La Saint-Barthélemy : Les mystères d'un crime d'Etat, 24 août 1572 de Arlette Jouanna
Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Histoire
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Chronique d’un dimanche de sang
18 août 1572 : Même si l’atmosphère reste lourde, Paris est en liesse pour le mariage de Marguerite de Valois, la jeune sœur du roi catholique Charles IX, avec Henri, le roi protestant de Navarre. Ils n’ont pas 20 ans et leur union est le symbole de la paix retrouvée depuis la signature, en 1570, de l’édit de Saint Germain (sur lequel l’écrivain belge Francis Walder a écrit un très beau roman, « Saint Germain ou la négociation », prix Goncourt 1958) censé mettre fin aux guerres dites de religion qui ont ravagé le royaume. L’article 1 de l’édit demande certes « l’oubli du passé » ce qui induit pour le pouvoir royal une politique d’équilibre marquée notamment par l’entrée au Conseil du roi du chef des protestants Coligny perçue par certains catholiques comme la trahison de leur foi. Des prédicateurs vont jusqu’à affirmer que « Saint Germain n’est pas une paix mais un blasphème ». La méfiance est trop forte, trop dévastatrice pour que « L’amnésie imposée » ne soit bientôt plus qu’une utopie.
22 août 1572 : Coligny est blessé dans un guet-apens et le roi lui manifeste sa compassion attentive.
24 août 1572 : La Seine est un fleuve rouge, gorgée du sang des cadavres d’hommes, de femmes, d’enfants protestants auxquels leurs bourreaux catholiques refusent toute sépulture dont ils les jugent indignes. Coligny est abattu ainsi que les nobles protestants (à l’exception d’Henri de Navarre), la population parisienne se livre à un véritable carnage, le reste du royaume va suivre et, une semaine plus tard, on comptera quelques dix mille morts.
Mais comment a-t-on pu en arriver là, comment expliquer un tel revirement ?
Bien des historiens ont vu dans la mère du roi, Catherine de Médicis, une coupable toute trouvée qui aurait voulu abattre Coligny lequel « gouvernait trop l’esprit du roi » (il a 22 ans) au détriment de sa mère, longtemps régente absolue. Son coup ayant échoué et craignant d’être dévoilée elle aurait persuadé son fils d’éliminer la communauté protestante, source de contestation du pouvoir royal.
Arlette Jouanna, en historienne, récuse une explication plausible mais mal étayée par les textes tout comme elle ne retient pas davantage une querelle privée qui aurait mal tourné entre le très catholique duc de Guise et Coligny. Le massacre de la Saint Barthélemy est un crime d’Etat commis par un roi très soucieux de sa majesté royale, froissé du peu d’égards que lui manifeste le chef des Protestants dont le gendre a par ailleurs menacé le roi de se faire justice lui-même. Charles IX y aurait vu un déni de souveraineté et, dans sa jeunesse et sa faiblesse, aurait décidé en conseil royal, composé ce soir là d’ultra catholiques, d’exécuter en urgence les chefs protestants et donc sans autre forme de procès. C’est un crime politique et non le prurit d’un fanatisme religieux.
Cette première Saint Barthélemy, voulue par le pouvoir, fut suivie d’une seconde, imprévue. En effet le tumulte nocturne fut attribué à tort aux Huguenots par des Catholiques trop heureux d’en découdre et qui se livrèrent à un véritable carnage. Ce fanatisme fut encouragé par certains chefs ultra qui poussèrent la population à ces massacres tant au nom du roi que d’une sorte de légitime défense : puisque l’ennemi veut nous tuer, il faut l’exterminer avant. C’est ainsi que le bourreau s’autoproclame victime et se justifie.
Charles IX, horrifié, s’enferme dans son palais, non sans avoir dit : « Qu’on les tue tous et qu’il n’en reste aucun pour me le reprocher ».
Arlette Jouanna démonte ensuite le montage médiatique qui entend dissocier l’exécution des notables (présentée comme une décision royale au nom de l’intérêt supérieur du pays) des tueries urbaines qui seraient dues à l’émotion populaire suscitée par la rumeur du coup de force dont aurait pu être victime le souverain. Ce discours est notamment destiné aux autres cours européennes qui ont été extrêmement choquées par ce qui s’est passé en ce dimanche d’août à Paris. S’en suivit tout un débat sur la raison d’Etat à laquelle certains, citant Saint Augustin, opposeront la légitimité de la désobéissance quand la cause de Dieu est trahie.
