Kinbote
avatar 01/05/2005 @ 14:56:55
Éric Dejaeger explore son quotidien et en retire des perles. Notations brèves, tantôt vachardes (Dans la vie à coups de pioche) où il réagit à la connerie ambiante ; tantôt tendres (Contes de la poésie ordinaire) où il recueille l’émulsion du poétique sur la crête du fil des jours. Mais s’il écrit à partir de son proche entourage (affectif et spatial), ces échos de la vie ordinaire ne doivent rien à l’esprit de clocher. Au contraire, de ce poste d’observation privilégié, Dejaeger touche à l’universel : ces écrits peuvent être goûtés par quiconque possède, tout de même, un lieu d’attente (du train, du bus) pour s’y rendre, des horaires à respecter, un boulot, un refuge (pour les choses de l’écrit et les affections vitales).
Dans le recueil paru chez Gros Textes, Dejaeger tance les gens qui achètent des vêtements très chers (plutôt que des bouquins), les chipendales (trop glabres) , ce « vieux con de créateur», les grandes gueules et les casse-pieds, les importuns.et les importants. Il peste contre le ciel crasseux (ni gris ni bleu), la nov poésie (dans laquelle il n’y a rien), le boulot, le « dur métier d’écrivain », la politique politicienne, mais trouve nénamoins des occasions de se réjouir. A la vue d’une « jeune femme très chic très genre » qui de tôt matin a eu un accrochage avec sa voiture de sport. Il saisit des moments insolites comme ce « mec complètement bitu guidé... par un aveugle », ou comme celui où, à l’heure de pointe, parmi une foule de parapluies de toutes sortes se rendant à leur boulot, il est le seul à porter une capuche.
« Prises de vie » salutaires sur un monde désenchanté.
Un texte :
« J’ai déjà écrit quelques histoires d’inventeurs farfelus, dingues, stupides ou prétentieux. Mais pour moi, l’invention la plus géniale, la plus utile, n’a pas été créée : le silence. Je sais, c’est très égoïste de ma part : les sourds ne pourraient pas en profiter. » (La ‘the’ invention)

Dans l’ouvrage paru chez Memor, si tout n’est pas soudain devenu rose - subsistent de nombreux motifs d’insatisfaction comme, pour n’en citer qu’un, ces avions qui raient le ciel -, si l’arrière-fond reste grave et sa vision des choses cruelle, Éric a toutefois choisi de braquer son regard sur ce qui provisoirement apporte une note bleue à l’existence, apaise son déroulement. Il cultive comme personne l’oisiveté et cette propension à recueillir les plaisirs minimalistes pour nous les faire partager et, il semble, nous inciter à faire notre propre récolte, à imiter sa démarche. Le devenir-feuille des livres à l’automne ou leur origine arboricole, une peur/tendresse pour les araignées, la construction (forcément difficile) de bonshommes de pluie, l’observation amusée des apppâts féminins tels un short blanc sur string blanc ou ce « déculleté » très tendance.
Si Dejaeger s’avoue incapable de définir ce qu’est la poésie, cela ne l’empêche pas de nous la livrer par l’exemple au travers de ces récits brefs, cette centaine de fables au quotidien
Un texte :
« Les gens allongés sur la plage voyaient arriver le gros nuage d’une fort mauvais œil. Lui, débonnaire, les surprit à passant gentiment derrière le soleil.» (Le beau geste)
Ce texte qui rend à merveille la philosophie du recueil : contourner les obstacles pour éviter leur choc de plein fouet.

Eric Dejaeger aime à s’entourer d’illustrateurs, histoire, comme il dit, de faire profiter de la chance d’une parution et d’ajouter quelque chose au texte. Chez Gros textes, il a invité Fabrice Fossé qui, avec ses formes organiques de corps traversés, distendus, accidentés par des éléments matériels (bus, voiture) que de toute évidence ces corps n’ont pas voulu, traduit la violence des contacts, d’un environnement non adapté à l’homme. Chez Memor, c’est l’écrivain et illustrateur de la revue de Nouveaux délits, Joaquim Hock, qui a été choisi. Des dessins faussement naïfs, délicats et précis, bordés d’une frange de motifs identiques, figurant comme une pellicule d’un film déroulant mille histoires cocasses ou tragiques.
Le bon démon qui préside à ces deux recueils a pour nom Richard Brautigan (pas mort, comme affirmé dans un texte) dont la devise pourrait être : recueillir comme une eau (aube) pure les minis répits que cette diablesse d’existence délivre au goutte à goutte.

CONTES DE LA POÉSIE ORDINAIRE (Éd. MEMOR, www.memor.be) ; DANS LA VIE A COUPS DE PIOCHE (Éd. GROS TEXTES Fontfourane – 05380 Châteauroux-les-Alpes)

MOPP 01/05/2005 @ 18:59:55
Oui, Eric DJ est, en effet, un écrivain hors normes ; il y a un peu du Sternberg et du Verheggen, semble-t-il, dans ses écrits. Mais je peux me tromper...

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