Le rêve du Celte de Mario Vargas Llosa

Le rêve du Celte de Mario Vargas Llosa
(El sueño del Celta)

Catégorie(s) : Littérature => Romans historiques , Littérature => Sud-américaine

Critiqué par Tanneguy, le 29 octobre 2011 (Paris, Inscrit le 21 septembre 2006, 84 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 13 avis)
Cote pondérée : 7 étoiles (1 438ème position).
Visites : 11 313 

Remarquable !

Je n'avais jamais entendu parler de Roger Casement (1864-1916) avant d'entamer le roman de Vargas Llosa. Et pourtant il est aujourd'hui presque vénéré en Irlande (beaucoup moins en Ulster !)et le web regorge de références à son sujet. C'est un personnage hors du commun que le récent Prix Nobel de littérature a voulu étudier dans un "roman", probablement très proche de la réalité.

Le jeune Casement, sujet britannique d'origine irlandaise, est passionné très jeune par les exploits des découvreurs de continents (Stanley-Livingstone ont bercé son enfance !). A 20 ans il part en Afrique et accompagnera même Stanley qui participe à l'édification du Congo Belge. Mais il commence à se poser de sérieuses questions sur le comportement des colonisateurs et se tient à l'écart. Il rejoindra le Foreign Office britannique et, consul au Congo, il se verra chargé d'une mission officielle pour évaluer les conditions de l'exploitation du caoutchouc dans le Haut-Congo et dénoncera les sévices infligés aux autochtones dans un rapport hautement apprécié à Londres, qui l'enverra quelques années plus tard effectuer le même travail dans les forêts amazoniennes du Pérou. Son nouveau rapport aura un même succès et lui vaudra d'être anobli par la Couronne ! Mais cela lui vaudra aussi de nombreux ennemis. Epuisé physiquement, sir Roger présentera sa démission et se consacrera désormais à la lutte pour la libération de l'Irlande qui le mènera à l'échafaud en 1916.

L'auteur s'attache surtout à nous présenter la complexité du personnage, qui par exemple montrait une vive attirance sexuelle pour les jeunes et beaux garçons, une chose peu appréciée par la puritaine société britannique et la très catholique Irlande. Par ailleurs il n'hésita pas à se compromettre avec l'Allemagne, y compris lors de la Grande Guerre.

Le roman passe d'un épisode à l'autre avec maestria, le style est limpide, l'intérêt du lecteur ne faiblit pas. De somptueuses descriptions de la nature sauvage et de ses difficultés jalonnent le récit. Et nous restons à nous poser des questions sans fin sur la personnalité de cet être de chair et de sang qui ne peut laisser personne indifférent.

Un très grand livre digne d'un Prix Nobel !

Message de la modération : Prix CL 2014 catégorie Roman étranger

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Un idéaliste confronté au monde réel

9 étoiles

Critique de Poet75 (Paris, Inscrit le 13 janvier 2006, 67 ans) - 15 décembre 2020

