Echanger sur le questionnaire de Proust spécial livres avec Septu et Eric m'a donné l'envie d'ouvrir un fil sur l'illisibilité. Eric et moi avons choisi Finnegans wake comme livre que nous n'avons "jamais osé lire", pour les mêmes raisons : nous nous sommes heurtés à son illisibilité (probablement relative et subjective, mais bien réelle pour moi qui pour parfaire n'ai essayé qu'en VO).
Que représente l'illisibilité pour vous ?
Je ne pense pas aux livres qui nous paraissent illisibles par leur faiblesse ou leur médiocrité (pour un lecteur plutôt difficile comme moi, c'est sans doute la majorité) mais plutôt de ceux qui nous tentent quand même et sur lesquels on bute comme la mouche qui cherche à passer à travers la vitre.
La poésie est souvent concernée ; elle flirte parfois volontiers avec l'illisibilité. J'ai cru autrefois que c'était une tendance plutôt récente, remontant tout au plus au XIXe siècle. Puis j'ai découvert que la poésie de Maurice Scève n'est pas si immédiatement accessible. Avec plus de surprise, j'ai lu en entier l'Alexandra, de Lycophron, un poète grec du IVe siècle avant JC : c'est déjà presque entièrement illisible même pour un grand habitué d'Homère et d'Hésiode, et c'est déjà manifestement délibéré de la part de l'auteur.
Que représente l'illisibilité pour vous ?
Je ne pense pas aux livres qui nous paraissent illisibles par leur faiblesse ou leur médiocrité (pour un lecteur plutôt difficile comme moi, c'est sans doute la majorité) mais plutôt de ceux qui nous tentent quand même et sur lesquels on bute comme la mouche qui cherche à passer à travers la vitre.
La poésie est souvent concernée ; elle flirte parfois volontiers avec l'illisibilité. J'ai cru autrefois que c'était une tendance plutôt récente, remontant tout au plus au XIXe siècle. Puis j'ai découvert que la poésie de Maurice Scève n'est pas si immédiatement accessible. Avec plus de surprise, j'ai lu en entier l'Alexandra, de Lycophron, un poète grec du IVe siècle avant JC : c'est déjà presque entièrement illisible même pour un grand habitué d'Homère et d'Hésiode, et c'est déjà manifestement délibéré de la part de l'auteur.
Je ne suis pas un lecteur haut de gamme, je suis plutôt lecteur grand public et plusieurs livres me rebutent. Mais ce serait surtout des auteurs. J’avais un copain qui portait Faulkner aux nues et j’ai beaucoup essayer de le lire : Les Larrons, Requiem pour une Nonne, Sanctuaire…
Il m’est arrivé de les lire jusqu’au bout, par principe, mais sans rien y comprendre.
Mais ça remonte à longtemps, je devrais peut-être réessayer.
Il m’est arrivé de les lire jusqu’au bout, par principe, mais sans rien y comprendre.
Mais ça remonte à longtemps, je devrais peut-être réessayer.
Je ne suis pas un lecteur haut de gamme, je suis plutôt lecteur grand public et plusieurs livres me rebutent. Mais ce serait surtout des auteurs. J’avais un copain qui portait Faulkner aux nues et j’ai beaucoup essayer de le lire : Les Larrons, Requiem pour une Nonne, Sanctuaire…C'est un cas intéressant, Faulkner. Plutôt difficile d'accès, je suis certain que ses livres seraient impubliable aujourd'hui(à part dans de toutes maisons qui en vendrait 100 exemplaires). Je trouve Sanctuaire très beau (Faulkner pourtant ne l'aimait pas tellement) et plutôt plus lisible que Le bruit et la fureur (je me rappelle des passages magnifiques, et d'autres où je n'entrais pas du tout selon le personnage dont on suivait la pensée) ou même Tandis que j'agonise (mais là je me suis peut-être rendu la tâche trop difficile en le lisant en VO). Requiem pour une nonne m'avait paru assez lisible en tant que Post-sanctuaire-scriptum - mais je préfère Sanctuaire. Je ne suis sans doute pas un bon lecteur de Faulkner non plus.
Il m’est arrivé de les lire jusqu’au bout, par principe, mais sans rien y comprendre.
Mais ça remonte à longtemps, je devrais peut-être réessayer.
Je me souviens que en convalescence à l'hopital (des conditions favorables à la lecture), j'avais lu un livre de Pierre Jourde très bien critiqué sur CL, mais je n'avais rien compris. Pourtant je voulais comprendre pourquoi c'était reconnu comme un grand livre d'un grand auteur.
