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Micharlemagne

avatar 03/07/2008 @ 12:33:10
Et voici, comme promis, un petit résumé, fort succinct de la bataille de Waterloo. Pour les trois autres (Quatre-Bras, Ligny, Wavre), je ne céderai qu’aux instances réitérées et très polies. Pour autant que cela intéresse quelqu’un. Je crée un nouveau fil pour ne pas en encombrer un autre, notamment celui consacré à la bibliographie des guerres napoléoniennes. Et, somme toute, la meilleure place c'est encore dans "Vos écrits" puisque j'ai tout écrit moi-même avec mes deux mains !
Premier épisode :
18 juin 1815.
Il a fait un temps de chien toute la nuit. Ce sont des trombes d’eau qui se sont déversées sur les malheureux soldats qui ont été contraints de dormir à la belle étoile, si l’on peut dire : on n’a pas vu une étoile de toute la nuit. Et il a fait un froid de canard. Quand résonne la diane dans les deux camps, ce sont donc des spectres boueux qui s’ébrouent et qui tentent de se réchauffer comme ils peuvent. Les veinards qui ont trouvé du bois et qui ont réussi à l’allumer n’espèrent qu’une chose : un peu de soleil.
Les troupes françaises sont dispersées sur plusieurs kilomètres. Le 1er corps de Drouet d’Erlon et le 6e de Lobau ont bivouaqué comme ils ont pu sur une ligne allant de Monplaisir à Plancenoit et suivant à peu près la crête qui passe par Belle-Alliance. Le 2e corps de Reille est loin derrière, dans les environs de Genappe.
Une légende tenace veut que Napoléon ait attendu que le sol ait un peu séché avant d’entamer ses opérations : son artillerie ne pouvait se déplacer dans les chemins et sur le terrain boueux. C’est faux : le soleil a fait une timide, mais suffisante, apparition vers 08.00 hrs et dès 09.00 hrs, l’artillerie était parfaitement en mesure de se déplacer librement, pour autant qu’elle n’essaye pas d’emprunter les fonds boueux. Et elle ne se priva pas de le faire.
La raison du retard apporté aux opérations est bien plus simple. Il fallait que Napoléon ait tout son monde sous la main avant de pouvoir entamer la bataille. A 11.00 hrs, ce n’était pas encore chose faite puisque quand, à ce moment, il dicte ses ordres, il fait écrire :
« A chaque commandant de corps de corps d’armée
« 18 juin 1815, onze heures du matin.
« Une fois que toute l'armée sera rangée en bataille, à peu près à une heure après midi, au mo-ment où l’Empereur en donnera l’ordre au maréchal Ney, l’attaque commencera pour s’emparer du village de Mont-Saint-Jean, où est l’intersection des routes. A cet effet, la batterie de 12 du 2e corps et celle du 6e se réuniront à celle du 1er corps. Ces vingt-quatre bouches à feu tireront sur les troupes de Mont-Saint-Jean , et le comte d’Erlon commencera l'attaque , en portant en avant sa division de gauche et la soutenant, suivant les circonstances , par les divisions du 1er corps. Le 2e corps s’avancera à mesure pour garder la hauteur du comte d’Erlon
« Les compagnies de sapeurs du 1er corps seront prêtes pour se barricader sur-le-champ à Mont-Saint-Jean.
« (sé) Le maréchal duc de Dalmatie. »
C’est donc qu’il n’espère pas que l’armée française soit réunie en vue de la bataille avant 13.00 hrs et que, incidemment, les batteries du 1er corps étaient déjà en place sur la crête du km 21, à mi-chemin environ entre la Belle-Alliance et la Haie-Sainte. On remarquera aussi qu’il n’est pas question d’Hougoumont.
En face, les troupes alliées n’ont pas vécu une meilleure nuit. Disposés en arc de cercle le long des chemins des Vertes Bornes et d’Ohain, leurs hommes ont tenté de se réchauffer en collec-tant tout le bois qu’ils ont pu trouver. Cela va d’ailleurs leur jouer un mauvais tour à la Haye-Sainte, puisque, malgré les ordres qui étaient de fortifier la ferme, ils ont abattu la grande porte cochère et l’ont débitée en bois de chauffage… Or cette porte se serait révélée bien utile le lendemain. On a pu dire que la Haye-Sainte n’aurait jamais été prise si la porte cochère était restée intacte. Et la prise de la Haye-Sainte mit sérieusement les alliés en difficultés. A petites causes, grands effets…
A 08.00 hrs, Napoléon a déjeuné avec ses principaux adjoints. Les généraux qui ont fait l’Espagne et qui connaissent Wellington, ont timidement tenté d’attirer l’attention de l’empereur sur le danger que représente la position des alliés, dont on ne voit pas grand-chose sinon quelques bataillons belgo-hollandais (en uniforme bleu), du côté Est à l’avant du chemin d’Ohain et quelques batteries d’artillerie sur la crête. Ils craignent – et cela s’avérera parfaitement exact – que Wellington n’ait dissimulé le gros de ses forces derrière la crête. Les bataillons néerlandais sont là pour la montre. Wellington a aligné la brigade Bijlandt à cet endroit dans le but manifeste d’attirer les regards et si possible les attaques de Napoléon. Disons-le tout de suite : cela fonctionnera parfaitement. L’ordre de 11.00 hrs le montre bien : attaque du 1er corps sur la position qu’occupe la brigade Bijlandt sagement alignée sur deux rangs.
Mais Napoléon, qui sait tout mieux que tout le monde, balaye les timides remarques de ses généraux d’un revers de la main : « Wellington est un mauvais général et nous souperons à Bruxelles… ». Les généraux se regardent entre eux mais ne soufflent plus mot. L’idée de Napoléon est simple : on fonce dans le tas et on va s’emparer du carrefour de Mont-Saint-Jean, comme Ney aurait dû le faire deux jours avant aux Quatre-Bras, coupant ainsi les communications entre Wellington et Blücher.
Bon ! Il n’y a plus qu’à exécuter…
Au moment où, vers 11.00 hrs, les troupes de Reille sont enfin alignées à gauche de la chaussée de Bruxelles et où le 1er corps a serré sur sa droite pour occuper le côté droit de la route, Napoléon modifie soudain son plan. Il décide d’opérer une diversion. Pourquoi ne pas essayer d’obliger Wellington à dégarnir son centre pour venir renforcer sa droite. L’idée n’est pas mauvaise. Si ce n’est que Napoléon ne sait absolument pas ce qu’il y au centre du dispositif de Wellington. Il ne sait pas que c’est exactement là que se situe le plus gros de la réserve alliée… N’empêche, cela vaut toujours la peine de tenter le coup. Il ordonne donc à une division du 2e corps d’aller harceler les alliés à Hougoumont. Il ne lui ordonne pas positivement de s’emparer de la position qu’il juge difficile à emporter, mais seulement de la harceler suffisamment pour obliger Wellington à venir en aide à sa garnison. C’est la division de son frère Jérôme qui est chargé de l’exécution de ce projet. Ordre mal compris, ou mal donné, la 2e division s’épuisera toute la journée à essayer de s’emparer de Hougoumont, se rendant ainsi indisponible pour toute autre action bien plus utile.
C’est donc vers 11.30 hrs que résonne le premier coup de canon tiré sur le petit bois qui borde le domaine d’Hougoumont et auquel répond le feu d’une batterie anglaise située sur la crête à l’aplomb du château-ferme…
La suite au prochain numéro…

Saint Jean-Baptiste 03/07/2008 @ 17:08:24
C'est bien enlevé, ce n'est pas trop technique et je pense que tu as du mérite à ne pas trop entrer dans 36 détails, que tu connais certainement, mais qui n'intéresseraient que les spécialistes.
Ici, c'est à notre portée. C'est facile à lire et c'est intéressant.
Et puis une page de texte, ça me semble une bonne dose pour un post.

