Les regrets précédé de Les antiquités de Rome et suivi de La défense et illustration de la langue Française de Joachim Du Bellay
Catégorie(s) : Théâtre et Poésie => Poésie , Littérature => Francophone
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À la Maison-Mère du Poète.
Ce qu’il y a de formellement regrettable en la poésie de Du Bellay, encore que ce ne le sera que pour les docteurs littéraires qui sollicitent les « grands sujets » de composition, ce ne sont pas les impulsivités du jeune âge qui lui font composer un plaidoyer pour la langue française en 1549, en l’occurrence à l’âge de vingt-sept ans, mais la distance qu’il prend par rapport à la présomption toute poétique de son siècle seizième, à savoir ce dangereux désir empirico-sémantique de maîtriser et de posséder la nature en sa totalité buissonnante, comme si rimes étaient répétition du chant de la Terre quand elle reprend sa respiration, et comme si sonnets étaient géométries des évolutions de toutes sortes, depuis les protozoaires jusques aux tribus où les femmes ont des cous de girafe. Que non ! Ce Du Bellay qui fait sécession avec un formalisme d’ogre, ce Du Bellay qui déclare forfait dans le jeu du « tout dire », c’est un poète rempli d’humilité car il sait que toutes les choses soubresautent, glissent et passent, et que nous sommes déjà bien en peine de répondre à la question piège par excellence : qui sommes-nous ? Du Bellay, par son éloignement de la forme grandissime, de l’ens perfectissimum du verbe, voire de la forme sorbonnarde encore pénétrée d’une plénitude gréco-latine, Du Bellay, donc, par son acceptation même des limites de nos pouvoirs de connaître, se présente au lecteur comme un poète hors de forme, fatigué de son exil italien, de ses « romanichèleries » d’esthète à Rome, prêt à en découdre, ce faisant, avec la question du retour en « terre nourrice » après avoir compris que les Idées, avant d’être celles d’un Platon, sont incommensurablement celles du corps, des émotions et des organismes perturbés par des santés débiles – le poète dit de lui, en sus, qu’il est un être « chétif », c’est-à-dire tout sauf un chasseur d’idéalisme. Du Bellay, par conséquent, dé-platonise le discours poétique de son époque ; ses « Regrets » et ses « Antiquités » emportent charnellement les débordements idéels de Ronsard ainsi que les « Délies » de Maurice Scève, si attique en sa créance qu’il n’a pas su contourner l’anagramme de l’Idée (Délie) tant il la convoita ; ce fut sans aucun doute un délit de « mauvais dire » auprès de Du Bellay, ou tout du moins un flagrant délit de manquement d’esprit terre-à-terre et de contentement de soi comme sujet préférable du poète. En effet, connaît-on meilleure douceur que la maison du « for intérieur », là où se perçoit en filigrane la première assiette de l’enfance, lorsque le merveilleux des objets ruinait la volonté de tout objectiver ? Du Bellay sait ce que les poètes de l’exubérance cosmologique ignorent : il sait que l’intériorisation du poétique est une voie plus pratique que le souhait de capturer un principe, qui plus est quand on veut séduire l’extériorité ensauvagée par l’entremise d’une « grammaire » trop irrédente.
À peine entame-t-on le chemin rebroussant des Regrets que l’on redécouvre autrement la première subjectivité du poète voyageur dans les Antiquités, déjà affaiblie de ce qu’elle savait en creux la nécessité du retour parmi la France enfantine. Qu’est-ce à dire ? Simplement ceci : que la modulation nostalgique se prolonge, qu’elle poursuit la thématique du voyage et du retour, faisant de cette nostalgie quelque chose d’exclusif où plus rien ne peut venir se superposer, pas même l’extravagance de notre commentaire et certainement pas une autre variété de nostalgie – à chacun la sienne, de nostalgie, de douleur du « revenir ». Du Bellay, dans le souci toujours sincère de raconter son « dedans » plutôt que de cadencer les « dehors » à jamais irréductibles aux Muses, ne se passe rien de ses faiblesses, sonde son âme et avoue qu’il lui est difficile d’aller plus loin que la voûte de lui-même. En cela, il est lecteur de Montaigne avant les Essais, surintendant de ses défauts avant de juger les apparaissances d’autrui. De retour de l’Italie où il a pourtant connu les ravissements corporels avec Faustine, il se ressouvient quand même de cet exil au Palatin, à belle distance de sa Loire, de son Liré et de la « douceur angevine » caractéristique d’une maison qui est toute l’architecture de son intime soi-même, de son soi-même comme lui-même, n’ayons pas peur de le dire en pastichant la formule de Paul Ricoeur.
