Les forums

Forums  :  Vos écrits  :  La bataille de Waterloo

Saint Jean-Baptiste 27/07/2008 @ 23:03:25
C'est une fois de plus bien raconté. Et bien raconter, c'est tout un art : pour être sûr d'être compris, on a souvent tendance à en rajouter.
J'aime bien la description des armes - qui sont souvent tellement déterminantes dans les batailles.

À propos du manque d'humanité dans ces descriptions, c'est, me semble-t-il, le bon choix.
Les survivants de ces batailles sont tous morts et enterrés depuis belle lurette. Nous en sommes à la sixième génération. Les souffrances sont passées, on peut en parler sans émotion.
C'est, à mon point de vue, ce qui en fait l'intérêt.

Sinon, il faut refaire un : À l'Ouest Rien de Nouveau, ou Le Soldat Oublié... Un roman dans la guerre, un "vécu" ; alors, ce n'est plus un récit d'une bataille...

Tistou 27/07/2008 @ 23:18:29
Intéressante théorie qui trouve des échos, enfin intuitivement, dans ce qu'on peut ressentir dans des circonstances ... je n'ose pas dire comparable. Après situer cette distance critique, distance de fuite ... Ca m'évoque des choses ressenties lors de matchs de rugby ... Toujours très clair Micharlemagne. C'est une sacrée distance que tu tiens là.

Micharlemagne

avatar 28/07/2008 @ 08:35:53
Il y a aussi une chose qu'il ne faut pas négliger : l'état d'avancement de la médecine et de la chirurgie en 1815. Étrangement, il n'existe aucun bouquin moderne en français sur la question. A ma connaissance, du moins. On ne peut pas tout connaître. Il y a toujours le livre de Jean-Dominique Larrey "Mémoires de chirurgie militaire". Je l'ai téléchargé sur Google, mais j'avoue que je n'ai pas encore eu le courage de le lire d'un bout à l'autre (512 pages bien sanguinolentes...). J'ai, lors d'un bivouac "napoléonien" - j'ai horreur de les appeler comme cela parce que cela ne veut rien dire, mais enfin il faut arriver à se faire comprendre... - à Waterloo, rencontré un chirurgien britannique retraité qui s'est passionné pour cela et qui a publié un petit ouvrage sur les traumatismes de guerre au début du XIXe siècle. Très bien illustré (par lui-même) et tout... Mais, je mérite le tourniquet, j'ai perdu son adresse et les références du bouquin. Mon ami britannique n'était plus présent lors des bivouacs suivants et je n'ai pas pu rattraper le coup. Mais je vais faire quelques recherches et je vais essayer de remettre la main dessus.
Enfin, tout cela pour dire qu'il est assez difficile d'imaginer les maux en tous genres dont souffraient les malheureux à l'époque. Alors les décrire...

Tistou 02/08/2008 @ 16:18:40
Tu fais une pause Micharlemagne ?

Micharlemagne

avatar 02/08/2008 @ 20:30:56
Yes, I do ! Teatime, isn't it...

Saint Jean-Baptiste 03/08/2008 @ 12:19:44
La pause fait partie des batailles, vous savez...
Quand j'ai été à la bataille de Waterloo du 19 juin 2005, il y a eu une pause vers 14 heures trente.
C'est le meilleur moment de la bataille ; c'est l'heure des cantinières, des merguez, des frites et de la bière à gogo...

Micharlemagne

avatar 05/08/2008 @ 12:07:59
11e épisode

Les grandes charges de cavalerie (1ère partie)