Micharlemagne

avatar 03/07/2008 @ 20:19:45
Deuxième partie :
La « bataille » d’Hougoumont

Dès le 17 juin 1815, dans la soirée, des troupes britanniques avaient occupé le château-ferme d’Hougoumont, à l’extrême-droite et en avant de la position alliée, et entrepris de le fortifier. Hougoumont représente déjà une forte position en soi. Le bois au sud cache les bâtiments à la vue des Français – quoique la tour du château révèle sa présence de loin – et fournit un bon couvert pour l’infanterie. De plus, comme, dans une moindre mesure, le grand verger, il empêche de tirer des boulets ou des boîtes à mitrailles directement sur les murs si ce n’est à partir de l’ouest où le bâtiment est dégagé.
Les haies épaisses constituent également une protection efficace pour les défenseurs mais un obstacle difficile pour l’attaquant. Les murs ne nécessitent que quelques coups de pioche pour y pratiquer des meurtrières. Il y en eut beaucoup et il y en aurait eu beaucoup plus encore si la garnison avait disposé de l’outillage nécessaire mais les défenseurs d’Hougoumont durent le plus souvent recourir à leurs baïonnettes pour entamer les murs en briques, ce qui s’avéra un travail lent et fastidieux, rendu plus pénible encore par la pluie battante qui ne cessait de tomber. Les murs entourant Hougoumont ont plus de deux mètres de haut, ce qui constitue déjà un obstacle impressionnant pour l’assaillant. Les défenseurs construisirent des échafaudages afin de leur permettre de tirer par-dessus le mur, ce qui, ajouté aux tirs provenant des meurtrières, leur donnait une puissance de feu considérable.
Donc, le 17 juin, vers 19.00 hrs, la 1ère division de la Garde britannique arrive à Mont-Saint-Jean et à 19.30 hrs, les quatre compagnies légères de cette division, sous le commandement de lord Saltoun sont envoyées à Hougoumont. A son arrivée, Lord Saltoun a une escarmouche avec une patrouille de cavalerie française qu’il repousse. Le piquet placé au sud du bois et composé de quelques hommes du 2ème bataillon du 3ème Guards, sous les ordres du capitaine Evelyn, est renforcé par les 100 chasseurs de la 1ère compagnie du Feldjäger Korps, appartenant à la 1ère brigade hanovrienne (Kielmansegge). Deux détachements de 50 hommes chacun appartenant aux bataillons légers hanovriens de Lüneburg et de Grubenhagen viennent également occuper le bois.
Vers 02.00 hrs du matin, nouvelle escarmouche contre des éléments de la cavalerie française qui s’aventurent devant le bois.
Le 18, à 06.00 hrs environ, le duc de Wellington s’en vient inspecter la position et donne l’ordre de faire occuper le château et les environs par le 1er bataillon du 2ème régiment de Nassau. A-t-il été mal compris ou était-ce son intention réelle, toujours est-il que, avant 10.00 hrs, lorsque les Nassauviens arrivent, les compagnies légères des 2ème et 3ème bataillons du 1er Guards, sous Lord Saltoun, évacuent le château et ses dépendances pour, en principe, rejoindre le gros de leur batail-lon sur la crête au-dessus du domaine, tandis que les compagnies légères des Coldstream et du 2ème bataillon du 3ème Guards, sous Macdonnell, se postent dans le potager à l’ouest de la grande grange. On se doute que ces hommes ayant travaillé toute la nuit, sous une pluie battante, afin de mettre la position en défense, ne mâchèrent pas leurs mots lorsqu’on les fit évLcuer… le vocabulaire du fantassin anglais en colère n’est surpassé que par celui du fantassin écossais… C’est au moment où, vers 10.00 hrs après avoir fait visiter la position au capitaine Büschgen, qui commandait le 1/2 bataillon de Nassau, et lui en en avoir remis le commandement, Lord Saltoun se met en marche vers son bataillon que survient à nouveau le duc de Wellington lui-même. Le duc se montre fort étonné de trouver les deux compagnies de Saltoun à cet endroit et les arrête, leur ordonnant de rester sur place dans l’attente de nouveaux ordres. Il semble donc bien que Wellington, que le domaine d’Hougoumont préoccupait, n’ait jamais ordonné son évacuation par la garde britannique. Malgré quoi, néanmoins, il ne renvoie pas Saltoun à Hougoumont. Lorsque la bataille fut entamée, soit vers 11.30 hrs, un aide de camp vint ordonner à Saltoun, très exposé au feu de l’artillerie, de rejoindre sa brigade. Lorsqu’il y arriva, il fut renvoyé de toute urgence vers Hougoumont, les Nassauviens étant sur le point de perdre le verger.
Ainsi, contrairement à tout ce qu’on a raconté, au moment où la bataille commence, il n’y a pas un seul soldat britannique dans les installations du château, ni dans son jardin, ni dans ses vergers, ni dans ses bois.
Les seuls Britanniques à être impliqués le 18 à 11.30 hrs dans le système défensif sont une com-pagnie légère des Coldstream et une compagnie légère du 3ème (Scots) Guards qui, toutes deux ont pris position aux abords ouest des bâtiments. Cette étrange constatation n’a que très rarement été faite : elle implique que, lors de la première attaque d’Hougoumont – la plus dangereuse peut-être – aucun soldat britannique n’a pris part au combat, ce qui renverse absolument toutes les idées reçues.
Revenons à nos moutons.
Après une très courte et inefficace préparation d’artillerie sur le bois, la 1ère brigade de la 6ème division française s’ébranle. Nous avons là le 4ème bataillon du 2ème régiment d’infanterie légère qui s’avance en tirailleurs, suivi, en formation, par les trois bataillons du 1er régiment d’infanterie légère et les trois autres bataillons du 2ème léger. Le tout est commandé par le général Bauduin.
Le combat est très violent. Les Nassauviens et les Hanovriens, embusqués derrière chaque arbre, font subir un feu d’enfer aux Français. Mais ils sont submergés par le nombre et reculent lentement vers le grand verger. Les Français sont arrêtés par le grand mur du jardin. Ils ont mis à peu près une heure pour conquérir le bois. Le général Bauduin est tombé sous les balles ennemies.
A ce stade du combat, les Français n’ont encore aperçu aucune tunique rouge. En effet, tant les Nassauviens que les chasseurs hanovriens sont vêtus de vert. Vers 12.15 hrs, le gros de la bri-gade, commandée maintenant par Cubières, bute devant le mur du jardin, ou, plus exactement, sur l’espace dégagé d’une trentaine de mètre qui sépare l’orée du bois du mur. Les deux compa-gnies du 2ème régiment de Nassau qui sont postées derrière le mur empêchent absolument le passage. Dès lors, les Français de droite continuent à repousser dans le verger les Nassauviens et les Hanovriens qui trouvent refuge dans le chemin creux qui borde celui-ci au nord. Ils ont la satisfaction d’y retrouver les deux compagnies de gardes de Lord Saltoun (2ème et 3ème compagnies légères du 1st Foot Guards) qui sont redescendus en catastrophe de la crête. Sans désemparer, Saltoun rallie les Nassauviens et les Hanovriens et franchit la haie pour repousser les Français jusque dans le bois.
Simultanément, du côté gauche, les Français tentent de pousser jusqu’au portail Sud qu’ils attei-gnent, malgré le feu nourri des Nassauviens postés derrière le mur, et se heurtent à la compagnie légère du 2ème bataillon du 3ème Guards britannique (Wyndham) et à la compagnie légère du 2ème bataillon des Coldstream (Dashwood), qui débouchent du potager où Macdonnell les avait postées. Les voilà, nos tuniques rouges ! Les Français n’ont d’autre ressource que de reculer à l’abri du bois.
Une constatation à ce stade : si, comme le prétendent Napoléon, Reille et tous les auteurs, le combat d’Hougoumont est une petite diversion destinée à inquiéter la droite anglaise, la brigade Bauduin a très largement rempli sa mission et pourrait se contenter d’entretenir le feu depuis le bois, sans se préoccuper d’autre chose que d’occuper l’ennemi. Or, pas du tout, voilà la 2ème brigade (Soye) de la 6ème division qui entre dans la danse !
Que se passe-t-il ? Qui ordonne l’entrée en scène d’une deuxième brigade dans cette « petite diversion » ? Tout laisse à penser que c’est le prince Jérôme lui-même. Reille, dans sa Relation, prétend qu’il à plusieurs reprises ordonné de s’en tenir là et des témoins affirment que Guilleminot, chef d’état-major de Jérôme, adjura plusieurs fois le prince de ne pas s’acharner. Peine perdue, Jérôme fait avancer sa 2ème brigade (Soye) composée des 1er et 2ème régiments de ligne (au total, six bataillons).
Ces six bataillons pénètrent donc dans le bois et rejoignent la 1ère brigade. Compte non tenu des pertes, il y a donc maintenant dans le bois 13 bataillons (soit 7 500 hommes).
Vers 12.30 hrs, l’ensemble de ces bataillons repart à l’assaut. Cubières lui-même prend la tête d’une attaque – au cours de laquelle il sera gravement blessé – vers l’ouest du château. Les deux compagnies de Gardes de Macdonnell reculent devant le nombre et s’engouffrent dans la cour du château. Ils n’ont pas le temps de refermer les vantaux de la porte que déjà le sous-lieutenant Legros, du 1er léger, avec une trentaine d’hommes, sont sur eux, forcent la porte et parviennent à s’introduire dans la cour. Les hommes de Macdonnell se jettent sur les intrus et les taillent en pièce, ne laissant indemne, dit-on, qu’un jeune tambour. La porte est soigneusement verrouillée.
Mais le mouvement de la brigade de Soye n’est pas passé inaperçu du duc de Wellington qui se rend compte que la position est menacée. Or, il y tient beaucoup… Il ordonne donc au commandant de la 2ème brigade britannique du 1er corps, le général major sir John Byng, d’envoyer du monde pour renforcer la garnison. En même temps, il charge la batterie du major Bull d’arroser le bois du feu de ses six obusiers de 6 pouces.
Byng fait donc descendre trois compagnies du 2ème bataillon des Coldstream qui nettoient le terrain devant eux et repoussent les Français au sud de la ferme. Ces trois compagnies sont suivies du reste du 2ème bataillon des Coldstream, soit quatre compagnies, qui entrent dans la ferme pour renforcer Macdonnell et les Nassauviens qui tiennent toujours leurs postes sur les murs. Il est à ce moment-là dans les environs de 13.15 hrs.
Simultanément à cette attaque, les bataillons de Soye s’en prennent au verger où se trouvent toujours les deux compagnies du 1st Foot Guards de Saltoun et les débris des compagnies du 2ème régiment de Nassau et des chasseurs hanovriens. Saltoun tient le coup jusque vers 13.15 hrs, quand interviennent de nouvelles troupes françaises : il s’agit de la 1ère brigade de la 9ème division (Foy), composée des 92ème et 93ème régiments de ligne (au total, quatre bataillons) et commandée par le colonel Tissot. Saltoun est obligé de céder le verger et se réfugie derrière la haie du chemin creux. Les Français parviennent alors à mettre en batterie un obusier le long de la haie sud du verger. Tout cela se passe très vite puisque dès 14.00 hrs, Saltoun, qui, entre-temps, a été rejoint par deux compagnies du 3rd Foot, tente une contre-attaque afin de s’emparer de l’obusier français. Cette contre-attaque échoue et Saltoun rejoint sa position de départ dans le chemin creux. Les Français de Tissot reprennent le verger avec l’aide d’un nouvel acteur : la 2ème brigade de la 9ème division, sous le commandement de Jamin. Il y a là trois compagnies du 4ème léger et trois compagnies du 100ème de ligne.
Les compagnies de Saltoun qui ont été durement éprouvées lors de ces actions sont relevées par le reste du 2ème bataillon du 3rd Foot Guards, sous Hepburn, et se voient autorisées à se retirer vers le gros du 1st Foot Guards, toujours derrière la crête. Hepburn se trouve donc avec l’ensemble du 3rd Foot dans le chemin creux. Il doit être 14.45 hrs. Pendant ce temps-là, les Français se cassent toujours les dents sur le mur Sud du jardin où se sont maintenant installés les Coldstream, tandis que les Nassauviens se concentrent sur le mur Est d’où ils tirent sur les Français comme à l’exercice.
Pas d’arrêt dans l’action ! A peine formé dans le chemin creux, Hepburn avec l’ensemble du 3rd Foot Guards, part à l’assaut du verger et en chasse les Français qui se voient rejeter au delà de la haie dans la prairie au sud du verger. A 15.00 hrs, ou peu après, la situation est claire : la division Jérôme est fixée dans le bois et la division Foy dans les prairies à l’est de celle-ci. Elles ne cesseront plus d’assaillir les positions alliées sans jamais parvenir à faire un pas en avant. La garnison risque cependant de se trouver à court de munitions. Entre 15.00 et 16.00 hrs, toutefois, un chariot de munitions parvient à descendre et entre dans la cour de la ferme.
C’est à peu près à cette heure-là que Jérôme se rendit enfin compte qu’il serait vain de vouloir s’emparer de la ferme et du château si on ne les soumettait pas à un tir d’artillerie un peu efficace. Quelques obusiers se mettent alors à tirer sur le domaine, mettant feu aux granges et aux bâtiments. Si cet incendie rendit la situation très inconfortable pour les défenseurs, il n’eut aucune influence réelle sur la suite des événements : une suite d’attaques sporadiques contre le verger ou le mur du jardin, aussitôt repoussées. Précisons que la 2ème brigade (Campi) de la 5ème division (Bachelu) amorça vers 15.00 hrs un mouvement offensif contre le verger d’Hougoumont mais que l’artillerie anglaise, très habilement dirigée, l’en dissuada et qu’elle n’insista pas.
Vers 19.00 hrs, trois bataillons brunswickois (Leibbatalion, 1er léger et Avant-garde), par l’ouest, le 2ème bataillon KGL et le bataillon de Landwehr de Salzgitter, par l’est, viennent dégager le domaine et nettoient le verger et le bois.
Le seul effet pratique de cette succession d’événements, c’est que les Français ont stupidement immobilisé deux divisions entières d’infanterie et la moitié d’une troisième pour un résultat nul. La garnison totale d’Hougoumont n’aura jamais dépassé 2 600 hommes tandis que près de 15 000 Français s’y cassaient les dents. L’intention de Napoléon – si elle est bien réelle – de voir Wellington dégarnir sérieusement son centre pour venir au secours d’Hougoumont a été déjouée. Et ces deux divisions et demi vont cruellement manquer lorsqu’on aura un besoin vital d’elles…
(To be continued…)

