Shelton
avatar 20/06/2021 @ 09:25:35
« L’été c’est fait pour lire » et nous voici donc au départ d’une nouvelle saison estivale de chroniques radio et Internet. Certains, parfois, me demandent ce qui peut bien me motiver pour enchainer une énième série de chroniques puisque tout cela a commencé il y a quelques décennies, ce qui n’est pas rien… Après tout, ces chroniques livres, il y en a déjà beaucoup, pourquoi une de plus ?

La question est si pertinente qu’il convient d’y répondre avant toute chose, avant donc de commencer à vous inviter à découvrir le moindre livre… Car, dans mon esprit, il ne s’agit pas d’ajouter à un trop plein confirmé, une ligne de plus… En fait, en toute simplicité, j’écris chaque chronique, chaque invitation à la lecture, sur le ton que j’aurais aimé avoir en allumant la radio quand j’étais plus jeune… J’ai toujours recherché un lieu où l’on aurait parlé des livres en toute liberté, sans contrainte commerciale, sans se limiter aux classiques, aux nouveautés, aux livres exigeants ou que sais-je encore…

Quand j’étais jeune lecteur, il était par exemple hors de question de mélanger les « livres » avec les bandes dessinées, les romans avec les polars, les essais avec les beaux-livres… et je n’ose même pas vous dire la place qui pouvait être réservée à la littérature jeunesse ! Il ne s’agit pas pour moi de vous dire que tous ces ouvrages sont équivalents (d’ailleurs sur quels critères faudrait-il évaluer la valeur des livres ?) mais plutôt vous dire que si je parle de livres je ne souhaite pas faire disparaitre une catégorie ou une autre. Je suis un lecteur qui affirme que je n’ai pas toujours envie de lire les mêmes ouvrages, qu’il y en a pour toutes les humeurs, les jours d’une vie, les envies du moment… Il y en a pour réfléchir, pour découvrir, pour rire, pour passer le temps, pour voyager… Il y a des nouveautés, des classiques (il me faudra d’ailleurs définir ce que je peux entendre par là), des livres introuvables, des découvertes empoussiérées lors d’un vide-grenier, des livres de poche, des ouvrages imposés à l’école, des livres cultes dont on ne peut plus se passer, ceux que l’on relit, ceux que l’on ne termine pas… Bref, le livre est un concept pluriel qu’il est interdit d’enfermer dans une boîte étroite !

Et c’est bien ainsi que je vois les choses dans cette chronique « L’été c’est fait pour lire ». Mais, me direz-vous, comment imaginer que chaque lecteur ou auditeur puisse s’y retrouver et qu’il ait envie de découvrir tous les livres proposés de jour en jour durant un été entier ? Oui, mais c’est là que vient mon objectif simple et clair : donner à chacune et chacun la possibilité de trouver, au moins une fois par semaine, un livre à son goût… Si chaque personne qui fréquente cette chronique trouve une idée de lecture par semaine j’estimerai que mon travail n’est pas trop inutile… Ce qui veut dire, bien sûr, que le reste du temps, la proposition de lecture serait destinée à d’autres… Oui, il en faut bien pour tous les goûts !

Enfin, vous le comprenez j’espère, je parle de chroniques et non de critiques. Il ne s’agira jamais de d’affirmer, avec une autorité qui viendrait de je ne sais où, qu’un livre est bon de façon absolue. Pour moi, il y aura les livres qui m’ont touché, ceux que j’ai appréciés, ceux qui furent d’heureuses découvertes, ceux que j’aurais envie de relire, ceux dont je vous parlerai avec plaisir… et les autres, je les oublierai très rapidement ! Il y a trop de livres qui m’ont rendu heureux pour perdre du temps avec les autres… Oui, cette chronique a un parti pris : parler des livres que j’ai aimés ! C’est arbitraire, subjectif mais c’est ainsi !

