L’aseptisation chez Christie est beaucoup plus large qu’un titre. Ce sont de nombreuses altérations du texte qui ont un impact important.
Par exemple, dans La Mystérieuse Affaire de Styles, Hercule Poirot notait qu’un autre personnage était « un juif, bien sûr »
Ceci a été retiré. Et pour moi, modifie le personnage. Dans ces quelques mots, on peut discerner que Poirot est capable de mépris, qu’il est sans doute raciste, et qu’il est assez confiant pour exprimer ceci, ou du moins, que la société qui l’entoure considère que c’est acceptable.
Dorénavant, dans les nouvelles rééditions le racisme dans une certaine aristocratie anglaise des années 1920-40s est disparu! C’était tous des gens très bien!
@Aaro-Benjamin : je suis d'accord avec toi mais je fais une différence entre ce qui a été pleinement accepté par l'auteure (en l'occurrence la modification du titre des "10 petits nègres" et du texte, ce qui est tout à l'honneur d'Agatha Christie) et ce qui est en fait ensuite, après son décès, et devient une trahison du texte initial au nom de la morale. Les nouvelles de Lovecraft sont truffées de sous-entendus racistes (normal, puisqu'il l'était...) mais elles ne m'empêchent pas de le lire et d'y prendre un grand plaisir (je sais faire la part des choses, d'autant que Lovecraft lui-même n'était pas dupe et, dans ses lettres, il a aussi des mots de mépris sur l'imbécilité des racistes et s'irrite contre lui-même d'en faire partie) et je serai très irrité qu'un éditeur s'avise de modifier le texte au nom de l'inacceptabilité "morale" de l'écriture de Lovecraft. Barjavel est également plus que très tendancieux dans ses romans et nouvelles de SF (je ne sais plus dans quel texte il imagine que les noirs ne sont pas de "vrais" humains mais des êtres issus d'une lointaine visite d'extra-terrestres). A la limite, je préfererai qu'on cesse d'éditer un roman plutôt qu'on le modifie jusqu'à la réinterprétation et la dénaturation...
Tout à fait d'accord. En lisant des livres du début 20ème siècle, on voit souvent des préjugés et des caricatures sur les juifs. Que ce soit Hergé dans Tintin, Graham Greene dans l'inconnu de l'orient-express,... ca illustre bien l'époque et quand on sait ce qui est arrivé par la suite ca interpelle.
Ré-écrire l'histoire pour effacer les traces de ce sentiment anti-sémite partout dans le monde est une très mauvaise idée.
Ré-écrire l'histoire pour effacer les traces de ce sentiment anti-sémite partout dans le monde est une très mauvaise idée.
@Saule et Eric :
C'est une vraie question selon moi.
Faut-il garder ces traces d'idéologies passées ou les effacer, notamment quand l'ouvrage concerné est destiné à un jeune public ?
Dans un monde idéal où l'esprit critique serait la règle et le grégarisme l'exception, il n'y aurait pas de problème, mais on en est bien loin.
Je quitte (un peu) la politique pour parler textes et écriture. Je lis dénaturation, réinterprétation des oeuvres qui serait à éviter ; pourquoi en faire une évidence ? Ce respect quasi sacral de la figure auctoriale me semble assez récente dans l'histoire littéraire : écrire, réécrire, moderniser, tout changer (plagier bien souvent) ne faisait pas tant de cheveux blancs à nos ancêtres, dont la production littéraire n'était pas toujours si mauvaise pour autant.
Dans les cas précis que nous évoquons, cela pose des questions plus précises et intéressantes : à partir de quand dénature-t-on et trahit-on un auteur ?
Je pense aux traductions ; elles sont nécessairement et par principe des adaptations qui dépassent de loin la simple retranscription mot à mot d'un texte dans une autre langue. Le traducteur doit, par exemple, retranscrire l'ironie d'un texte s'il en contient, ce qui suppose de s'éloigner du mot à mot pour respecter l'intention de l'auteur. Les sitcoms américaines font des exemples passionnants pour le traductologue amateur, puisqu'elles demandent constamment de traduire des jeux de mots, souvent liés à la situation représentée à l'écran ; c'est un casse-tête (parfois les traductions sont d'ailleurs assez absurdes !) On trahit donc parfois la lettre du texte pour en respecter et traduire l'intention: traduttore, traditore.
Modifier un ouvrage pour l'adapter à l'air du temps, ne me semble pas forcément beaucoup plus grave que ce phénomène. Le propos de Prichard à propos des romans d'Agatha Christie m'intéresse : cette autrice n'écrivait pas, selon lui, dans le but de choquer qui que ce soit mais pour toucher un large public avec des fictions d'énigmes prenantes - cela semble crédible.