Saint Jean-Baptiste 03/07/2008 @ 22:10:34
Toujours aussi bien raconté, toujours aussi facile à suivre, toujours aussi intéressant.
C'est une belle chronique, assurément. Elle arrive bien à son heure.

Si je pouvais me permettre un conseil : ne passe qu'un épisode par jour, je pense que ce sera assez.
Certains visitent en vitesse, tout le monde n'est pas encore en vacances...

Micharlemagne

avatar 04/07/2008 @ 02:40:28
C'est ce que je comptais faire. Mais comme je ne suis pas sûr d'avoir le temps demain, j'ai préféré faire mes devoirs ce soir. Je suis content que tu aies trouvé le n° 2 aussi clair que le n° 1, j'avais peur que ce défilé de brigades, de divisions, de bataillons et de compagnies ne sèment un peu la pagaille. Mais que veux-tu, il faut bien dire qui fait quoi. Pour la suite, l'histoire est un peu moins compliquée. ce sera plus facile à rédiger.

Micharlemagne

avatar 05/07/2008 @ 08:42:56
3e épisode
Napoléon met en place la grande batterie
A 11.00 hrs, donc, ainsi que le montrent ses ordres, Napoléon est fixé sur son objectif : bousculer l’armée anglo-néerlandaise et s’emparer du village de Mont-Saint-Jean. Il n’est pas encore question de diversion sur Hougoumont mais seulement d’un choc frontal des deux premiers corps. Ce choc sera, comme d’accoutumée, précédé d’une préparation d’artillerie. A onze heures, Napoléon estime que les 24 pièces de 12 livres (cette mesure fait référence au poids du boulet) des 1er, 2ème et 6ème corps suffiront à affaiblir la ligne alliée. « Peu après », aucun auteur n’est plus précis, l’empereur décide de renforcer cette batterie en lui adjoignant les batteries de 6 du 1er corps et trois batteries de 6 de la Garde. A remarquer d’emblée : Napoléon disposerait encore théoriquement des 18 pièces de 12 de la garde mais il n’ajoute aucune pièce de 12 à la grande batterie. Il ne s’agit pas d’un oubli : à 11.30 hrs, les trois compagnies d’artillerie de la garde sont encore en route sur la chaussée de Charleroi et n’arriveront sans doute pas avant midi.
L’idée de constituer une grande batterie n’est pas neuve. Napoléon avait déjà eu recours à sept reprises à cette solution : à Eylau, à Wagram, à Borodino, à Bautzen, à Hanau, à Leipzig, et à Ligny. Le lecteur qui connaît bien les campagnes napoléoniennes aura remarqué que, sauf Wagram, aucune de ces batailles ne fut une victoire décisive. Bien plus, Leipzig fut une sanglante défaite. D’ailleurs, à Leipzig, précisément, les alliés avaient assimilé la leçon : Blücher constitua une batterie gigantesque en concentrant 220 pièces prussiennes, russes et suédoises qui écrasèrent les positions françaises à Schönefeld. De leur côté, les Russes avaient constitué une batterie d’une centaine de pièces à Gulden Gossa. Il faut dire que les alliés, à Leipzig, dis-posaient d’un total de plus de 1 500 bouches à feu !
Napoléon a toujours prétendu que l’opération contre Hougoumont n’était qu’une diversion destinée à forcer Wellington à dégarnir son centre pour renforcer son aile droite. C’est vraiment prendre le duc pour un demeuré si, au moment où on veut lui faire dégarnir son centre, on constitue une grande batterie, bien visible, braquée précisément sur ce même centre…
Quoiqu’il en soit, comme dit Houssaye : « On forma ainsi, en avant et à droite de la Belle Alliance, une formidable batterie de quatre-vingts bouches à feu. Il était près d’une heure. Ney dépêcha un de ses aides de camp à Rossomme pour avertir l’empereur que tout était prêt et qu’il attendait l’ordre d’attaquer. Avant que la fumée de tous ces canons eût élevé un rideau entre les deux collines, Napoléon voulut jeter un dernier regard sur l’étendue du champ de bataille » (p. 331) C’est à ce moment que l’empereur aperçoit pour la première fois les Prussiens, chose qui eût effectivement été impossible si la grande batterie avait commencé à tirer : la fumée, très importante, l'en aurait empêché.