Dès demain, je reviendrai encore sur quelques éléments à clarifier pour vous permettre de ne pas être trop déçus par cette chronique sur les livres et comme « L’été c’est fait pour lire », bonne lecture à tous, même si l’été n’est pas encore commencé…

Saint Jean-Baptiste 20/06/2021 @ 10:53:05
Que serait CL en été sans cette bonne chronique de l’ami Shelton…;-))

Shelton
avatar 21/06/2021 @ 06:05:16
Lundi 21 juin 2021

L’été c’est fait pour lire ! Que voilà bien une affirmation surprenante et digne d’un slogan publicitaire… L’affirmation qui peut sembler gratuite et sans fondement, et, pourtant, quand vous observez de plus près le comportement des Français, vous finissez par penser que ce n’est pas si faux… Car en été, surtout avec le déconfinement tant attendu, on devrait prendre plus souvent le train et dans le train, il suffit de regarder les voyageurs, la lecture et un moyen indiscutable de passer le temps ! En été, on sort le fauteuil dans le jardin et on passe plusieurs heures à recharger nos accumulateurs solaires internes, soit au soleil, soit à l’ombre, en fonction des jours, des habitudes, des lieux… et que fait-on sur le fauteuil ? Bien souvent, on a un livre en main, du moins avant de sombrer dans le sommeil…

Car s’il est bien pertinent de s’interroger sur les lectures estivales, il me semble aussi important de se poser quelques bonnes questions sur les lieux de lecture… Où est-il bon de lire ? Assis ou couché ? Au soleil ou à l’ombre ? Les pieds dans le sable chaud ou plongés dans l’eau froide ?

Bien sûr, il y a la plage avec son sable chaud, sa chaleur, le sel, l’air marin, ses coups de soleil et ses lectures estivales qui font survivre les libraires des stations balnéaires ! Oui, on peut parfois entendre critiquer les livres lus sur la plage, se plaindre d’une certaine facilité mais j’avoue avoir vu de très nombreux lecteurs plongés dans des ouvrages complexes, voire même philosophiques… Car qui dit plage ne dit pas lecture facile ! Comme à chaque fois, le lecteur choisit seul ses lectures !

La lecture nocturne en position allongée est bien aimée de certains lecteurs mais j’avoue y mettre un léger bémol quand il s’agit d’ouvrir des ouvrages conséquents par la taille, des albums grand-format et même tout simplement des bandes dessinées… Le lit n’est pas le lieu de toutes les lectures !

Assis sur son fauteuil dans le jardin, qu’il soit public ou non, à l’ombre ou au soleil, peut convenir à certaines et certains… L’été est un temps privilégié où le temps ne nous est pas compté comme d’habitude, on peut lézarder, patienter, attendre, souffler, récupérer et, donc, lire dans la nature, bercé par le chant des oiseaux… C’est bucolique est bien sympathique !

En fait, chacun trouvera le lieu qui lui convient et on aura même le droit de changer de lieu, de position, d’exposition, en fonction de son humeur, de la météo, de ses rencontres… Je rappelle que les Japonais ont inventé, il y a quelques années, des ouvrages plastifiés pour lire dans l’eau… Lire en marchand le long de la plage, les pieds dans l’eau, sans avoir peur de détériorer son livre culte… Que du bonheur !

Oui, « l’été c’est fait pour lire », j’en suis convaincu et c’est bien pour cela que, chaque année, quand je prépare ma valise ou mon sac de vacances, je range avec soins quelques ouvrages… Enfin, « quelques » est euphémisme car parfois il y a plus de livres que de pulls de rechange… Je glisse dans mes affaires quelques romans policiers, quelques classiques, quelques relectures potentielles sans oublier une ou deux nouveautés… A peine arrivé sur place, je n’ai qu’une hâte, m’engouffrer dans une librairie pour découvrir un ou deux auteurs locaux car je reste persuadé que voyage et découverte littéraire sont de bons amis… Puis, je vis mes vacances pleinement et tentant de lire tous les jours avant de constater à la fin du séjour que j’avais deux fois plus de livres que ce que je pouvais lire… Ma femme me fait remarquer qu’il ne s’agit pas de deux fois mais bien de trois fois…

Avant d’entrer directement au cœur des livres, il me faudra encore vous parler de ce qu’est pour moi un classique car il est important, du moins me semble-t-il de sortir ce concept de la poussière dans laquelle nos cours de littérature ont coincé, enfermé, abandonné… ces petites merveilles !