Réels ou imaginaires, Mario Vargas Llosa , écrivain péruvien naturalisé espagnol, prix Nobel de Littérature, n’aime rien tant, semble-t-il, que les personnages pétris d’idéalisme qui en viennent, au fil de leurs aventures, à se heurter à l’implacabilité du monde tel qu’il est. C’est le cas de Flora Tristan (1803-1844), militante socialiste et féministe, ainsi que de son célèbre petit-fils Paul Gauguin (1848-1903) dont Mario Vargas Llosa s’était plu à raconter les destinées dans un livre passionnant ayant pour titre Le Paradis – un peu plus loin (2003). Dans Le Rêve du Celte (2012), c’est un personnage moins connu que l’écrivain a déniché et dont il s’est plu à narrer les étonnantes et instructives aventures, le diplomate Roger Casement (1864-1916).
Or cet homme-là, ce Roger Casement, il valait vraiment la peine de l’extraire des limbes de l’histoire et d’en retracer la vie, même sous forme plus ou moins romancée, mais sur la base de faits rigoureusement authentiques. Dans ce genre de récit-là, Mario Vargas Llosa est un maître qui sait parfaitement captiver son lecteur mais sans rien sacrifier de la complexité du personnage ni de son itinéraire.
Ce sont, grosso modo, trois étapes de la vie du diplomate auxquels s’est attaché le romancier. La dernière d’entre elles apparaît d’ailleurs dès l’ouverture du livre. Elle nous décrit Roger Casement en prison, recevant la visite de son avocat. On sait donc d’emblée que l’homme a été arrêté par les Anglais dans le sud de l’Irlande, qu’il est considéré comme un traître qui ne risque rien moins que la peine de mort.
Dès lors, c’est un peu comme on le fait volontiers au cinéma, sous forme de flashbacks, que le romancier déroule l’histoire étonnante de cet homme. Un idéaliste qui, lorsqu’il était enfant, raffolait des récits de son père rapportant ses aventures en Inde et en Afghanistan et que les odyssées des explorateurs de l’Afrique, Stanley et Livingstone, fascinaient au point qu’il ne rêvait que de partir sur leurs traces. Lui aussi, à son tour, voulait apporter la civilisation aux « sauvages » de l’Afrique.
Ce rêve, dès que cela lui fut possible, il le mit à exécution, en tant que diplomate envoyé au Congo-Kinshasa afin d’enquêter sur l’exploitation du caoutchouc dans des contrées reculées de cet immense pays. C’est alors que ses idéaux commencèrent à s’écrouler les uns après les autres. En Afrique, quand il fit la rencontre de Stanley, ce fut pour découvrir que si, d’un côté, l’homme ouvrait des routes au commerce et à l’évangélisation, de l’autre, il se comportait en personnage dénué de scrupules, semant pillage et mort partout où il passait. Mais ce qu’il découvrit ensuite fut bien plus accablant, l’exploitation du caoutchouc s’accompagnait de mille sévices et brutalités, les indigènes étant traités par les colons avec une cruauté sans bornes. « Si j’ai appris une chose au Congo, écrivait Roger Casement, c’est qu’il n’existe pas de pire animal sanguinaire que l’être humain ». La déconvenue est grande. « Comment se pouvait-il, ajoutait-il, que la colonisation soit devenue cet horrible pillage, cette inhumanité vertigineuse où des gens qui se disaient chrétiens torturaient, mutilaient, tuaient des êtres sans défense et les soumettaient à des cruautés aussi atroces, enfants et vieillards compris ? ». Il est à noter, d’ailleurs, que, paradoxalement, c’est alors qu’il était témoin des atrocités commises sur les Africains que Roger Casement redécouvrit la nécessité de la foi. Car, s’il est vrai que ceux qui massacraient les autochtones allaient à la messe et communiaient, il est vrai aussi que les seules personnes intègres dont il fit la connaissance au Congo furent quelques-uns des pasteurs baptistes ou des missionnaires catholiques.
Cela étant, Roger Casement n’était pas au bout de ses peines. Car, une fois son rapport sur le Congo rédigé et remis à qui de droit, quelque temps plus tard, c’est au nom de la couronne britannique qu’il fut envoyé, toujours pour mener une enquête sur l’exploitation du caoutchouc, mais, cette fois, au Putumayo, c’est-à-dire en Amazonie péruvienne. Cette expédition, dont la durée fut sensiblement plus brève que celle que celle menée au Congo, fut néanmoins plus éprouvante encore. Au Putumayo, même l’air était irrespirable, pestilentiel, empuanti par le caoutchouc. Quant aux conditions de vie des Indiens et aux traitements qui leur étaient réservés, ils dépassaient en férocité et en sadisme ceux dont il avait été témoin au Congo. Les indigènes y étaient sous-alimentés, traités comme des sous-hommes, certains étaient même marqués au fer comme les bestiaux.
C’est alors que Roger Casement se convainquit lui-même que les peuples opprimés devaient se libérer par les armes. Une fois rentré en Angleterre et ayant remis les conclusions accablantes de son enquête, il dut retourner plus tard au Pérou pour constater que, malgré les promesses faites par les exploitants, aucune amélioration des conditions de vie des Indiens n’était effective. Malgré tout, grâce au travail courageux entrepris par Roger Casement, les exploiteurs des indigènes du Putumayo se trouvèrent bientôt en grandes difficultés. Mais c’est un autre combat, son combat ultime, qui occupait déjà l’esprit de Roger Casement. Lui qui fut diplomate au nom de la couronne britannique et qui avait même accepté d’être anobli par George V, prit alors fait et cause pour la lutte pour l’indépendance de l’Irlande. Pour lui, le traitement infligé au peuple de ce pays ne valait guère mieux que celui qui prévalait au fin fond du Congo ou du Pérou.
Aux yeux des Anglais, il devint donc un traître, d’autant plus qu’il se persuada qu’il fallait s’associer à l’Allemagne, alors que venait de commencer la Première Guerre Mondiale, afin d’être rendu plus fort pour pouvoir libérer l’Irlande du joug anglais. Une position qu’il s’obstina à défendre alors même que le plus grand nombre des Irlandais ne la comprenait pas, voire y était carrément hostile. Il n’en démordit pas, néanmoins, jusqu’à son arrestation, quand il quitta l’Allemagne et fut arrêté dans le sud de l’Irlande.
Roger Casement, tel que décrit et raconté par Mario Vargas Llosa, est un personnage attachant, ambigu, complexe, pétri de contradictions, faible et fort à la fois. Mais ce sont précisément toutes ces ambivalences qui le rendent humain, très humain, et totalement captivant. Il faudrait préciser encore qu’il était homosexuel, ce qu’il ne pouvait avouer publiquement à son époque, mais ce qui l’obligea surtout à se contenter d’aventures sexuelles sans lendemain, et sans jamais pouvoir aimer quelqu’un d’amour vrai. Et il faudrait aussi parler de sa foi chrétienne, que j’ai déjà évoqué un peu. Même si, enfant, il reçut une éducation anglicane, c’est du catholicisme dont il se sentait proche, et de plus en plus proche au fil du temps. Certes, son désir de catholicisme avait un rapport avec ses convictions de nationaliste irlandais, mais pas seulement. À la lecture du livre de Mario Vargas Llosa, la sincérité de sa foi semble attestée, tout en s’accompagnant de doutes. Il n’était pas capable, c’est vrai, « de croire en Dieu avec la foi inébranlable de sa mère, son père ou ses frères et sœur ». Mais il promut l’envoi de missionnaires franciscains en Amazonie, trouva un apaisement, alors qu’il était en prison, dans la lecture du seul livre qu’on l’autorisait à posséder (L’Imitation de Jésus-Christ) et, surtout, se confia abondamment d’abord à un dominicain, « un saint », le Père Crotty, puis au Père Carey, un des deux aumôniers de la prison. Mais déjà, alors qu’il séjournait au Putumayo et s’entretenait avec un certain Stanley Sealy, lui aussi témoin des atrocités commises contre les Indiens, Roger lui recommandait de parler à Dieu : « Raconte-lui ce que tu ressens, pourquoi tu pleures. Lui peut mieux t’aider que moi, en tout cas. Moi, je ne sais pas comment faire. Je me sens aussi désorienté que toi. ».

