Une ténébreuse affaire de Honoré de Balzac

Une ténébreuse affaire de Honoré de Balzac

Catégorie(s) : Littérature => Romans historiques , Littérature => Francophone

Critiqué par Montgomery, le 18 octobre 2007 (Auxerre, Inscrit le 16 novembre 2005, 52 ans)
La note : 10 étoiles
Moyenne des notes : 7 étoiles (basée sur 5 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (26 776ème position).
Visites : 8 596  (depuis Novembre 2007)

Hommage aux grands hommes mais pas à leur justice

Après avoir échoué à mettre la main sur les Simeuse et les Hauteserre, nobles émigrés au service de l'armée de Condé protégés par leur intrépide cousine, Laurence de Cinq-Cygne, le policier Corentin veut sa revanche. Il y parviendra, trois ans plus tard, en procédant à l'enlèvement de l'ancien conventionnel Malin. Il fera porter le chapeau aux anciens fugitifs, radiés depuis de la liste des émigrés par Napoléon, ainsi qu'à Michu qui fut le garde du château de Gondreville (désormais propriété de Malin).

Ce faisant, Corentin se conforme à l'adage balzacien selon laquelle « la Police et les jésuites ont la vertu de ne jamais abandonner ni leurs ennemis ni leurs amis.». Est alors dressé le portrait d'un appareil judiciaire incapable de rendre la justice une fois qu'il a été manipulé par la Police. Balzac insiste sur le rôle de l'opinion publique, ici très défavorable aux accusés, dans le déroulement du procès. Ainsi il écrit que « dans une cour de justice, les idées de la foule pèsent sur les juges, sur les jurés, et réciproquement.».

Ces constatations amènent l'écrivain à s'interroger sur les garanties offertes aux justiciables et sur leur caractère opportun. A propos de l'admission du public à l'audience, il considère qu'elle «n'emporte pas la publicité » et que «la publicité donnée aux débats constitue une peine tellement exorbitante, que si le législateur avait pu la soupçonner il ne l'aurait pas infligée». Sur la présence d'un jury populaire Balzac émet des réserves en ces termes: « Aussi peut-être les juges offrent-ils aux accusés plus de garanties que les jurés. Les magistrats ne se fient qu'aux lois de la raison, tandis que le juré se laisse entraîner par les ondes du sentiment». On le voit, ce volet de la Comédie humaine est l'occasion pour Balzac de livrer une partie de ses sentiments sur une justice dont, manifestement, il se méfie.

Cette «Ténébreuse affaire» est également un hommage aux esprits supérieurs et aux tempéraments d'exception: Michu, laurence de Cinq-Cygne se manifestent par leur courage et leur dévouement. Corentin par sa ténacité et son sens politique. Et que dire de l'opinion qu'a Balzac de Fouché et Talleyrand. Ils sont au premier rang de ces «hommes habiles, legs précieux de la Révolution, avec lesquels [Napoléon] auraient pu se composer un cabinet dépositaire de sa pensée» s'il n'avait eu un amour-propre excessif.

Je termine avec une réflexion pénétrante sur Napoléon, que Balzac met dans la bouche de Talleyrand: «c'est un grand soldat qui sait changer les lois de l'espace et du temps; mais il ne saurait changer les hommes, et il voudrait les fondre à son usage ».

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Les éditions

  • Une Ténébreuse affaire [Texte imprimé] Honoré de Balzac texte présenté, établi et annoté par René Guise
    de Balzac, Honoré de Guise, René (Editeur scientifique)
    Gallimard / Collection Folio.
    ISBN : 9782070364688 ; 7,50 € ; 26/09/1973 ; 305 p. ; poche
  • Une ténébreuse affaire de Balzac, Honoré de
    de Balzac, Honoré de
    le Livre de poche / Le Livre de Poche
    ISBN : SANS000015221 ; 01/01/1969 ; 252 p. ; poche
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Haute politique

6 étoiles

Critique de Vince92 (Zürich, Inscrit le 20 octobre 2008, 46 ans) - 7 décembre 2021