Là-bas, à Rome, il a perdu la nostalgie de la folie des grandeurs qui déracine les poètes vers des cieux infréquentables (cette folie qui veut manger le monde), cependant il a gagné la nostalgie de son « sweet home », à la fois sa maison de pierres et sa maison de chair, son domicile fixe et sa psychologie. Ainsi, quand on est Du Bellay en partance, que faut-il regretter sinon le déménagement physique en un pays étranger et la sortie provisoire de sa langue maternelle, celle-là même, pourtant, qu’il a défendue en 1549 en réponse à L’Art Poétique de Sébilet, alliant maladresses et prophéties à cause de l’impétuosité de son juvénile cerveau ? Par conséquent, l’art poétique tel qu’il se décline dans ces deux sommets que sont les Antiquités et les Regrets, c’est l’histoire d’abord d’une rétrocession linguistique dans la mesure où la fin du voyage réhabilite la langue maternelle, puis celle des retrouvailles avec la terre de naissance, ce que Montaigne a nommé sa « trouvaille » en parlant d’ataraxie, en l’occurrence le lieu pour nous le plus agréable à la condition de reconnaître, évidemment, nos limitations en matière d’épistémologie – il n’est de théorie de la connaissance qu’une plongée dans les eaux de sa personne, mieux circonscrites que les mers houleuses de la nature. La « trouvaille » de Du Bellay, s’il en est une, c’est une poésie de l’introspection décomplexée, où l’on est à la fois heureux d’être revenu et encore prêt à voyager, comme Ulysse revenant aux bras de Pénélope, laquelle disait et dédisait la toile du temps pendant l’absence décennale de son roublard de mari. Toutefois, l’autre voyage, le périple consécutif à la première expédition, il s’agit moins d’un nouvel exil que d’une recomposition du passé, du moins quand on se positionne dans la vie de Du Bellay en jouant aux hommes compassionnels, en nous donnant de la sorte la capacité d’endurer des souffrances qui ne sont pas nôtres. Et dans ce passé recomposé, on se reformule grâce à l’aiguillon d’une poésie qui connaît les routes praticables, ces routes contraires aux avenues impraticables et spéculaires des poètes de la voracité cosmique. La connaissance de son cadastre psychique vaut mieux que fulgurances et hypothèses des urbanités « mondaines », car de soi à l’âme ainsi la pacification viendra plus aisément, ne serait-ce que parce que revenir au port de ses attaches après le long voyage poétique, c’est devoir se résoudre à débarquer pour commencer à accueillir la mort inéluctable qui nous attend. En effet, deux ans après ces publications, Du Bellay expirait son âme, nous laissant des raisons de le relire à dessein d’appréhender nous-mêmes ces merveilles comme des philosophies montaniennes anticipées qui nous apprennent à mourir.
Les éditions
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Les Regrets [Texte imprimé] Joachim Du Bellay préface de Jacques Borel édition établie par S. de Sacy
de Du Bellay, Joachim Silvestre de Sacy, Samuel (Editeur scientifique) Borel, Jacques (Autre)
Gallimard / Collection Poésie (Paris. 1966).
ISBN : 9782070321476 ; 7,50 € ; 06/02/1975 ; 325 p. ; Poche
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Dilemme entre adoration et le scepticisme
Critique de Violetteetsescogitaciones (, Inscrite le 29 août 2013, 30 ans) - 29 août 2013
D'un côté, j'adore le style, la beauté et la tournure des phrases.
De surcroît, les références diverses à la mythologie grecque me plaisent beaucoup moi qui suis férue de la mythologie grecque.
Cependant, je suis perplexe par rapport au fait que l'auteur fasse diverses éloges un peu exagérées à mon goût. Il critique les romains en disant qu'ils sont manipulateurs et hypocrites mais nous pouvons nous demander s'il ne cherche pas à les imiter pour les critiquer plus ou simplement s'il n'est pas si différent d'eux.
En tout cas il y a une chose qui est incontestable, c'est un auteur extraordinaire et son recueil en met plein les yeux.
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