Congo, Amazonie, Irlande,... histoire d'un humaniste

6 étoiles

Critique de Pacmann (Tamise, Inscrit le 2 février 2012, 59 ans) - 26 mai 2018

L’auteur péruvien démontre à nouveau ses capacités à varier les genres littéraires en présentant une biographie d’un personnage aussi remarquable, complexe qu’inconnu de la grande histoire. Son humanisme est flagrant mais il a une approche trop diplomatique face à des actes véritablement génocidaires.

De sa prison britannique où il attend une possible grâce ou son exécution pour trahison, Roger Casement relate sa vie, sa carrière et ses ressentiments.

On passe du Congo belge en Amazonie, lieux où la colonisation a fait des ravages au profit des exploitants du caoutchouc et sous le prétexte qu’il fallait apporter la civilisation à ces sauvages sans aucun sens du bien et du mal. Revenu en Europe, il prend fait et cause pour la cause irlandaise et ce en trouvant du soutien auprès des Allemands, ce qui logiquement est considéré comme une trahison en pleine grande guerre.
Les descriptions des différentes exactions sont d’une précision qui fait froid dans le dos et devraient nous frapper de la honte pour l’éternité.

Mais ce récit très réaliste, entrecoupé de dialogues entre Roger Casement et son geôlier, est selon moi beaucoup trop long, et parfois très lourd ce qui conduit à progressivement se lasser.

Du club med de Léopold II au disney land d'Amazonie

8 étoiles

Critique de Monocle (tournai, Inscrit le 19 février 2010, 64 ans) - 13 juillet 2015

J'espère que le titre de ma critique ne choquera pas certains lecteurs. Je me fais sarcastique car ce livre m'a fait bondir !

Histoire vraie (mais oubliée) de Roger Casement. Mario Vargas Llosa a fait un travail de fourmi, richement documenté.

