Une affaire de regard de Philippe Annocque

Une affaire de regard de Philippe Annocque

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Farfalone, le 21 octobre 2009 (Annecy, Inscrit le 13 octobre 2009, 55 ans)
La note : 6 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 10 avis)
Cote pondérée : 7 étoiles (2 820ème position).
Discussion(s) : 1 (Voir »)
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Un exercice de style et un bon divertissement

« Je connus de là que j'étais une substance dont toute l'essence ou la nature n'est que de penser. » (Discours de la Méthode, 4e partie) René Descartes.

Pourquoi Herbert nous livre-t-il ses pensées par le biais d'un IL, c'est à dire en les objectivant par le truchement d'un narrateur absent, mais qui semble impliqué? Un roman de la subjectivité ne devrait-il pas passer nécessairement par le JE?
Peut-être n'est-ce pas un roman de la subjectivité mais seulement le regard qu'un individu dont le processus d'individuation n'est pas encore terminé (un adolescent attardé) porte sur lui-même, auquel cas le narrateur c'est lui. Il livre alors au lecteur un rapport, un compte-rendu, un constat qui se veut ironique et ainsi marquer le caractère dérisoire de sa vie. Cette subjectivité mise en abyme par un regard décalé serait ainsi l'explication de l'emploi de ce IL.

C'est donc "Une affaire de regard", porté sur lui-même sans complaisance, -du moins voudrait-il qu'elle soit perçue ainsi cette "affaire"- et je suis, lecteur, invité à déguster ces fragments d'un discours amoureux et l'expression des moments d'une intuition. L'intuition de ce qu'est l'échec et qui suscite, cette intuition, chez Herbert une légère inquiètude.

Inquiètude et non angoisse, l'angoisse se manifestera plus tard quand ce jeune indécis aura (peut-être?) été confronté à ce qui manifeste l'absurdité de la condition humaine, ce léger décalage entre la conscience de moi, existant et l'épaisseur des choses. C'est pour l'heure un "héros" indéteminé, qui choisit de ne pas choisir mais se laisse aller à la contemplation de ce moi et qui cherche à le faire par ce "regard" décalé qui malgré toute sa bonne volonté n'aboutit qu'à augmenter sa confusion. Pour l'instant?

Confusion, voilà le maître mot. Il se cherche, il cherche à inventer sa vie et constate qu'il est dans l'incapacité d'agir. Dès lors la seule réalité qu'il puisse reconnaître est celle de cette "pensée" qui n'est en définitive que le flot continu de ces petites perceptions qui nous assaillent en permanence, -d'où qu'elles viennent, du dedans ou du dehors- cette vague conscience de quelque chose, des autres, du monde et de nous-mêmes comme "objets" et qu'il essaie d'apprivoiser en la mettant en forme.

Pensée ou rêverie? J'ai par contre été "interessé" par l'effet produit par le décalage, enfin, ce que j'ai ressenti comme étant un décalage. Autofiction? Je suis incapable de répondre à cette question. Quelques observations sur le métier d'écrivain me le laissent penser.

Le roman de Philippe Annocque me semble être, par l'interrogation du statut du narrateur à laquelle il procède, un exercice de style, une mise en forme de la forme tout en restant un bon divertissement, comme ces rêveries le sont pour Herbert.
Intéressant mais un peu vain. Il y avait pourtant une belle promesse d'"interpellation": celle sur notre rapport au réel, et ses conséquences sur notre être social.

En tout cas il m'a permis à moi de m'interroger un peu sur une forme actuelle du roman, avec cette réserve que je pourrais n'avoir rien compris.

Message de la modération : Cette critique se réfère à la première édition (Seuil)

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Des difficultés de l'amour

8 étoiles

Critique de Veneziano (Paris, Inscrit le 4 mai 2005, 46 ans) - 12 mai 2015

L'amour est difficile, dans tous les sens du terme, quand on a du mal à l'exprimer, à le faire connaître et à pratiquer la bagatelle. C'est ce que prouve ce roman de manière quasi-burlesque, parfois un tantinet potache.
Le protagoniste s'avère donc être un narcissique impuissant, ce qui donne fatalement beaucoup d'occasions d'en rire. J'ai trouvé ce roman réussi ; il met en joie, à condition de prendre un minimum de recul.

Je pense, donc, je jouis...