Un jour, quelqu’un qui ignorait sans doute que c’était un sujet qu’il valait mieux éviter d’aborder avec lui, posa une question au duc de Wellington :
-- Votre Grâce, quelle est le plus bel acte de bravoure que vous ayez vu ?
-- Certainement les charges répétées de la cavalerie française à Waterloo.
Et le dialogue s’arrêta là… Wellington n’était pas bavard.
Cette phase de la bataille, la plus épique et certainement la plus spectaculaire de la légende, dura quelques deux heures : de 16.00 à 18.00 heures.
Vers 16.00 hrs, Napoléon avait encore de grandes chances de remporter cette bataille : les Prussiens n’étaient pas encore intervenus en force à Plancenoit.
C’est le maréchal Ney qui ordonna ces charges, c’est lui qui les commanda et c’est lui qui les mena. Il y perdit deux chevaux. Mais il faut reconnaître qu’elles sont le fruit d’une erreur de jugement.
Vers 15.30 hrs, il avait ordonné un nouvel assaut contre la Haye-Sainte qui se révélait décidément être la clé de la position anglaise. Ce fut un nouvel échec. Mais le maréchal aperçut ce qu’il prit pour un flottement dans la ligne ennemie. Wellington avait en effet ordonné à ses unités de reculer de quelques mètres afin de s’assurer une meilleure protection contre le feu ennemi au cas où la ferme tomberait. Ce retrait apparut à Ney comme le début de la fin : les alliés quittaient leur ligne et entamaient leur retraite… Aussitôt, il sentit qu’il fallait exploiter cette situation et envoya un aide de camp prévenir la cavalerie lourde qu’elle allait avoir à charger.
Commencèrent alors les préparatifs de ce qui allait être la plus formidable charge de cavalerie dans un espace aussi restreint de toutes les guerres modernes. On n’en avait jamais vue de telle et l’on n’en reverrait jamais plus… Vers 17.00 hrs, les Français auront engagé près de 9 000 cavaliers pour charger un front d’un peu moins de 950 mètres situé entre Hougoumont et la Haye-Sainte où la bagarre continuait à faire rage. Il ne faut pas être expert en mathématiques pour comprendre qu’une telle masse présente un bien grave inconvénient. Un cavalier tout seul a besoin d’un espace d’au moins un mètre de largeur pour se mouvoir. Si la fantaisie avait pris à Ney d’aligner ses cavaliers sur deux rangs, comme il était de tradition à l’époque, il aurait pu couvrir un front de quatre kilomètres et demi… Il tombe donc sous le sens que cette masse de cavaliers ne pourrait se déployer et serait obligée d’affronter la ligne ennemie en masses compactes. Pour prendre un exemple, le 1er cuirassiers chargea le carré du 5th KGL en quatre escadrons alignés les uns derrière les autres.
Les grandes charges impliquèrent 20 régiments, 67 escadrons en tout. Cela représente 62 p.c. de la totalité de la cavalerie française présente à Waterloo. Sur cet ensemble, il y avait 12 régiments de cuirassiers et si l’on ajoute à cela les carabiniers à cheval, c’est environ 6 000 hommes cuirassés que les alliés vont voir déferler sur eux. Douze batteries à cheval, soit plus de 70 pièces d’artillerie vont se joindre à cette impressionnante multitude.
Les auteurs qui aiment bien se chamailler à tout propos ont longtemps discuté pour savoir si Napoléon avait réellement autorisé ces charges. Selon toute vraisemblance, il avait consenti à la première d’entre elles, celle qui impliqua les cuirassiers de Milhaud, mais les suivantes se firent sans son avis et peut-être même contre son avis…
Voici donc l’aide de camp de Ney qui arrive au grand galop chez le général Farine, un commandant de brigade, le premier qu’il rencontre, et sans en aviser le général Milhaud qui commande ce corps de cavalerie ni Delort qui est à la tête de la division, il ordonne la charge. S’ébranlent donc les 5e et 10e cuirassiers. Ils ne vont pas très loin. Quand Delort, qui n’est au courant de rien, voit ce mouvement, il le fait immédiatement interrompre.
Le maréchal Ney aperçoit cet arrêt, contraire à ses ordres. Il se précipite, traverse presque tout le champ de bataille et déboule chez Delort. Après une copieuse engueulade, le maréchal se met à la tête des cuirassiers et reprend le mouvement en avant. Milhaud qui est juste un peu en arrière et à qui l’ordre de Ney parvient enfin, ordonne à son autre division de suivre. C’est donc 8 régiments de cuirassiers qui prennent le petit trot en direction de la position alliée. Les deux régiments de cavalerie légère de la garde de Lefebvre-Desnouëttes dont la mission était de couvrir le flanc gauche de la cavalerie lourde s’ébranlent donc à leur tour. L’artillerie soumet la ligne alliée à un intense bombardement. Mais les artilleurs ne voient pas sur quoi ils tirent et leur feu n’est pas très bien ajusté. En face, les artilleurs anglais voient, eux, très bien ce qui va se passer et redoublent leur tir sur ces masses de cavaliers qui avancent au petit trot.
Il nous faut malheureusement ici détruire toute une mythologie… Chacun, lorsque l’on parle d’une charge de cavalerie, a en mémoire l’une ou l’autre image héroïque véhiculée par la peinture, le cinéma ou la télévision : « Les trompettes sonnent la charge. Dans une irradiation d’acier et un jaillissement de mottes de terre que font sauter les sabots des chevaux, les cuirassiers dévalent en avalanche. A chaque foulée, l’allure s’accélère. Le sol tremble et poudroie. Les hommes du premier rang, penchés sur l’encolure, tiennent la pointe tendue, les autres brandissent leurs lattes étincelantes. » (Henry Houssaye, 1815, II, p.208-209)
Il y a malheureusement loin de cette brillante image d’Epinal à la triste réalité, et tout particulièrement à Waterloo.
Voici ce que nous explique la théorie :
Lorsque la cavalerie reçoit l’ordre de charger, elle est à l’arrêt, rangée sur deux rangs. Les sabres sont tirés au clair et on avance au pas. Après environ 25 mètres, on sonne le trot. Le plus grand silence règne dans les rangs : il faut être à même d’entendre les ordres malgré la formidable rumeur du champ de bataille. On suit les officiers qui sont en tête. On marche au trot jusqu’à environ 100 mètres du front ennemi. Le rythme augmente alors progressivement et les cavaliers, genoux contre genoux, atteignent un petit galop tout en essayant de maintenir la ligne du mieux qu’ils peuvent. On voit déjà la difficulté de l’exercice… On est maintenant à 50 mètres de l’ennemi. Les trompettes sonnent enfin la charge. Il n’est plus question d’alignement, on éperonne les chevaux et on galope droit sur l’ennemi en une charge dite « à la sauvage ». On se dresse sur ses étriers et on lâche les rênes. On commence à hurler pour s’encourager : « Avancez ! Avancez ! Allez ! » Les officiers qui mènent la charge s’écartent pour laisser la place au premier rang de cavaliers. C’est alors chacun pour soi. Voilà pour la théorie…
Mais dans la pratique …
(A suivre)

