Jules
30/03/2006 @ 09:21:02
J'ai averti que cela serait assez long comme texte...

Sorry JLC j'avais complètement oublié que j'avais promis de donner ces idées !... Les voilà donc, avec beaucoup de retard !




Les idées défendues par Koestler


Notons tout d’abord que Koestler, comme Orwell, était davantage un homme de gauche que de droite. Ce livre a donc dû lui coûter !...
- Origine du titre

Zéro pour l’importance que le parti accordait à l’individu et l’infini pour celle que les humanistes lui attribuent.




- La prison, la torture et la mort.


Koestler lui-même a été emprisonné à plusieurs reprises dans sa vie. Rien ne permet cependant de penser que les idées qu’il prête à Roubachof soient également les siennes.

Roubachof a déjà été emprisonné auparavant en Allemagne, ainsi que torturé. Il ne semble pas en avoir fait un plat. Dès son arrivée dans sa cellule, il semble s’en accommoder. Il nous décrit presque l’endroit comme sympathique et se dit qu’il va enfin bien dormir !

Mais, ce qui est plus important, il accepte la notion de torture et sait qu’il est capable de la supporter. Yvanof pense la même chose de Roubachof et de la torture.

Mais Roubachof va cependant faire une découverte. Jusqu’ici la mort par une balle dans la nuque lui paraissait une chose très abstraite, même lorsqu’il s’est douté que c’était le sort réservé à Arlova. Mais en voyant Bogrof se laisser traîner en gémissant, prononcer son nom et disparaître vers son lieu d’exécution, Roubachof va être complètement chamboulé ! La mort sous la forme d’une exécution n’est soudain plus quelque chose d’abstrait pour lui. Mais cela ne l’empêchera pas de se tenir très bien au moment venu !


- Le parti et « La fiction grammaticale »

Le parti communiste ne considère pas l’homme en tant qu’individu mais bien comme une minuscule partie d’un gigantesque tout au service duquel il est totalement assujetti. Tout doit rester purement logique ! Aussi, il n’aime pas le « Je » qui, à chaque occasion, sera remplacé par un collectif comme « le parti », « les masses », « le peuple » etc. C’est ce que Koestler appelle « la fiction grammaticale » Il l’a bien sûr utilisée tout au long de sa carrière. Le « je » est presque une découverte pour lui.

Roubachof, le jour de son exécution constate que : « Il avait suivi chaque pensée jusqu’à son ultime conséquence et agi conformément à celle-ci jusqu’au bout ; les heures qui lui restaient appartenaient à ce partenaire silencieux dont le royaume commençait au point précis où finissait la pensée logique. Il l’avait baptisé « la fiction grammaticale » avec cette pudeur devant la première personne du singulier que le parti avait inculquée à ses disciples. »


- La morale, la conscience, le respect etc.

Voilà également une série de choses bannies par le parti. Tout cela, pour le parti, ne sont que des résidus bourgeois dont l’homme communiste doit se défaire impérativement. Ces notions sont dangereuses car subjectives et contraires à la toute puissante logique.


- Les révolutions précédentes

Pour le parti, celles-ci étaient automatiquement vouées à l’échec. En effet, elles ne se soumettaient pas aveuglément à la toute puissante logique et avaient conservé certains aspects par trop humains et subjectifs. Danton en était un bel exemple, dit Yvanof. Ces révolutionnaires n’étaient pas capables d’aller jusqu’au bout de leur logique. Toute personne qui se comporte comme eux doit disparaître.
Yvanof dit : « (Notre) conception part du principe fondamental qu’une fin collective justifie tous les moyens, et non seulement permet mais exige que l’individu soit en toute façon subordonné et sacrifié à la communauté – laquelle peut disposer de lui soit comme d’un cobaye qui sert à une expérience, soit comme de l’agneau que l’on offre en sacrifice. »

Juste avant de partir à son exécution, Roubachof se dit : « Peut-être qu’il ne convenait pas à l’homme de suivre chacune de ses pensées jusqu’à se conclusion logique. »


