W, ou, Le souvenir d'enfance de Georges Perec
Catégorie(s) : Littérature => Francophone
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« L'Histoire avec sa grande hache »...
Le livre le plus émouvant de Georges Perec, sans aucun doute. L'un de ses chefs-d'œuvre, aussi. Au même titre que «La Vie mode d’emploi» ou «Un cabinet d'amateur».
Une parfaite machinerie narrative mise au service de la mémoire.
Ecoutons Georges Perec : «Il y a dans ce livre deux textes simplement alternés ; il pourrait presque sembler qu’ils n’ont rien en commun, mais ils sont pourtant inextricablement enchevêtrés, comme si aucun des deux ne pouvait exister seul, comme si de leur rencontre seule, de cette lumière lointaine qu’ils jettent l’un sur l'autre, pouvait se révéler ce qui n’est jamais tout à fait dit dans l’un, jamais tout à fait dit dans l’autre, mais seulement dans leur fragile intersection.» On l’aura compris : la «fragile intersection», la synthèse, la résultante, la «rencontre», c’est le lecteur. Nous serons le lieu de cette osmose, de cet échange, le creuset de cette alchimie entre dit et non-dit, entre indicible et «dicible» (le mot n'existe pas, tant pis !), entre fiction et vécu, entre la présence et l’absence. Un chapitre sur deux, dans une stricte alternance : «W», récit imaginaire, en italiques, qui part sur un naufrage et une disparition (le naufrage du «Sylvandre» au large de la Terre de Feu, la disparition d’un enfant, Gaspard Winckler) pour déboucher, après trois points de suspension qui jouent le rôle des trois coups du théâtre, sur la description d’une île, au large de la Terre de Feu, une île régie par les lois de l’idéal olympique, une île qui s'appellerait W et qui aurait été imaginée par Perec au sortir de l'enfance ; et puis, «le souvenir d'enfance», récit de vie, en caractères romains, récit là aussi coupé en deux par les points de suspension - avant la disparition, après la disparition -, récit sec, neutre, objectif peu à peu tiré de l’oubli, comme à contrecoeur : « Je n'ai pas de souvenirs d'enfance. » « Les souvenirs sont des morceaux de vie arrachés au vide. » «C’est cela que je dis, c'est cela que j’écris et c'est cela seulement qui se trouve dans les mots que je trace, et dans les lignes que ces mots dessinent, et dans les blancs que laisse apparaître l’intervalle entre ces lignes […], je ne retrouverai jamais, dans mon ressassement même, que l'ultime reflet d'une parole absente à l’écriture, le scandale de leur silence et de mon silence : je n’écris pas pour dire que je ne dirai rien, je n'écris pas pour dire que je n’ai rien à dire. J’écris : j’écris parce que nous avons vécu ensemble, parce que j’ai été un parmi eux, ombre au milieu de leurs ombres, corps auprès de leur corps ; j'écris parce qu’ils ont laissé en moi leur marque indélébile et que la trace en est l’écriture ; l'écriture est le souvenir de leur mort et l’affirmation de ma vie.» Faut-il ajouter quelque chose ? Sinon que le premier roman imaginé par Perec aurait raconté l’histoire de Gaspard Winckler ; Winckler, initiale W, que l'on retrouve dans «La Vie mode d'emploi» : «son unique soeur était morte en 1942. Son neveu avait été tué en mai 1944.» Déguisement ? A peine : le père de Perec est tué en 1940, sa mère déportée vers Auschwitz en 1943. Perec aura la pudeur d'inscrire dans la dédicace de W : «Pour E». «E» pour «eux» ; les disparus, comme l'E disparu de «La disparition». A-t-il pensé en créant ce personnage de Gaspard Winckler, en se créant ce double ; a-t-il pensé, Georges Perec, au Gaspard Hauser de Verlaine ? «Je suis venu, calme orphelin, Riche de mes seuls yeux tranquilles, Vers les hommes des grandes villes : Ils ne m’ont pas trouvé malin.»
« W ou le souvenir d'enfance » : très très loin des démarches ludiques auxquelles on cantonne trop souvent Georges Perec, une oeuvre dense, pleine, riche, émouvante. Des mots sur du vide, comme un fragile pansement à l’âme…
Les éditions
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W ou Le souvenir d'enfance [Texte imprimé] Georges Perec
de Perec, Georges
Gallimard / Collection L'Imaginaire.
ISBN : 9782070733163 ; 8,90 € ; 02/04/1993 ; 222 p. ; Broché
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Les critiques éclairs (15)
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Pas convaincu
Critique de Romur (Viroflay, Inscrit le 9 février 2008, 51 ans) - 20 mars 2018
Je l’ai lu, j’ai apprécié l’écriture, d’un côté le récit autobiographique, de l’autre la dystopie sportive de W qui nous est progressivement dévoilée dans une lente descente aux enfers.
En dépit des différentes critiques et analyses que j’ai pu lire, je n’ai absolument pas réussi à me convaincre que ces deux récits « sont inextricablement enchevêtrés » ni à être séduit par une quelconque symbolique du X et du W. Je mets prudemment un 3 sur 5…
Passé à côté ?