Tistou 05/08/2008 @ 19:56:12
La terre en tremble encore ... Bon sang, et tout ça pour se passer des lames de fer en travers du corps ... !
Et il y a une suite, bien entendu, ou, comment transformer de solides gens en pâtée à Zoé !

Micharlemagne

avatar 06/08/2008 @ 06:01:07
Si Zoé aime cela, il lui faudra peut-être un peu patienter... Je sais que le suspense est insoutenable. Mais je peux peut-être en dévoiler un petit coin en disant que la pâtée sera plutôt en conserve...

Micharlemagne

avatar 06/08/2008 @ 06:08:46
Et je m'empresse d'ajouter que ce que je viens de dire est d'un goût fort douteux... Mais que Zoé se rassure, elle sera servie ! Elle ne perd rien à attendre un peu.

Tistou 06/08/2008 @ 07:53:30
Et je m'empresse d'ajouter que ce que je viens de dire est d'un goût fort douteux... Mais que Zoé se rassure, elle sera servie ! Elle ne perd rien à attendre un peu.

Euh ... Tu sais que Zoé est ma chatte ?

Micharlemagne

avatar 06/08/2008 @ 19:49:51
Je m'en doutais un peu... Si c'était ton épouse, à ta place, je serais un peu inquiet de vivre à côté d'une femme qui apprécie les petits oiseaux et les souris pour son déjeuner...

Saint Jean-Baptiste 07/08/2008 @ 00:49:30
Au cœur de la bataille !
Grandiose, Charlemagne ! c'est grandiose !