Il démontra que l'idyllique Congo du Roi Léopold II n'était pas vraiment un camp de vacances pour ceux qui n'avaient pas la bonne couleur de peau.
Pareil pour l’Amazonie. Les peaux y étaient un peu plus claires mais la barbarie déployée par le génie européen n'en était que plus raffinée encore.
Pour les colonisateurs, les indigènes n'étaient pas à proprement parler, des êtres humains, mais une forme inférieure et méprisable de l'existence, plus proche des animaux que des gens civilisés. C'est pourquoi il était légitime de les exploiter, de les fouetter, de les séquestrer, de les emmener de force, ou, s'ils résistaient de les tuer comme on abat un chien qui a la rage.

Mais qu'est ce qui a pu empêcher ces peuples bien supérieurs en nombre de ne pas résister d'avantage contre leurs bourreaux ? L'auteur répond simplement par ces deux mots : la peur.

Roger Casement lutta contre des horreurs et il fut un homme courageux.

Il prit ensuite parti pour l'indépendance de l’Irlande face à son envahisseur : le Royaume Uni ! mais là... le combat fut mené avec de drôles d'alliés et cela causa la perte de ce grand homme.

Un roman parfois un peu décousu mais une lecture grave et importante.

Biographie à grande échelle

8 étoiles

Critique de Aaro-Benjamin G. (Montréal, Inscrit le 11 décembre 2003, 54 ans) - 6 juillet 2014

Le couvert de la fiction permet à l’auteur dans le cas d’une biographie romancée d’étoffer un personnage illustre à sa guise. Bizarrement, Vargas Llosa reste très prude. Toutes les périodes de la vie de Roger Casement sont explorées mais le portait de l’intimité de cet homme idéaliste et romantique demeure succinct. Quand celle-ci est abordée, par exemple son homosexualité, c’est parce que ceci est important dans l’Histoire.

En somme, le roman prend une approche plutôt livre d’Histoire. Les portions sur le contexte politique de l’Irlande m’ont confondu. Par contre, j’ai beaucoup aimé la période des enquêtes sur les atrocités commises au Congo et en Amazonie. On y apprend beaucoup et la fascination opère.

Lu dans le cadre du prix CL2014

6 étoiles

Critique de Yotoga (, Inscrite le 14 mai 2012, - ans) - 23 juin 2014

Ce livre se lit extrêmement vite, l'action s'enchainant entre les détails historiques et entrecoupée de passages sur le prisonnier, on ne voit pas le temps passer.

J'ai découvert énormément sur la colonisation belge du Congo, sur les maladies des pays chauds et les moeurs entre les communautés.

Le style semble au début un peu trop linéaire, les faits sont retranscrits passablement chronologiquement mais les passages sur le ressenti du personnage, par rapport aux maltraitances sur les territoriaux par exemple, redonnent du charme et étoffent.

L'aventure continue...

Un peu trop didactique ?

7 étoiles

Critique de Tistou (, Inscrit le 10 mai 2004, 67 ans) - 16 juin 2014

Je n’ai pas retrouvé le Mario Vargas Llosa que je connaissais, qui excelle dans les romans de fiction, même voulant démontrer une théorie (« Lituma dans les Andes », par exemple), pour la bonne raison que ce « Rêve du Celte » est une biographie romancée de Roger Casement (1864 – 1916), ardent accusateur du système colonial belge au Congo et de ses atrocités, puis de l’exploitation éhontée de l’Amazonie (péruvienne) et de ses Indiens dans le cadre de la récolte du caoutchouc, tout aussi féroce, pour finir comme un des premiers martyrs de la cause activiste irlandaise, pour se libérer du joug anglais. Roger Casement, un anti-colonialiste notoire et éminent, qui finira exécuté par les autorités du pays qu’il représentât – avec quel succès – comme Consul.
Mario Vargas Llosa était donc enfermé dans une gangue non-fictionnelle, obligé de s’adapter aux données connues du personnage.
Trois grandes parties dans ce long roman (pardon, biographie romancée !) : le Congo, l’Amazonie et l’Irlande.
Le premier chapitre consacré au Congo évoque irrésistiblement « Au cœur des ténèbres » de Joseph Conrad, et pour cause puisque les deux hommes sont contemporains, se sont connus, estimés, jusqu’au divorce final, lorsque Roger Casement n’hésitera pas à s’appuyer sur l’Allemagne en guerre contre les Britanniques pour tenter d’arracher l’indépendance de l’Irlande … Le Congo est le premier contact de Roger Casement avec l’Afrique mais surtout avec le système colonial, qu’il dénoncera et lui vaudra une première reconnaissance internationale.
Le second chapitre est consacré à l’Amazonie péruvienne et à l’exploitation éhontée de cette nature et de ses indigènes, dans des conditions largement aussi atroces qu’au Congo. Au péril de sa vie et de sa santé, il passera de longues périodes là-bas pour monter le dossier d’accusation. Nouvelle reconnaissance internationale.
Puis vient le chapitre irlandais puisque Roger Casement réalise qu’en tant qu’homme né en Irlande, il est complètement assujetti au colonialiste anglais. En parallèle complet avec ce qu’il a pu observer au Congo et au Pérou, il va mener la lutte pour l’indépendance, voulant profiter notamment de la mobilisation des forces anglaises contre l’Allemagne durant la Première Guerre mondiale pour s’acoquiner avec les Allemands, tenter de coordonner une attaque allemande contre l’Angleterre avec une insurrection irlandaise équipée d’armes fournies par les Allemands.
Il sera trahi, rattrapé par ses faiblesses, notamment son activisme homosexuel relaté dans ses propres carnets et dont Mario Vargas Llosa semble penser qu’il était plus fantasmé que réel mais qui sera largement exploité à l’époque par l’Administration anglaise pour discréditer l’homme.
Il y a donc une part d’interprétation de Mario Vargas Llosa mais dans un respect scrupuleux de ce que furent les différentes étapes de la vie tumultueuse de Roger Casement. Au final je pense que ce « carcan » accepté d’emblée n’a pas permis à Mario Vargas Llosa de donner toute sa mesure …