- La morale chrétienne

Yvanof rappelle à Roubachof qu’il n’y a jamais eu, dans l’histoire, un seul pouvoir d’état qui a dirigé son peuple en fonction des vertus chrétiennes. Cela est totalement impossible et l’homme qui arrive au pouvoir découvre bien vite qu’il n’a pas le choix. Le tout, la collectivité doit, selon Yvanof et le parti, toujours prendre le pas sur l’individu. La fin justifie les moyens, toujours !...
Mais Roubachof répond à Yvanof : « Nous menons à coups de fouet les masses gémissantes vers un bonheur futur théorique que nous sommes les seuls à entrevoir. »
Et il lui oppose les cinq millions de paysans exécutés et les dix millions de gens déportés vers travaux forcés dans les régions arctiques. Et le tout en vertu de la « saine logique »…

Bonheur futur et théorique aussi rejeté par Camus dans « L’homme révolté » et dans sa pièce « Les Justes »


- La discipline exigée par le parti et le N°1

Roubachof, à Munich, s’entend dire par Richard qu’il a modifié les tracts de façon à les rendre plus conformes à la réalité sur le terrain et donc pour les militants. Il n’en a pas le droit, dit-il, car la seule vérité, envers et contre tout, est celle définie par le parti. Seul le N°1 a le droit de modifier une ligne de conduite. Roubachof insiste même sur le fait que si différents ministères travaillent en contradiction avec les autres cela ne peut être que la volonté suprême du N°1 qui, très certainement, incite à ces contradictions au nom d’une volonté supérieure qu’il est le seul à connaître. Le N°1 est la seule source de pouvoir et la seule à être habilitée à donner des instructions. Ce qui est non conforme ne peut qu’être faux donc nuisible et susceptible d’être puni.
Roubachov annonce à Richard qu’il est exclu du parti et deux jours plus tard il est exécuté. Il en ira de même pour Loewy à Anvers.

La complexité de l’œuvre réside également dans le fait que Roubachof a été un bon exécutant pendant des années et qu’il lui arrive encore, malgré son opposition, de penser en homme du parti !


- La fin justifie les moyens

La véracité de cette maxime, développée par Machiavel, est un des dogmes du parti. Comme celui-ci voit du danger partout, elle justifie les pires excès de la dictature du N°1.

Roubachof a toujours admis ce principe qui, aujourd’hui, lui vaudra la mort. Mais : « Nous avons jeté par-dessus bord toutes les conventions, notre seul principe directeur est celui de la conséquence logique ; nous naviguons sans lest moral. Peut-être le cœur du mal était-il là. » et il poursuit : « « (Peut-être) que seule la pureté des moyens peut justifier les fins. »


- La maturité politique d’un peuple

Ceci me semble important !

Dans sa prison, Roubachof échafaude une théorie politique qu’il regrettera de ne pas avoir le temps de pouvoir développer.

Il se dit que la quantité de liberté individuelle qu’un peuple peut conquérir et garder dépend de sa maturité politique. En effet, ses libertés ne pourront subsister que dans la mesure ou le peuple comprend et admet les enjeux qui se posent à lui. Il doit également être conscient et admettre la structure sociale de l’ensemble dans lequel il vit.
Or, à chaque nouvelle découverte, à chaque bond en avant, le peuple est profondément perturbé et sa maturité politique ne suit plus. Il faudra parfois plus d’une génération pour qu’il s’y adapte et revienne au niveau de maturité politique nécessaire pour comprendre. Les libertés sont donc à nouveau confortées ainsi que la démocratie dans son ensemble.

Mais il a pris du retard et un nouvel enjeu se présente à lui. Celui-ci met à nouveau la démocratie en danger car la maturité politique du peuple ne suit à nouveau pas. Parfois il découle de cela qu’une autorité absolue et une diminution des libertés deviennent nécessaires.

Il en arrive à la conclusion que le niveau de maturité politique, par rapport à la réalité, pourrait être moindre à l’époque compliquée et complexe de l’ère industrielle qu’elle ne l’était un ou deux siècles plus tôt.

Il se dit que l’erreur du socialisme et du communisme a été de croire que la maturité politique des masses évoluerait de façon régulière et constante.

