Me résigner au monde de Edward Stachura

Me résigner au monde de Edward Stachura
(Pogodzić siȩ ze światem)

Catégorie(s) : Littérature => Biographies, chroniques et correspondances , Théâtre et Poésie => Poésie

Critiqué par Eric Eliès, le 3 février 2012 (Inscrit le 22 décembre 2011, 49 ans)
La note : 8 étoiles
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Le poignant journal intime d'un poète suicidé

"Me résigner au monde" est le journal intime tenu de mai 1979 à juillet 1979 par Edward Stachura, poète polonais né en France en 1937. Je ne connaissais pas cet auteur avant de découvrir par hasard, chez un bouquiniste, ce livre extrêmement émouvant. En effet, après de nombreux voyages en Europe, au Proche-Orient et en Amérique du Nord, Stachura semble avoir traversé une crise mystique, qui a considérablement modifié son oeuvre. Ecrivant en état de transe sous la dictée d'une voix intérieure (il baptisa ce double en lui l'homme-qui-n'est-personne), il a rêvé d'abolir les limites entre la vie et l'écriture et de changer le monde par un Livre qui aurait touché à l'Absolu. Hélas, cette expérience l'a mené à la folie quand cette voix intérieure, un jour d'avril 1979, l'a tétanisé à l'arrivée d'un train alors qu'il se promenait sur une voie ferrée. Il a miraculeusement survécu et, après un séjour d'un mois en hôpital psychiatrique, la voix se tut. Stechura, perclus de douleurs et partiellement amputé de la main droite, fut autorisé à rentrer chez sa mère, paysanne simple, dévote et aimante, qui se dévoua à son fils.
Le journal intime de Stachura, qui s'astreignait à écrire en regardant vivre sa mère, heureuse malgré ses difficiles conditions de vie, est en fait le récit de son échec à reprendre place dans le monde. Il se suicida en juillet 1979. Le journal est donc très court, et d'autant plus poignant.
Dans son 4ème de couverture et sa préface, l'éditeur a cru bon de rapprocher Stachura des icônes de l'errance poétique : Kerouac et Rimbaud. Néanmoins, même si je ne connais pas la poésie de Stachura (je ne suis pas sûr du tout qu'elle ait été traduite en français), la lecture de son journal me fait irrésistiblement penser à deux grands poètes maudits du XXème siècle, qui se suicidèrent aussi tous deux par hypertrophie de la sensibilité et par incapacité d'être au monde : Edmond-Henri Crisinel et Ilarie Voronca. Les réflexions de Stachura sur la permanence du Mal et l'incapacité des hommes à l'éradiquer, sur la cruauté de la vie qui écrase tous ceux qui se révoltent contre la condition humaine, sur la vanité de ceux qui veulent changer le monde (Stachura a vécu des moments de grande euphorie, quand il se délestait de l'argent que lui rapportaient ses textes pour le donner à des inconnus, puis des moments de grande détresse) révèlent en effet la même hypersensibilité qui constitue une fragilité mortelle quand elle s'embrase d'un feu mystique...

Pour vous donner une idée de la tonalité de ce très court journal (le livre fait 85 pages), je vous en recopie l'incipit :

"Peut-être vais-je enfin trouver l'apaisement.
O Seigneur des Pâturages, comme je me suis démené dans ma détresse !
Je regarde ces braves gens par lesquels je me suis toujours tellement senti attiré, dont la rude existence m'affectait tant, ces braves gens que j'aimais tant, et maintenant, dans mon malheur, je les aime encore plus.
Je les regarde et je les admire. Ils demandent si peu. Ils se contentent d'un rien. Moi aussi, vers la fin, je voulais me contenter de très peu. De très peu, et non pas de peu, parce que j'étais extrême en tout, comme on dit."

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