« La Saint Barthélemy a fixé le destin catholique de la France et accéléré l’évolution vers le pouvoir absolu qui sera au siècle suivant celui des Bourbon. »
Arlette Jouanna, s’appuyant sur une solide documentation, livre une interprétation nouvelle sur cette affaire extrêmement mystérieuse et dont certains points restent encore obscurs. Elle brosse un très large portrait de la société de ce temps là, démontant les mécanismes qui inexorablement conduisirent à ces crimes puis à ce carnage. Elle sait mêler érudition et intuition, rigueur de l’universitaire et plaisir de raconter, précision du récit et réflexion sur le pouvoir. C’est à la fois un « thriller » historique (qui a fait quoi ? qui est l’assassin ? quel est le mobile ?) et un livre très moderne qui nous renvoie à nos interrogations contemporaines sur la vie ensemble de communautés dont les différences sont trop souvent imaginées comme des menaces.
Ce crime d’Etat fut une des pages les plus tragiques de notre histoire qui, hélas, sera ensuite parsemée de bien d’autres, tant au nom de l’intérêt supérieur de l’Etat que d’idéologie, de racisme, de fanatisme, de mauvaise foi, de cupidité ou de sournoise ambition. Datant de plus de quatre cents ans cette journée qui, elle aussi, a fait la France est annonciatrice de malheurs futurs. C’est ce qu’Arlette Jouanna rend remarquablement bien et qui fait aussi de ce livre une réflexion pour comprendre le présent.
Les éditions
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La Saint-Barthélemy [Texte imprimé], les mystères d'un crime d'État Arlette Jouanna
de Jouanna, Arlette
Gallimard / Les Journées qui ont fait la France
ISBN : 9782070771028 ; 26,40 € ; 11/10/2007 ; 407 p. ; Broché -
La Saint-Barthélemy [Texte imprimé], les mystères d'un crime d'État Arlette Jouanna
de Jouanna, Arlette
Gallimard / Collection Folio. Histoire
ISBN : 9782072748868 ; 9,70 € ; 19/10/2017 ; 528 p. ; Broché
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Paroxysme
Critique de Vince92 (Zürich, Inscrit le 20 octobre 2008, 47 ans) - 19 avril 2022
Le 22 août de 1572, Coligny est victime d’un attentat sans qu’on sache qui est le commanditaire. Passant à deux doigts de la mort, l’Amiral, bien que recevant la visite de Charles IX et ses promesses de justice ne fait rien pour retenir l’excitation de son camp et en profite pour requérir une nouvelle fois l’aide portée aux Gueux des Pays-Bas. Dans la soirée du 23 août, Charles IX et son conseil décident d’éliminer les chefs Protestants qui résident encore à Paris : le roi après avoir tenté de faire croire qu’il s’agissait d’une initiative de la famille des Guise va bien vite reprendre l’action à son compte en justifiant cet ordre par un acte de la justice extraordinaire du roi dans le cas manifeste d’un crime de lèse-majesté.
Bientôt, la population de Paris acquise au parti catholique et chauffée à blanc déclenche une seconde Saint-Barthélemy et s’attaque systématiquement à tous ceux qui se réclament de la religion réformée (comme d’habitude dans ces cas on a sans doute un peu dépassé ces limites pour inclure des ennemis, des concurrents etc…) ce malgré les ordres explicite du Roi qui voulait préserver la concorde dans son royaume. Au lieu de cela le massacre s’étend plusieurs jours durant à Paris mais aussi dans d’autres villes du royaume pour un total de victimes approchant sûrement les 30000 morts.
Arlette Jouanna démontre dans ce livre comment les événements se sont naturellement enchaînés pour terminer sur un massacre que l’histoire de France retient comme un jour d’infamie. L’historiographie, au travers de la légende née de la nature même de l’événement et de la réaction des contemporains, a fait de ce moment de paroxysme de violence et de libération d’une tension qui en vérité durait depuis près de deux années, un moment de division du pays tel qu’il n’en avait pas connu, ni n’en connaîtra d’autre de cette ampleur. Le Roi, usant de son droit de justice extraordinaire a entériné paradoxalement cette division : lui et sa mère qui voulaient rétablir la concorde en leur Royaume ont accéléré la marche vers la quatrième guerre de Religion. En vérité, le cours des événements semblait être tracé et la réaction de la populace parisienne est un révélateur puissant des forces antagonistes qui divisaient le pays. Un antagonisme religieux certes, qu’il ne faut pas écarter car il demeure la première motivation de la population française au XVIe siècle. Un antagonisme politique surtout qui oppose d’abord la centralité du pouvoir royal aux grandes familles de province (Bourbons, Condé, Coligny, etc…), une vision « géopolitique » divergente : Europe catholique sous influence du Pape et de l’Espagne (position des Guise) contre une alliance avec les forces de l’Europe protestantes (Angleterre, Provinces-Unies rebelles, cantons suisses)…
Le livre d’Arlette Jouanna (disparue en ce début de 2022) est très éclairant, il resitue l’événement dans son contexte, explique la mécanique implacable du massacre, examine sa réception et analyse les justifications des partisans du roi et de ses détracteurs. Une lecture indispensable pour qui souhaite comprendre les ressorts de la guerre civile en France au XVIe siècle.
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