Une si longue lettre de Mariama Bâ

Une si longue lettre de Mariama Bâ

Catégorie(s) : Littérature => Africaine , Littérature => Francophone

Critiqué par Débézed, le 20 octobre 2008 (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 78 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 9 étoiles (basée sur 4 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (12 712ème position).
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La condition de la femme africaine

« Modou est bien mort, Aïssatou. » Après le décès de son mari, Modou, Ramatoulaye écrit une longue lettre à sa meilleure amie qui a quitté son mari depuis un certain temps déjà. « Amie, amie, amie ! Je t’appelle trois fois. Hier, tu as divorcé. Aujourd’hui, je suis veuve. » La veuve de Mario dans l’ouvrage de Miguel Delibes, « Cinq heures avec Mario », dresse le portrait du mari tel qu’elle ne l’a pas connu et fait l’inventaire des erreurs qu’elle a faites, mais Ramatoulaye raconte d’abord comment sa meilleure amie a laissé son mari quand il n’a pas pu ni su résister à la demande de sa mère qui lui imposait une nouvelle épouse. Elle raconte ensuite sa propre mésaventure qui a vu son mari s’enticher d’une camarade de sa fille et comment elle a décidé de vivre en marge de cette nouvelle épouse.

« Privilège de notre génération, charnière entre deux périodes historiques, l’une de domination, l’autre d’indépendance. Nous étions restés jeunes et efficaces, car nous assistions à l’éclosion d’une République, à la naissance d’un hymne et à l’implantation d’un drapeau. » Mais, les traditions sont toujours vivaces en Afrique et les hommes ont bien peu de considération pour les femmes et surtout celles qu’ils ont épousées. C’est un long réquisitoire à l’encontre de ces traditions, des hommes et des femmes qui manipulent les hommes que dresse Mariama, mais aussi un regard lucide qu’elle jette sur cette Afrique qui balance entre modernité et tradition, entre l’Europe et la négritude.

C’est un texte sombre sans bien peu d’espoir, les enfants seront-ils « Fin ou recommencement ? », que livre cet excellent écrivain qui écrit dans une langue remarquable de justesse, de rythme et de vie. Une lettre sans concession pour ces Africains qui n’ont pas délaissé leur mœurs discriminatoires où les castes et les classes ne se mélangent pas, où l’éducation, pour les filles surtout, n’est pas encore une priorité.

Quand l’Afrique saura-t-elle allier la sagesse africaine à l’instruction des blancs ?

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Etat des lieux sur la polygamie en Afrique de l'ouest

9 étoiles

Critique de Pucksimberg (Toulon, Inscrit le 14 août 2011, 45 ans) - 23 septembre 2025

Ce roman donne la parole à Ramatoulaye, qui écrit une lettre à son amie Aïssatou dans laquelle elle évoque la condition féminine au Sénégal en accordant particulièrement de l'attention à la polygamie. Toutes les deux ont été confrontées à un époux qui a épousé par la suite une femme bien plus jeune, une coépouse. Aïssatou a divorcé de son époux quand la situation s'est présentée alors que Ramatoulaye n'a pas opté pour cette solution. Elle a eu 12 enfants avec son époux, s'est mariée avec lui par amour mais souffre de ce sentiment qu'il transfère sur une jeune femme.

En de courts chapitres, l'écrivaine permet d'entrer dans les secrets de la polygamie. Dans notre imaginaire, peut-être que l'on aurait tendance à se figurer une sorte de sérail domestique. Dans les descriptions faites par le personnage féminin principal, il n'en est rien. Le conjoint découche, donne très peu de nouvelles, semble abandonner épouse et enfants. Cette souffrance est décrite habilement dans le roman sans tomber dans le pathétique. Elle se sent abandonnée avec ses enfants. les symptômes décrits rappellent ceux de la séparation amoureuse. L'on suit la vie de cette maman avec ses enfants, ses inquiétudes légitimes, les propositions de mariage faites suite au décès de son époux, ce qui rentre dans les coutumes africaines. Ramatoulaye évoque cette difficulté à faire le deuil en étant déjà confrontée à des demandes en mariage de personnes proches.