9 étoiles

Critique de Provisette1 (, Inscrite le 7 mai 2013, 11 ans) - 25 octobre 2014

Bien qu'un philosophe ait récemment publié un ouvrage sous ce titre, voila déja plusieurs mois que ce "titre" s'était imposé très naturellement à moi pour évoquer ce livre de Philippe- qui me permettra de seulement le prénommer ici.

Il est toujours intimidant pour un lecteur "ordinaire" de vouloir parler d'un livre quand on pense "connaitre" un peu l'auteur et ses "affinités" littéraires même à minima... donc...

J'ai adoré Herbert!

Raison essentielle très simple: ce sentiment de "voir" mon double adolescent, lointain déjà mais souvent si présent encore !

Herbert pense, se pense, se regarde, s'observe intérieurement infiniment, a chaque instant de ses jours, de ses soirées, de ses nuits, la "tête", l'esprit, le coeur, là-bas au loin dans les étoiles, se rêvant en pensée futur auteur admiré pour son manuscrit, son "..Conflit", ce récit de son intimité spirituelle, ce vécu de sa-ses- pensée(s) intérieures tel une profonde quête du soi...

Herbert s'admire pensant, jouis de penser oubliant ainsi de pouvoir réellement jouir de ces plaisirs qui se présentent à lui dans sa vie quotidienne.

Le journal intime de la (des) pensée(s) d'un jeune homme, littérairement jouissif qui se déguste et j'avoue qu'un certain récit de tentative désespérée de jouissance sexuelle malgré tous les valeureux "efforts"-!- de son amie a provoqué un immense et jubilatoire fou rire !

Herbert, celui-celle- que nous fûmes.

L'impuissance...

8 étoiles

Critique de Sissi (Besançon, Inscrite le 29 novembre 2010, 53 ans) - 29 juillet 2014

Herbert est impuissant.
Au sens propre, ce qui donne lieu à des scènes de non-sexe plutôt cocasses, et dans un sens plus imagé et métaphorique, celui qui illustre la difficulté à trouver sa bonne trajectoire de vie, la tendance à gesticuler sans progresser réellement, l'impossibilité de se soustraire à un blocage paralysant où l'inertie l'emporte fatalement sur l'action.
Pas foncièrement passif mais poussif, loin d'être inactif mais improductif, Herbert entreprend mais ne conclut pas (avec les filles, mais dans le cadre de ses autres projets également).
Tout un tas de personnages gravitent, tournicotent et virevoltent autour de lui dans une fervente agitation, et l'on pense alors au jeu de colin-maillard avec notre Herbert au centre du groupe qu'on bousculerait incessamment et qui avancerait d'un pas, se tournerait, reculerait, s'immobiliserait effaré, puis repartirait à gauche, bifurquerait à droite puis avancerait à nouveau, dans une gestuelle stérile et sans véritable efficacité.
Mais exceptionnellement sans le bandeau, le colin-maillard! Car Herbert regarde, regarde beaucoup, même (il n'est pas privé de la vision, et ce serait presque finalement son handicap à lui). Il lance des regards appuyés, en reçoit, il observe, il s'expose, il contemple, il s'observe, il analyse, décrit, se regarde regarder, cherche à être regardé, et ce jeu de miroir infini finit (peut-être?) par le lasser puisqu'on le retrouve seul, au terme du livre, les personnages qui l'entouraient sans cesse s'étant petit à petit éclipsés, et on le quitte "en train de".

En train de quoi?
Lui seul le sait! (ou pas d'ailleurs).

La seule chose qui soit sûre, c'est qu'il continue sa route.
Et on la lui souhaite bonne.

Une certaine façon de voir...

8 étoiles

Critique de Pieronnelle (Dans le nord et le sud...Belgique/France, Inscrite le 7 mai 2010, 76 ans) - 27 juillet 2014

Qui n’a pas été tenté de se « regarder vivre » ?
Ici le héros se regarde vivre mais sans le « je » et cette distance finalement permet une plus grande liberté en particulier dans la vraisemblance des ressentis. Car avec le « je » il raconterait sa vie, là il se la fait raconter et c'est bien plus visible...
Qui n’a jamais eu cette impression de marcher à côté de soi et de devenir ce « il » afin de mieux le découvrir et même de parvenir à le juger ?
C’est une introspection narcissique par personne interposée, le lecteur ; dès le début on entre dans « la tête » de Herbert et on n’en sort pas. C’est comme une rivière au courant vif, sans pause, sans véritables chocs ou ruptures ; on pourrait parler de tribulations mais dans un milieu restreint, celui, complexe ô combien, de la charnière entre l’adolescence et l’adulte ; questionnements, tergiversations, doutes, incertitudes mais aussi vantardises, pulsions d’orgueil qui permettent d’avancer, parfois avec une maladresse touchante, vers la vocation (ici celle de l’écrivain mais elle pourrait être toute autre, toute vocation qui permettrait de transcender un peu ce bouillonnement intérieur où l’on sent que tout serait possible si…) et aussi vers un accomplissement personnel, celui de sa condition d’homme.

