L'Ile verte de Pierre Benoit
Catégorie(s) : Littérature => Francophone
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Recherche d'absolu, mutisme, complot et destruction familiale
Nous sommes en 1859, à Bordeaux. Etienne Ruiz est un taxidermiste de 55 ans, descendant d’une famille d’origine espagnole. Il a repris le magasin de son père (telle était la volonté de ce dernier, prénommé Samuel) et gère avec prospérité cet établissement spécialisé dans les oiseaux aquatiques. Il est épaulé dans cette tâche par sa fille (Isabelle, 24 ans, énigmatique jeune femme), sa cousine (Andrée, 30 ans, fille de son oncle Ferdinand, en mémoire duquel il avait fait la promesse à son père de veiller sur elle et de lui assurer un avenir) et son commis (Bernard Beyrie, environ 25 ans, jeune homme dévoué et ambitieux).
Mais voilà que durant plusieurs journées Etienne Ruiz disparaît. C’est le début des interrogations, encore apaisées à ce moment là, même si le trio (Isabelle, Andrée et Bernard) pressent le pire : ce n’est en effet pas la première fois que leur patron s’absente mystérieusement ces derniers mois, mais pas de manière si prolongée. Puis, une lettre destinée à Andrée vient enflammer définitivement le trio : Etienne les convie tous à venir s’installer dans une villa construite à grands frais sur l’Ile verte. Subjugué en effet par cet endroit qu’il a découvert de façon épouvantable lors d’une partie de chasse, dont la seule consolation aura été la révélation faite à ses yeux que l’on puisse admirer autrement les oiseaux, c’est-à-dire vivants, il a pris pour projet de vivre auprès d’eux. En créant un vaste parc zoologique sur la partie nord de l’île, qu’il a achetée, il pense accomplir son rêve et sa destinée, tout en maintenant son atelier de Bordeaux via Bernard.
Cependant, ses proches, très rapidement comploteurs pour des raisons diverses, ne voient pas d’un très bon oeil ce projet qu’ils jugent tous farfelu. Il s’ensuit alors une histoire croisée entre leurs manigances très actives, qui révéleront progressivement leurs personnalités, et de l’autre, l’isolement d’Etienne Ruiz, tout accaparé qu’il est par ses oiseaux. Plongé dans une sorte de douce folie, occultant de ce fait littéralement sa famille au profit de ses chimères, il ne peut pas voir le drame qui se joue autour de lui, encore moins sa portée : les complots des trois protagonistes ; la fortune familiale qui s’amenuise ; les actions revendicatives des voisins de l’île, excédés par son aversion envers la chasse et ses refus répétés d'exécuter certains engagements inscrits dans le contrat de vente de son terrain... Tout au long de ce récit, les trois personnages essayeront de tirer leur épingle du jeu de façon stratégique et secrète, face à cette vaste banqueroute qui leurs semble inéluctable. Sans pour autant s’apprécier, ils s’entraideront en pensant à leur avenir, tels des alliés de circonstances face à ce qu’ils ne comprennent pas : les réactions de Mr Ruiz, tour à tour extravagantes, unilatérales, exclusives... mais non sans fondement ni intelligence, ce qui agace. Mais jusqu’au dénouement final, aucun des protagonistes ne comprendra l’ensemble des conséquences qui vont découler de leurs actes.
Un roman assez atypique de Pierre Benoit, se mettant lui-même en scène en se rendant sur cette île pour écrire un roman et qui se fera conter à son arrivée cette histoire par un ancien de l’île, témoin lorsqu’il était enfant de la tragique fin d’Etienne Ruiz. Quelques courts passages, mais néanmoins savoureux, nous montrent la façon dont il prépare la rédaction de ses romans, avec minutie tel un artisan, en n’étant pas dupe sur le fait que son entame et son objet sont souvent circonstanciels, tel semble ainsi pour lui l’acte créatif.