Le roman est touchant et se révèle d'une grande modernité. Il a été publié en 1979 et Mariama Bâ prend clairement position dans ce roman en défendant la cause féminine, en donnant à voir ce qui est ignoré. L'écrivaine ne tombe pas dans des remarques naïves. Ramatoulaye est mariée à un homme qu'elle aime, ce n'est pas un mariage arrangé. Les blessures éprouvées par la femme confrontée à l'apparition d'une coépouse sont abordées. Une réflexion féministe peut être engagée si l'on considère ces femmes vues comme au service du plaisir masculin et seulement réduite au rôle familial de maman.

Le roman est sensible, plein de vie et porteur d'espoir malgré tout. Il peut éveiller les consciences en abordant avec justesse la condition féminine. Le roman vient d'être adapté au cinéma et rencontre un franc succès en Afrique de l'ouest en dépassant les scores des blockbusters américains. Aucun producteur pour le circuit européen à ce jour. Le roman est considéré en Afrique comme un classique.

une femme africaine

10 étoiles

Critique de Jfp (La Selle en Hermoy (Loiret), Inscrit le 21 juin 2009, 77 ans) - 28 octobre 2018

Ce roman épistolaire décrit par le menu la condition de la femme, soumise à la toute-puissance de la famille de son mari et aux quatre volontés de celui-ci, en terre d’islam version sénégalaise. Veuve, dépouillée de ses biens chèrement acquis au cours de trente années de mariage, Ramatoulaye se confie à sa meilleure (et seule) amie Aïssatou, qui elle a fait le choix de ne plus subir cette condition de dépendance extrême. Le récit, cheminant à travers les divers personnages que l’on découvre au fil de cette très longue lettre, dresse un terrible réquisitoire contre les abus d’une soi-disant tradition asservissant l’individu, de son plus jeune âge au seuil de la vieillesse, au pouvoir de la sacro-sainte famille. L’homme aussi est victime de cette négation de la dignité individuelle, mais sa condition demeure néanmoins à cent coudées au-dessus de celle de la femme, que dénonce avec un réel bonheur d’écriture ce fleuron des lettres africaines qu’est Mariana Bâ. Puisse un tel témoignage réveiller les consciences…

Triste sort

7 étoiles

Critique de Sissi (Besançon, Inscrite le 29 novembre 2010, 55 ans) - 14 avril 2011

C'est un témoignage fort que cette femme sénégalaise offre à travers cette "si longue lettre" qu'elle adresse à son amie.
Une femme qui se retrouve seule, quand son mari en épouse une autre, et qui perd aussi un peu d'elle même au moment de la mort de ce dernier, au nom des traditions encore bien ancrées:

"C'est le moment redouté de toute Sénégalaise, celui en vue duquel elle sacrifie ses biens en cadeaux à sa belle-famille, et où, pis encore, outre les biens, elle s'ampute de sa personnalité, de sa dignité, devant une chose au service de l'homme qui l'épouse (...)."


Aïssatou, la destinataire de la lettre, est partie quand son mari lui a annoncé qu'il épousait une autre femme, elle écrit alors elle aussi une lettre à cet époux volage mais sûr de son bon droit, dont voici un extrait:

"Mawdo,

Les princes dominent leurs sentiments pour honorer leurs devoirs. Les "autres" courbent leur nuque et acceptent en silence un sort qui les brime.
Voilà, schématiquement, le règlement intérieur de notre société avec ses clivages insensés. Je ne m'y soumettrai point."

La polygamie, encore en vigueur alors que la société évolue (les deux femmes travaillent), apparaît comme une contradiction qui fait bien des ravages.

Ecrit sobrement, mais avec beaucoup d'humanité et de coeur, ce récit est un beau portrait de femme qui cherche à s'émanciper et qui aspire à changer la société dans laquelle elle vit.

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