Bolcho
avatar 19/09/2004 @ 16:32:00
Allez ! Un petit coup pour distraire les passants:

A la fin du XXe siècle sont apparus les appareils téléphoniques portables. Dans un premier temps, les quelques utilisateurs privilégiés étaient aussi rares que les propriétaires de Rolls Royce et encore plus « m’as-tu vu » : j’en ai observé deux exemplaires, à la terrasse d’un café, bravant le froid pour s’exhiber aux foules et criant très fort dans une grosse boîte ressemblant à un talkie-walkie de chantier.

Sont arrivés les vrais portables. Leurs utilisateurs, on le voyait bien, s'efforçaient de marcher en téléphonant. S’ils avaient payé cher un artefact hyper moderne, ce n'était pas pour rester plantés comme des poteaux télégraphiques...un comble. Alors ils marchaient, difficilement et parfois en rond, mais ils marchaient. Bien vite, ils n'ont plus eu besoin de se concentrer pour le faire. Le geste était acquis, l'habitude prise, la difficulté résorbée. Certains d'entre eux, les plus doués, sont même parvenus à mâcher un chewing-gum en faisant ainsi la conversation ! Enfin, la conversation... N'exagérons pas. A entendre ceux qui sévissent dans les trains et les trams, c'est plutôt du genre: "Comment vas-tu ?", "Non, je suis dans le train", "A tout de suite". Pourquoi, dans ce cas, avoir téléphoné si l'on prévoyait de se voir dans les minutes qui suivent ?

Maintenant, la tendance s’est inversée. Comme tout le monde possède un téléphone portable, les snobs qui se distinguent de la foule sont ceux qui n’en veulent pas. Je suis snob. Je ne veux pas être joignable à tout instant.

Mais ça me donne le vertige tous ces gens qui tripotent leur machine. Ils ne cessent ainsi de proclamer à tout le monde qu’ils sont en contact avec plein d’autres gens qui les trouvent intéressants, importants, séduisants, aimables, nécessaires. Les jolies lolitas moulées dans leurs boléros et leurs jeans, on leur imagine facilement des correspondants transis. Et les grand-pères fatigués, on leur accorde volontiers des descendants inquiets. Mais les tordus, laids, gras et apparemment débiles ? N’est-ce pas une merveille qu’on les aime assez pour entrer en communication ainsi, à tout bout de champ… ou de trottoir ?

Une dame âgée de mes amis n’a pas le téléphone dans la chambre de maison de repos où l’indifférence du monde l’a confinée. Nous lui avons donc offert un portable…et de nombreuses leçons d’utilisation. Rien n’y a fait. Lorsque l’immonde boîte émet une sonnerie, la dame s’énerve et tient l’objet devant elle en hurlant « allo » comme si elle parlait dans un micro, agacée de n’entendre, forcément, aucune réponse. A l’autre bout du fil (enfin, à l’autre bout du machin), le correspondant, lui, entend la télévision que ma vieille amie règle toujours très fort. On ne va pas lui demander, en plus, de se saisir de l’autre petite boîte dont elle ne comprend pas bien le fonctionnement non plus : la commande à distance de la télé.
Mon fils me demandait pourquoi les vieux deviennent d’une telle incompétence. Ne serait-ce pas dû surtout à leur agacement face à la connerie du monde ? Pourquoi a-t-on remplacé les anciennes commandes à distance, qui servaient à sélectionner une chaîne et à régler le son, par de nouvelles « zapettes », avec des tout petits boutons extrêmement nombreux qui permettent de choisir la forme de l’image et de faire toutes sortes de choses, y compris commander une pizza, ou presque ? Et pourquoi a-t-on remplacé les anciens téléphones, solides, repérables parce que tenus en laisse et suffisamment massifs pour les gros doigts maladroits, par des espèces de commandes à distance qui permettent vraiment de commander des pizzas mais sont inutiles pour baisser le son de la télé ? La vieille dame a raison de s’insurger : c’est con.

On ne transporte pas que son téléphone, bien sûr. De plus en plus, dans la rue, dans les bus ou les métros, les gens ont à la main quelque chose à boire. Cela va de la canette métallique jetée ensuite dans le caniveau jusqu’à la bouteille de 1,5 litre. On transporte sans cesse ses liquides. Sans doute est-ce aussi pour dire quelque chose.
D’ailleurs on transporte tout : son téléphone, son bureau (l’autre « portable », l’ordinateur), ses boissons, ses distractions (la musique et les jeux électroniques), ses lectures (mais ça c’est vieux ; les curés ont montré la voie). Je me demande si, progrès aidant, on va pouvoir fabriquer des tentes climatisées gonflables qui tiennent dans la poche. Nous transporterons chacun notre maison et serons alors vraiment redevenus des nomades.