« Parfois aussi, imaginant sa carrière future, sa propre biographie qu'un autre se chargera d'écrire, ne trouvant plus quoi se faire écrire, il se fait mourir prématurément, à 38 ans, ou 52 ans, selon sa verve du moment ; ayant de toute façon laissé derrière lui une œuvre monumentale, c'est-à dire capable de préserver sa mémoire ».

Car il est bien difficile parfois de le suivre ce jeune héros. Peut-on parler de roman d’apprentissage ? Je pense que cela va bien au-delà car il ne faut pas oublier ce « Rien ». Rien parce que ce qui est entrepris peut être considéré comme rien ? Que finalement à force de se regarder vivre, d’être obnubilé par soi-même on en vient à oublier l’essentiel c'est-à-dire tout ce qui n’est pas « rien » c'est-à-dire le profond, ce qu’on pense être vrai et constructif ?
Mais ce qui ressort paradoxalement, et c’est peut-être (avec précaution) l’intention de ce livre, c’est que ce « regard » est essentiel pour comprendre ou à tout le moins essayer de comprendre, comment se lancer dans la vie. Le héros est souvent irritant dans ses incertitudes, pour ceux qui le « regardent » bien sûr, donc nous lecteurs, mais c’est pour mieux nous faire découvrir tout ce qui peut ou a pu nous questionner dans notre propre vie, nos propres démarches, nos intentions et aspirations. Les jeunes se retrouveront dans cette sorte de passage obligé qui est l’incertitude dans laquelle on erre, cherchant en soi l’étincelle d’un génie, mais oui qui n’en n’a pas rêvé, aussi bien pour réussir une œuvre que sa propre vie. Les plus anciens n’auront qu’à se reporter quelques années en arrière afin de porter un regard qu’ils n’ont peut-être pas suffisamment eu sur eux-mêmes…

Il a été évoqué l’idée d’échec ; mais je ne suis pas d’accord. Ne pas réussir, ne pas aboutir, n’est pas forcément signe d’échec. Le choix immense que représente en fait la vie ne peut qu’engendrer des incertitudes, des erreurs, et surtout des envies ; il faut donc aller y toucher pour « goûter », tester et bien peu finalement on le courage de le faire par crainte justement de l’échec.
Oui il s’agit bien d’une certaine façon de voir , différente de celle qu’on appelle ordinairement réussite… cette dernière n’ayant jamais de finalité puisqu’elle est en éternel mouvement….

"Le rien est toujours parfait"

8 étoiles

Critique de Débézed (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 76 ans) - 13 juillet 2014

Avec ce texte composé de courts chapitres, Philippe Annocque décrit des instants de la vie d’un jeune homme qui essaie de pénétrer le monde des adultes à travers les filles qu’il rencontre en sillonnant Paris et sa banlieue à bord du RER ou du métro en une sorte de road movie jalonnée de stations qui pourraient porter le nom de ces jeunes filles qu’il courtise - ou qui plus souvent le courtisent – sans grand succès. En lisant ses lignes, j’ai senti monter à ma mémoire des impressions que j’avais eues en lisant « L’attrape-cœur » mais, ma mémoire étant de moins en moins fidèle, ce n’est peut-être qu’une vague impression. Pourtant cette quête de l’identité sexuelle, de l’accomplissement sexuel, de son moi intérieur, celui que les autres ne connaissent pas, et de l’image que les autres se font de lui, constitue bien un rituel initiatique conduisant ce jeune homme vers l’adulte qu’il devient, qu’il ne connait pas et ne comprend pas encore. « Un instant, il se demande s’il est vraiment hors du commun ».