D’ici là, puisque « l’été c’est fait pour lire », bonne lecture et à demain !

Shelton
avatar 22/06/2021 @ 07:29:13
Mardi 22 juin

L’été c’est fait pour lire et nos anciens professeurs de Français ou de littérature seraient les premiers à ajouter « et relire les grands classiques » ! Quelle erreur ! Oui, quelle magistrale erreur ! Car cela signifierait que si on n’a pas lu les Classiques on ne pourrait plus le faire car on n’aurait que le droit de les relire ! Et tout cela parce qu’il y aurait comme un malentendu dès le départ, une genèse de la littérature posée sur un fondement inconsistant… Il y aurait « les classiques », sorte de bible universelle de la littérature, reconnue par tous et jugée définitivement bonne, essentielle et incomparable… et, à côté, en retrait, tous les autres livres qui attendraient d’être oubliés, jetés et même brûlés !

Bien sûr, tout cela est excessif et il est peut-être bon de s’interroger sur ce que pourrait bien être, ou plutôt devrait être, un classique ! Tout d’abord, un classique n’est pas un livre qu’il faudrait faire lire à tous les enfants, à un âge donné. Une telle chose n’a aucun sens et elle porterait en filigrane l’idée que nous serions tous identiques, avec les mêmes goûts, le même développement intellectuel, sentimental, émotif, artistique… La formation scolaire et universitaire est bien là pour nous faire découvrir, par pour nous imposer des choix ! Par contre, dans les lectures imposées, je peux trouver ici ou là des livres qui deviendront pour moi des classiques… Il n’est pas question ici de spécifier des livres d’un genre, d’une époque, d’une langue, d’un pays… A ce titre, je suis surpris d’avoir fait des études littéraires en ayant eu que fort peu de contacts avec la littérature japonaise, chinoise, australienne… Et ces oublis ne sont pas exhaustifs !

Italo Calvino, un auteur que j’apprécie beaucoup et que j’ai eu la chance et le bonheur de découvrir en prépa a tenté de parler des classiques dans un ouvrage « Pourquoi lire les classiques ». Dans la première partie, la seule réellement exceptionnelle de l’ouvrage, il donne quelques éléments de fond sur la question. Je ne retiendrais que deux points, pour moi essentiels :

- Un classique est un livre qui n’a jamais fini de dire ce qu’il a dire.
- Les classiques sont des livres qui, quand ils nous parviennent, portent en eux la trace des lectures qui ont précédé la nôtre et traînent derrière eux la trace qu’ils ont laissée dans la ou les cultures qu’ils ont traversées (ou plus simplement, dans le langage et les mœurs).

Mais, me direz-vous, ce sont des définitions universelles et non individuelles. Il y aurait donc des classiques communs à tous… Non ! Car le classique que j’ai en main n’a pas fini de me dire… mais il ne dit peut-être rien à mon voisin, mon ami ou mon étudiant… Car pour entendre ce qu’il a à me dire, faut-il encore que je sois capable de l’entendre ! Il faut aussi que je sois baigné dans une culture compatible avec le classique que je suis entrain de lire… L’odyssée est-elle accessible à tous les humains ? Probablement mais à condition d’être préparé à sa lecture (certains diraient conditionné)…

Certains d’entre nous ont été bercés ou du moins distraits par les « Lettres Mon Moulin » d’Alphonse Daudet, lettres lues et rendues vivantes par un acteur célèbre, Fernandel. Un de mes enfants a eu cet ouvrage en lecture obligatoire en classe de sixième. Elle n’a jamais réussi à lire, comprendre ou apprécier ces textes pourtant pas très longs… Pourtant, La chèvre de Monsieur Seguin ou Le curé de Cucugnan, La mule du pape ou Le sous-préfet aux champs auraient pu sembler à certains comme classiques de façon définitive… Mais ces textes ne parlent pas à tous les lecteurs et il faut l’accepter…

