Un général à la retraite de Nguyêñ Huy Thiệp
Catégorie(s) : Littérature => Asiatique , Littérature => Nouvelles
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Première rencontre très mitigée...
Nguyên Huy Thiêp est considéré aujourd'hui comme le plus grand écrivain vietnamien actuel, encensé par la critique internationale aussi bien que par nombre de ses compatriotes.
Il faut dire que j'ai découvert la littérature vietnamienne au travers de romans de Duong Thu Huong qui m'ont enthousiasmée. L’attente était donc forte.
Or, l’art de la nouvelle (NHT est avant tout un nouvelliste) est sans aucun doute un art difficile qui connaît ses propres contraintes et exigences. Il impose, à la fois, une certaine concision aussi bien dans le propos que dans la forme. Comme le souligne la traductrice, le style de Nguyên Huy Thiêp "sobre, presque clinique, résolument en rupture (. . . ) avec la tradition fleurie de la littérature communément pratiquée" au Vietnam contraste évidemment avec la langue richissime, sensuelle, évocatrice de l'auteure évoquée précédemment.
"Un général à la retraite", la première des 4 nouvelles qui constituent ce recueil, est parue en 1987. Elle révéla un auteur jusqu'alors inconnu et aurait provoqué "un véritable séisme dans l'opinion publique du Vietnam"; on peut comprendre que dans le contexte, en libérant une parole jusqu'alors totalement muselée, elle ait trouvé dans la sensibilité des vietnamiens un écho formidable. Elle ne saurait trouver en nous, occidentaux, la même résonance.
L'argument: au crépuscule de sa vie, un vieux général vient s'installer chez son fils et tente de donner un sens au reste de ses jours. Il a consacré toute sa vie à l'armée, s'est battu d'abord pour défendre son pays contre le colonialisme, ensuite pour faire triompher son idéal révolutionnaire. Il incarne les valeurs d'un passé révolu (courage, sens de l'honneur, altruisme. . . ) dans un pays en décomposition qui les a perdues. Sa bru, femme moderne, exerçant son activité de médecin en maternité et dirigeant autoritairement sa maisonnée, incarne les contre-valeurs de la société contemporaine. Infidèle, âpre au gain (elle va jusqu'à nourrir son élevage de chiens avec les foetus humains qu'elle récupère), elle n'aura de cesse de moquer la générosité et le sens de l'équité du général et sabrera toutes ses tentatives pour se rendre utile. Finalement, celui-ci préfèrera se soustraire à un monde dans lequel il ne trouve plus sa place. Quant au fils, il participe totalement de cet univers par sa lâcheté et son indifférence.
J'avoue avoir été un peu agacée par trop de non dits, en particulier dans l'attitude du fils vis à vis du père.
La seconde nouvelle "Leçons paysannes" relate le séjour d'un adolescent de la ville, fils d'enseignant et petit-fils de mandarin, dans la famille paysanne pauvre d'un camarade de classe.
Je dois dire qu'à première lecture, curieusement, le propos m'a paru tellement décousu, partant dans tous les sens… que je suis passée totalement à côté.
J'ai voulu la relire quelque temps après. En donnant à la figure du professeur Triêu une position centrale, le propos devenait pourtant on ne peut plus explicite. L'auteur fait de ce personnage "dégoûté du monde", rebelle en rupture avec son milieu d'origine, son porte parole. Il met dans sa bouche la phrase signée "le narrateur" qu'il met en exergue. A travers celui qui se comportera en héros, il dénonce le manque d'idéal de la société vietnamienne tournée vers le seul bien-être matériel, la dictature des apparences (le comportement des jeunes filles actuelles) alors que seule la poursuite d'un idéal , en particulier la liberté, donne, selon lui, un sens à la vie. Il fustige au passage la classe dirigeante "la politique sans hauteur de vue qui ne mène qu'à l'échec", tous ces hypocrites qui exercent au nom du peuple et se croient tout permis (le chef de coopérative). Il accuse la classe supérieure urbaine de corrompre une classe paysanne autrefois détentrice des vraies valeurs. Le père de Lâm n'en est-il pas l'incarnation, courant derrière son cerf-volant (métaphore de la liberté?), se baignant nu dans la rivière et enseignant à son fils à ne pas tricher, à défendre la fierté de la famille?
Quant à la lettre du père intimant au jeune homme l'ordre de rentrer, écrivant "il n'y a pas pire calamité que l'acoquinement de l'intellectuel et du paysan", comment dénoncer plus violemment la trahison de l'après révolution communiste?
La troisième nouvelle (la plus longue, environ 60 pages) "La dernière goutte de sang" raconte à travers plusieurs générations d'une même famille, sur une période de plus d'un siècle, la réalisation d'une prophétie.
On suit ainsi l'ascension et la chute d'une lignée, cette dernière s'accompagnant d'un catalogue de bassesses et vilenies qui illustrent des aspects peu glorieux de la nature humaine. Illustration d'un message selon lequel l'acquisition du savoir sans l'élévation de l'âme ne mène qu'à l'échec?
A mon humble avis, la nature de l'histoire -par son étirement dans le temps et la multiplicité des personnages que cela implique- s'intègre mal dans le cadre d'une nouvelle.
Enfin, la dernière nouvelle, la plus courte, ma préférée, "Le sel de la forêt" appartient à une toute autre veine. Un chasseur décide de tuer un singe. Il jette son dévolu sur le mâle d'une petite famille et le blesse cruellement par balle. L'humanité des protagonistes animaux et surtout celle de la femelle dévouée, opiniâtre, magnifique fera finalement fléchir le chasseur. Au terme de son équipée tragi-comique, il rentrera chez lui la conscience en paix… et croisera en chemin la promesse poétique d'une récompense.
Cet appel à l'humanité qui est en nous, à la tendresse contraste avec la noirceur de certaines des nouvelles précédentes et révèle une autre facette, attachante, de cet auteur.
Les éditions
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Un général à la retraite
de Thai Quoc, Bach Huy Thiệp, Nguyêñ Lefèvre, Kim (Traducteur)
Éd. de l'Aube
ISBN : 9782815900799 ; 9,00 € ; 19/08/2010 ; 162 p. ; Poche -
Un Général à la retraite
de Huy Thiệp, Nguyêñ
Éd. de l'Aube
ISBN : 9782876781955 ; 3,48 € ; 25/11/1998 ; 163 p. ; Broché -
Un général à la retraite [Texte imprimé], nouvelles Nguyên Huy Thiêp traduites du vietnamien par Kim Lefèvre édition revue et annotée par Thụy Khuê
de Huy Thiệp, Nguyêñ Thụy Khuê, (Editeur scientifique) Lefèvre, Kim (Traducteur)
Éd. de l'Aube / L'Aube poche (La Tour d'Aigues)
ISBN : 9782815911238 ; 4,81 € ; 23/01/2015 ; 201 p. ; Poche
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