Force lui est de constater que le peuple ne comprend rien au nouveau système, à sa logique. Il admet dès lors qu’ils soient dans une situation où les libertés sont un luxe exclu et inadapté et cela sans doute pour quelques générations.

La quantité de libertés individuelles qui peut être accordée devrait donc rester largement sous le niveau de celles qui sont autorisées ailleurs où la maturité politique est davantage en adéquation avec la réalité.

Voilà Roubachof qui justifie ses bourreaux ainsi que « la fin justifie les moyens ».


- Le regard de l’Histoire


Roubachof admet que, dans l’Histoire, le mensonge est bien souvent nécessaire et que la vertu n’est que rarement récompensée. Les crimes restent bien souvent impunis…

Il se fait que l’homme est profondément paresseux « Et pour le forcer à franchir le désert, force menaces et force promesses sont nécessaires ; il a besoins de terreurs imaginaires et d’imaginaires consolations, sans quoi, il va s’asseoir et se reposer prématurément et va s’amuser à adorer des veaux d’or. »

Il dit que la moindre erreur va avoir des conséquences sur des générations et que l’Histoire allait les juger là-dessus. Aussi se sont-ils appliqués à éradiquer les moindres erreurs et par tous les moyens.

« Chaque idée fausse que nous traduisons en acte est un crime contre les générations futures. Nous sommes donc tenus de punir les idées fausses comme d’autres punissent les crimes : par la mort. »

Alors que les bourgeois se posent davantage la question de savoir si celui qui a effectué l’erreur était de bonne foi ou non ! Pour le communiste, cette question est totalement sans importance !


- Conclusion sur les idées contenues dans ce livre.

Il ne m’a pas été possible ici de les donner toutes, tellement il y en a et aussi dû au fait qu’elles viennent et reviennent dans le livre, se développent.
Je crois, par contre, avoir donné les principales. Certains se diront que j’aurais pu être plus bref, mais cela n’était pas évident !...

Jlc 30/03/2006 @ 22:10:56
Merci, Jules, pour ton texte que j’attendais. Le délai en valait la peine. Je pense même que tu devrais le joindre aux critiques « éclair » (éclair n’est pas le mot le plus adéquat) du livre car tous les lecteurs de CL ne vont pas forcément sur les forums. Et si techniquement ce n’est pas possible car tu en as déjà fait une , je suis prêt à servir de prête-nom ( en rendant bien sûr à Jules ce qui est à Jules) car ton analyse me paraît vraiment importante. Qu’en penses-tu ?

Ce qui me frappe tout d’abord dans ce que tu écris c’est le côté prémonitoire de ce livre qui a quand même plus de 60 ans. Ceci me rappelle « La toile d’araignée » de Joseph Roth sur la montée de l’abomination nazie sans avoir cependant la force intellectuelle de Koestler. Bien sûr il se réfère aux « purges » staliniennes des années trente mais il annonce aussi les procès de l’Europe de l’Est des années cinquante, la révolution culturelle de Mao et, si je peux être audacieux, l’extrémisme radical musulman qui envoie au suicide des malheureux à qui on garantit un paradis qui ne coûte pas cher à ceux qui le promettent. Mais tous les totalitarismes se ressemblent.

Plusieurs choses m’ont paru particulièrement intéressantes, l’abstraction de la mort jusqu’au moment où…, la rigueur absolue de la logique, en fait celle du chef, qui conduit à la « fiction grammaticale »,c’est à dire la dépersonnalisation. Aujourd’hui, nous sommes à l’ère du « je » et donc d’un individualisme effréné. Bien sûr, ce n’est absolument pas comparable même si les conséquences pour la démocratie ne sont pas négligeables.

On ne réécrit pas l’histoire mais comment tant d’intellectuels ont-ils pu être abusés par cette énorme supercherie, au point, par exemple, de justifier le pacte germano-soviétique de 1939 ? Comment ont-ils pu cautionner des régimes aussi peu généreux au nom du bonheur futur des peuples ? (Mais la formulation de ma question montre bien mon « esprit petit bourgeois » de démocrate occidental.) La force de l’idéologie ou la puissance de la pensée marxiste ? En tout cas, on y apprend le doute, la réflexion, la morale peut-être surtout et on redécouvre combien la démocratie et la liberté sont des biens fragiles en des temps où on a peut-être tendance à les prendre pour des acquis définitifs. Non l’histoire n’a pas de fin.