C'était https://critiqueslibres.com/i.php/vcrit/26347
C'était https://critiqueslibres.com/i.php/vcrit/26347
Saule, tout pareil pour moi :-)
J'essaie de m'accrocher à la lecture de certains livres, commentés sur CL bien souvent, ou de découvrir un auteur que je n'ai pas encore lu, mais parfois cela me semble inaccessible, pas à cause du volume, mais bien de l'écriture...
La poésie je la mets à part, on sait que bien souvent il faut ouvrir les chakras pour être réceptif, et, à défaut, se laisser transporter par la musicalité des mots, je la perçois comme telle, pas inaccessible mais exigeante peut-être.
Mais certains auteurs ont une telle écriture qui me semble hermétique, c'est décourageant, il faut s'accrocher et ça devient supplice, ce qui n'est pas le but de la lecture "plaisir" comme je l'entends. Alors je laisse tomber, avec l'impression de ne pas avoir le niveau nécessaire à la compréhension de l'ouvrage.
J'essaie de m'accrocher à la lecture de certains livres, commentés sur CL bien souvent, ou de découvrir un auteur que je n'ai pas encore lu, mais parfois cela me semble inaccessible, pas à cause du volume, mais bien de l'écriture...
La poésie je la mets à part, on sait que bien souvent il faut ouvrir les chakras pour être réceptif, et, à défaut, se laisser transporter par la musicalité des mots, je la perçois comme telle, pas inaccessible mais exigeante peut-être.
Mais certains auteurs ont une telle écriture qui me semble hermétique, c'est décourageant, il faut s'accrocher et ça devient supplice, ce qui n'est pas le but de la lecture "plaisir" comme je l'entends. Alors je laisse tomber, avec l'impression de ne pas avoir le niveau nécessaire à la compréhension de l'ouvrage.
Je me souviens que en convalescence à l'hopital (des conditions favorables à la lecture), j'avais lu un livre de Pierre Jourde très bien critiqué sur CL, mais je n'avais rien compris. Pourtant je voulais comprendre pourquoi c'était reconnu comme un grand livre d'un grand auteur.Je ne pense que tu n'aies rien compris. Mais ce livre est clairement un hors-genre, qui tient autant de la réflexion que du récit. J'en avais recopié un passage sur mon blog ; si tu le relis, tu verras que tu comprends très bien. https://hublots2.blogspot.com/2011/04/…
C'était https://critiqueslibres.com/i.php/vcrit/26347
En fait, ce qui cause le sentiment d'incompréhension, c'est souvent le décalage entre l'horizon d'attente et la perception réelle du texte. A ce titre, le chapeau que donne Tistou à sa lecture est révélateur : "Ceci n'est pas un roman." Et alors ? Un livre a-t-il besoin d'être un roman ? Un livre a-t-il besoin d'être long ? Pierre Jourde écrit aussi des romans, et même de très longs (l'excellent "Maréchal absolu") ; il n'écrit pas que des romans - d'ailleurs cette collection des Allusifs ne se destinait pas vraiment à la publication de romans. Pour ce qu'il est, je trouve pour ma part que la Présence est un beau livre.
l'impression de ne pas avoir le niveau nécessaire à la compréhension de l'ouvrage.Si tu autorises le professeur que je suis aussi par ailleurs et qui a lu pas mal de tes recensions à donner son avis, je te dirais volontiers que tu te sous-estimes. Tes lectures partent justement d'une absence d'a priori qui est indispensable à l'appréciation d'une œuvre d'art, et ça n'est pas si courant (y compris chez des lecteurs professionnels).
Il y a ''Notre-Dame de Paris'' de Victor Hugo. Le roman est bon, mais je trouvais qu'il y avait un peu de longueur, surtout dans les descriptions de la ville, de la cathédrale ou de l'époque. Je m'y suis un peu perdu. Sinon, les livres à caractères scientifiques du type de Stephen Hawking ou d'Hubert Reeves, j'ai énormément de difficulté à les comprendre.
Outre l'Ulysse de Joyce que j'ai signalé dans le questionnaire de Proust (que je n'ai jamais commencé à lire, seule sa réputation m'en a dissuadé) le roman que je trouve illisible est justement de Proust: deux essais m'ont, j'en ai bien peur, convaincu de ranger ce livre dans cette catégorie.
Il y a ''Notre-Dame de Paris'' de Victor Hugo. Le roman est bon, mais je trouvais qu'il y avait un peu de longueur, surtout dans les descriptions de la ville, de la cathédrale ou de l'époque. Je m'y suis un peu perdu.C'est vrai qu'il peut y avoir des longueurs dans les romans de Hugo, et aussi d'autres défauts. Je préfère de loin de sa poésie - et dans ses romans, les passages vraiment poétiques. Mais je ne le vois pas du tout comme illisible.
l'impression de ne pas avoir le niveau nécessaire à la compréhension de l'ouvrage.