Voici les portées des pièces disposées dans la grande batterie :
Canon de 6 livres: Boulets
Portée maximum 1.300 m - Portée efficace max. 700 m
Canon de 12 livres : Boulets
Portée maximum 1.800 m - Portée efficace max 900 m
Obusiers de 5,5 pouces
Portée maximum 1.200 m - Portée efficace max 600 m

Au mètre près, la plupart des auteurs se rallient à ces chiffres. Mais il faut noter que, quand cela les arrange, ils confondent gaiement la portée maximum et la portée efficace maximale. Le colonel Cotty, qui en 1822 était directeur des manufactures royales d’armes de guerre, et qui est donc supposé savoir de quoi il parle, écrit que « la plus grande distance à laquelle on doit tirer un boulet, avec le canon de bataille est de 994 m (500 toises) pour ceux de 12 et de 8, de 885 m pour celles de 4 ». Il ajoute d’ailleurs qu’en tirant à cinquante toises de moins, l’effet est « plus certain » et le tir « en est avivé ». Autrement dit, un canon de 12 peut toujours envoyer un boulet de 12 livres à 1 800 mètres, en tenant compte des ricochets, mais, à cette distance, même si le terrain s’y prête, il roulera à terre sans faire d’autre dégât. Tenant compte de ces chiffres, où Napoléon place-t-il sa grande batterie ?
Les auteurs, comme Houssaye, nous serinent à l’envi que le matin du 18 juin, les mouvements de l’artillerie française étaient rendus difficiles sinon impossibles par l’état boueux du terrain. Peut-être dans les fonds… ; mais nous savons aussi que vers 09.00 hrs, lorsque Napoléon demande quel est l’état du terrain, on lui répond que le vent s’est levé et qu’il ne tardera pas à sécher le terrain. Napoléon lui-même déclarera dans ses Mémoires qu’à midi, le terrain était praticable pour l’artillerie. La plupart des témoins nous disent que dans la matinée du 18, le soleil se mit à briller timidement. Admettons encore que, dans le fond des vallons, le terrain soit resté boueux. Cela n’a pas empêché, selon tous nos auteurs, les pièces de la grande batterie d’avancer sur le chemin de crête qui va de la Belle-Alliance à La Marache jusqu’à 1 400 mètres à l’est de la Belle-Alliance. Ce chemin se maintient à peu près toujours à 135 mètres d’altitude avant de plonger assez brutalement à 110 mètres. Procédons mentalement à cette opération.. Nous voyons alors que la grande batterie pouvait tout juste atteindre la ligne anglaise à hauteur de l’actuel couvent de Fichermont (environ 1 000 mètres). Mais, tenant compte du fait que les Anglo-Néerlandais sont disposés derrière la crête, même à cette portée utile, il est évident que les pertes subies par les alliés seront minimes. Les boulets s’enfonceront lourdement dans le limon gras et ne rebondiront pas. Or c’est précisément le rebond du boulet qui le rend redoutable. Les auteurs nous expliquent d’ailleurs que seule la brigade Bijlandt, qui se trouvait selon eux en avant du chemin – ce que nous contestons formellement – et l’artillerie anglaise qui se trouvait sur la crête ont souffert de ce bombardement. Ce qui est faux : Wellington fit reculer ses batteries à l’abri à l’arrière du chemin et la brigade Bijlandt ne se trouvait pas où l’endroit que Siborne lui attribue mais bien en arrière du chemin d'Ohain.
Donc, même dans le plus favorable des cas, le vrai centre anglais – la Haye-Sainte et les abords de la chaussée – serait hors de portée de l’artillerie française. Bombarder inutilement en direction de cette zone, pour y envoyer, après une demi-heure, les divisions de gauche de Drouet d’Erlon, cela porterait un nom : incompétence criminelle. On n’arrivera pourtant pas à nous faire admettre que Napoléon, artilleur lui-même, ait pu commettre ou même assister à une telle incurie sans réagir. Il y a vraiment quelque chose qui ne va pas…
C'est donc, contrairement à ce qui a toujours été prétendu, que la grande batterie était installée à la crête que nous avons appelée « du Km 21 », parrallèlement au chemin qui mène à La Marache. Mais environ 400 mètres en avant de celui-ci.
Ainsi donc, la grande batterie ouvre le feu à 13.30 hrs.

Durant les trente minutes du bombardement, quelques 3 600 coups furent tirés dont la moitié environ tomba sur la pente en avant du chemin d'Ohain, tandis que l’autre moitié tombait sur la contre-pente. Dans l’ensemble de la zone cible, étaient déployés plus de 15.000 Anglo-Alliés, dont 500 seulement furent atteints par le tir de la grande batterie soit 3,3 p.c. Cette relative inefficacité est due à quatre faits :
• la plupart des troupes étaient cachées aux yeux des artilleurs français par le terrain et la fumée ;
• la crête a protégé le gros des troupes d’environ 50 p.c. des coups ;
• le sol argileux humide a absorbé à la fois les boulets et les obus qui atterrissait (très peu roulèrent ou ricochèrent) ;
• le nombre de coups tirés reste relativement réduit par rapport à la surface visée.
Cependant, il faut tout de même admettre que, psychologiquement, les Anglo-Alliés sont soumis à une rude épreuve...
(A suivre)

Saint Jean-Baptiste 06/07/2008 @ 00:02:11
Toujours aussi intéressant ; je ne perds pas un mot du récit et comme je connais bien les lieux, c'est comme ci j'y étais.
C'est juste assez bien détaillé : le temps, le terrain, les portées des canons... c'est juste ce qu'il faut pour tout visionner convenablement.
Juste un détail que je me suis demandé : Tu parles de coups tirés sur l'avant pente du chemin d'Ohain.
Y avait-il des Alliés devant le Chemin d'Ohain ? Personnellement, je ne pense pas...

Alors, peut-être, pour ceux qui ne connaissent pas le terrain, faudrait-il indiquer quelques distances. Dans la mesure du possible, bien sûr.

Tistou 06/07/2008 @ 03:25:11
Eh bien Micharlemagne ... ! Ne viens pas nous dire que l'art militaire ne t'intéresse pas ! Ca me stupéfie de constater qu'à quelques siècles de distance on s'intéresse dans ce détail à une bataille, d'ailleurs plus sur le plan tactique et cruellement technique, en oubliant les souffrances des hommes et des bêtes, les cris des blessés et des mourants et l'odeur de la poudre et de la mort. Et la peur ! Où est la peur ?
Tu décris bien, avec le souci que le lecteur puisse saisir les enjeux, mais ça reste clinique là où le sujet est cruellement humain tout de même.
Et bien j'attends la suite (je sens que ça va mal finir !).

Micharlemagne

avatar 06/07/2008 @ 10:30:49
Et bien j'attends la suite (je sens que ça va mal finir !).

Pour 40.000 hommes au moins...
Un peu de patience, Messieurs, un peu de patience...
SJB : je satisferai entièrement tes désirs pas plus tard qu'aujourd'hui lorsqu'il sera question du 1er corps et de son attaque sur la ligne alliée.
Mais je prends ta vigilance en défaut... N'ai-je pas dit, dans mon tout premier chapitre, que le matin du 18 juin, on voyait très nettement la brigade Bijlandt (en bleu) en avant du chemin d'Ohain et que ce n'était pas un hasard. Mais si tu ne l'as pas remarqué, ne t'inquiète pas : je dirai amplement ce qu'il en est...
Et puisque tu me fais remarquer avec à-propos que je n'ai pas décrit le terrain, je m'en vais corriger cela dans un petit "encadré" qui te donnera entièrement satisfaction. Je vais m'y mettre pas plus tard que maintenant, en profitant du délai que nous laisse Napoléon en mettant en place sa grande batterie.