Le deuxième point relevé chez Italo Calvino est aussi important. Quand on ouvre un classique, on est en contact, d’une certaine façon, avec les lecteurs qui nous ont précédés, il y a comme une lecture collective et culturelle, une sorte de sens porté par un groupe de lecteurs… Par exemple, pour rester dans mon exemple, si vous avez entendu Fernandel raconter les « Lettres de Mon Moulin », votre lecture est portée, même inconsciemment, par l’acteur et même par ceux qui l’ont écouté depuis des décennies… Le tout devient « classique » mais par pour tout le monde, pour ceux qui entrent dans cette catégorie, pour ceux à qui cela parle…

Donc, même si le sujet mériterait encore de nombreux développements, il y aura bien dans mes chroniques des « classiques », les miens, mais je ne vous les imposerai pas comme tels, ce ne seront que des propositions de lectures et ce sera à vous, si le cœur vous en dit, d’en faire des classiques, vos classiques !

Mais, avant de passer aux livres eux-mêmes, demain, nous parlerons des cultures autres que la nôtre, des livres traduits, ceux d’une autre époque…

Alors bonne lecture et à demain !

Shelton
avatar 23/06/2021 @ 07:36:21
Mercredi 23 juin 2021

« L’été c’est fait pour lire » et souvent je propose dans l’été quelques ouvrages traduits, provenant d’une autre culture, d’une autre époque… Je sais que certains me reprocheront ce choix estimant qu’il y a bien assez d’ouvrages en France et en français sans avoir besoin d’aller piocher ailleurs. D’autres estimeront qu’il est bien prétentieux d’avoir une idée sur des œuvres d’une autre culture à travers une traduction plus ou moins bonne… C’est pour cela que j’ai eu envie de creuser un peu la question avant de se lancer dans les choix et propositions de lectures…

Lorsqu’un texte est écrit et publié, il tombe dans l’escarcelle du lecteur et il n’appartient plus à l’auteur. Je ne parle pas ici des droits d’auteurs, des aspects financiers ou autres droits d’adaptation mais plutôt de ce phénomène d’appropriation du texte lu par celui qui est libre de l’interpréter à sa guise, selon sa culture, ses savoirs, sa vie, ses expériences… Pour moi, il s’agit bien d’un droit imprescriptible du lecteur !

Dans mon interprétation du texte, quel qu’il soit, il n’y a pas un vrai absolu ou une sorte de regard pur, il y a une façon personnelle de comprendre, d’assimiler, de percevoir… Certes, j’entends bien ceux qui me parlent d’objectivité textuelle mais je n’y crois guère. Derrière chaque mot, chaque phrase, il y a ce que je découvre moi et qu’importe ce que les autres comprennent ! Bien sûr, si nous sommes plusieurs à avoir lu un texte et si on prend le temps d’échanger on va certainement enrichir chacun nos visions du texte grâce aux autres mais cela ne constituera pas pour autant une vérité, seulement un point de vue collectif !

Lorsque l’on vit dans une époque donnée, dans un lieu précis, que l’on a reçu une éducation spécifique, on finit, d’une certaine façon, à construire une vision précontrainte de ce texte. On a une vision du moment, du lieu, d’une culture… Il n’y a ni à la regretter ni s’en excuser, c’est en fait assez normal. Ce n’est pas la vérité mais une perception datée et marquée comme par exemple la vision du Moyen-âge par l’époque romantique… On voit ainsi Ivanhoé et Robin des Bois arriver dans nos bibliothèques…

Est-ce que pour autant il faudrait arrêter de lire tout texte qui ne serait pas de notre culture, de notre époque, écrit dans notre langue… Non, on a toujours le droit, lui aussi imprescriptible de lire ce que l’on veut du moment qu’il s’agisse bien d’un texte publié et accessible aux lecteurs… On n’est pas obligé d’être né deux mille ans avant Jésus-Christ pour lire certains textes chinois ! La sagesse de Confucius ou Lao Tseu n’appartiennent pas aux Chinois mais à l’humanité… On peut donc la lire mais il ne faut juste pas croire que notre interprétation serait systématiquement la bonne, la véridique, la seule et l’unique… Mais elle ne serait pas pour autant illégitime… elle ne serait que la mienne, la vôtre !