Quand le romancier s'efface derrière le biographe...

8 étoiles

Critique de Myrco (village de l'Orne, Inscrite le 11 juin 2011, 74 ans) - 23 mai 2014

A Vargas Llosa revient l'immense mérite d'avoir rendu justice à une grande figure historique admirable et méconnue, une personnalité hors du commun totalement et sincèrement engagée jusqu'à risquer sa santé et sa vie dans le grand combat contre l'asservissement. A travers le parcours de Casement, j'ai découvert des faits que je n'imaginais pas, en particulier les atrocités commises lors de la colonisation du Congo Belge et celles non moins révoltantes qui ont eu lieu au Putamayo. Même si je n'ai pas été portée par la même empathie, la dernière partie qui relate l'implication de Casement dans la lutte pour l'indépendance de l'Irlande et sa démarche que je considère cohérente et non blâmable, s'est révélée très instructive.
Sur le fond, l'intérêt de l'ouvrage est absolument indéniable! Quant à l'homosexualité du personnage, je partage l'avis de Paofaia et j'ajouterai que le terme de pédophilie utilisé à son encontre me paraît, pour le moins, inadéquat.

Mais je voudrais porter ici l'accent sur l'aspect "traitement littéraire" puisque "Le rêve du Celte" se présente comme une biographie romancée, voire comme un roman (4ème de couverture) (*) écrit par un des plus grands auteurs sud-américains, qui plus est nobélisé, de notre temps.
Il ne fait aucun doute que Vargas Llosa s'est livré à un travail remarquable et gigantesque de recueil de données digne d'un biographe rigoureux, comme en témoignent ses multiples voyages et contacts dans toutes les parties du monde impliquées, et dont il fait état dans ses remerciements.
Pour autant, mon sentiment est que l'auteur s'est ici laissé déborder par la force et la richesse de son sujet, l'abondance de son matériau, celles-ci ayant finalement laissé peu de place à sa part de création. Ainsi, le romancier s'est un peu effacé (probablement malgré lui) derrière la réalité de son personnage. Il me semble qu'une véritable biographie romancée qui se veut œuvre de littérature consiste à nous livrer une réalité à travers le filtre d'une transposition littéraire, le prisme d'une vision singulière qui, en quelque sorte la recrée. Je ne ferai pas à l'auteur le reproche d'être resté apparemment fidèle à la réalité tant celle-ci se suffit à elle-même ; une démarche moins classique en aurait aussi probablement diminué l'impact.
Je veux juste souligner le fait qu'il s'est visiblement retrouvé en situation, à un moment donné, de ne pouvoir donner là toute la mesure de son talent de romancier.
Bref, j'ai rencontré un personnage fascinant, un écrivain homme de conviction, mais il me faudra espérer faire la connaissance du romancier (que je n'avais pas encore abordé) dans une autre de ses œuvres...