Des formulations à connotation racistes, sans doute inconscientes et dues à l'époque et à l'éducation de l'autrice, mais potentiellement blessantes se trouveraient dans ses romans (que j'ai lus il y a fort longtemps et dont j'ai bien peu de souvenirs ; ma réflexion prend donc pied sur un présupposé qui reste à vérifier). Dans une Angleterre alors majoritairement blanche, cela ne pose guère de problème. Aujourd'hui, on peut se poser la question de changer ces formules. Il serait bien étonnant que cela ait le moindre impact sur la qualité des livres - ou alors, ils ont toujours été mauvais. Il serait tout aussi étonnant que le déroulement de l'enquête en soit perturbé. Je ne comprends pas bien non plus pourquoi Shepard en serait moins coupable d'avoir tué je ne sais plus qui, ni pourquoi Poirot deviendrait moins perspicace. Le mouchoir opportunément oublié par l'assassin derrière le vaisselier du grand salon ne serait pas moins rouge ni imprégné de parfum, le suspense quand le détective rassemblera les suspects dans l'aile des domestiques pour une démonstration intellectuelle de haute volée, ne serait pas moins fort, ni la révélation moins surprenante. Finalement, qu'est-ce qui aura réellement changé ? Le lecteur aurait-t-il toujours son polar à énigmes ? Serait-il happé par l'histoire et étonné par son dénouement ? Le livre, me semble-t-il, n'aurait pas réellement changé, et resterait conforme aux intentions de l'autrice.
A l'inverse, si, à la suite de changements sociaux et démographiques, le lectorat, désormais constitué non plus seulement de blancs, mais aussi de nombreux racisés, se trouve en partie irrité par le titre ou
certaines phrases du livre, alors l'intention de l'autrice ne serait plus respectée - elle voulait que son titre divertisse et plaise, il offense.
J'en reviens à la traduction : adapter la lettre est peut-être parfois la seule façon de réellement respecter les intentions d'un auteur. Mais j'ai l'impression qu'on est pris, comme pour la questions du plagiat, dans une sorte de sacralisation romantique de la figure de l'auteur - et donc de ses productions - qui nous force à un respect éternel (et un peu malaisant je trouve...) devant les textes.
Par ailleurs, si le titre de Dix petits nègres a, une première fois, changé lors de son passage aux USA (on pourrait dire : sa traduction en américain), un pays déjà largement multi-ethnique, ce n'est probablement pas un hasard et peut-être bien lié aux problématiques ici évoquées. Même si cela avait avant tout pour but de ne pas se couper de ce lectorat dont les dollars, eux, ont la même couleur que ceux des autres, bien entendu (intérêt économique qui n'est sans doute pas absent chez Prichard non plus ; mais je ne le développe pas car ça n'est pas ce qui m'intéresse ici).
C'est une vraie question selon moi.
Faut-il garder ces traces d'idéologies passées ou les effacer, notamment quand l'ouvrage concerné est destiné à un jeune public ?
Dans un monde idéal où l'esprit critique serait la règle et le grégarisme l'exception, il n'y aurait pas de problème, mais on en est bien loin.
Je quitte (un peu) la politique pour parler textes et écriture. Je lis dénaturation, réinterprétation des oeuvres qui serait à éviter ; pourquoi en faire une évidence ? Ce respect quasi sacral de la figure auctoriale me semble assez récente dans l'histoire littéraire : écrire, réécrire, moderniser, tout changer (plagier bien souvent) ne faisait pas tant de cheveux blancs à nos ancêtres, dont la production littéraire n'était pas toujours si mauvaise pour autant.
Dans les cas précis que nous évoquons, cela pose des questions plus précises et intéressantes : à partir de quand dénature-t-on et trahit-on un auteur ?
Je pense aux traductions ; elles sont nécessairement et par principe des adaptations qui dépassent de loin la simple retranscription mot à mot d'un texte dans une autre langue. Le traducteur doit, par exemple, retranscrire l'ironie d'un texte s'il en contient, ce qui suppose de s'éloigner du mot à mot pour respecter l'intention de l'auteur. Les sitcoms américaines font des exemples passionnants pour le traductologue amateur, puisqu'elles demandent constamment de traduire des jeux de mots, souvent liés à la situation représentée à l'écran ; c'est un casse-tête (parfois les traductions sont d'ailleurs assez absurdes !) On trahit donc parfois la lettre du texte pour en respecter et traduire l'intention: traduttore, traditore.
Modifier un ouvrage pour l'adapter à l'air du temps, ne me semble pas forcément beaucoup plus grave que ce phénomène. Le propos de Prichard à propos des romans d'Agatha Christie m'intéresse : cette autrice n'écrivait pas, selon lui, dans le but de choquer qui que ce soit mais pour toucher un large public avec des fictions d'énigmes prenantes - cela semble crédible.
Des formulations à connotation racistes, sans doute inconscientes et dues à l'époque et à l'éducation de l'autrice, mais potentiellement blessantes se trouveraient dans ses romans (que j'ai lus il y a fort longtemps et dont j'ai bien peu de souvenirs ; ma réflexion prend donc pied sur un présupposé qui reste à vérifier). Dans une Angleterre alors majoritairement blanche, cela ne pose guère de problème. Aujourd'hui, on peut se poser la question de changer ces formules. Il serait bien étonnant que cela ait le moindre impact sur la qualité des livres - ou alors, ils ont toujours été mauvais. Il serait tout aussi étonnant que le déroulement de l'enquête en soit perturbé. Je ne comprends pas bien non plus pourquoi Shepard en serait moins coupable d'avoir tué je ne sais plus qui, ni pourquoi Poirot deviendrait moins perspicace. Le mouchoir opportunément oublié par l'assassin derrière le vaisselier du grand salon ne serait pas moins rouge ni imprégné de parfum, le suspense quand le détective rassemblera les suspects dans l'aile des domestiques pour une démonstration intellectuelle de haute volée, ne serait pas moins fort, ni la révélation moins surprenante. Finalement, qu'est-ce qui aura réellement changé ? Le lecteur aurait-t-il toujours son polar à énigmes ? Serait-il happé par l'histoire et étonné par son dénouement ? Le livre, me semble-t-il, n'aurait pas réellement changé, et resterait conforme aux intentions de l'autrice.