Donc, cette année encore, il y aura dans la chronique « L’été c’est fait pour lire » des ouvrages étrangers ou antiques, d’ici ou d’ailleurs. Ne vous-en offusquez pas, prenez cela simplement comme des invitations à la lecture et acceptez de découvrir de nouveaux horizons littéraires et donc humains sans préjugé… C’est votre droit de lecteur !

Alors bonne lecture et à demain !

Shelton
avatar 24/06/2021 @ 08:02:27
Jeudi 24 juin 2021

« L’été c’est fait pour lire » et comme nous sommes en période estivale, comme les lectures légères sont aussi là pour nous faire oublier quelque peu la pandémie qui nous a préoccupés durant de trop longs mois, il me semble assez légitime de commencer le choix de lectures par un bon roman policier qui plus est par un roman policier patrimonial ou touristique !

Je m’explique… Jean-Pierre Alaux, romancier et journaliste, a créé, il y a quelques années, une série policière avec des personnages très sympathiques. Le premier d’entre eux, Séraphin Cantarel, conservateur en chef des Monuments français, vit à la fin des années soixante-dix et début des années quatre-vingt. Ses fonctions lui permettent, lui imposent même, de voyager à travers la France pour aller régler des questions précises et capitales, du moins pour son ministère, celui de la Culture. Comme par « hasard », ces déplacements coïncident avec des « crimes » et il participe, plutôt indirectement, à la résolution d’énigmes qui permettent généralement de découvrir un monument… Mais l’énigme policière existe bien !

C’est ainsi que l’on a découvert au départ le phare de Cordouan, le musée Toulouse-Lautrec à Albi, la cathédrale de Reims, le Mont Saint-Michel… Cette fois-ci, nous allons partir pour Rocamadour. Je ne connaissais pas du tout ce lieu et la lecture n’en fut que plus prenante, voire addictive… A tel point que je souhaite, au moins, passer par Rocamadour cet été… Puis la série ira au Pays Basque, à Bordeaux, mais c’est une autre histoire dont nous parlerons plus tard car cette série policière touristique me semble très adaptée à l’été…

J’avais parlé de personnages et je ne vous ai présenté que le fameux Séraphin et donc il est légitime de parler aussi d’Hélène, son épouse et célèbre archéologue. Cette femme cultivée et profondément humaine joue toujours un rôle car elle n’est pas que « la femme de… », elle est un personnage à part entière de la série. Sa culture, sa curiosité, sa logique, sont d’un grand secours pour Séraphin souvent trop perché dans ses concepts… Enfin, il y a Théo Trélissac, l’adjoint de Cantarel, jeune, un peu Don Juan, vif d’esprit et qui est souvent considéré par Séraphin et Hélène comme le fils qu’ils n’ont jamais eu…

Cantarel est venu à Rocamadour pour voir comment faire évoluer le statut du musée de la ville, un musée dépendant essentiellement de l’évêché. Or, alors qu’ils sont présents dans cette petite ville du Quercy, une pièce exceptionnelle du musée, La pomme d’or de Rocamadour, est volée…

Occasion donnée à Séraphin d’évaluer les systèmes de surveillance du musée, de faire connaissance des responsables, des gardiens… Hélène et Théo iront aussi faire le tour des différentes richesses ecclésiastiques de la région… tandis qu’ensemble, ils découvriront les bonheurs de la table locale… Oui, on découvre moult bonheurs du Quercy d’où l’envie de découvrir cette région très vite…

Quant à l’enquête policière, elle est bien là d’autant plus qu’il n’y a pas qu’un vol à se mettre sous la dent… Difficile de vous en dire beaucoup plus sans briser immédiatement le suspense du roman… Un roman très bien écrit, agréable à lire et qui me semble totalement adapté à cette série de lectures estivales sans tomber, loin s’en faut, dans l’eau de rose, la lecture banale ou le roman épicé en sang et sexe inutiles… Ici, tout est juste et c’est fort agréable…

Mais soyons bien honnêtes, les amateurs et inconditionnels de thrillers nordiques trouveront les personnages trop positifs, l’énigme pas assez tordue, les descriptions trop douces… Mais, que voulez-vous, il en faut pour tous les goûts !