Si tu autorises le professeur que je suis aussi par ailleurs et qui a lu pas mal de tes recensions à donner son avis, je te dirais volontiers que tu te sous-estimes. Tes lectures partent justement d'une absence d'a priori qui est indispensable à l'appréciation d'une œuvre d'art, et ça n'est pas si courant (y compris chez des lecteurs professionnels).
Merci Feint pour ce compliment, c'est gentil, ça me touche et me rassure, je vais redoubler d'efforts alors :-)
Je marche beaucoup à l'émotion dans mes lectures, et si je ne la décèle pas, j'ai du mal à me faire une idée.
Outre l'Ulysse de Joyce que j'ai signalé dans le questionnaire de Proust (que je n'ai jamais commencé à lire, seule sa réputation m'en a dissuadé) le roman que je trouve illisible est justement de Proust: deux essais m'ont, j'en ai bien peur, convaincu de ranger ce livre dans cette catégorie.Je l'ai lu deux fois : une fois à vingt ans, une deuxième il y a trois ou quatre ans. Honnêtement, j'ai trouvé que c'était à la fois fort mais aussi assez inégal. C'est un peu volontaire puisqu'il change de tonalité dans chaque épisode ; n'empêche : certains se lisent avec bien plus de plaisir que d'autres. Essaie de lire Finnegans wake avant, prends Ulysse après et tu verras que ce n'est pas si illisible.
Proust, c'est autre chose. Je n'ai lu qu'une fois la Recherche en entier, parce que c'est vraiment long et que le temps est compté, mais trois fois Du côté de chez Swann et deux fois A l'ombre des jeunes filles en fleurs. C'est juste magnifique, je trouve. Bien sûr, les derniers tomes sont un peu moins maîtrisées parce qu'à lui aussi, le temps était compté et qu'il n'a pas pu les travailler comme il aurait voulu. Mais même ces imperfections sont émouvantes, je trouve. Il n'y a rien dans ce que j'ai lu de littérature française au XXe siècle qui approche ce niveau.
j'ai du mal à me faire une idée.Même ça, c'est bon signe.
Eden, Eden, Eden de Guyotat me vient immédiatement en tête. Je l'ai essayé trois fois et trois fois je me suis retrouvé fasciné et dégoûté par ce mélange de sang, de sperme, de chair. Je crois que le malaise vient de la virtuosité de la langue et de l'horreur de ce qui est décrit. Je ne ressens pas ça chez Sade, par exemple, que je connais mal mais qui tantôt me fait rire, tantôt m'ennuie. Chez Guyotat, ça se joue, comme il se doit, dans les tripes. Je n'ai jamais pu dépasser la page 30.
Sinon, de manière plus générale, je dirais que c'est beaucoup l'appréhension de l'effort qui donne le sentiment d'illisibilité et qui fait qu'un livre demeure "illu". L'alliance d'un nombre de page élevé et d'une innovation langagière y contribue. On peut être prêt à faire face à l'un ou à l'autre, mais se sentir trop petit pour aborder les deux de front. C'est ce qui semble ressortir quand Ulysse ou La Recherche sont évoqués. Ma critique d'Ulysse rend d'ailleurs compte de ce combat. Je me rappelle aussi de mes difficultés devant La Mort de Virgile de Broch et je n'arrive pas à me lancer dans Les Somnambules, qui me fait pourtant de l'oeil depuis longtemps.
Sinon, de manière plus générale, je dirais que c'est beaucoup l'appréhension de l'effort qui donne le sentiment d'illisibilité et qui fait qu'un livre demeure "illu". L'alliance d'un nombre de page élevé et d'une innovation langagière y contribue. On peut être prêt à faire face à l'un ou à l'autre, mais se sentir trop petit pour aborder les deux de front. C'est ce qui semble ressortir quand Ulysse ou La Recherche sont évoqués. Ma critique d'Ulysse rend d'ailleurs compte de ce combat. Je me rappelle aussi de mes difficultés devant La Mort de Virgile de Broch et je n'arrive pas à me lancer dans Les Somnambules, qui me fait pourtant de l'oeil depuis longtemps.
Eden, Eden, Eden de Guyotat me vient immédiatement en tête. Je l'ai essayé trois fois et trois fois je me suis retrouvé fasciné et dégoûté par ce mélange de sang, de sperme, de chair. Je crois que le malaise vient de la virtuosité de la langue et de l'horreur de ce qui est décrit. Je ne ressens pas ça chez Sade, par exemple, que je connais mal mais qui tantôt me fait rire, tantôt m'ennuie. Chez Guyotat, ça se joue, comme il se doit, dans les tripes. Je n'ai jamais pu dépasser la page 30.J'ai pensé aussi à Guyotat, notamment au "Livre". Je me souviens d'ailleurs quand Pivot l'avait invité à Apostrophes. Mais comme je ne les ai pas, je ne peux pas dire que je n'ai pas "osé".
