Ousmane Sembène, a vécu à Marseille où il a été docker, a adhéré à la CGT et a été confronté aux grèves et à leur fonctionnement. Dans ce roman, la grève dont il est question ne se déroule pas en France, mais en Afrique occidentale entre Bamako, Dakar et Thiès. Son expérience dans le sud de la France a alimenté sa façon d'envisager le motif de la grève. L'auteur part aussi d'une véritable grève en 1947 qui a concerné la ligne Dakar-Bamako. Le lecteur suit de nombreux personnages dans ce roman et passe d'une ville à l'autre pour voir comment s'est constituée cette grève, à la façon d'un récit rédigé par un écrivain réaliste ou naturaliste. Il y a d'un côté le syndicat qui s'organise avec des figures charismatiques, surtout celle de Bakayoko, les ouvriers qui font grève durant de nombreuses semaines pour avoir gain de cause et les femmes qui occupent une place notable dans cette grève car elles soutiennent leurs hommes et doivent nourrir les enfants alors qu'il n'y a plus d'argent pour se procurer de la nourriture. D'un autre côté, il y a les colons, qui refusent de céder, qui espèrent que les manifestants vont se décourager et qui ne pensent pas que l'homme noir est quelqu'un que l'on doit considérer. Nous sommes tout de même au lendemain de la deuxième guerre mondiale et l'homme noir ose affronter davantage l'homme blanc et faire valoir ses droits.

Au départ, ce n'était vraiment pas le genre de sujet qui pouvait me passionner. Et pourtant ... L'écrivain, possède de vrais talents de conteurs, comme souvent chez les écrivains africains, dont l'oralité est précieuse. Ils sont habitués à écouter des histoires et à les transmettre. Le griot reste une figure narrative essentielle dans la construction d'une culture africaine. Le style de Sembène est assez simple même s'il possède des métaphores efficaces et révélatrices. Il a cette capacité à planter un cadre et à camper des personnages. Ces derniers sont bien dessinés et possèdent chacun leurs caractéristiques. La peinture qu'il fait n'est pas manichéenne et les personnages sont suffisamment complexes pour intriguer le lecteur. Certains protagonistes sont attachants et presque inoubliables comme Penda, la femme aux moeurs légères, Maïmouna l'aveugle à qui on doit des scènes marquantes, Madame Sofi et son tempérament qui rappelle des figures épiques ...

Le lecteur découvre l'Afrique dans ce roman, les moeurs des habitants, les caractères trempés de ceux-ci, la polygamie ... On trouvera presque un intérêt didactique ou sociologique dans les romans d'Ousmane Sembène. Il y a parfois quelques longueurs, mais sans doute utiles pour rendre compte de façon objective d'un tel mouvement de grève. L'auteur décrit aussi une petite intrigue amoureuse qui permet de contrebalancer avec les questionnements sociaux. Les relations tendues entre les colons et les africains sont très bien rendues et ne peuvent que susciter de la gêne de la part d'un lecteur blanc qui aura des difficultés à justifier les propos tenus par des représentants blancs. Il y a aussi quelques scènes violentes. La plupart d'entre elles agissent comme des coups de théâtre et marquent les esprits. Le roman a souvent la force des romans français du XIXème siècle, mais repose sur une écriture plus simple.

Réalisateur et écrivain, l'on recommence à éditer des textes de cet auteur sénégalais qui occupe une place importante dans le panthéon littéraire de son pays.

Inspiré d'un fait réel, "Les bouts de bois de Dieu" revient sur la grève des cheminots de la ligne Dakar-Bamako qui eut lieu à la fin des années 40.
Même si, effectivement, l'écriture de Sembene n'est pas le point fort du livre, on doit lui reconnaître une certaine faculté à relater les événements de manière fluide et agréable, à nous faire ressentir de l'empathie envers des personnages pris dans le tourbillon de leur histoire. Et à nous faire comprendre l'ampleur qu'a prise cette grève qui, pour les cheminots, a signifié beaucoup plus qu'un simple mouvement social.
Un livre très instructif si l'on s'intéresse à l'histoire moderne de l'Afrique.