Micharlemagne

avatar 06/07/2008 @ 11:54:51
Interlude
Le champ de bataille
Profitons de l’instant de répit que nous donne la grande batterie en s’installant, pour donner une sommaire description du terrain. Nous l’emprunterons à Edgar Quinet qui a vécu quelques an-nées en Belgique, suite au coup d’État du 2 décembre, et qui connaissait admirablement le ter-rain pour s’y être promené à de très nombreuses reprises. Mons connue que celle Victor Hugo dans les « Misérables », elle a le mérite de cerner la vérité de plus près.
« Le champ de bataille où la destinée du monde allait se décider était alors bordé de forêts au nord et au nord-est comme un vaste champ clos. Un vallon séparait les deux armées ; elles occupaient en face l’une de l’autre des hauteurs à peu près parallèles dans la direction de l’est à l’ouest ; la chaîne de collines où étaient placés les Français formait une ligne légèrement convexe et enveloppait le côté opposé. La partie la plus élevée de ces deux lignes parallèles est à leur milieu, en sorte que les deux extrémités, plus basses, sont cachées l’une à l’autre ; les deux ailes de la même armée ne peuvent s’apercevoir. Les points culminants sont coupés par la grande route qui se déroule presque perpendiculairement à la position sur les hauteurs, en suivant les ondulations du sol. Du côté des Anglais, le bord du plateau était marqué dans son étendue par un chemin creux, capable de mettre à l’abri le front de leur armée. En avant de cette sorte de fossé, le terrain se relevait brusquement en une vive arête ou escarpement difficile à gravir, surtout au centre. »
Nous interrompons très brièvement Quinet pour préciser que ce chemin n’était réellement creux que du côté ouest de la route sur une longueur d’environ trois cents mètres. Du côté est, il l’était beaucoup moins mais était bordé de haies vives d’épineux assez élevées qui rendaient le passage difficile. Reprenons notre lecture :
« Au-dessous de cette crête prolongée était trois postes, comme des forts détachés en avant de la ligne ennemie. Le premier, à l’extrémité de notre gauche, était le château d’Hougoumont, vaste tour carrée flanquée de granges et d’étables, environnée de bois, de vergers, de jardins et d’enclos ; le second, au-dessous du centre, est la grande ferme de la Haie-Sainte, à mi côté du ravin, sur le bord de la route ; une cour fermée de hauts murs, une vaste porte surmontée d’une sorte de créneau la précède ; le jardin, en terrasse, la défend par derrière ; vers la droite, la vallée est fermée par le village de Smohain et le château de Frichermont ; il fait le pendant du château d’Hougoumont, à l’extrémité opposée.
« Ainsi un long plateau profondément ondulé, revêtu d’une crête ; au-dessous des hauteurs, parmi de larges bas-fonds, trois forteresses rustiques, Hougoumont, la Haie-Sainte, Smohain ; cet espace à gauche planté de taillis, partout ailleurs couverts de seigles, sans haies, sans ruisseaux, traversé par deux grandes routes pavées qui vont se rejoindre au sommet de l’angle, dans le bourg de Mont-Saint-Jean ; tel était le champ de bataille. Les Anglais avaient immédiatement derrière eux le village de Mont-Saint-Jean, qui se prolonge aux deux côtés de la route comme un faubourg, plus en arrière Waterloo, enfin la forêt de Soignes, plantée de hêtres, sans broussailles ni végétation embarrassée. On dispute encore si elle eût été un abri ou un obstacle dans la retraite. L’extrémité gauche de la position anglaise aboutissait à un bois de pins et de chênes dominant ce côté du champ de bataille. Une armée qui se cacherait dans ces épais fourrés, coupés de quelques clairières, pourrait se glisser et déboucher à l’improviste, elle ne serait démasquée qu’au moment où elle prendrait part à l’action. »
Ajoutons qu’entre les deux crêtes où seront alignées les deux armées, il existe de part et d’autre de la chaussée de Charleroi, à hauteur de la borne du kilomètre 21, une petite ondulation, moins élevée que les deux autres sur laquelle Napoléon installe sa grande batterie, laquelle doit être maintenant à pied d’œuvre et ne devrait pas tarder à ouvrir le feu.

Micharlemagne

avatar 06/07/2008 @ 11:57:55
Et la peur ! Où est la peur ?

Je consacrerai un article à ce sujet Mais je préfère commencer par donner le récit des événements avant d'entrer dans des considérations psychologiques qui pourraient, à mon sens, faire perdre au lecteur le fil de l'action