Décidément, Jules, me voilà définitivement converti à la relecture ! Et pour ça aussi merci.

Jules
31/03/2006 @ 11:42:59
Tu vois, JLC, je ne suis pas du tout convaincu par l'utilité de mettre ce texte en critique éclair.

Je ne pense pas que cela soit une critique mais bien plutôt une analyse des idées d'un livre et critlib n'a pas cela pour objectif. Son objectif est plus de vouloir donner l'envie de lire le livre quitte à en donner une ou deux idées "forces" mais pas plus et c'est très bien aussi.

Ce type de texte, je l'ai fait pour un autre site sur lequel j'écris et qui, lui, demande l'analyse approfondie.

J'ai donc fait cela pour pas mal de bouquins que j'aime bien mais tu penses bien que cela demande un gros boulot, les idées n'étant qu'une partie de ce qu'ils demandent.

Je suis retourné sur le forum CPE car, en relisant le bloc sur "la maturité politique" je me suis soudain dis qu'il y a peut-être là quelque chose d'adapté à la situation...

Après avoir dû s'adapter à l'Europe voilà que l'on demande de nouveaux efforts aux peuples de nos démocraties pour s'adapter à un nouveau défi: la mondialisation.

Il ne suit plus du tout et bloque !... Sa maturité ne suit pas et ils ne perçoivent pas les problèmes.

Koestler disait que notre époque en demandait beaucoup plus (de maturité) vu la vitesse des progrès. Mais entre le moment où il a écrit ce livre et aujourd'hui il n'y a plus aucune mesure dans la vitesse d'évolution.

Je crois d'ailleurs qu'il y a là un danger pour nos régimes politiques. Ils risquent d'être obligés de satisfaire les peuples au nom de la démocratie tout en sachant que nous devrions impérativement évoluer plus vite pour notre survie...

Les peuples les plus souples, ou pire, ceux des dictatures, pourraient donc nous dépasser pour un temps plus ou moins long... Nous risquerions alors d'être très mal car un homme averti a déjà souligné, avec raison, que nos systèmes sociaux et politiques sont quasiment condamnés à une éternelle croissance et à une indispensable distribution sous peine d'une rupture du consensus social.

Et cela ne me semble pas faux.

Jules
31/03/2006 @ 11:43:58
Très judicieuses tes analyses sur la vision de Koestler.

Jlc 01/04/2006 @ 09:42:37
Je respecte bien évidemment ta décision quant à la publication de ton texte en "critique éclair" même si je continue de penser que ceci aurait pu intéresser bien d'autres lecteurs de CL que les habitués des forums dont tu as remarqué comme moi qu'ils constituent une petite minorité (enfin ceux qui s'y expriment. Les autres?). Et si CL n'a pas tout à fait l'objectif d'exposer des idées, la transgression est parfois utile.

Pour ce qui est de la maturité politique, je te rejoins tant sur l'analyse que sur la prospective car notre époque est en accélération constante et je comprends que bien des gens soient largués car ils ne voient que la précarité, l'angoisse, l'absence d'avenir meilleur, etc. Et j'enrage quand je vois les politiques ne faire aucun effort de pédagogie et rester enfermés dans leurs petites affaires politiciennes. Un exemple récent, en France, ne me rend pas optimiste. Ici on pourrait rejoindre Koestler en parlant de fixation grammaticale, non pas sur le "je" et le "nous" mais sur "nous devons nous adapter, retrouver ce qui a fait notre génie" et autres balivernes quand en fait "on ne fait rien". Décidemment un auteur à relire.

Pour le reste, je t'envoie un mail.

Encore merci.

Page 1 de 1
 
Vous devez être connecté pour poster des messages : S'identifier ou Devenir membre

Vous devez être membre pour poster des messages Devenir membre ou S'identifier