Micharlemagne

avatar 11/08/2008 @ 08:02:17
12e épisode

Les grandes charges de cavalerie (suite)

Il est 16.00 hrs. Voici donc 10 régiments de cavalerie qui s’ébranlent. Trente-quatre escadrons, soit un peu plus de 4 400 chevaux… Ils descendent au pas dans le fond du vallon qui sépare les positions ennemies. La progression n’est pas facilitée par l’étroitesse du terrain. Ainsi, le 1er cuirassiers qui se trouve à gauche marche avec ses quatre escadrons à la queue-leu-leu et le 4e qui est à sa droite en montre trois à la file. Tout à fait à gauche, les chasseurs à cheval de la garde sont sur cinq escadrons de profondeur. Il ne faut pas être grand clerc pour voir, dès ce moment, qu’il va y avoir de la bousculade. Derrière cette masse de cavalerie, avancent sept batteries d’artillerie à cheval qui viennent se ranger à peu près à hauteur de la grande batterie, détellent et ouvrent le feu sur la ligne alliée.
Le duc de Wellington qui ne cesse pas un instant de parcourir sa ligne et dont l’activité contraste très fort avec l’immobilité de Napoléon qui est toujours à Rossomme, au cent mille diables, et qui ne voit pas la moitié de ce qu’il devrait voir, a immédiatement observé le mouvement de la cavalerie française, n’en a pas perdu une miette et a ordonné de former les carrés.
C’est ici que la discipline de fer imposée au fantassin britannique va se révéler payante.
Jusque-là, sur la portion du champ de bataille qui est située à l’ouest de la route de Bruxelles, les différentes unités avaient gardé la formation en colonnes de bataillon par division à quart de distance, en mesure de parer à toute éventualité sans perdre une minute. Sitôt l’ordre du duc hurlé de bataillon en bataillon, chaque unité a exécuté son mouvement. Les tirailleurs qui étaient dispersés sur le versant sont rentrés dans leurs unités en courant, les deux compagnies de tête ont fait un pas en arrière ; les deux compagnies de queue ont fait un pas en avant et chaque compagnie du milieu a effectué une rotation à droite ou à gauche. Comme il y a dix compagnies par bataillon, le carré ainsi formé ressemble plutôt à un rectangle qu’à un carré mais le drill de ces hommes est tellement soigné qu’il leur faut moins d’une minute pour passer de la colonne au carré et inversement.
Cette fois, c’est le duc qui a ordonné de former les carrés, mais dans la suite de la bataille, chaque commandant de bataillon devra prendre la bonne décision au bon moment. Il est en effet impensable de rester en carré si une attaque d’infanterie se produit ou même si l’on est simplement bombardé. Le carré est par définition une masse compacte d’hommes resserrés sur un espace étroit : une proie idéale pour des artilleurs. Ainsi, à partir de ce moment, les bataillons alliés ne vont-ils pas cesser de passer d’une formation à l’autre selon la menace la plus proche : face à des tirailleurs : en colonne par division à quart de distance ; face à des lignes d’infanterie, en ligne – pour la plupart, l’occasion ne s’en présentera qu’une fois ; face à la cavalerie : en carré. Tout cela est tellement au point que, contrairement à une idée reçue (une de plus) et à ce qu'on imagine, les fantassins anglais qui en sont réchappés, ont pour la plupart reconnu plus tard que, mise à part la première, toutes les charges de cavalerie ont plutôt constitué un répit pour eux : entre deux charges en effet, l’artillerie française que nous avons vu s’avancer il y a peu, les soumettait à un bombardement intensif contre lesquels il n’y avait pas grand-chose à faire…
Ainsi donc, pendant que nous glosions, les alliés se sont-ils formés en carré. Combien de carrés ?
Dans le triangle constitué par les deux chaussées pavées et le chemin des Vertes Bornes (pour la facilité, nous lui donnons son nom actuel), on estime que se formèrent ainsi 22 carrés. Cela constitue une masse de 13 000 à 14 000 hommes. Derrière eux, 18 régiments de cavalerie, soit environ 8 000 sabres, prêts à se déchaîner à la première occasion. Et, devant eux, 11 batteries d’artillerie : environ 65 pièces…
On n’a aucune peine à imaginer la tension qui règne parmi tous ces hommes, quel que soit leur camp.
Voici donc les cavaliers au fond du vallon. Là, ils marquent un arrêt. Les artilleurs britanniques s’en donnent à cœur joie mais leurs collègues français en font tout autant.
Et puis, les Français repartent. Au pas !… Idéalement, ils devraient adopter le trot. Mais voilà : le terrain ne leur permet pas. Cela monte ! Et, en plus, la terre est excessivement grasse. Les chevaux peinent à avancer. Ajoutons à cela que les cavaliers ne voient absolument pas ce qui les attend de l’autre côté de cette maudite crête qui leur cache tout.
Les fantassins alliés n’en mènent pas beaucoup plus large. Ils ne voient rien non plus et les boulets leur tombent dessus sans prévenir. Ils entendent très bien, en revanche, leurs propres artilleurs tirer à coups redoublés ce qui, pour eux, ne présage rien de bon. Pour se rassurer, ils s’interpellent entre eux en plaisantant. De l’humour un peu forcé, quand même !... Rassurante aussi, la présence de Sa Grâce – entre eux, ils l’appellent affectueusement ou irrespectueusement «Nosey» à cause de son long nez – qui va de bataillon en bataillon et donne à chacun les encouragements qu’il attend. Après tout, si les galonnés n’ont pas encore fichu le camp, c’est que le danger est moins grand qu’il ne semble…
Mais maintenant, un lourd silence règne dans les rangs...
(To be followed…)