Reste un point sur lequel je formulerais quelques réserves: le choix de la structure narrative alternée. Je n'ai pas vraiment été convaincue dans la mesure où les scènes de prison, outre qu'elles déflorent d'emblée la fin, viennent à mon sens casser de manière inopportune la tension du récit (surtout dans les deux premières parties), sans apporter la densité émotionnelle qu'on aurait pu en espérer. Elles ne me semblent pas non plus justifiées par une nécessité de véhiculer des visions décalées du passé qui auraient pu tout aussi bien apparaître en leur temps à la fin du récit... mais cela n'est que ma propre appréhension...

(*) Je rappelle que cette lecture a lieu dans le cadre de l'attribution du Prix C. L 2014 Catégorie Roman Etranger.

Utopiste engagé

8 étoiles

Critique de Isad (, Inscrite le 3 avril 2011, - ans) - 15 mars 2014

Les chapitres alternent entre le présent du livre qui se situe en 1916 dans un cachot à Londres où Roger Casement attend un recours en grâce suite à sa condamnation à mort et son passé qui montre une vie consacrée à la défense des exploités.

Le narrateur raconte qu’idéaliste, ce personnage historique est parti en Afrique sur la trace d’un explorateur, pour contribuer à y apporter la civilisation. Il a produit pour le gouvernement britannique des rapports contre l’exploitation au Congo et a Pérou, détaillant le travail forcé mais aussi les sévices infligés aux autochtones qui sont obligés de récolter le caoutchouc. Ce faisant, ce diplomate anobli a redécouvert son origine irlandaise et s’est forgé une conscience politique qui l’a amené à vouloir s’allier avec les ennemis de son pays.

L’auteur explique consciencieusement les valeurs de l’époque, à la fois humanistes et opportunistes mais aussi les conditions de vie sous les climats chauds générateurs de maladie et de survie difficile. Les doutes d’un homme solitaires malgré ses convictions profondes, son étonnement renouvelé de la cruauté d’êtres humains envers leurs semblables, ses incertitudes quant à ses choix lorsqu’ils ne sont pas partagés par ses amis, en font un individu attachant.

Ce livre se lit comme un long fleuve tranquille, documentaire qui va vers une démonstration et une fin annoncée dès le début qui sera expliquée à mots couverts puis explicitée au fur et à mesure du récit.

IF-0314-4189

très humain, et pas du tout......

8 étoiles

Critique de Joanna80 (Amiens, Inscrite le 19 décembre 2011, 67 ans) - 17 février 2014

J'ai encore appris quelque chose, je ne connaissais pas l'histoire, ni le nom, de Roger Casement. Bravo Mario Vargas Llosa, pour une histoire qui joue avec nos sentiments. Les miens en tout cas. Je l'aime ce Roger, pour tout ce qu'il essaye de faire pour l'Irlande, au Congo et en Amazonie. Je déteste son côté pédophile. La preuve que l'histoire est tellement bien écrite est qu'on oublie presque, je dis bien presque, le mauvais côté du personnage.

"Un grand humanitaire"

8 étoiles

Critique de Marvic (Normandie, Inscrite le 23 novembre 2008, 65 ans) - 2 février 2014

Roger Casement se retrouve un peu par hasard au Congo. Il est jeune, idéaliste, persuadé que la colonisation est une œuvre de salut public pour les africains. Mais très vite, la découverte de la réalité et de la cruauté de l'exploitation des indigènes, lui fera douter du bien-fondé de ses convictions.
Il deviendra même "spécialiste en atrocités" pour convaincre l'opinion publique britannique de la réalité du terrain.
"Plus tard.. Roger Casement se dit souvent que si un seul mot devait résumer ce qui était à la racine de toutes les horreurs qui se commettaient là, c'était celui de la cupidité."

Mais que ce soit à son retour du Congo, puis quelques années plus tard d'Amazonie, Sir Roger reviendra écœuré par la nature humaine, meurtri par les horreurs qu'il aura vues.
"Pendant son voyage de retour à Iquitos,… Roger penserait fort à cette leçon que la réalité lui avait administrée sur le caractère paradoxal et insaisissable de l'âme humaine."

Viendra ensuite son combat pour l'Indépendance de l'Irlande pendant la première guerre mondiale où il se rendra compte mais un peu tard de ses erreurs, de ses mauvais choix et de sa naïveté.

