Les larmes d'Eros de Georges Bataille
Catégorie(s) : Littérature => Francophone , Sciences humaines et exactes => Essais
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2001 : L'odyssée d'Eros
Dans ce petit traité au bien joli titre, Bataille se propose de nous conter une histoire de l'érotisme. Pour ce faire, il remonte, dans une première partie foisonnante, jusqu'à la préhistoire et nos ancêtres les grands singes. Selon Bataille, en effet, l'érotisme est, après le travail et avant la guerre, ce qui marque la fin du processus de transformation du primate en homme.
A l'origine, donc, le travail par lequel celui qui n'est pas encore homme développe sa réflexion en inventant de nouveaux outils qui rendront sa chasse plus efficace. En corollaire du travail apparaît, comme chaque enfant - et adulte - le sait, le jeu, la distraction. Dès lors, l'acte sexuel va se détacher de sa fonction reproductive instinctive et animale pour devenir un plaisir recherché et... hé bien, humain.
Ainsi, Néanderthal et les siens font leurs premiers pas dans l'humanité en s'introduisant dans la grande porte - ou peut-être, d'ailleurs, la petite, qui sait ? - du désir sexuel. Cependant, bien vite, cet érotisme va être associé, toujours selon Bataille, à l'idée de mort: elle gêne cette sensualité, elle met mal à l'aise et il y a quelque chose de violent en elle, autant de traits communs avec sa cousine à la faux. D'ailleurs, la première représentation qui en sera faite, au fin fond des grottes de Lascaux, associera explicitement les deux thèmes : là, sur un mur, on voit en effet un homme à tête d'oiseau et au sexe droit allongé devant un bison agonisant et déversant ses entrailles. C'est la naissance de la "petite mort".
La seconde partie, moins riche, après un bref retour sur les liens entretenus entre le sexe et la religion - celui-ci étant d'abord célébré dans l'Antiquité avec les cultes de Bacchus/Dionysos avant que, décadence romaine oblige, la conservatrice Eglise renvoie l'homme à l'état d'animal en limitant le sexe à la procréation - la seconde partie, donc, après ce bref aparté, se résume à une (très) succincte histoire de l'art érotique du Moyen-Age à nos jours, de l'art religieux (où la place du sexe est, bien entendu, aux Enfers) à Degas et Delacroix, en passant par le maniérisme, Sade et Goya.
Ce qu'on pourra regretter, principalement, c'est que Bataille ait décidé de se lancer dans cette entreprise sur son lit de mort. Le tout est incroyablement confus et elliptique, comme si, sentant l'urgence, Bataille avait sacrifié des raisonnements qui auraient mérité d'être développés plus en profondeur. Mais l'ensemble n'est somme toute pas inintéressant.
La première partie, notamment, saura récompenser le lecteur qui acceptera de se dépatouiller avec le style emberlificoté de Bataille (même si on pourra lui opposer que certains grands singes utilisent, eux aussi, des outils rudimentaires et que certaines espèces, comme les bonobos, s'adonnent autant aux plaisirs de la chaire que leurs cousins humains).
Et puis il y a cette idée, centrale, du lien entre érotisme et mort. Là encore, Bataille ne pousse pas son raisonnement au bout, se contente d'esquisser quelques pistes de réflexions qu'il abandonne parfois pour une sorte de fascination sordide pour Sade, et tout ceci devient même un peu malsain lorsqu'il aborde Gilles de Rais (qui prenait son pied à voir des gosses mourir) et qu'il trouve une dimension érotique à un supplicié chinois. Mouais... Cependant, si la réflexion de Bataille peine parfois à convaincre, elle a le mérite d'interpeller. Les thèmes abordés (érotisme, donc, mais aussi travail, mort, religion...) étaient sans doute trop ambitieux pour être traités en une soixantaine de pages écrites dans un dernier souffle, mais l'ouvrage livre tout de même quelques pistes intéressantes sur lesquelles on aura plaisir, soi-même, à revenir.
Les éditions
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Les larmes d'Eros de Georges Bataille
de Bataille, Georges
10-18
ISBN : 9782264035806 ; 3,00 € ; 07/10/2004 ; 125 p. ; Poche
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