Dans les temps révolutionnaires troublés dans lesquels la France a été plongée à la fin du XVIIIe s. et au début du XIXe s., de grands hommes ont émergé ; qu’ils soient militaires, administrateurs civils, savants ou entrepreneurs, ils sont parvenus au sommet de l’appareil d’Etat, remplaçant l’ancienne classe dirigeante qu’était l’aristocratie tout en lui confisquant ses biens. Cependant, la nouvelle domination de cette classe bourgeoise ne tenait qu’à un fil : que les Bourbons soient rétablis à la tête du pays et cette fulgurante ascension née des événements exceptionnels de la Révolution, pouvait être réduite à néant.
Tout comme l’Aristocratie de l’Ancien régime, les nouveaux maîtres du pays vont s’accrocher à leurs nouvelles positions dominantes en prévoyant les aléas de la fortune du régime en place. Ce livre raconte comment Fouché, Talleyrand et Sieyès, anticipant une probable défaite du Premier Consul dans sa campagne de 1800 contre l’Autriche en Italie ont organisé un coup d’Etat pour reprendre la main à la suite de Napoléon.
Tout ceci est un roman mais Balzac s’inspire d’événements, comme l’enlèvement d’un sénateur, pour bâtir son récit. Cette ténébreuse affaire est une machination ourdie aux plus haut sommets de l’Etat que narre l’auteur de la Comédie humaine, une machination dont vont être les victimes les fidèles partisans du vieil ordre aristocratique.
La lecture de ce roman est rendue assez difficile par la multiplicité des personnages ainsi que par l’intrigue complexe née des imbrications, des faux-semblants et des actions décousues des protagonistes. Le lecteur a toutes les peines à cerner les relations entre les différents camps qui se forment autour de ce complot, comment Fouché instrumentalise grâce à sa police les différents acteurs de cette affaire.
Une ténébreuse affaire reste toutefois un bon roman maîtrisé stylistiquement par l’auteur qui démontre s’il en était besoin qu’il est une référence majeure de la littérature française, un romancier hors-pair. Même s’il s’aventure ici dans un exercice, celui du roman politique qui est moins probant que son fonds de commerce, le roman social ou de mœurs, Balzac parvient tout de même à produire une œuvre remarquable, avant tout par son style.

LONG !

4 étoiles

Critique de Monocle (tournai, Inscrit le 19 février 2010, 64 ans) - 25 mars 2021

Le titre est parfaitement choisi car cette affaire est presque nébuleuse. Comme le simple n'existe pas chez Balzac.
Le château de Gondreville semble être le centre de toutes les attentions de Corentin et son acolyte Peyrade, agents du ministre Fouché qui tentent de débusquer les ennemis de l'état, les pestiférés qui gardent encore les médaillons du bon roi Louis sur leur poitrine.
Mais le rêve de ces policiers de paille est de pouvoir incarcérer les cinq cousins ainsi que la très jolie Mademoiselle de Cinq-Cygne. Un fois la propriété libérée de ses occupants, elle deviendra une proie facile pour ceux qui au nom du peuple rachèteront les pierres et les terres pour une bouchée de pain.

Qu'en penser ?

Long, très long, parfois interminable avec une foison de personnages qui obligent à de fréquents retours en arrière.



PERSONNAGES

– Me Jérôme-Sébastien BORDIN : ancien procureur au Châtelet (Un début dans la vie, 1842), il plaida le procès Simeuse (1806), puis celui des « chauffeurs de Mortagne » (L'Envers de l'histoire contemporaine, 1844).

– Diane d'Uxelles CADIGNAN (duchesse de Maufrigneuse, puis princesse de) : mariée à l'amant de sa mère, le duc de Maufrigneuse, elle usa largement de la liberté qu'il lui laissa avec de nombreux amants, qui vont de Victurnien d'Esgrignon (Le Cabinet des Antiques, 1839), Lucien de Rubempré (Splendeurs et misères des courtisanes, 1844), à Daniel d'Arthez (Les Secrets de la princesse de Cadignan, 1839).

– CHARGEBOEUF : famille noble de Champagne, dont la branche cadette était Cinq-Cygne. L'invention en remonte à Pierrette (1840), où une Chargeboeuf réside à Troyes. Ancien sous-préfet d'Arcis (1815) et père réel de Cécile Beauvisage, le vicomte René-Melchior de Chargeboeuf, muté à Sancerre en 1820 à la demande de Laurence de Cinq-Cygne, y fréquente, en 1823, le salon de Mme de La Baudraye (La Muse du Département, 1841). Le chef de la maison, marquis de Chargeboeuf, surnommé « le Boeuf », protégeait les Cinq-Cygne tout en leur suggérant de se rallier à l'Empire.

– Comtesse Laurence CINQ-CYGNE (puis marquise de) : héritière du nom de la branche cadette des Chargeboeuf, tante des jumeaux de Simeuse, âgée de vingt-trois ans en 1803, elle tiendra à Paris un des salons les plus fermés du faubourg Saint-Germain. Elle rend visite, en 1836, à Mme de La Chanterie, rue Chanoinesse (L'Envers de l'histoire contemporaine, 1844).