Un roman intense mais très dur où l'on ne sait plus qui est le plus admirable, de Roger Casement ou de Mario Vargas Llosa ?
Le talent de l'écrivain permet de rendre proche cet homme dont je n'avais jamais entendu le nom, de comprendre ses doutes, d'admirer son courage malgré ses erreurs, sans condamner ses choix privés, qui devaient être particulièrement choquants à l'aube du XX°siècle.
Le seul bémol que je mettrais à cette lecture concerne des tournures ou du vocabulaire anachroniques. J'ai été choquée par ces phrases:
"Cette ville est un trou dégueulasse et pestilentiel" ou "Il devait se tirer de là au plus vite."

Mais le plus grand choc, reste la découverte d'un destin exceptionnel écrit par un auteur impressionnant.
Un livre marquant

Quel personnage!

9 étoiles

Critique de Paofaia (Moorea, Inscrite le 14 mai 2010, - ans) - 1 novembre 2013

Qui était ce Roger Casement , qui tarda longtemps à être reconnu dans son pays, l'Irlande, comme l'un des plus grands combattants anticolonialistes et défenseurs des droits de l'homme et des cultures indigènes de son temps, et un artisan dévoué de l'émancipation de l'Irlande, comme l'écrit Mario Vargos Llosa dans l'épilogue de cette biographie romancée? L'écrivain l'a repéré en lisant une biographie de Joseph Conrad, Casement a eu une grande importance dans l'écriture de Au coeur des ténèbres.

Un diplomate du Royaume -Uni, d'origine irlandaise, envoyé pour son premier poste au Congo belge. C'est là qu'il découvrira pour la première fois les dérives extrêmes du colonialisme , et ce qu'un homme est capable de faire subir à un autre , le niant en tant qu'être humain. Cette prise de conscience sera lente, mais une fois faite, il n'aura de cesse d'aller jusqu'au bout et de dénoncer, par un rapport qui a fait grand bruit, toutes les exactions constatées, avec force détails.

Après, ce sera donc le Putamayo, où il part enquêter sur une compagnie britannique caoutchoutière qui s'engraisse en torturant ses employés..

La troisième étape de sa vie sera cette histoire assez extraordinaire , cette tentative d'alliance avec l'Allemagne pour servir la cause irlandaise.

Dans ce livre, Mario Vargos Llosa a le talent et la finesse d'analyse de donner plusieurs pistes de réflexion. En particulier jusqu'où peut-on aller quand on soutient une cause, juste , sans que finalement on aboutisse à un résultat presque inverse de celui souhaité. Du moins temporairement.
Et je voudrais souligner des pages passionnantes sur L'Irlande, la religion, et le goût du martyre.

L'action démarre dans une cellule, où Casement , condamné à mort, attend de savoir si sa peine va être commuée, et l'action évoluera en permanence entre cette cellule et les retours au passé, qui feront comprendre au lecteur comment il en est arrivé là. C'est très habilement construit, Mario Vargas Llosa est un excellent conteur, et mon intérêt pour l'histoire de ce personnage assez extraordinaire n'a pas faibli une minute.

Deux remarques cependant:
C'est une biographie romancée. Avec les inconvénients propres au genre..

Au début, forcément, à chaque fois qu'était écrit: "Casement pense", je me disais: comment tu le sais , à quoi il pense à ce moment précis! Mais j'aime bien découvrir certains pans d'histoire par le biais de biographies romancées, et je sais que je ne ferais pas l'effort de lire des ouvrages historiques vrais. De plus, la documentation est solide, et nul ne l'a contestée, dans ses moindres détails, et ils sont nombreux!

La deuxième, plus important, est personnelle ,et tient à la phrase mise en exergue ( j'aime beaucoup les phrases mises en exergue!) :

Chacun de nous est, successivement, non pas un , mais plusieurs. Et ces personnalités successives, qui émergent les unes des autres, présentent le plus souvent entre elles les contrastes les plus étranges et les plus saisissants. José Enrique Rodo (Motivos de Proteo.)

Hors contexte, oui, c'est une belle phrase. Mais elle introduit bien précisément ce livre. Et c'est là que je ne suis pas tout à fait d'accord ! Parce que, comme il nous le présente, Roger Casement n'est pas vraiment un homme présentant, pour moi, des personnalités multiples successives. Il évolue un peu, bien sûr. Peut-être pas assez, hélas pour lui. Toujours resté un peu naïf, idéaliste, mais héroïque jusqu'au bout et prêt à tout physiquement et moralement pour faire avancer ce en quoi il croit. Il en a fallu -et il en faut toujours- des hommes comme cela pour faire bouger les choses. L'étape Irlande- Allemagne était une erreur, mais avait une logique. Il voulait libérer les Irlandais comme il l'a voulu pour les Congolais et les Péruviens. Après, ça s'est compliqué.

