Mort de la littérature de Raymond Dumay

Mort de la littérature de Raymond Dumay

Catégorie(s) : Littérature => Biographies, chroniques et correspondances

Critiqué par Jlc, le 24 septembre 2009 (Inscrit le 6 décembre 2004, 80 ans)
La note : 8 étoiles
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De la dictature de la médiocrité tempérée par le talent

C’est ainsi que Raymond Dumay, par ailleurs grand oncle par alliance d’Amélie Nothomb, qualifie la vie littéraire française…de 1950 dans un pamphlet qui fit date, comme celui de Julien Gracq paru à la même époque « La littérature à l’estomac », et qu’on a eu la bonne idée de rééditer.
Raymond Dumay fut un érudit touche à tout qui se définissait comme « indifférent et passionné, attentif et futile, inconstant et fidèle », bref plein de contradictions mais qui gardait de ses origines paysannes, il fut en temps berger, un solide bon sens et un écriture simple et claire.
1950 apparaît à nos yeux comme une époque magnifique pour la culture française quand Claudel et Gide vivaient encore, quand Sartre et Camus venaient de percer, quand Mauriac, Giono, Jouhandeau, Montherlant ou Malraux, dans une moindre mesure, continuaient leur œuvre, quand la France eut quatre prix Nobel entre 1947 et 1960. Sans parler d’Aragon, Vailland, Yourcenar, Cohen, Céline, Simenon. Or Dumay, leur contemporain compare « le royaume des lettres en 1950...au royaume de France à la mort de Louis XIV : Un grand hôpital désolé et sans provision ».
Pourquoi donc ? Par manque de lecteurs qui se sont faits rares moins pour des raisons exogènes à la littérature, le coût de la vie ou les impôts par exemple, que par défaillance des écrivains. Et Dumay d’y voir pour cause principale la nécessité pour eux d’aller au plus pressé : le pain du lendemain. Les écrivains de ces années là ont, pour survivre, travaillé dans des journaux, sacrifié à une littérature alimentaire plus rémunératrice. Ceux qui ont persévéré dans la « vraie littérature » sont ceux qui se sont, dans leur vie, refusé au risque en se faisant fonctionnaires et surtout professeurs , gens très honorables certes mais peu faits pour répondre aux goûts nouveaux : « De nos jours, la grande littérature se fait sur les grandes routes. La psychologie confinée entre quatre murs ne passionne plus le monde. »
Moins de bons livres et encore moins de livres exportables avec pour conséquence la prépondérance, déjà, de la littérature anglo-saxonne. Le pamphlet devient alors cruel quant il raille cet homme conçu par les Français comme universel alors que cette abstraction a été créée avec ses traits les plus singuliers. « Notre image des sentiments ne vaut que pour nous-mêmes. »
L’auteur développe l’idée que « tous les chefs-d’œuvre n’ont pas été écrits dans une mansarde sans feu par des jeunes gens faméliques ». Tant qu’un écrivain a de l’argent pour vivre, il peut écrire de grands livres. Quand il est dans la gêne et doit constamment se préoccuper de son existence quotidienne et du temps qu’elle ronge au détriment de sa création, il n’en produit que par hasard. Et de citer Bernanos, Lamartine, Valéry, Baudelaire, Péguy ou Proust, les uns fortunés, les autres pas. Et tout y passe, les prix littéraires faits non pour les meilleurs livres mais pour ceux qui en ont le plus besoin, le copinage des critiques mais « comment reprocher à des auteurs pauvres de faire soutenir par tous les moyens leurs pauvres livres ? » Conséquence de tout ceci : la mauvaise littérature chasse la bonne.
Pour sauver la littérature française il faut des auteurs et des lecteurs. Raymond Dumay énumère une série de dispositions qui pourraient faciliter la vie des écrivains, susciter des vocations en leur laissant le temps d’écrire, sachant bien sûr que, dans ce milieu, « le mot argent est aussi mal reçu que le mot chien dans une tragédie de Racine ». Pour faciliter la lecture, s’il faut garder librairies et bibliothèques, il faut aussi être sur les lieux de vie et donc changer le mode de distribution des livres, par exemple en rendant disponible dans une station service le « dernier Pierre Benoît » (voila qui fera plaisir rétrospectivement à Antinéa !) Et de constater sombrement que « les mauvais livres sont partout et les bons restent sur les rayons des bons libraires ».

Même si je ne suis pas toujours Dumay dans son diagnostic et ses propositions, j’ai beaucoup aimé ce petit livre très bien écrit, sans brio inutile. Il est toujours d’actualité et la polémique pourrait resurgir sur bien des points On y retrouve des travers de notre monde littéraire actuel et, si les noms ont changé, la description de ce milieu reste d’une pertinence aiguë. Ce que dénonçait Dumay, d’une écriture certes excessive, mais c’est la loi du genre du pamphlet, se retrouve souvent aujourd’hui, amplifié par l’hyper médiatisation et les dérives qu’elle entraîne. Son inquiétude devant la montée en puissance de la littérature anglo-saxonne, son intérêt pour les ateliers d’écriture des universités américaines, si décriés de ce côté-ci de l’Atlantique, son alarme devant le rétrécissement de la littérature française à l’étranger, sa crainte de la vulgarité triomphante d’une littérature alimentaire sont autant de points que cet érudit clairvoyant a su percevoir avant les autres, sans que, hélas, bien souvent ce fut efficace.
Mais restons optimistes et suivons Eric Chevillard qui dans une magistrale préface se demande si nous ne nous trompons pas en dénigrant notre époque comme Dumay s’est trompé, au moins sur ce point là, en dénigrant la sienne.
Une lecture revigorante.

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Les éditions

  • Mort de la littérature [Texte imprimé] Raymond Dumay [présentation de l'auteur] par Marylène Duteil préface d'Éric Chevillard
    de Dumay, Raymond Chevillard, Éric (Préfacier)
    Stock
    ISBN : 9782234063440 ; 12,81 € ; 16/09/2009 ; 180 p. ; Broché
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