Ce « Rien » c’est peut-être l’impuissance devant les filles qui essaient de le séduire, l’échec de sa tentative pour monter une pièce de théâtre, l’incapacité de conserver ses amis : des échecs récurrents mais peut-être des passages obligés avant de connaître la réussite. Il comprend finalement qu’il n’est peut-être qu’un solitaire qui trouvera le succès au bout de sa démarche personnelle. « Après tout c’est tellement plus agréable de marcher seul, à son propre rythme de décider seul de ses pauses, de ses accélérations ; c’est le seul moyen de savoir vraiment ce qui se passe en soi ».

Ce texte c’est aussi le doute, l’incertitude, que Philippe Annocque affectionne, il n’affirme jamais, il propose, suggère, avance, …, il semble ne pas savoir, seulement pouvoir supposer ce qui est, ce qui pourrait être, ce qui va advenir : la vie qui oscille entre réalité et rêve. La certitude n’est pas son monde, il se cantonne dans les questions. Un questionnement sans fausse pudeur, traité avec finesse et délicatesse, pour évoquer l’homme qui découvre la vie et les obstacles qu’elle lui propose. Une interrogation sur la nature humaine, sur le moi qu’on ne sait pas qu’on devient. « … C’était une des premières fois qu’il constatait à quel point l’image que l’on pouvait avoir de lui était différente, pouvait être différente de celle qu’il avait de lui-même ;… »

Et, pour moi, un texte à l’image du héros et du narrateur, et de l’auteur peut-être ? un texte intellectuel plus qu’affectif, un texte qui voudrait tout expliquer sans jamais laisser le héros glisser sur le toboggan de ses sentiments, un texte très écrit, travaillé, serré, qui ne laisse aucune place à la fantaisie et qui ne concède qu’un maigre espace à la critique ; l’auteur a tout prévu : « Il se plaît à évoquer l’ignorance de ses futurs lecteurs et à imaginer leurs supputations, il les sent s’organiser en un vaste public qui peu à peu mérite le nom de postérité ».

Mais comme dans ce « Rien » il y a tout ou presque on ne peut que se fier à cette citation de Fritz Zorn que je viens de lire dans « Le pas sage à l’acte » d’André Stas : « Le rien est toujours parfait », alors…

Et vous vivrez...

9 étoiles

Critique de Saule (Bruxelles, Inscrit le 13 avril 2001, 58 ans) - 29 mai 2014

Le héros de ce roman est un personnage très attachant. Il s’appelle Herbert, il est étudiant, et il passe sa vie à se regarder vivre et à se mettre en scène. Il s'observe de l'extérieur, un observateur constamment en train de s’analyser : il se félicite de ce qu’il vient de dire ou de faire, il en imagine l’effet sur la personne avec qui il est. Cette introspection constante l’empêche de jouir du moment présent, lui retirant la spontanéité et l’empêchant de s’oublier dans l’action. C’est d’ailleurs uniquement dans le sommeil ou lors de l’écriture de son roman qu’il parvient à s’oublier et qu’il y trouve une jouissance. Champion de l'introspection, notre héros Herbert s'autorise aussi des instants de rêveries, dans lesquels il joue le film de ses succès futur d’écrivain et de la postérité qui l’attend.

Le livre est une succession de courts chapitres, des instants de vie : on accompagne notre héros dans ses pérégrinations dans le métro et le RER (Herbert a le goût du voyage en métro et en train, ce qui est il est vrai un bon moyen de s’échapper à soi-même), on parcourt avec lui Paris et les banlieues. Herbert aime avoir des relations amoureuses, qui flattent le regard qu’il porte sur lui-même et le regard qu’il imagine que ses amis posent sur lui. Mais il suffit qu’il soit avec une fille pour qu’il pense à une autre, ou alors qu’il ressasse ce que la fille doit penser de lui, et finalement ses relations échouent, car ce n’est qu’en quittant une fille qu’il éprouve le désir pour elle.

J’ai pour ma part trouvé ce personnage très peu sûr de lui et en conflit permanent avec son image très sympathique et très touchant. La bienveillante ironie et le ton décalé de l'auteur y sont pour beaucoup. Le livre est souvent amusant, je pense par exemple à une scène où notre héros regarde se vider l’évier mais, absorbé dans ses pensées, il réalise trop tard qu’il a raté “le meilleur” qui était le siphonnage des dernières gouttes. C’est dire qu’en mettant ainsi en scène sa propre vie, il parvient à donner une dimension épique à la plus banale des actions du quotidien.