Micharlemagne

avatar 07/07/2008 @ 05:07:01
4e épisode
La brigade Bijlandt
Le duc de Wellington n’avait jamais caché son opinion à l’égard des Belges et il était convaincu que ceux qu’il avait sous ses ordres, la plupart anciens membres de la Grande Armée, passeraient à l’ennemi à la première occasion. Il était ainsi, étrangement, exactement du même avis que Napoléon… Il se trompait mais néanmoins, il recommanda au roi des Pays-Bas de répartir les unités belges dans les brigades néerlandaises, auxquelles le duc faisait d’ailleurs à peine plus confiance.
C’est ainsi que le 7e bataillon de ligne belge, de même d’ailleurs que la batterie Stévenart d’origine belge également, se trouva enchâssé dans les neuf bataillons hollandais et nassauviens de la division Perponcher, faisant partie avec le 27e léger hollandais et les 7e et 8e bataillons de Milice nationale (d'origine hollandaise) de la brigade Bijlandt.
Wellington ne devra pas attendre le matin du 18 juin pour être rassuré sur le comportement des unités belges. En effet, dès le 16 juin, aux Quatre-Bras, elles auront l’occasion de démontrer leur loyauté. La 2ème division de Perponcher – dont la brigade Bijlandt – tiendra la position des Quatre-Bras permettant aux renforts alliés d’arriver bataillons après bataillons. Au cours de ces combats, le 7ème bataillon de ligne subira des pertes sévères (92 hommes et 2 officiers).
Petit flash back : le 15 juin 1815, alors que Napoléon se dirige vers Charleroi, au quartier-général du 1er Corps allié, situé à Braine-le-Comte, le Prince d’Orange ne se doute de rien. Il a pourtant visité ses avant-postes au petit matin mais on n’y a rien vu ni entendu de particulier. Vers midi, il vise le journal de campagne de son chef d’état-major, le général de Constant-Rebecque, et quitte Braine-le-Comte pour Bruxelles où il doit dîner avec le duc de Wellington. Il n’est pas encore très éloigné que parvient à Braine l’avis que Napoléon a passé la frontière. Immédiatement, le général de Constant-Rebecque ordonne à Perponcher de concentrer sa division à Nivelles avec un détachement au carrefour des Quatre-Bras. Perponcher installe la brigade Bijlandt sur la route à l’est de Nivelles, tandis que la brigade Saxe-Weimar a pour mission d’occuper le carrefour des Quatre-Bras. En vertu de quoi, dans l’après-midi du 15, la brigade Bijlandt fait mouvement vers Nivelles et Saxe-Weimar vers les Quatre-Bras. Dans la soirée, Constant-Rebecque reçoit de Nivelles une information nouvelle : les Français ont poussé jusqu’aux Quatre-Bras. Il envoie aussitôt un message au prince d’Orange lui faisant part de cette grave nouvelle et l’informe qu’il a pris sur lui d’ordonner à Perponcher de soutenir sa 2ème brigade (Saxe-Weimar) par sa 1ère (Bijlandt). Le message arrive à Bruxelles vers minuit quand il est remis au prince d’Orange qui assiste, rue de la Blanchisserie, au célèbre bal de la duchesse de Richmond. Entre-temps, Constant-Rebecque a reçu, de Bruxelles, l’ordre de concentrer le 1er corps allié à Nivelles. L’information qu’il envoyé au prince et cet ordre se sont donc croisées. Il ne voit aucune contradiction entre cet ordre donné avant que l’on sache quelque chose à Bruxelles et les mesures qu’il a prises pour couvrir les Quatre-Bras et, à vrai dire, quoi qu’en aient dit de nombreux auteurs, il n’y en a pas.
Des reconnaissances françaises sont observées par Saxe-Weimar qui paie d’audace et lance quelques actions en direction de Frasnes lesquelles ont pour résultat de clouer les Français , pas encore concentrés, sur place. Le lendemain matin, la brigade Bijlandt marche et occupe les environs du carrefour pendant que le 7ème bataillon de ligne, qui constitue l’arrière-garde, est encore en mouvement sur la chaussée. Le combat est déjà entamé lorsqu’il parvient sur le champ de bataille ; il est aussitôt jeté dans la mêlée. Il tient bon malgré le feu de l’infanterie et de l’artillerie et il est chargé à plusieurs reprises par les 8e et 11e cuirassiers français. La résistance de la brigade Bijlandt et celle du duc de Saxe-Weimar auront permis aux alliés de tenir aux Quatre-Bras grâce à l’arrivée continuelle de renforts. Les Français restent cloués devant le carrefour : à 21.00 hrs, le combat cesse sur les positions occupées au début de la bataille. Les Hollando-Belges ont perdu 914 hommes…
Pour nous résumer, au début de la bataille des Quatre-Bras, la seule division Perponcher tint bon avec 8 000 hommes et sa brillante défense permit à Wellington de rassembler, le soir du 16 juin, environ 35 000 hommes contre 23 000 Français. Cette bataille des Quatre-Bras eut pour effet secondaire, mais non moins important, d’empêcher Ney ou une partie de l’aile qu’il commandait de venir en aide à Napoléon à Ligny et, par là, de rendre définitive la défaite de Blücher. Voilà pour résumer l’activité des Hollando-Belges de la brigade Bijlandt dans le courant de cette chaude journée du 16 juin 1815. Il n’y a pas à en douter : si la moindre faille s’était produite, les historiens l’auraient souligné dix fois, trop contents de rejeter les torts des uns et des autres sur une petite brigade, au trois quarts composée de miliciens, autrement dit d’amateurs. Il faudra attendre les événements du 18 pour que nos auteurs puissent enfin se déchaîner. Les auteurs anglais, à commencer par Siborne, iront même jusqu’à traiter les hommes de cette brigade de « lâches ». Qu’en est-il ?
La journée du 17 et la retraite vers Mont-Saint-Jean n’offrent rien de particulier à signaler. Le soir du 17, la brigade Bijlandt bivouaque sur les emplacements qui lui ont été assignés, c’est à dire à l’est de la chaussée de Bruxelles, sur la pente qui monte vers le chemin d’Ohain, au sud de celui-ci. Nous verrons pourquoi. La nuit est effroyable. Il pleut à torrent et, pourtant, les hommes se plaignent de la soif et se disputent le peu d’eau destiné aux chevaux. Leurs camarades britanniques, toujours admirablement servis par une intendance efficace, ont reçu double ration de vivres et de rhum. Rien de tel pour les Hollando-Belges qui manquent de nourriture et de fourrage. Le moral de la troupe n’est donc pas flamboyant lorsque, à l’aube, les hommes de Bijlandt prennent leurs positions de combat.
C’est ici que la polémique va prendre feu… Lorsque le premier coup de feu de la bataille de Waterloo est tiré, vers 11.30 hrs, où se trouve exactement la brigade Bijlandt ?
Les auteurs n’ont jamais été d’accord entre eux et donnent trente-six versions différentes de la chose et s’arracheraient les yeux pour faire prévaloir leur hypothèse. La solution est pourtant bien simple et logique. Mais pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?...
La 1ère brigade (Bijlandt) de la 2ème division néerlandaise (Perponcher) tenait les Quatre-Bras lorsque la division Picton arriva en renfort. Wellington avait remarqué la chose et dut penser que ces deux unités avaient dû concevoir de l’estime l’une pour l’autre en raison de leur vaillance au combat et qu’elles s’intégreraient bien.
Fidèle à sa politique qui consistait à « amalgamer » les troupes hollando-belges avec les troupes britanniques afin de s’assurer de leur comportement, lorsque l’heure vint de retraiter vers Mont-Saint-Jean, il ne vit aucune difficulté à placer la brigade Bijlandt dans la colonne de la division Picton, sans doute même à sa tête. Arrivée à Waterloo, la brigade fut placée aux avant-postes afin de protéger le flanc gauche de l’armée durant la nuit du 17 au 18. C’est la raison pour laquelle elle se trouvait déployée en ligne sur le versant sud de la crête du chemin d’Ohain et que le lendemain à l’aube, après avoir bivouaqué sur place, elle y reprit naturellement la même position, puisqu’elle n’avait pas reçu de nouveaux ordres. Dans l’agitation qui régnait à l’état-major anglo-allié, on l’avait apparemment oubliée...
Lorsqu’au petit matin, Wellington fit le tour de sa ligne de bataille, il remarqua la position aventurée de cette brigade et constata que, mis à part l’artillerie qui était positionnée sur les crêtes, cette brigade en ligne sur deux rangs devait être la seule que les Français pussent apercevoir de la crête d’en face. Fidèle à ses habitudes de prudence, sa première idée est de la faire reculer derrière la haie afin de la dissimuler aux vues de l’ennemi. Mais lui vient subitement une idée. Et si, en laissant là cette unité apparemment faible, déployée sur environ 400 de mètres, on essayait de faire croire à Napoléon que le point faible de la ligne alliée se trouve à cet endroit ? Cela tombe d’autant mieux que les Néerlandais sont vêtus d’un uniforme bleu, bien distinct des tuniques rouges britanniques que redoutent les Français et qui sont situées en deuxième ligne sur la contrepente, bien dissimulées. Les Néerlandais seraient ainsi en quelque sorte la chèvre destinée à servir d’appât au tigre.
La ruse marche à merveille. Napoléon se persuade que les Alliés, comme la veille, vont entamer la retraite dès qu’il manifestera quelque agressivité et que ces troupes hollando-belges sont sacrifiées et destinées à couvrir l’arrière-garde. Il ne sait pas encore que Wellington ne compte absolument pas retraiter. Il n’en acquerra la certitude que lorsqu’il saura la résistance acharnée qu’opposent les troupes alliées aux assauts français sur Hougoumont. Il donne donc ses ordres en conséquence : la grande batterie de 80 pièces est placée exactement en face de la brigade Bijlandt et les unités du 1er corps d’armée de Drouet d’Erlon sont alignées en colonnes derrière celle-ci.
Ce mouvement est évidemment perçu par le duc de Wellington qui attend patiemment que les Français aient suffisamment entamé leur mise en place pour ne plus pouvoir faire marche arrière. C’est sans doute quand il voit la division Durutte prendre place à l’extrême-droite de la ligne française qu’il estime que le moment est venu de mettre les Hollando-Belges à l’abri.
Il était entre midi et midi et demi.
Dès ce moment, la brigade est déployée, toujours sur deux rangs et sur un front de 400 mètres, derrière la haie qui borde le chemin d’Ohain, de la manière suivante : d’est en ouest, 8e bataillon de Milice, 7e de Milice, 7e de ligne belge, 27e Léger hollandais ; en deuxième ligne, 5e de Milice.
A 13.30 hrs, la grande batterie ouvre le feu. Les artilleurs français tirent à l’aveuglette. Ils ne voient plus rien du tout des troupes qu’ils avaient encore sous les yeux une heure avant. Ils règlent donc leur tir de manière à atteindre la contrepente à l’endroit où ils supposent que ces troupes ont pris place. Excellent calcul, n’étaient que la précision de ce tir est purement aléatoire et que le terrain très humide « absorbe » la plupart de leurs boulets. Il n’empêche, les Belgo-Hollandais subissent avec calme un feu soutenu.
Vers 14.00 hrs, la grande batterie tire encore quand les quatre divisions du 1er corps de Drouet d’Erlon se mettent en marche. Elles descendent du plateau de Belle-Alliance, remontent vers la grande batterie qui cesse son feu, la traversent et redescendent dans le fond – appelé aujourd’hui « fond Pauquet » – avant d’aborder la pente vers le chemin d’Ohain. Nous ne discuterons pas ici la formation adoptée par le 1er corps : nous en parlerons plus tard. Les colonnes d’assaut françaises sont précédées par de forts détachements de tirailleurs. De leur côté, les Anglo-Alliés, à l’abri de leur contre-pente, ne voient presque rien mais perçoivent naturellement la rumeur et les musiques qui soutiennent les Français. Les tirailleurs atteignent la position alliée à la hauteur du front de Bijlandt et ouvrent un feu nourri sur le 27e hollandais déployé en tirailleurs, le 7e belge et les 7e et 8e de Milice. Ainsi donc, Napoléon est tombé dans le piège que lui avait tendu Wellington...
Quatre bataillons de la brigade française Bourgeois doivent appuyer à droite pour éviter la carrière de sable et la Haye-Sainte que les quatre autres bataillons de cette division attaquent. De ce fait, la colonne de Donzelot, qui marche en échelon immédiatement à sa droite doit marquer le pas pour éviter la collision avec les hommes de Bourgeois et c’est la division Marcognet, encore plus à droite, qui se retrouve en premier échelon. Au moment où ses tirailleurs abordent le chemin, les Hollando-Belges ouvrent le feu à bout portant ces tirailleurs qui précèdent la colonne et qui refluent rapidement. Ils croient avoir gagné le premier round quand, brutalement, en face des 7e et 8e de Milice, les tirailleurs se retirent, révélant une colonne française parvenue juste de l’autre côté du chemin d’Ohain. Il y a là quelque chose comme 400 fusils qui livrent une salve meurtrière. Les morts et les blessés sont très nombreux dans les rangs des miliciens qui, en tant qu’unités de combat, ont cessé d’exister. La colonne française met baïonnette au canon et franchit la crête et le chemin. Les survivants des deux bataillons de Milice se retirent avec précipitation sur la deuxième ligne. Les jeunes miliciens, très éprouvés par les combats des Quatre-Bras et sans doute paniqués, donnent l’impression de fuir et cela provoque quelques désordres dans la deuxième ligne britannique. En tout cas, la panique est assez grande dans la batterie britannique du major Rogers pour qu’un de ses sous-officiers encloue un canon et que son personnel prenne la fuite. (Ce sera la seule unité d’artillerie alliée à être mise hors combat durant la journée)
Pendant ce temps, la colonne de Donzelot arrive en face du 27e léger hollandais et du 7e belge. Le lieutenant Scheltens, du 7e belge, raconte : « Le bataillon resta couché derrière la route jusqu’à ce que la tête de la colonne française soit à portée de pistolet. La ligne reçut alors l’ordre de se lever et d’ouvrir le feu. La colonne française qui traversait le chemin creux, commit la faute de s’arrêter dans le but de répondre à notre feu… Nous étions si proches que le capitaine l’Olivier reçut la bourre en même temps qu’une balle dans sa blessure. ». De quoi il ressort, en tout cas, que le 7e bataillon de ligne ne recula pas et tint le terrain. Si l’on s’en tient à ce que nous savons, nous voyons donc le 27e hollandais, déployé en tirailleurs, reculer devant l’avance française, traverser les lignes du 7e belge et aller se regrouper derrière le 28e anglais. Au moment où les Français arrivent « à portée de pistolet », c’est à dire à environ 25 mètres de la ligne belge, celle-ci ouvre le feu.
Pendant que le 7e tenait bon, à côté de lui, les 7e et 8e de Milice avaient reculé comme nous l’avons dit, ouvrant un espace dans lequel les Français s’engouffrent, mais bousculés sur leur droite et sur leur gauche, le désordre s’installe dans leurs rangs. Picton s’aperçoit que sa ligne de défense devient dangereusement mince et ordonne de la renforcer par sa deuxième ligne. Mais avant d’avoir reçu cet ordre, les Scots et les Inniskillings, restés couchés sur leur position de deuxième ligne n’avaient pas vu ce qui avait provoqué la retraite précipitée des miliciens hollandais. Or l’uniforme bleu des Hollandais et leurs shakos ressemblaient furieusement à ceux des Français. C’est ce qui provoqua de leur part une violente réaction quand, non seulement les Hollandais, mais aussi les artilleurs de Rogers et la compagnie du 95e qui se trouvait en surplomb de la carrière de sable, passèrent à leur hauteur. Leurs officiers eurent la plus grande peine du monde à les empêcher de tirer sur eux.
Pendant ce temps-là, les Hollando-Belges qui n’avaient pas été directement soumis à l’attaque des Français reçurent l’ordre de se mettre en potence à la gauche de Kempt et les débris de la milice hollandaise furent ralliés derrière le 5e de Milice. Le colonel van Zuylen explique : « Tandis que l’ennemi s’efforçait hâtivement de se reformer, les troupes de la deuxième ligne les plus proches s’avancèrent contre ses flancs, pendant que le chef d’état-major, ayant rallié 400 hommes des troupes qui avaient dû se retirer, secondait ce mouvement. On rejeta l’ennemi au-delà du chemin creux et on le poursuivit la baïonnette dans les reins jusque sur sa position, tandis que la cavalerie, tombant sur lui, fit dans ses rangs un effroyable carnage. » Ce dernier épisode est la très célèbre et très spectaculaire charge de l’Union Brigade, rendue célèbre par de nombreux tableaux et par le cinéma. L'affaire avait été très chaude mais le plus dur était passé. Le 1er corps était rejeté en désordre et n'interviendrait pratiquement plus dans le courant de la journée.
Le 7e belge continua à combattre sans désemparer, participant notamment à repousser la 2e brigade de Bourgeois. Au cours de ces actions, le 7e bataillon belge d’infanterie de ligne perdit 5 officiers et 147 hommes.
La brigade Bijlandt avait ainsi mieux qu’honorablement rempli son contrat.
Elle avait perdu 1 100 hommes le 16 juin : le 27e bataillon léger avait perdu près de 350 hommes sur un total de 809, le 5e de Milice, 220 sur 482…
Le 18 juin, la 2ème division de Perponcher perdit environ 2 000 hommes sur un total de 7 620, soit à peu près 24 p. c. Mark Adkin évalue les pertes de la 1ère brigade au double de celles de la deuxième soit environ 670 hommes tués ou blessés. Bijlandt fut blessé au cours de la journée ainsi que tous ses commandants de bataillons. Au total, au cours de la campagne de 1815, la brigade Bijlandt perdit plus de 1 400 hommes soit 43 p. c. de son effectif original. De quoi démoraliser n’importe quelle unité d’élite…