Oui, beaucoup de lecteurs ne se font pas confiance. (Maintenant, c'est vrai qu'il vaut mieux avoir lu déjà pas mal pour apprécier la Recherche et encore plus Ulysse.)
Sinon, de manière plus générale, je dirais que c'est beaucoup l'appréhension de l'effort qui donne le sentiment d'illisibilité et qui fait qu'un livre demeure "illu". L'alliance d'un nombre de page élevé et d'une innovation langagière y contribue. On peut être prêt à faire face à l'un ou à l'autre, mais se sentir trop petit pour aborder les deux de front. C'est ce qui semble ressortir quand Ulysse ou La Recherche sont évoqués. Ma critique d'Ulysse rend d'ailleurs compte de ce combat. Je me rappelle aussi de mes difficultés devant La Mort de Virgile de Broch et je n'arrive pas à me lancer dans Les Somnambules, qui me fait pourtant de l'oeil depuis longtemps.
(Tiens justement cet été en lisant l'Enéide en même temps que la bio de Kafka par Reiner Stach, ça m'a donné envie de lire La Mort de Virigile de Broch.)
Oui, beaucoup de lecteurs ne se font pas confiance.
Oui... Problème auquel on est souvent confronté en tant que prof. Convaincre les élèves qu'ils sont capables de lire (pas que de lire, d'ailleurs), c'est une vraie difficulté. Et ceux qui s'y confrontent sont parfois étonnés de constater qu'au fond, ce n'est pas si dur — ce qui n'évite pas forcément l'ennui. Ca arrive aussi quand on n'est plus si jeune et plutôt bon lecteur : je me souviens de m'être fait une montagne de Sebald et d'avoir longtemps différé ma lecture de son oeuvre avant de réaliser que c'était étonnamment digeste.
Je me suis confrontée avec deux livres dont l'écriture et le fond sont déconcertants ; je ne sais s'il s'agit d''illilisibilité et dans les deux "critiques" concernant ces livres je ne sais toujours pas si j'ai pu accéder à leur compréhension ou si je suis passée à côté.
Pourtant je ne regrette en rien ces lectures dont je considère qu'elles m'ont "enrichies" , surtout celle de Federman où il me semble qu'il a été possible de s'immiscer malgré une écriture si difficile d'accès.
La voix dans le débarras de Raymond Federman
Le bruit et la fureur de Faulkner
Pourtant je ne regrette en rien ces lectures dont je considère qu'elles m'ont "enrichies" , surtout celle de Federman où il me semble qu'il a été possible de s'immiscer malgré une écriture si difficile d'accès.
La voix dans le débarras de Raymond Federman
Le bruit et la fureur de Faulkner
Je ne suis pas un lecteur haut de gamme, je suis plutôt lecteur grand public et plusieurs livres me rebutent. Mais ce serait surtout des auteurs. J’avais un copain qui portait Faulkner aux nues et j’ai beaucoup essayer de le lire : Les Larrons, Requiem pour une Nonne, Sanctuaire…
Il m’est arrivé de les lire jusqu’au bout, par principe, mais sans rien y comprendre.
Mais ça remonte à longtemps, je devrais peut-être réessayer.
@SJB Tu devrais vraiment retenter avec Faulkner. Il reste un de mes auteurs préférés et celui, selon moi, qui s'approche le plus de la folie dans un tour de force stylistique. Tout lu de lui et j'en garde un souvenir très fort.
Je me souviens que son traducteur en français avait dit pourvoir rester plusieurs jours sur une seule phrase pour le pas dénaturer l'extrême précision de Faulkner dans sa description des gouffres mentaux. Peut-être que 'Tandis que j'agonise' pour commencer te rebuteras moins.
Auteur illisible : LACAN et ses 'séminaires'. Pas vraiment de la littérature certes, mais prise de tronche assurée.
*te rebutera moins (sorry)
Celui que je n'ai pas lu ! (ni même acheté, et pourtant ce n'est pas l'envie qui manque)
La voix dans le débarras de Raymond Federman
Je crois aussi que c'est le seul qui puisse présenter une réelle difficulté.
Coïncidence (qui n'en est pas vraiment une puisque toute son oeuvre tourne autour de ça) : "Chut", le titre que j'ai choisi comme livre que je conseille, c'est le dernier mot que Federman entend de sa mère avant d'être enfermé dans le débarras de "La voix dans le débarras" et où il va rester enfermé pendant deux jours pour échapper à la Gestapo qui vient d'enlever ses parents et ses deux sœurs (c'est la rafle du Vel d'Hiv).
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