Au final, tout est question de regard, celui qu'on a sur soi et celui qu'on imagine être des autres sur nous-même. Herbert ne fait rien, mais il se regarde ne rien faire, et c’est beaucoup : car il a conscience de vivre, et ça veut dire qu’il vit vraiment. A l’opposé, celui qui vit dans l’action, qui s’investit dans quelque chose et s’y oublie sera peut-être heureux, mais aura-t-il vécu ? Ce serait comme jouer dans un film que personne n’a vu, pas même celui qui jouait dedans. En lisant ce livre, j’avais en tête la phrase de Saint Jean, “Je serai en vous et vous vivrez”, et peut-être que dans cette question se trouve la réponse : qui est en nous, et qu’est-ce que veut dire “vivre”.

Introspectif en diable

6 étoiles

Critique de Tistou (, Inscrit le 10 mai 2004, 67 ans) - 28 avril 2014

« Rien (qu’une affaire de regard) » n’est autre que la ré-édition du premier roman de Philippe Annocque « Une affaire de regard ».
« Apprentissage amoureux » ont écrit les Inrocks, apprentissage de la vie d’adulte, dirai-je, aussi.
Notre homme, c’est Herbert. Tendance velléitaire. Tendance à vouloir, pas forcément à passer à l’acte. Conséquemment, Philippe Annocque nous détaille, nous dissèque, les raisons de ses envies. Pourquoi il a envie, et envie de ça et pas d’autre chose. Du coup, ça en fait un roman énormément introspectif – par moments j’ai pensé « à se regarder le nombril », carrément – et évidemment, d’autant plus introspectif qu’il n’y a pas de passage à l’acte véritable.
Herbert est un jeune homme, pas encore sorti de l’adolescence – au moins dans sa tête. Herbert écrit. Il écrit un roman, il a écrit une pièce de théâtre qu’avec ses amis, plutôt entrainés par eux d’ailleurs, il se met à monter. Herbert connait ses premiers émois amoureux, il a un relatif succès auprès des filles mais a bien du mal à adapter son comportement à la réalité des situations. On l’a dit, Herbert est velléitaire. Herbert est étudiant, mais pour rire. Sa grande affaire reste ce roman qu’il jette sur feuille jour après jour.
A vrai dire, Herbert n’est que balloté, au gré des situations rencontrées, au gré des idées de ses amis ou des humains au contact desquels il entre.
Alors oui, il a envie de monter sa pièce de théâtre, de la mettre en scène, mais il ne s’agit pas de sa réelle idée, envie, à lui. C’est une démarche d’amis, qui va tourner à l’eau de boudin puisqu’il ne s’appropriera pas la démarche, qu’il ne la prendra pas réellement à son compte.
Alors oui, il rencontre des jeunes filles mais les relations tournent au quiproquo, à l’acte manqué en permanence. C’est qu’Herbert est resté adolescent. Il n’a pas fait sa mue. Et la théorie sous-jacente, in fine, de Philippe Annocque, laisse à penser que la suppression du Service Militaire n’est pas forcément un service rendu aux jeunes générations !
C’est bien écrit, d’une plume fluide pour ce qui concerne le style. Là où j’ai eu des réticences, c’est sur le fond. Cette absence d’investissement d’un qui pourrait peut-être, d’un qui n’a pas compris que pour réussir quelque chose il faut se donner du mal (à cet Herbert là, je donnerais bien le conseil de se donner comme but l’accomplissement d’un Marathon, avec tout ce que cela signifie en terme d’investissement personnel à mettre en place !).
Oui, c’est cette impression de pensées qui tournent en volutes sans fin, sans amorce de la cristallisation qui permettrait de passer à l’acte. A un acte.

« Il a les yeux au plafond, les mains sous sa nuque ; il est allongé sur son lit et il pense. Il pense quelque chose comme ça : « il est étendu sur son lit, les yeux au plafond, et il pense … » Il ne pense pas que cela, bien sûr ; mais cela lui permet de penser avec plaisir, le plaisir d’être un autre, de laisser un autre penser, de regarder un autre penser, en se disant que c’est soi-même. »

Petit Herbert deviendra grand...