Alors comme « l’été c’est fait pour lire », très bonne lecture et à demain !

Shelton
avatar 25/06/2021 @ 07:42:44
Vendredi 25 juin 2021

« L’été c’est fait pour lire » et il est parfois surprenant de comprendre comment on arrive à un livre en particulier. Pourquoi lui et pas un autre ? Certes, on peut être influencé par une critique, une rencontre, une discussion, une visite de monument… Tous les moyens existent et c’est même difficile de préciser comment on arrive à un livre donné. J’ai souvent un faisceau d’indices dont aucun n’est essentiel ou principal… sauf dans certains cas où je me souviens de façon détaillée comment je suis arrivé jusqu’à l’ouvrage…

Quand j’étais petit, j’avais la prétention comme un jeune peut l’avoir de faire la collection de timbres. En fait, ce ne fut jamais une passion, juste un petit passe-temps… Par contre, déjà fortement attiré par l’image, j’aimais regarder les illustrations des timbres. Ainsi, certains monuments, tableaux, personnages historiques entraient dans ma vie… C’est ainsi que sans connaître le moindre élément de sa vie, le roi Jean II le Bon arrivait dans ma proximité. Le tableau, attribué à Girard d’Orléans me touchait d’abord. Il faut dire que le roi regarde vers la gauche, le sens négatif… Il a un léger sourire, presque niais, les cheveux plutôt longs, et il n’a pas l’air si royal que cela… Il m’intriguait ! Le timbre était sorti pour le sixième centenaire de sa mort, en 1964, et donc je l’ai vu sur certains courriers dès sa sortie… et il a pris place dans mon album…

Mais je ne savais pas qui était ce roi et j’avoue que dans les cours d’histoire de l’époque, je n’avais pas très bien mémorisé qui il était, ce qu’il avait fait… Le temps a passé sans que jamais je ne me repose ces questions, sans que cette période de la Guerre de cent ans ne me passionne plus que cela…

Puis, un jour, j’ai vu la biographie de Jean Deviosse éditée chez Fayard, Jean II le Bon. La couverture était le portrait du roi que j’avais un jour découvert sur ce timbre-poste et c’est pourquoi j’ai acheté, ce jour-là, cette biographie qui allait non pas changer ma vie mais bouleverser mon regard sur la Guerre de Cent ans et ouvrir une période avec beaucoup d’autres lectures et interviews… Hasard ou pas, c’est bien un timbre poste qui avait tout déclenché !

Après cette lecture et de nombreuses autres, mes questions avaient changé profondément. Pourquoi Jean II dit le Bon est-il un roi si déprécié dans notre histoire ? Pourquoi appeler Bon un roi que l’on n’aime pas ? Un autre roi que lui aurait-il pu changer la face de cette guerre ou la raccourcir ?

La première chose à préciser est que Jean II ne porte pas le surnom de « Bon » en raison de sa bonté ou de ses qualités humaines mais parce qu’il a été courageux au combat. Bon signifie brave, fougueux, courageux, combattif… Car Jean II et cela explique bien des jugements portés sur lui au dix-neuvième siècle, est avant tout un chevalier, un homme du Moyen-âge, un homme du combat…

Jean II ne conçoit la vie que comme un grand jeu dont la règle serait de toujours être capable d’aller plus loin dans le courage, dans le combat, dans la fidélité à la parole donnée. Il n’a aucun sens politique au sens moderne du mot, il ne voit pas l’intérêt d’une diplomatie européenne, il considère les autres rois comme des camarades de jeu, comme des chevaliers… Du coup, il est quasiment hors jeu dès le départ, il ne vit plus dans la bonne époque… C’est l’homme qui s’est trompé d’année de naissance dès le départ !