Et en fait dans cette citation, Mario Vargas Llosa évoque autre chose, la sexualité de Roger Casement . Ont été retrouvés sur lui , quand il a été arrêté, des carnets dans lesquels Casement écrivait librement des relations soit réelles , soit fantasmées , on ne le saura jamais, avec de jeunes hommes ( et de plus peut-être déformées par les Anglais pour atteindre cet homme encore plus) . Ces carnets, Mario Vargos Llosa y a eu accès, puisqu'il en cite des extraits.

Roger Casement était homosexuel, ce qui ne l'a pas aidé à cette époque puritaine.L'âge des protagonistes n'est pas vraiment spécifié, mais même s'ils n'étaient pas majeurs, leur description ne fait jamais penser à de la pédophilie. Tout au plus au recours à la prostitution de façon occasionnelle, et à des fantasmes inassouvis.
Qu'à l'époque cet homme ait pu être accusé de "perversité sexuelle", je n'en doute pas. Mais je ne vois pas en quoi, maintenant , on peut évoquer un contraste dans sa personnalité ....Du moins dans ce que Mario Vargos Llosa raconte. Roger Casement était un homme extraordinaire homosexuel. So what?

Ceci dit, Mario Vargas Llosa a eu le mérite de parler de Roger Casement dans un livre passionnant et très bien écrit.

I say that Roger Casement
Did what he had to do.
He died upon the gallows,
But that is nothing new

W. B. Yeats

Un rêveur éveillé

7 étoiles

Critique de Hamilcar (PARIS, Inscrit le 1 septembre 2010, 68 ans) - 24 avril 2012

Roger Casement était citoyen britannique mais conservait en lui cette identité irlandaise qui l’a emmené à se battre pour l’indépendance de son pays. A la recherche constante de sa culture celtique, il voulait briser le joug de l’Angleterre imposé à son Irlande natale. Mal lui en prit quand il crut pouvoir se servir du conflit mondial qui secouait l’Europe en ce début du 20°siècle.
Tel était ce personnage réel, précurseur de l’autonomie irlandaise, que Mario Vargas Llosa a le mérite de nous faire connaître. Un rêveur qui croyait à l’émancipation, mais un rêveur éveillé qui s’est forgé à la lutte contre l’injustice en dénonçant les atrocités commises au Congo belge et en Amazonie péruvienne.
Car Roger Casement, en tant que sujet britannique, fut envoyé par sa gracieuse majesté aux confins des comptoirs anglais comme diplomate. Et c’est au cours de ses voyages en Afrique puis au Pérou qu’il constata les drames imposés aux populations indigènes. Au nom de la rentabilité, l’exploitation du caoutchouc devint surtout celle des femmes et des hommes soumis à la barbarie, aux tortures et au dénuement le plus total. L’envoyé britannique alerta les pouvoirs publics européens de ces exactions et fut élevé au titre de lord par la reine.
Mais comment ne pas faire de parallèle avec la situation vécue par son propre peuple ? Roger Casement développa alors le même sentiment d’injustice qu’il avait ressenti ailleurs contre toute forme de totalitarisme, contre l’injustice sociale et la tyrannie. Son Irlande était envahie par ceux qui l’avaient anobli.
Des rives du Congo à celles de l’Amazone, Mario Vargas Llosa nous emporte enfin à Dublin où la répression à la révolte irlandaise fut un acte de colonialisme cruel. Ce que Casement avait dénoncé se produisait chez lui.
Sans corroborer la vision très tranchée de Casement avec ce rapport effectué entre situation des indigènes et celle des femmes et des hommes de son pays, le combat qu’il mena pour la justice l’honore totalement. La méthode employée soulève encore aujourd’hui une polémique incontestable, Roger Casement étant encore considéré en Angleterre comme coupable de haute trahison.
Le livre nous apprend des faits trop souvent ignorés. Il eut été, selon moi, souhaitable que l’auteur ne s’attarde pas avec une certaine complaisance aux fantasmes de son personnage, ce qui le rend certes très humain, mais plus aux actes et motivations qui l’ont emmené à coopérer avec l’ennemi. Car c’est de Berlin que Roger Casement tenta d’assouvir son rêve d’indépendance. L’Europe se déchirait.
Une belle leçon d’histoire pour comprendre les imbrications qui mènent parfois des hommes à commettre des choses incomprises par d’autres.

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