A l'inverse, si, à la suite de changements sociaux et démographiques, le lectorat, désormais constitué non plus seulement de blancs, mais aussi de nombreux racisés, se trouve en partie irrité par le titre ou
certaines phrases du livre, alors l'intention de l'autrice ne serait plus respectée - elle voulait que son titre divertisse et plaise, il offense.
J'en reviens à la traduction : adapter la lettre est peut-être parfois la seule façon de réellement respecter les intentions d'un auteur. Mais j'ai l'impression qu'on est pris, comme pour la questions du plagiat, dans une sorte de sacralisation romantique de la figure de l'auteur - et donc de ses productions - qui nous force à un respect éternel (et un peu malaisant je trouve...) devant les textes.
Par ailleurs, si le titre de Dix petits nègres a, une première fois, changé lors de son passage aux USA (on pourrait dire : sa traduction en américain), un pays déjà largement multi-ethnique, ce n'est probablement pas un hasard et peut-être bien lié aux problématiques ici évoquées. Même si cela avait avant tout pour but de ne pas se couper de ce lectorat dont les dollars, eux, ont la même couleur que ceux des autres, bien entendu (intérêt économique qui n'est sans doute pas absent chez Prichard non plus ; mais je ne le développe pas car ça n'est pas ce qui m'intéresse ici).
Le mieux est peut-etre de conceptualiser : rappeler que il n'y a pas si longtemps les noirs étaient des esclaves, les juifs persécutés partour dans le monde, les noirs n'avaient pas d'âmes,.. il ne s'agit pas de s'auto-flageller mais de rappeller que de tout temps l'homme a été un loup pour l'homme et que ca n'est pas prêt de s'arrêter
Ce qui est ironique dans tout ça est que les plaintes contre Christie sont venues de B'nai B'rith, un organisme juif. Ils ont permis à Agatha Christie « d’évoluer » et en quelque sorte de nettoyer son image. Bien qu’il soit clair qu’elle avait de sérieux biais racistes.
Qu’un organisme Juif anti-diffamation souhaite retirer toute mention où ils sont la cible d’antisémitisme dans les livres parmi les plus lus sur la planète me semble complètement illogique.
Qu’un organisme Juif anti-diffamation souhaite retirer toute mention où ils sont la cible d’antisémitisme dans les livres parmi les plus lus sur la planète me semble complètement illogique.
Il y a quand même plus étonnant que de voir une organisation juive lutter contre l'antisémitisme.
C'est certain. La connaissance de l'histoire est à mon sens fondamentale pour déconstruire les préjugés, quels qu'ils soient.
Le mieux est peut-etre de conceptualiser : rappeler que il n'y a pas si longtemps les noirs étaient des esclaves, les juifs persécutés partour dans le monde, les noirs n'avaient pas d'âmes,.. il ne s'agit pas de s'auto-flageller mais de rappeller que de tout temps l'homme a été un loup pour l'homme et que ca n'est pas prêt de s'arrêter
C'est certain. La connaissance de l'histoire est à mon sens fondamentale pour déconstruire les préjugés, quels qu'ils soient.
Bien qu’il soit clair qu’elle avait de sérieux biais racistes.
Probablement pas plus que son époque. D'ailleurs elle a fait de Hercule Poirot un Belge pour le rendre ridicule. Et personne en Belgique ne s'en est plaint :-)
Probablement pas plus que son époque. D'ailleurs elle a fait de Hercule Poirot un Belge pour le rendre ridicule. Et personne en Belgique ne s'en est plaint :-)
Tu es sûre de toi Saule ?
Hercule Poirot serait belge pour le ridiculiser ?
Je suis septique.
Oh le magnifique lapsus ! (Bon je sais, ça n'est guère charitable...)
Je suis septique.
Je suis septique.
Oh le magnifique lapsus ! (Bon je sais, ça n'est guère charitable...)
Cadeau… il fallait lire sceptique…of course.
Je suis septique.
Oh le magnifique lapsus ! (Bon je sais, ça n'est guère charitable...)
Ce qui l'est, au contraire, c'est de faire passer cet aveu pour un lapsus.
;)
Ce qui l'est, au contraire, c'est de faire passer cet aveu pour un lapsus.
Je suis septique.
Oh le magnifique lapsus ! (Bon je sais, ça n'est guère charitable...)
Ce qui l'est, au contraire, c'est de faire passer cet aveu pour un lapsus.
:-))
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