Quand Jean II arrive sur le trône, la situation n’est pas des meilleures. Charles VI Valois, père de Jean II, devient roi de façon surprenante en raison d’un recours à la loi salique et son application imprévisible. Mais l’autorité des Valois n’est pas encore installée au moment du couronnement de Jean II et de nombreux prétendants guettent le trône dont Edouard III, fils d’Isabelle de France, elle-même fille de Philippe le Bel… Edouard III n’est pas le seul, on a aussi le roi de Navarre, Charles le Mauvais, le cousin de Jean II… Et encore plusieurs membres de la famille royale, bien sûr ! La Guerre de Cent ans a déjà commencé avant lui mais les grosses défaites se produiront sous son règne…

C’est Edouard III qui va prendre l’initiative et la tête des hostilités. La grande peste avait interrompu la guerre, le roi d’Angleterre la remet au goût du jour et avec force et réussite ! L’Angleterre et ses alliés menacent Rouen, le Prince Noir, fils ainé du roi Edouard III, part de Bordeaux pour conquérir le Nord… Jean II et les chevaliers français vont à sa rencontre. Ils sont beaucoup plus nombreux mais n’ont aucun sens tactique et la bataille aura lieu près de Poitiers. Défaite cinglante des Français… et je vous laisse découvrir la fin de son règne qui n’a rien de réjouissant…

On entre ainsi dans une grande période de difficultés politiques et cette biographie historique de Jean Deviosse, à la fois savante mais accessible, vous permettra de découvrir la Guerre de Cent ans sous un autre angle et cela devrait vous donner la possibilité de comprendre ce roi, son règne et le mauvais souvenir laissé dans notre Histoire !

Si je résume tout cela à ma manière, Jean II le Bon fut d’abord un roi d’un autre siècle incapable de comprendre les enjeux économiques de la guerre de Cent ans, incapable de mener une guerre moderne (mais il n’était pas le seul dans cette France qui fantasmait encore sur la chevalerie) et, enfin, qui a été jugé par le dix-neuvième siècle comme dépensier et centralisateur (impôts, taxes, et défaite d’Etienne Marcel battu par le régent). Il fut donc courageux au combat mais cela n’intéressait plus personne !

Donc, puisque « l’été c’est fait pour lire », bonne lecture et à demain !

Shelton
avatar 26/06/2021 @ 06:57:14
Samedi 26 juin 2021

L’été c’est fait pour lire mais comme cette période estivale est aussi celle des vacances il me semble assez judicieux de proposer, de temps en temps, des lectures adaptées surtout quand on a la prétention d’inviter de jeunes adolescents à découvrir une bande dessinée… Voici donc une série parfaitement adaptée pour les jeunes à partir de 11 ans… A l’année prochaine !

Cette histoire est simple et la série est construite pour ne raconter que les étés, ceux d’une bande de jeunes qui se retrouvent sur les bords du Tarn pour leurs vacances… Bien sûr, Swann et ses amis sont accompagnés de leurs parents… Tous sauf Léon ! Léon, lui, il est le fils du boucher du village et il habite toute l’année le long de ces gorges du Tarn… Heureusement, l’arrivée de Swann, Jessie, Baba, Tim et Fanny vient rompre la monotonie de sa vie…

Cette année, il y a une nouveauté et de taille ! La jeune Léna arrive pour la première fois et Swann ne sera pas indifférent au charme de cette jeune fille… Attention, en tout bien tout honneur, ici nos amis ne sont que de très jeunes adolescents !

Le concept de cette série BD est de retrouver chaque année les jeunes, pour un été… On va donc les voir vieillir et dans quelques six ans, ils seront devenus de véritables jeunes et les problématiques risquent de changer, enfin, disons d’évoluer considérablement…

Le scénario de Benoît Philippon va affiner dans chaque album la description d’un des jeunes en abordant à l’occasion un des problèmes que peut rencontrer un adolescent de cet âge… Ici, le jeune concerné est Léon et ne comptez surtout pas sur moi pour vendre la mèche… C’est en lisant ce premier album que vous découvrirez qui est Léon, quel est son problème et comment le groupe participera à sa résolution… Tous pour un ! D’ailleurs, cette expression bien connue sert de titre à ce premier opus de la série…