Micharlemagne

avatar 11/08/2008 @ 08:03:40
Je me prends pour Eugène Sue : je ménage le suspense !

Saint Jean-Baptiste 11/08/2008 @ 23:09:45
Ne sue pas trop, va !
(oups, pardon, c'est nul !) ;-))

Je lirai ça demain, à tête reposée.
;-))

Micharlemagne

avatar 12/08/2008 @ 07:36:04

Je lirai ça demain, à tête reposée.
;-))

SJB. Tu l'as fait exprès ?

Saint Jean-Baptiste 12/08/2008 @ 12:18:05
J'ai la tête bien reposée par une bonne nuit de sommeil, je ne sais pas si je l'ai fait exprès...
Et j'ai trouvé que c'était passionnant. C'est intéressant d'avoir les distances et les durées des différentes actions.
C'est vraiment un beau récit. C'est comme si on y était...

Micharlemagne

avatar 12/08/2008 @ 19:53:35
13e épisode

Les grandes charges de cavalerie : le choc

Et voilà tous ces cavaliers qui grimpent le versant.
Premier objectif : faire taire ces maudits artilleurs qui, avec une régularité de métronome, rechargent leurs pièces. Maintenant, ils tirent à la boîte à balles. Imaginez une grosse cartouche de chasse. Quand on tire, cela disperse une mitraille meurtrière… On voit tomber le camarade de droite, on voit s’abattre l’officier qui est devant soi, on a le cœur qui bat à deux cents pulsations à la minutes. On a les intestins qui se nouent. On a peur ! On ne veut pourtant pas s’enfuir… D’ailleurs, le voudrait-on qu’on ne pourrait pas : on est coincé de tous les côtés. La montée de ces quelques mètres dure une éternité… Et voilà comment, au petit trot, on arrive enfin sur ces canonniers anglais. On lève sa latte, on va les massacrer… Mais non ! Voilà qu’ils s’enfuient à toutes jambes alors qu’ils sont presque à portée. Ils s’enfuient et vont se cacher au milieu des carrés de fantassins en tuniques rouges.
Car on est arrivé au sommet de cette maudite pente et les fumées se dissipant… Sacré nom ! Les voilà, ces carrés anglais ! Ces fameux carrés anglais que les camarades qui ont combattu en Espagne vous ont décrits comme inébranlables !… Hé bien ! C’est ce qu’on va voir ! La peur s’estompe, maintenant c’est la rage qui s’empare de vous…
Et, à ce moment, les cuirassiers français commettent une énorme bourde. Pris dans l’élan, après avoir chassé les artilleurs anglais, ils passent outre et n’enclouent pas les canons ennemis.
Il s’agissait d’enfoncer un long clou dans la lumière du canon et de l’enfoncer d’un grand coup de maillet. Le clou se tordant dans cet orifice se tord et il devient impossible de le retirer sans un matériel spécialisé. La pièce est ainsi mise hors service pour un très long moment.
Certains auteurs ont affirmé que si les cuirassiers français ne l’ont pas fait, c’est qu’ils ne disposaient pas du matériel nécessaire pour enclouer les pièces ennemies : pas de tiges de fer, pas de maillet… La faute à l’intendance !… C’est dire une bêtise ou peut-être même bien deux. Pour enclouer un canon, il fallait mettre pied à terre. Et, même n’aurait-on pas eu le matériel dans ses fontes, il était disponible, là, sous la main. Il suffisait d’ouvrir les coffrets de chaque pièce : bien en vue, il y avait tout ce qu’il fallait, gracieusement mis à disposition par la logistique britannique… Et on comprend bien pourquoi : au cas où les canonniers devraient définitivement abandonner leur pièce, il faudrait la rendre inutilisable pour l’ennemi. Le vrai problème, c’est que chez les Français, personne n’était désigné pour procéder à l’opération. Il aurait suffi qu’une petite dizaine de cuirassiers mettent pied à terre et enclouent les canons anglais pour que les 65 pièces de Wellington soient bâillonnées. Mais voilà, ce n’était pas prévu…
