hommes illustres d’un côté, les plébéiens de l’autre. Mais pour ce faire, le gouvernement doit s’efforcer de laisser des libertés circuler, sans quoi l’on se retrouverait écrasé par de trop contraignantes polices, ou bien de trop métaphysiques ordonnances spirituelles. Un siècle plus tard, dans son maître ouvrage De la Liberté, John Stuart Mill sera moins optimiste sur l’état de la gouvernementalité britannique : il accusera la politique d’enfouir les génies dans la médiocrité et de plonger le peuple dans une léthargie incommensurable.
Quand il rattache l’esthétique à une philosophie politique, Hume nous propose une vision de l’histoire aussi fragmentée que la chronologie de nos sensations. Étant donné que la fixité de la théologie doit être remisée au rang d’une pratique secondaire dans les affaires publiques, c’est désormais les sursauts de la psychologie autant que les accélérations des émotions qui deviennent pivots d’une construction historique ou d’une histoire des arts. En d’autres termes, puisque Hume estime nos défaillances aussi bien que nos inconstances, il préfère miser sur une vision discontinue de l’Histoire où seules les manifestations de nos expressions humaines doivent servir d’outils pour comprendre ce qui se passe. On comprend donc la fabuleuse entreprise d’une socialisation du goût car non seulement elle permettrait d’insinuer de la délicatesse sur l’espace public, mais elle serait également un vecteur pour remplacer les génies malvenus (peut-être ceux qui sont encensés par une presse incompétente) par des personnalités plus authentiques, c’est-à-dire des personnalités plus à même de réhabiliter nos finesses d’esprit tandis que certains autres ne font qu’imposer des discours qui fantasment des constances malintentionnées, sinon des sanctifications outrecuidantes aidées par d’épouvantables mises en scène. Comme il serait facile, de nos jours, de repérer les médiocrités médiatiques et de leur substituer, si c’était encore possible, des experts recrutés selon les expectatives humiennes !

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