N’empêche, un problème supplémentaire est né de cette frénésie ambulatoire : les deux mains sont perpétuellement occupées. On voit des malheureuses, le téléphone dans une main, la bouteille dans l’autre, chasser les chiens errants des réverbères pour s’y frotter les fesses, un peu comme des ours qui se grattent.

Il serait temps de songer à des solutions radicales. Quelques unes me sont venues à l’esprit pour aider mes contemporains ainsi handicapés.

Tout d’abord, je voudrais faire un sort à cette idée répandue comme quoi il suffirait d’implanter le téléphone dans la boîte crânienne. Cela ne va pas du tout. Peut-être l’avez-vous oublié, mais c’est un endroit déjà occupé par un organe sensible : le cerveau. On ne peut pas se permettre le risque d’abîmer des zones essentielles, notamment celle de Mercanti qui commande notre propension à faire des achats en tous genres. Et puis, imagine-t-on sérieusement de procéder à de délicates opérations chirurgicales, tous les trois mois, afin de remplacer le modèle démodé et d’implanter un portable encore plus performant, avec, par exemple, la mémorisation automatique des numéros de téléphones utiles les plus proches : ceux des vendeurs de pizzas dont j’ai déjà parlé ? Sans compter que toutes ces ouvertures-fermetures de boîtes crâniennes, en plus des risques de courants d’air, rapporteront infiniment plus aux chirurgiens qu’aux vendeurs de portables, ce qui n’est pas, vous en conviendrez, le but de l’opération.

Non, non. Il faut trouver autre chose.

Une idée à creuser, et qui à l’audacieuse simplicité des synergies géniales, c’est celle du téléphone dans la boîte de Cola : un portable creux avec la boisson à l’intérieur. Il suffirait de se brancher à des fontaines publiques (mais payantes !) pour refaire le plein dès que nécessaire. Cela libérerait une main pour se gratter les fesses et ainsi ne plus faire ombrage aux ours que mes comparaisons oiseuses risquent de froisser.

Certains mauvais esprits, ont suggéré de glisser le portable dans une cavité humaine naturelle dont ils prétendent qu’elle serait considérablement sous-utilisée : une fois par jour en moyenne. Ils affirment que cette solution (dite « fondEmentale », on comprendra pourquoi) serait symboliquement satisfaisante – mais ce sont de mauvais esprits, je l’ai déjà dit – et qu’il suffirait que chacun se mette au régime alimentaire sans déchets pour que les inconvénients soient réduits, comme les déchets, à zéro. D’ailleurs, les fabricants de Cola (décidément, ils sont partout eux aussi) affirment haut et fort que leur boisson, à peine modifiée, pourrait devenir un aliment complet répondant aux nouvelles exigences intestinales modernes. Et ils ont même développé leur argumentation. La voici. L’humanité est allée du cru vers le cuit, du rigide vers le doux ; elle s’est contentée de baguettes croquantes avant de découvrir le hamburger baveux ; il suffit d’aller un cran de plus dans la même direction ; le plus mou du mou, c’est le liquide : buvez Cola Cola !

D’autres propositions viendront sans doute. D’aucuns, s’inspirant des susdites, proposent déjà de mettre le téléphone non pas à côté du cerveau mais à la place du cerveau, ce dernier se verrait déménagé dans l’abdomen où il suffirait d’enlever quelques mètres d’intestin pour y faire de la place. Les idées, d’où qu’elles viennent, sont des idées n’est-ce pas, et elles ne sentiront pas plus mauvais si elles émanent du bas que du haut.

Mais tout cela est peut-être vain après tout. Pourquoi se donner tant de mal pour loger un outil dont on se demande s’il n’est pas inutile en fin de compte dans la mesure où il rapproche des cerveaux dont on voit bien, de plus en plus, qu’ils sont déjà identiques.

Monique 19/09/2004 @ 17:02:06
Savoureux (!) Bolcho...

Kilis 19/09/2004 @ 17:39:31
Quel bonheur de te lire, Bolcho!
Ce texte-ci est le deuxième que je lis de toi et j'y retrouve les mêmes ingrédients: une observation malicieuse, un humour subtil, une pensée revigorante. Le tout saupoudré d'un nuage de culture habilement distancée comme les allusions à Balzac, Lévi-Strauss... un délice.
Penserais-tu entamer une chronique anthropologique du vingt et unième siècle?
Si tu en as d'autres. Ne nous en prive pas.

Yali 19/09/2004 @ 19:08:20
On sait mais on l'SFR, Pourtant, c'est pas les mobiles qui manquent pour arrêter.
Bienvenue Bolcho ;-)

Sibylline 19/09/2004 @ 19:15:14
Je n'ai jamais voulu prendre de portable, disant que "moi, je ne suis pas joignable tout le temps". Ce n'est peut-être pas du snobisme, mais c'est tout de même bien une façon de se mettre "au-dessus". Bien vu Bolcho.
...
Mais je maintiens.