Pierre Benoît nous décrit ici un lieu simple et magique, en n’exagérant ni sur l’aspect fantastique (que l’on aurait pu craindre), ni sur les faits qui s’y sont déroulés. Au contraire, ces derniers restent profondément humains, tragiques, empêtrés qu’ils sont dans les “plaies ordinaires” de la vie : un fils décédé à la guerre, des engagements solennels pris avec les défunts, des non-dits, des silences, des jalousies, des rancoeurs, des histoires d’héritages, de successions, une entreprise familiale qui prospère mais dont chacun ne tire pas les mêmes avantages du fait de sa place ou de son statut... Et tout s’embrase lorsqu’un acte isolé jugé délirant vient raviver toutes ces douleurs enfouies, obligeant les uns et les autres à saisir les moindres occasions pour sauvegarder leur avenir : le peu qu’on a ou la plus-value qu’on espérait réaliser après tant de sacrifices.
C’est donc un magnifique roman qui puise toute sa force dramatique dans le fait que ce qui s’y trame nous montre une nature humaine tellement réelle : belle, mais terriblement faible et cupide à certains égards. Partagés que nous sommes entre l’instinct de survie, souvent cruel pour nos semblables, et la douceur de la vie à laquelle nous aspirons tous, telle que l’avait choisie Etienne Ruiz à travers la contemplation de ses oiseaux. Il semblerait que ces deux extrêmes soient toujours néfastes pour quelqu’un, comme les deux faces d'une même pièce.
Les éditions
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L'Ile verte
de Benoit, Pierre
Albin Michel / Le Livre de Poche
ISBN : SANS000022396 ; 01/01/1932 ; 256 p.
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Les critiques éclairs (4)
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Sublime scénario !
Critique de Angel54 (, Inscrit le 11 septembre 2010, 70 ans) - 14 janvier 2012
Les personnages campent tous leur rôle à perfection; on les retrouve tous complémentaires et aussi bien encastrés que les pièces de l'échiquier.
Histoire palpitante faite d'humanité pathétique et pourtant oh combien réaliste.
Je me suis plu à imaginer un film où le héros principal serait brillamment interprété par un Gérard Depardieu en verve et Andrée sa cousine par une Nathalie Baye. Quel scénario pourrait trouver là un réalisateur en mal de sujet.
Un cadre sans pareil et une fin sans appel. Du Hitchkock à la française !
Un roman écolo avant l'heure
Critique de Yeaker (Blace (69), Inscrit le 10 mars 2010, 51 ans) - 2 mars 2011
Je me souviens surtout, en dehors de l'odeur du livre qui sentait l'encens (j'en faisais beaucoup brûler à l'époque sur ma bibliothèque à l'endroit des romans de P Benoit), de descriptions magnifiques de cette ile de la Gironde et des envolées d'oiseaux. Je n'ai jamais eu l'occasion d'y aller mais je me suis toujours promis d'y faire un tour (en allant chercher de l'Entre Deux Mers).
La folie des hommes
Critique de Antinea (anefera@laposte.net, Inscrite le 27 août 2005, 45 ans) - 16 mars 2010
Ce roman de Pierre Benoît reprend le thème de la réalisation du soi, sujet qu’il développe ici au travers de deux de ses personnages : Ruiz et la belle Andrée. Une réalisation sur le tard pour Etienne Ruiz, aussi violente qu’elle a de temps été réprimée. Un sujet plus subtilement abordé ici qu’il ne l’est dans le cruel Alberte, plus mystique peut-être, à l’image du comportement étrange de ces oiseaux sauvages et de cette scène finale aux allures hitchcockiennes.
Comme toujours, l’écrit est superbe, riche en « noms d’oiseaux » et de paysages d’estuaires.
Contrairement à PPG, il ne m’a pas semblé que Pierre Benoît se mettait lui-même en scène au début pour nous rapporter l’histoire de l’île aux oiseaux. Il m’a semblé plutôt qu’il rappelait pour cela un protagoniste d’un de ses précédents romans, sans pour autant nous donner son nom… mais les indices laissés - un récit similaire, une île et la folie d’un homme, l’élevage de moutons - suffisent à nous ramener sur les rivages d’Erromango… Un procédé de rappel qui n’est pas inhabituel dans les romans de Pierre Benoît.
Pierre Benoit est injustement oublié.
Critique de Berhtet-jean (, Inscrit le 9 mars 2010, 89 ans) - 9 mars 2010
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L'île verte !!! | 6 | Shelton | 5 mars 2010 @ 22:28 |