L'armistice de Rethondes de Pierre Renouvin
Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Histoire
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Résultat et prélude
Une armistice est toujours un résultat et un prélude. Celui de Rethondes est tout à la fois la fin d’une époque, le dix-neuvième siècle en quelque sorte, et le porteur, ignoré alors, des plus grands drames à venir du vingtième siècle.
« L’armistice de Rethondes » de Pierre Renouvin est tout à fait remarquable par l’intelligence du propos, la qualité de la documentation, le travail de l’historien qui vérifie avant de dire, la clarté lumineuse du style de ce grand universitaire, le sens du récit.
Une des premières qualités du livre est de toujours présenter les points de vue des différentes parties au conflit. Ainsi voyons-nous successivement la progression vers l’armistice tant du côté des puissances centrales que de l’Entente. Il analyse, explique, s’interroge avant de présenter sa thèse. Mais Renouvin ne raconte pas la journée du 11 novembre 1918 avec la signature de l’armistice à 5 heures du matin, son application effective à 11 heures, la joie exaltante et la fierté chez les uns, l’amertume et le désarroi chez les autres, ce silence enfin qui, soudain, tombe sur le front. Il n’est pas le chroniqueur d’une journée mais l’historien d’un événement d’une toute autre ampleur dont il retrace et explique la genèse, l’avènement et les conséquences immédiates.
D’une certaine façon, tout commence le 8 janvier 1918 quand le président des Etats Unis, Wilson, présente les quatorze principes qui lui paraissent les conditions indispensables d’une paix durable et dont le plus important est, peut-être, le respect du sentiment national et du consentement des peuples.
Début 18, c’est aussi le moment où la conduite de la guerre des états démocratiques (Empire britannique, France, Belgique et maintenant les Etats Unis) est assurée plus fermement que dans les puissances centrales.
Mais, en mars, le traité de Brest-Litovsk avec les Russes libère le front Est et doit permettre le transfert de troupes allemandes vers le front Ouest. Le « premier quartier-maître général », Ludendorff dépeint comme un grand chef, sait qu’il a de quatre à six mois, avant l’arrivée massive de nouvelles troupes américaines, pour faire la différence par une décision militaire.
La seconde bataille de la Marne va tout changer car Ludendorff s’est trompé en croyant Foch, son homologue de l’Entente, incapable de lancer des offensives. En août, on sait la guerre perdue mais on attend une situation plus favorable pour ouvrir des négociations. Fin septembre, l’offensive des alliés conduit Ludendorff à exiger de son gouvernement l’ouverture de négociations d’armistice. « Je veux sauver mon armée. »
Comment en est-on arrivé là ? Renouvin explique le problèmes des effectifs, l’inadéquation de l’armement allemand, le fait que l’Etat Major n’est jamais « challengé » par le gouvernement ou le Kaiser Guillaume II et enfin la crise personnelle que vit Ludendorff, un homme qui « ne sait pas ce qu’est un compromis ou une hésitation. » Il s’intéresse aussi aux faiblesses gouvernementales, à l’évolution de l’opinion telle que la révèle sa lecture des journaux de l’époque. C’est raconté avec un art du récit qui est tout à fait magnifique et fait que ce livre se lit très facilement et avec un plaisir qui ne se dément jamais.
L’Allemagne s’adresse aux Etats Unis le 5 octobre et Wilson va engager seul les négociations, sans concertation de ses alliés. La renonciation de la Bulgarie, l’affaiblissement de l’Empire Ottoman, l’effondrement de l’Autriche-Hongrie, les gros revers de l’armée allemande, le départ de Ludendorff qui a fait, mais trop tard, volte-face conduisent l’Allemagne à accepter le 27 octobre toutes les conditions posées par Wilson.
Tout ceci est raconté avec brio, clarté et pédagogie ainsi que l’enchaînement extraordinaire des évènements, la poussée des mouvements nationalistes, l’emprise de Wilson, la crainte de la prise de pouvoir en Allemagne par les Bolcheviks, la proclamation de la République née d’une confusion et d’un malentendu.
Renouvin livre alors sa thèse : c’est l’effondrement militaire qui est la cause de la défaillance du moral de la nation et non l’inverse.
Il va au-delà du 11 novembre et explique les négociations, les enjeux pour aller jusqu'à la signature des traités de paix. Il montre aussi comment les principes de Wilson seront appliqués avec pragmatisme tant ils sont généraux, difficiles à mettre en œuvre sur le terrain et parfois contraires aux intérêts des vainqueurs.
C’est un livre d’une très grande subtilité sur tous les aspects de ce drame. Il est d’un très grand équilibre entre toutes les causes. D’une grande érudition, il met à l’aise le lecteur. Il est enfin d’une grande richesse psychologique sur la personnalité des acteurs essentiels.
L’Allemagne, grâce à l’armistice, n’a pas connu l’invasion ni vu l’image de la défaite. Et c’est peut-être cela qui est porteur de la suite : Bien des Allemands penseront qu’ils n’ont pas perdu la guerre mais qu’ils ont été trahis. On connaît la suite, hélas !
Ce livre se prolonge par l’excellente post-face qu’Antoine Prost a écrit pour cette réédition où il resitue ce 11 novembre 1918 dans ces journées qui ont fait la France et le monde pourrait-on ajouter.
PS : J’ai lu en parallèle à ce livre un extraordinaire roman : « Le chemin des âmes » de Joseph Boyden qui raconte les malheurs de deux amérindiens canadiens pendant la première guerre mondiale. Si vous avez la possibilité de le faire, je vous le recommande pour voir une autre face de la guerre, plus horrible encore, celle où »les hommes ont vu des choses que les hommes ne devraient pas voir ». Mais ils les ont vues et il les ont faites. Est-ce leur faute ?
Les éditions
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L'armistice de Rethondes [Texte imprimé], 11 novembre 1918 Pierre Renouvin postface par Antoine Prost
de Renouvin, Pierre Prost, Antoine (Postface)
Gallimard / Les Journées qui ont fait la France
ISBN : 9782070775248 ; 30,00 € ; 30/03/2006 ; 554 p. ; Broché
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