– CORENTIN : muscadin-policier formé par Peyrade, dont il est devenu le chef. Omniprésent dans La Comédie humaine, depuis Le Dernier Chouan (1829), où il travaille à la perte du Gars et de Mlle de Verneuil, jusqu'au dernier épisode de Splendeurs et misères des courtisanes (1847). Cravaché par Laurence de Cinq-Cygne et décidé à le lui faire payer, il se souvient de Mlle de Verneuil : « J'en ai fait crever une qui la valait bien. »

– Comte Malin de GONDREVILLE : petit-fils d'un maçon de Troyes jadis employé à la construction de Gondreville, et ami d'enfance de Me Grévin. Danton les avait tous deux « placés », avant la Révolution, chez Me Bordin, procureur au Châtelet (Un début dans la vie, 1842). Ancien conventionnel (« Malin de l'Aube »), il prend possession en 1800 de la terre de Gondreville. Son personnage avait été créé, dans La Paix du ménage (1830), « comte de Gondreville », devenu « Malin de Gondreville » dans l'exemplaire corrigé de La Comédie humaine. La « coterie Limonville » (Le Contrat de mariage, 1835) devient dans Furne (1842) la « coterie Gondreville ». Le nom de Gondreville remplace dans Sarrasine (Furne, 1844) celui, en pré-originale (Revue de Paris, 1830), du marquis d'Aligre, célèbre financier. Gondreville est enfin présenté comme « un pair constitutionnel qui restait dans la faveur de Louis XVIII » dans une addition du Furne corrigé au Cabinet des Antiques.

– Comte Roger de GRANVILLE (ou GRANDVILLE) : avocat de Michu en 1806, introduit sur épreuves par Balzac pour doubler Bordin, défenseur des jumeaux. Mal marié, il avait mené, avec Caroline Crochard, une « double vie » (Une double famille, 1830). Sa carrière fut brillante : substitut, avocat général et enfin procureur, amené à réhabiliter Birotteau (César Birotteau, 1837). Il tenta de protéger Lucien de Rubembré, après son arrestation, en négociant avec Vautrin (Splendeurs et misères des courtisanes, 1847).

– Robert et Adrien d'HAUTESERRE : Robert, l'aîné, « brutal » et « sans délicatesse », et Adrien, le cadet, d'« âme tendre et douce », inséparables des jumeaux de Simeuse. Robert trouva la mort à la redoute de la Moskowa (7 septembre 1812). Nommé général à la bataille de Dresde (26-27 août 1813), Adrien épousera Laurence de Cinq-Cygne. Il meurt en 1829.

– Comte Henri de MARSAY : fils naturel de lord Dudley et demi-frère de la marquise de San Réal (La Fille aux yeux d'or, 1834). L'« énorme figure » du comte de Marsay est omniprésente dans La Comédie humaine. Nommé premier ministre en 1831, il est, en 1833, président du Conseil lors de son récit, chez la princesse de Cadignan, des dessous d'Une ténébreuse affaire. Il meurt la même année, ou l'année suivante.

– PEYRADE : adjoint de Corentin, après avoir été son maître, et ancien jacobin. C'est le héros d'un roman ébauché en 1842 et finalement absorbé par Splendeurs et misères des courtisanes (Valentine et Valentin, Pl., XII, 351-361).

– Paul-Marie SIMEUSE (premier venu, et Marie-Paul) : fils jumeaux de Jean de Simeuse, nés en 1774, cousins de Laurence de Cinq-Cygne. Jugés en 1806 pour le soi-disant enlèvement de Malin, condamnés à vingt-quatre ans de travaux forcés, puis graciés par Napoléon, ils trouveront la mort à la bataille de Somo-Sierra, le 30 novembre 1808.

Du Balzac avec un air de Dumas

9 étoiles

Critique de Echo (Aquitaine, Inscrite le 25 avril 2013, 45 ans) - 24 mai 2013

C'est ce que j'ai pensé à la fin de ma lecture. Je me replonge régulièrement dans Balzac et celui-ci a été une très plaisante lecture: remarquable intrigue aux allures d'un Dumas avec rebondissements et personnages charismatiques, récit foisonnant, quelques lenteurs (caractéristiques du XIXème) mais qui n'entachent pas l'agréable ressenti du livre.

Police, justice, politique...

6 étoiles

Critique de Chene (Tours, Inscrit le 8 juillet 2009, 53 ans) - 21 octobre 2010

On est à l'aube de l'empire, et pendant que Napoléon est à Marengo, Fouché, Tayllerand, Seyes et Carnot complotent à Paris pour prendre le pouvoir en cas de défaite des armées françaises. Au retour de Napoléon victorieux, il faudra faire disparaître les preuves du complot. L'enlèvement d'un sénateur, un procès, un lampiste condamné à mort, des nobles compromis envoyés aux armées et des preuves compromettantes détruites. Un roman policier mais aussi un roman politique et historique profond enveloppé dans le style Balzacien si remarquable et unique. Balzac peind ici admirablement bien son époque et la police politique et son horrible action.
Pour reprendre ses mots : "Le malheur de certaines personnes qui, pour s'être trouvées sur le passage de la police, ont perdu leur fortune et le repos..".

Un petit conseil avant de commencer ce livre, se faire une fiche de lecture en se replongeant dans l'histoire politique de l'époque pour bien comprendre les situations, l'intrigue et les personnages.

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