Saint Jean-Baptiste 07/07/2008 @ 15:15:42
Toujours aussi complet, toujours aussi bien documenté.
J'arrive çà suivre facilement parce que je connais les lieux. C'est mon terrain d'entraînement pour le Tour 2012 parce que les routes sont moins escarpées que partout ailleurs.
As-tu déjà publié quelque chose sur la bataille ?

Micharlemagne

avatar 07/07/2008 @ 19:50:20
Quelques articles dans des gazettes confidentielles... Le projet s'étend jusqu'en 2015 ! J'accumule la documentation mais je t'avoue franchement que j'ai un très gros souci. Je ne sais toujours pas comment présenter cela. Je ne veux écrire une histoire linéaire, parce qu'il y aurait trop de digressions. Comme je classe tous les événements par ordre alphabétique, je m'étais demandé si je ne ferais pas un dictionnaire. Mais est-ce susceptible d'être publié ? Puis, je me suis intéressé d'un peu plus près au rôle de l'armée belgo-hollandaise dans cette campagne. On a très peu publié en français sur le sujet. C'est peut-être une piste, mais est-ce que cela ne serait pas un peu trop limité à la Belgique (ou aux Pays-Bas, si j'arrivais à faire traduire). J'ai aussi pensé à reprendre intégralement les Mémoires de Napoléon sur la campagne de 1815 et à les critiquer paragraphe par paragraphe. Chaque paragraphe serait ainsi l'occasion d'une histoire détaillée et critique de chaque événement évoqué par Napoléon lui-même. Bref, je ne sais pas ! D'ailleurs, toutes les idées sont bienvenues. Et même sollicitées...

Micharlemagne

avatar 07/07/2008 @ 21:28:41
C'est mon terrain d'entraînement pour le Tour 2012 parce que les routes sont moins escarpées que partout ailleurs.

Si tu veux un peu corser l'entraînement, je ne saurais assez te conseiller le chemin qui va de la Marache (ex-Smohain) à Plancenoit. A faire quand il fait bien chaud... Je te jure que quand on arrive, on ne peut que maudire ce vieux Victor avec sa fichue "morne plaine". Heureusement que sur la place de Plancenoit, il y a un excellent débit de boissons spécialement prévu pour vous consoler. Jadis, la serveuse y était charmante... Tout à fait charmante...

Saint Jean-Baptiste 07/07/2008 @ 21:36:01
Je pense que plus tu vas te spécialiser, plus tu vas restreindre ton auditoire.
Je pense aussi que publier un nouveau livre sur Napoléon ou sur Waterloo, c'est une vraie gageure. Tu sais que ce sont les sujets de l'Histoire où il y a eu le plus de publications.

Du devrais peut-être te tourner vers les magasines ou les quotidiens en vue d'une chronique hebdomadaire en 2015 avec un récit complet mais pas trop détaillé, à la portée du grand public.

Saule

avatar 07/07/2008 @ 22:22:30
C'est vrai que c'est hyper spécialisé, ça intéresse un public de chercheurs.

Mais tu as la plume facile, et tu es très agréable à lire, l'idéal ce serait de faire un roman historique, mais je sais que trouver un scénario est très difficile.

Le rat des champs
avatar 08/07/2008 @ 09:54:00
C'est évidemment très fouillé et détaillé, on s'y croirait. Il y a là de quoi écrire un livre.

Micharlemagne

avatar 08/07/2008 @ 10:58:59
Merci, parrain... Bon, je me mets à la suite.