Les artilleurs anglais, eux, n’en ont pas cru leurs yeux. Ils savaient les Français courageux, impulsifs et pleins d’ardeur, mais là, ils se posent des questions… Parce que leurs instructions, à eux, sont bien claires. Dès que la cavalerie ennemie arrive, tirer le dernier coup et courir se mettre à l’abri dans le carré du premier bataillon d’infanterie que l’on rencontre. Et dès que la menace est passée, se précipiter pour rejoindre sa pièce, la recharger et poursuivre le tir. Et voilà que ces diables de Français, non seulement n’essaient pas d’atteler ces canons et de les emporter chez eux, mais ne pensent même pas à les enclouer ! Tant mieux, tant mieux !
Donc, après avoir dépassé la ligne d’artillerie anglaise, les cavaliers mettent leur monture au galop. Le terrain s’y prête : cela descend un peu. Ça gueule : « En avant ! Avancez ! » ; on se précipite droit sur les carrés ennemis.
Mais voilà, ce qu’on a entre les jambes, ce ne sont pas des mécaniques ; ce sont des chevaux, des vrais, et pas nécessairement très bien entraînés pour ce genre d’action. La remonte des régiments de cavalerie français avait été difficile et on avait pris un peu tout ce qui marchait sur quatre jambes. D’ailleurs, qu’on le veuille ou non, entraîné ou pas, il est impossible d’obliger un cheval à foncer droit devant lui sur une masse d’hommes agglomérés. Autant vouloir le faire entrer dans un mur. Créer une brèche dans le rang ennemi ? C’est arrivé une fois. En 1812, à Garcia Hernandez, en Espagne. Un dragon britannique chargeait au grand galop un carré français quand il fut foudroyé par une décharge quelques mètres avant de l’aborder. Le cheval et le cavalier, morts, avaient continué droit devant eux comme une poule à qui on vient de trancher le cou, et étaient venus s’abattre sur le rang des défenseurs. Les camarades du malheureux avaient profité du trou ainsi créé pour s’introduire dans le carré français et le détruire. Une chance, donc ! Mais sinon, pour briser un carré, il faut que les hommes qui le constituent perdent leur sang-froid et prennent la fuite. C’est arrivé aux Quatre-Bras. Ici, à première vue, ces maudits Anglais n’ont pas l’air de vouloir céder à la panique…
Alors, tout ce qu’on peut faire, c’est essayer d’obliger sa monture à aller le plus loin possible tout en sachant qu’au « moment psychologique », elle va faire un écart. Tout l’art consistera alors à ce que le cheval fasse cet écart vers la gauche – on tient son arme dans la main droite – et, à ce moment précis, il faudra donner un grand coup de sabre sur la tête de l’Anglais qui a le malheur de se trouver là… Il n’est plus temps de barguigner. On se penche sur l’encolure du cheval, sabre en avant…
(A suivre)

Saint Jean-Baptiste 12/08/2008 @ 22:50:43
Eh bien, c'est toujours aussi passionnant ! Je ne connaissais pas cette histoire des enclouages des canons anglais. 15 hommes auraient suffi... !

Décidément, la Grande armée, ce n'était plus ça ! Je crois qu'il y avait trop de jeunes recrues, mal préparées et trop de vétérans, trop vieux (comme leur nom l'indique).

Début Précédente Page 3 de 6 Suivante Fin
 
Vous devez être connecté pour poster des messages : S'identifier ou Devenir membre

Vous devez être membre pour poster des messages Devenir membre ou S'identifier