Monique 19/09/2004 @ 19:20:31
Je n'ai jamais voulu prendre de portable, disant que "moi, je ne suis pas joignable tout le temps". Ce n'est peut-être pas du snobisme, mais c'est tout de même bien une façon de se mettre "au-dessus". Bien vu Bolcho.... Mais je maintiens.
Pareil pour moi, je dois être snob... Et aussi, je maintiens, ou plutôt je tiens !

Yali 19/09/2004 @ 19:25:00
Suis sans doute assez snob aussi, mais dans un autre genre : j''ai un portable mais pas de téléphone fixe ;-)

Sibylline 19/09/2004 @ 19:47:37
Suis sans doute assez snob aussi, mais dans un autre genre : j''ai un portable mais pas de téléphone fixe ;-)

Ce qui se fait de plus en plus, au contraire.
D'un commun, mon cher!...

Yali 19/09/2004 @ 19:54:17
D'un commun, mon cher!...

Tant mieux ! Suis pas sûr que le terme snob me plaît ;-)

Sibylline 19/09/2004 @ 20:02:19
D'un commun, mon cher!...

Tant mieux ! Suis pas sûr que le terme snob me plaît ;-)


:0)))

Kilis 19/09/2004 @ 20:04:11
D'un commun, mon cher!...

Tant mieux ! Suis pas sûr que le terme snob me plaît ;-)

T'as raison, Yali.
En fait SNOB vient au départ de l'expression Sine Nobilitate = Sans noblesse.

Monique 19/09/2004 @ 20:16:30
A faire figurer dans le forum "orthographe", origine des mots... Merci Kil

Yali 19/09/2004 @ 22:41:29
.

Yali 19/09/2004 @ 23:20:26
Honneur aux nouveaux

JeanDumont 20/09/2004 @ 00:43:32
Monsieur,

Ton texte est excellent et fourmille d'idées intéressantes. Mais ce qui me fait le plus mal, c'est qu'au lieu de discuter ton texte, certains jouent la diversion et parlent d'autres choses.
Ton texte les dérange parce que réfléchi et non vide de sens.
Ton texte les dérange parce que dense lexicalement parlant. Et ton écriture tend vers le littéraire même si des retouches sont nécessaires.
Ton texte les dérange parce qu'une certaine idiote n'aura pas à ouvrir sa gueule faute de grossières fautes d"orthographe. Eh oui! sa spécialité : la chasse. Elle la tire chaque fois et s'en enorgueillit.

Bravo et félicitations de ma part.
Et continue à écrire car ici sur ce forum il y a les "sinistres balayeurs des gens de talent".

JeanDumont 20/09/2004 @ 00:50:12
Et grand honneur à Monsieur Bolcho.
Tu es un écrivain talentueux et tu rédiges bien mieux que certains "caîds maffieux" de la plume qui pratiquent éhontément l'opportunisme et le vol littéraires et sont incapables de produire un texte riche de sens. À part le langage parlé et le remplissage creux et inutile, ils ne connaissent que dalle.

Tistou 21/09/2004 @ 18:55:43
C'est affreux comme des textes intelligents peuvent être pollués par des considérations haineuses!
Bravo Bolcho. Je classerais ton texte dans la veine DANINOS, encore que ça fait bien longtemps (30 ans?) que je n'ai plus lu ce monsieur. Mais l'humour incisif et pince sans rire est bien là. Et voilà le téléphone portable et ses usagers habillés pour l'hiver! Super.

Paikanne 22/09/2004 @ 09:28:53
Bolcho, me permets-tu de copier ton texte pour le proposer en lecture à mes élèves ? J'ai commencé l'année avec un texte critique "Saint G maudit GSM" et ça m'intéresserait beaucoup de prolonger la réflexion avec le tien...

Bolcho
avatar 22/09/2004 @ 21:29:30
Merci à Tistou à qui je ne peux que répondre "eh oui, qu'y faire ?".
Et à Paikanne: Oui, bien sûr, je suis un peu surpris que l'on m'étudie déjà dans les écoles secondaires du Royaume, mais on se fait très vite à la gloire. Ne serait-ce pas le moment de proposer à tes garnements une dissert dans le genre : "L'art de la virgule dans les oeuvres majeures de Bolcho, entre grandeur et génie. Commentez."
Ah! la vie est belle.
Bon, c'est pas tout ça. Plus modestement, ce serait bien que tu me racontes à quel point mon petit texte les a fait hurler de rage...
Bon cours de toute façon.
Si je proposais le même texte à mes élèves (j'enseigne en prison), je crois qu'ils m'accrocheraient au porte-manteau. Sauf qu'il n'y a pas de porte-manteau.

Paikanne 22/09/2004 @ 22:27:59
Merci (je peux garder ton sujet de dissert pour le 1er avril par exemple...)

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