Micharlemagne

avatar 08/07/2008 @ 12:49:19
5e épisode

Le 1er Corps se prépare

Revenons un peu en arrière. L’attaque du 1er corps, vers 14.00 hrs, est un des épisodes de la bataille qui a suscité le plus de débats. Comme nous l’avons suggéré, le 1er corps de Drouet d’Erlon (4 divisions, un peu plus 20 000 hommes) avait passé la nuit sur le terrain occupant un vaste espace entre Monplaisir et Plancenoit, c'est-à-dire à peu près toute la largeur du champ de bataille. La nuit n’avait pas été meilleure pour les hommes de Drouet que pour leurs camarades d’en face. Le manque d’eau s’avérait cruel, malgré les trombes d’eau déversées par le ciel. Les malheureux n’avaient même pas un peu de nourriture pour se consoler.
Lorsque l’aube du 18 juin 1815 se lève, la quarantaine de maisons de Plancenoit déborde littéralement de soldats français. C’est que la veille au soir, alors qu’ils ont combattu aux Quatre-Bras ou qu’ils ont marché des kilomètres, les malheureux, affamés – ils avaient depuis longtemps épuisé la ration de pain qu’ils avaient reçu le 15 au matin – , trempés – il pleuvait à seau depuis le 17 à 14.30 hrs –, qui passaient par là ont vu dans ce petit village un abri d’autant plus providentiel que la population s’était enfuie dans les bois environnants.
S’en suivent les scènes qui s’étaient reproduites tant de fois à travers toute l’Europe. Les soldats s’introduisent partout et tâchent de se réserver un petit coin à l’abri. Lorsque c’est fait, ils laissent un ou deux camarades pour garder la place ainsi conquise, parfois de haute lutte, que d’autres hommes n’hésiteraient pas à leur voler sans aucun scrupule, et s’en vont fouiller partout afin de trouver ce qui leur manque. Or, il manquent de tout… On arrache les portes et les volets, on les brise : voilà de bon bois pour se réchauffer. Les meubles sont fracassés. On s’empare des vêtements que l’on trouve. Mais surtout, on recherche les vivres. Si l’on a la chance de trouver l’une ou l’autre poule ou une tranche de lard, c’est la promesse d’une bombance inouïe. Sinon, l’on s’en va arracher ce qui est comestible dans les potagers ou dans les champs : rave, betteraves, etc. Lorsqu’on a trouvé son bonheur, on s’en va retrouver ses camarades, on organise une belle flambée et l’on dévore ce que l’on a trouvé. Le pillage est collectif : un homme qui voudrait se débrouiller tout seul n’y arriverait pas… Une fois repu, on s’en va dormir. Les hommes qui ont trouvé un bout de plancher ou deux mètres carrés de terre battue pour y dormir au sec louent le Seigneur qui leur a accordé une telle fortune. Pensent-ils à leurs camarades qui, un peu plus loin, n’ont pas une telle chance et doivent essayer de dormir, le ventre vide, en pleins champs, dans des seigles dégoulinants ?… Erckmann et Chatrian décrivent assez bien la situation de ces malheureux :
« Maintenant représentez-vous des hommes couchés dans les blés, sous une pluie battante, comme de véri-tables Bohémiens, grelottant de froid, songeant à massacrer leurs semblables, et bien heureux d’avoir un navet, une rave ou n’importe quoi pour soutenir un peu leurs forces. Est-ce que c’est la vie d’honnêtes gens ? Est-ce que c’est pour cela que Dieu nous a créés et mis au monde ? Est-ce que ce n’est pas une véritable abomination de penser qu’un roi, un empereur, au lieu de surveiller les affaires de son pays, d’encourager le commerce, de répandre l’instruction, la liberté et les bons exemples, vienne nous réduire par centaines de mille à cet état ?… Je sais bien qu’on appelle cela de la gloire ; mais les peuples sont bien bêtes de glorifier des gens pareils… Oui, il faut avoir perdu toute espèce de bon sens, de cœur et de religion. Tout cela ne nous empêchait pas de claquer des dents… »
A l’aube, tout le monde est tiré de son sommeil par les officiers qui pressent les hommes, mal réveillés et courbaturés, vers les positions qu’ils auront à occuper durant la journée. Cela grogne, bien sûr ! La seule chose que l’on espère, c’est de recevoir un peu d’approvisionnement. Effectivement, vers 09.00 hrs, on recevra l’ordre de faire la soupe. Mais c’est tout ce qu’on recevra : il n’y aura rien à mettre dans la soupe… Le village est donc évacué. On devine l’état lamentable dans lequel se trouvent les maisons désertées… Jusque vers 18.00 hrs, Plancenoit ressemblera à un village abandonné au milieu de nulle part.
Quand arrive le 2e corps de Reille, à qui il est prescrit de se mettre à la gauche du dispositif, le 1er corps res-serre sur sa droite et se place à droite de la chaussée de Bruxelles.
Nous avons, de gauche à droite, alignés le long du chemin qui va de la Belle-Alliance à Papelotte : la division Quiot, la division Donzelot, la division Marcognet. A 11.30 hrs, la quatrième division, celle de Durutte est encore occupée à marcher pour prendre sa position à l’extrême droite du dispositif.
Un petit mot à propos de la division Quiot : les auteurs, lorsqu’ils parlent de la 1ère division du 1er corps, parlent indifféremment de la « division Allix (ou Alix) » ou de la « division Quiot ». Il faut retenir que la 1ère division, nominalement commandée par le général Allix, était composée de deux brigades : l’une com-mandée par le général Quiot du Passage, l’autre par le général Bourgeois. Or, le général Allix n’ayant pu rejoindre à temps, fut remplacé à la tête de la division par le général Quiot qui céda lui-même le commande-ment de sa brigade au colonel Charlet, chef de corps du 54e de ligne. Ainsi, lorsque les auteurs parlent de la division Allix ou de la division Quiot, veulent-ils dire la même chose.
Vers midi, on est à peu près en place.
Le général Drouet d’Erlon vient de recevoir les ordres donnés par Napoléon :
« A chaque commandant de corps d’armée.
« 18 juin 1815, 11 heures du matin.
« Une fois que toute l’armée sera rangée en bataille, à peu près à une heure après midi, au moment où l’Empereur en donnera l’ordre au maréchal Ney, l’attaque commencera pour s’emparer du village de Mont-Saint-Jean, où est l’intersection des routes. A cet effet, la batterie de 12 du 2e corps et celle du 6e se réuniront à celles du 1er corps. Ces vingt-quatre bouches à feu tireront sur les troupes de Mont-Saint-Jean, et le comte d’Erlon commencera l’attaque, en portant en avant sa division de gauche et la soutenant suivant les circonstances par les divisions du 1er corps. Le 2e corps s’avancera à mesure pour garder la hauteur du comte d’Erlon. Les compagnies de sapeurs du 1er corps seront prêtes pour se barricader sur-le-champ à Mont-Saint-Jean. »

Dans la copie de cet ordre que possèdent les Archives de Vincennes, il est mentionné que l’original portait cette note marginale au crayon signée Ney : « Le comte d’Erlon comprendra que c’est par la gauche au lieu de la droite que l’attaque commencera. Communiquez cette nouvelle disposition au général Reille. »
Si nous nous mettons un instant à la place du général Drouet d’Erlon, que penserions-nous ?
D’abord, nous craindrions de mal faire. C’est la première fois que d’Erlon commande un corps d’armée. Nous scruterions donc l’ordre et son apostille. Que faire ? Or, justement, vers 11.30 hrs, le canon se met à tonner à gauche. C’est le canon d’Hougoumont, mais nous ne le savons pas, puisque Napoléon, comme il en a l’habitude depuis toujours, n’a pas cru devoir nous informer de la diversion tentée sur Hougoumont. Mais, par ailleurs, nous ne serions pas plus étonnés que cela : le maréchal Ney nous a bien dit que l’attaque commencerait par la gauche. Donc c’est à Reille, qui est a gauche, d’ouvrir le bal… Ces coups de canons à gauche ne nous auraient donc nullement surpris. Tout se passe comme prévu. Ce que nous avons à faire maintenant, c’est de mettre les unités en mesure d’attaquer dès que nous verrons Reille avancer.
C’est au moment où Drouet donne ses ordres en ce sens qu’il voit, sans doute à son grand étonnement, s’aligner 80 pièces d’artillerie 400 mètres devant sa ligne, sur la petite hauteur qui le sépare de ligne enne-mie.
Or l’empereur lui a écrit qu’il placerait 24 pièces à cet endroit. En renforçant considérablement cette artillerie, Napoléon veut donc écraser le centre allié… Parfait ! Mais c’est quand même bien ennuyeux. Pour monter à l’assaut, il nous faudra que deux au moins de ses divisions traversent cette grande batterie. Or, passer une ligne de batterie n’est pas une mince affaire. Une ligne de batterie n’est en effet pas une simple ligne de canon. Il y a tout l’appui que demandent ces canons et cet appui : les trains pour 80 canons comportent 368 chevaux et 184 hommes, en une rangée située plus au moins à 25 mètres derrière les canons. A l’arrière se trouvent trois lignes de caissons (au total, 204 transportant 22.300 coups) et une ligne de 60 chariots spécialisés. Immédiatement derrière vient enfin la ligne d’infanterie française. Cela représente une profondeur d’environ 350 mètres.
Entre parenthèse, c’est ce qui prouve que, contrairement à ce que racontent tous les auteurs français, la grande batterie était bien située à la hauteur de la borne du Km 21 et non, comme ils le disent, sur la crête de la Belle-Alliance, 400 mètres en arrière. Si la ligne de canon s’était située sur cette dernière ligne, tout l’appui se serait trouvé derrière la ligne d’infanterie. Imaginez un peu la tête des artilleurs qui auraient dû traverser toute la ligne d’infanterie pour aller se réapprovisionner…
Donc, pour monter à l’assaut, il va falloir traverser le territoire couvert par l’artillerie. Au bas mot, 350 mètres de charroi en tout genre… Attention, cela va devenir un petit peu compliqué mais il n’y a pas moyen d’expliquer ce qui va se passer sans passer par là.
Donc Drouet raisonne très justement que traverser cet espace dans une formation en ligne est impossible. Une formation en ligne, cela voudrait dire tous nos bataillons les un à côtés des autres sur trois rangs. On voit le chaos qui s’installerait après 400 mètres : il pratiquement impossible de faire évoluer l’infanterie en ligne sur plus d’une centaine de mètres sans que les lignes se défassent. La colonne d’attaque est donc la seule formation possible : il s’agit d’une colonne par division – autrement dit par deux compagnies – à distance de section. La colonne d’attaque, contrairement à ce que son nom pourrait faire croire, n’est pas la formation adoptée lorsqu’on aborde l’ennemi. Il s’agit de la formation qui facilite le déploiement en ligne face à l’ennemi.
L’effectif d’une compagnie française ne dépassait en général pas une centaine d'hommes ; son front sur trois rangs, les files serrées coude à coude, c’est à dire à 0,60 m d’axe en axe, est d’environ 25 pas. Une colonne de bataillon par division représente donc une largeur de 50 pas, soit environ 45 mètres. Et une profondeur de 24 rangs, soit environ 20 mètres. Nous demandons au lecteur de nous pardonner si nous lui infligeons ces notions un peu compliquées. Mais elles sont indispensables. Les auteurs qui, généralement n’y ont rien compris, ont été abusés par le terme de division et ont souvent confondu deux formations totalement différentes : la colonne de division par bataillon, soit une colonne comportant tout une division, la grande unité qui correspond au quart de notre 1er corps, disposée sur le front d’un bataillon (200 hommes de front) et la colonne de bataillon par division, soit un bataillon disposé sur le front de deux compagnies (une division, petite unité)(25 hommes de front). Cela fait quand même une fameuse différence.
Donc Drouet d’Erlon dispose son corps en colonnes de bataillon par division.
Laissons-en lui le temps.
(Ter volge)

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