Critique de Vinmont (, Inscrit le 12 août 2014, 50 ans) - 27 novembre 2015
J'avoue que je n'ai pas du tout aimé ce livre. Je n'y ai rien trouvé d'intéressant. Il faudra peut être que je me risque dans un autre ouvrage mais "W ou le souvenir d'enfance" m'a refroidi quelque peu. Très déçu.
Une vraie densité autobiographique
Critique de Lu7 (Amiens, Inscrite le 29 janvier 2010, 38 ans) - 30 janvier 2012
Il raconte ce qu'il sait ou ce qu'il croit savoir de son enfance, n'hésite pas à avouer au lecteur que ses souvenirs sont flous, peut être transformés, et dans certains cas ne sont même pas les siens.
Le récit W, qu'il aurait écrit à l'âge de 12 ans (quelle maturité si c'est effectivement le cas ! je ne peux m'empêcher de penser que l'histoire est intacte mais qu'il l'a entièrement réécrite bien plus tard), est une plongée lente et insidieuse dans l'horreur d'une dictature qui cherche sa justification dans la poursuite de l'idéal olympique.
J'ai été particulièrement touchée par les passages où Georges Perec parvient à retrouver, dans ses souvenirs d'enfance, l'origine de certaines de ses petites manies actuelles ou de ses croyances (sa définition erronée du mot "frimas" ou son habitude de compter les repères le long des voies ferrées par exemple).
Un ensemble que j'ai trouvé simple et sans faux-semblant.
Intéressant...
Critique de JEANLEBLEU (Orange, Inscrit le 6 mars 2005, 56 ans) - 14 janvier 2012
Effectivement les 2 récits se rejoignent à la fin et constituent une puissante dénonciation des totalitarismes en général et plus particulièrement du nazisme.
Les "..." du milieux transcrivent pudiquement la perte de la mère en camps de concentration (pour les souvenirs d'enfance) et la perte d'identité (pour le récit de W) puisque dans ce dernier on passe de l'histoire de personnages à l'histoire d'une "civilisation" totalitaire où l'individu n'existe plus.
3 étoiles!
Critique de Js75 (, Inscrit le 14 septembre 2009, 41 ans) - 2 juin 2011
Un Perec à part
Critique de Yeaker (Blace (69), Inscrit le 10 mars 2010, 51 ans) - 29 décembre 2010
Il me semble indispensable de lire W, pour mieux apprécier l'oeuvre de Monsieur Perec.
Grandiose
Critique de Hierocles (, Inscrit le 21 mars 2008, 45 ans) - 21 mars 2008
exercice de style
Critique de Soili (, Inscrit le 28 mars 2005, 52 ans) - 28 mai 2007
Au départ , on se demande vraiment pourquoi ces deux récits sont enchâssés, rien ne semble les lier. Et petit à petit, imperceptiblement on finit par comprendre que le récit imaginaire de l'ile est étroitement lié au récit autobiographique. Et d'un coup, on comprends la place et le rôle de cette ile dans l'esprit de l'auteur.
Oh, il n'est pas besoin d'être extralucide pour comprendre le rapport entre les deux récits tant les ressemblances se font jour au fil de la lecture.
Encore un bel exercice de style pour cet "enfant " de Queneau qui s'amuse à nous dérouter et à nous emmener là ou il le désire.
Face à ce surprenant livre à la forme déroutante, je suis enclin à approfondir son oeuvre et à lire entr'autre "la disparition " et " la vie mode d'emploi"
bizarre...
Critique de Gatte (, Inscrite le 11 juin 2005, 35 ans) - 11 juin 2005
émouvant et inattendu...
Critique de Dedel (, Inscrite le 18 avril 2005, 36 ans) - 19 avril 2005
Une fin émouvante où l'on découvre finalement que la fiction était étroitement liée à la réalité.
Une fois de plus, Perec dévoile son jeu d'écriture magnifique!
le vrai but de l'auteur
Critique de Mounira (, Inscrite le 19 janvier 2005, 37 ans) - 19 janvier 2005
Spécial
Critique de Chouxfleur11 (, Inscrite le 31 octobre 2004, 36 ans) - 8 novembre 2004
L'anti-autobiographique
Critique de Pé-Ré-Shu (, Inscrit le 27 octobre 2004, 45 ans) - 27 octobre 2004
Un peu lourd, peut-être ?
Critique de Miriandel (Paris, Inscrit le 4 juillet 2004, 63 ans) - 10 septembre 2004
Lucien cite : "je n’écris pas pour dire que je ne dirai rien, je n'écris pas pour dire que je n’ai rien à dire" et a bien raison de citer cette phrase qui illustre parfaitement pourquoi ce livre ne concerne pas tous les publics. Si certains aiment à se porter le revers de la main au front et disserter sur l'insoutenable, l'indicible, le pathétique, et, d'une manière générale, utiliser le public comme un psychanalyste tentaculaire, c'est leur affaire. Et je me réjouis pour ceux qui trouvent leur compte à ce type de lecture.
Que représentent les étoiles ? La valeur absolue d'une oeuvre, ou le plaisir que le lecteur goûte à sa lecture ?
pas mal du tout
Critique de Norway (Entre le Rhin, la Méditerranée et les Alpes !, Inscrite le 7 septembre 2004, 49 ans) - 10 septembre 2004
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