8 étoiles

Critique de Nathafi (SAINT-SOUPLET, Inscrite le 20 avril 2011, 57 ans) - 7 décembre 2012

Herbert, jeune homme un peu paumé, se sent en marge des autres... Il se confine dans la certitude qu'il est singulier, et le cours de sa vie le conforte dans cette perception.
Il y a les filles, d'abord, près desquelles il rencontre un certain succès, en tant qu'ami, confident, complice... D'un point de vue sentimental, par contre, il se perd aisément... Et ses exploits ne sont guère reluisants, il papillonne de conquête en conquête, s'assurant et se rassurant sur son pouvoir de séduction.
Il y a aussi ses études, auxquelles il ne consacre pas beaucoup de temps.
Sa pièce de théâtre, quant à elle, a beaucoup d'importance. Il en est l'auteur et le metteur en scène, et mène sa petite troupe tant bien que mal, voyant son projet se profiler à l'horizon.
Puis vient son roman, LA chose indispensable à ses yeux. Tout au long du roman, on le voit griffonnant ses cahiers, s'étonnant lui-même de tant d'inspiration, surtout quand il en voit la fin.

Herbert est torturé, son esprit va et vient, ses pensées sont confuses, se mêlent, se démêlent, il pense à vitesse grand V, à puissance DIX, sans arrêter, jamais. Même allongé il cogite, toujours, ne s'accordant que peu de répit.
C'est la vie qu'il découvre, tout simplement, Herbert, comme d'autres jeunes un peu, beaucoup, livrés à eux-mêmes, avec leur ignorance due à leur manque d'expérience, leurs doutes, leur soif de découverte...

Philippe Annocque nous entraîne dans les méandres de la pensée d'Herbert, avec un rythme soutenu, une riche plume et un regard sans pitié.
Et on lui souhaite, à Herbert, que le temps passant, son esprit s'apaise...

Message de la modération : Cette critique se réfère à la première édition (Seuil)


Le narcissisme d'Herbert

8 étoiles

Critique de Dirlandaise (Québec, Inscrite le 28 août 2004, 68 ans) - 30 octobre 2012

Difficile début de lecture. Difficile d’aimer un livre lorsque le personnage principal vous tape royalement sur les nerfs avec son narcissisme aigu et sa propension à tenter de coucher avec toutes les filles rencontrées et ce, malgré une impuissance chronique. Mais il soigne son image le mec et il exulte lorsqu’il rencontre une connaissance alors qu’il se trouve en bonne et surtout belle compagnie. Herbert, car là est son prénom, est obsédé par son image. Il craint l’opinion et le jugement des autres et il fait tout pour passer pour celui qu’il n’est pas : un gars ayant du succès au lit et comblé par les attentions féminines nombreuses dont il fait l’objet. Mais heureusement, Herbert a d’autres activités autrement plus intéressantes que la poursuite des jupons. Il écrit un roman. Péniblement mais sûrement. Ah oui, il est aussi l’auteur d’une pièce de théâtre qu’il tente de monter avec l’aide de comédiens amateurs peu fiables. Bref, notre héros se débat avec sa vie et tente de garder la tête hors de l’eau malgré tous les déboires qui parsèment sa route. Il accumule d’ailleurs les échecs au point qu’il en devient fier et considère cela comme une réussite.

J’espère ne pas en avoir trop raconté mais il m’arrive souvent de le faire suite à ma fâcheuse habitude dont j’ai bien du mal à me défaire. Bon, j’ai lu les cent premières pages avec exaspération mais j’ai tenu bon car je voulais terminer ce roman et finalement, comme j’étais envoûtée par le style et surtout par l’histoire, tout se termine. Je suis légèrement frustrée car j’aimerais bien savoir ce qu’il advient d’Herbert et connaître la suite de ses aventures.

Finalement, j’ai bien aimé le roman. J’ai cependant beaucoup de réserves notamment au niveau des personnages qui restent bien flous et ne se résument souvent qu’à un prénom. Ils ne possèdent pas de réalité propre, pas de passé, pas d’histoire. Ils apparaissent dans la vie d’Herbert comme des fantômes désincarnés, contribuant à intensifier l’atmosphère cérébrale dans laquelle se meut le jeune homme obsédé par ses pensées et sa vie psychique qui ne lui laisse pas le moindre répit. Le récit flotte, n’est pas ancré dans la réalité suffisamment à mon avis mais le style est de haut niveau et l’écriture irréprochable. Pourtant, j’éprouve un manque, comme un regret. J’aurais aimé plus d’action car franchement, il ne se passe pas grand-chose dans le vie d’Herbert sauf à la fin mais bon, je me résigne à ne pas savoir ce qu’il advient de mon héros et de sa triste vie.

Message de la modération : Cette critique se réfère à la première édition (Seuil)


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  L'auteur parle de son livre sur France Culture 17 Saule 16 juin 2014 @ 10:20

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