Le dessin de Nicolas Sauge n’enferme pas cette histoire dans un style hyper classique et, au contraire, participe à dynamiser l’aventure et la rendre aussi rythmée que des vacances d’été sur les bords du Tarn… D’ailleurs, vous connaissez les gorges du Tarn ? Non, peut-être une belle occasion de les découvrir cet été puisqu’il faut redonner de la couleur à notre tourisme français un peu laminé par la crise sanitaire actuelle…

On peut préciser, sans prendre de risque pour le suspense, que nos amis ont un lieu de regroupement, de ralliement, un sas de décompression ou de reconstruction de cohésion amicale… et qu’il ne s’agit pas d’une traditionnelle cabane en forêt… Mais je ne vous en dis pas plus car il faut un peu de surprise dans votre lecture… Quand même !

Donc une belle série BD parfaitement de saison et de circonstance, une histoire que l’on peut faire d’autant plus lire aux jeunes que, sans être moraliste, elle pousse quand même à certaines prises de responsabilités…

Alors, comme l’été c’est fait pour lire, bonne lecture à tous et à l’année prochaine !

Euh, non, à demain !

Shelton
avatar 27/06/2021 @ 08:51:24
Dimanche 27 juillet 2021

L’été c’est fait pour lire et la philosophie, même pendant l’été, n’est pas pour moi un interdit. Je dirais même qu’elle est une tentation car lire la philosophie, quand il fait beau, quand on a le temps, quand on a les pieds dans l’eau… ce n’est que du bonheur ! Vous me direz et avec raison que lire la philosophie ou vivre la philosophie ce n’est pas la même chose ! Certes, mais pour commencer à la vivre autant le faire en douceur et l’été, du moins ce sera ma philosophie estivale…

En fait, depuis très longtemps, j’ai rêvé de pouvoir rencontrer ces grands penseurs que j’ai aimés par la lecture. Il m’arrive parfois d’imaginer que je suis dans mon salon avec Alain, que je déjeune un dimanche midi avec Rabelais, que je me promène en forêt avec Sénèque, que je suis sur la plage avec Michel Foucault, que j’arpente les vignes bourguignonnes avec Simone Weil… Aussi, quand j’ai découvert il y a quelques années cet ouvrage « Petit déjeuner avec Socrate » j’ai immédiatement compris l’appel et j’ai lu ce livre de vulgarisation philosophique de Robert Rowland Smith…

Tout d’abord, réglons le problème une fois pour toute, du moins pour cet été, la vulgarisation n’est ni une faut de goût, ni une erreur, ni une perte de temps… C’est simplement la façon de faire comprendre les choses au plus grand nombre sans exiger de pré-requis majeurs. En effet, n’en déplaise à certains, la philosophie est faite pour tous même si vous n’avez pas été longtemps en classe, même si vous n’avez pas de diplôme, même si vous n’avez jamais lu d’ouvrages savants… L’art de vivre mieux, de rechercher le bien et la sagesse, de regarder le monde autrement est une matière qui devrait tous nous habiter jusqu’à notre dernier souffle… La vulgarisation philosophique est donc le guide pour y arriver…

Vulgariser ne signifie nullement prendre le lecteur pour un niais, ballot ou autre dénué d’intelligence et la vulgarisation peut et même doit être exigeante. Mais cette exigence n’est pas une sélection par les mots utilisés, les concepts évoqués ou les citations hermétiques à n’en plus finir. Un ouvrage de vulgarisation et c’est tout à fait le cas avec ce « Petit déjeuner avec Socrate », est à considérer comme une porte ouverte, comme une invitation à découvrir la philosophie. Il ne faudrait pas s’en contenter et si un auteur évoqué vous semble intéressant, il vous faudra oser aller chercher un de ses ouvrages… Donc, ce petit déjeuner pourrait bien être suivi de repas plus festifs et longs…

Robert Rowland Smith part du principe que notre vie est avant tout rythmée par une vie quotidienne assez répétitive car on dort, on mange, on travaille, on se dispute, on aime, on est malade, on meurt… Il ne veut pas nous limiter à cela, loin de là, mais il veut en partir car nous comprenons tous de quoi il s’agit… Nous partirons donc avec lui du connu, de l’expérimenté… Mais, si je suis au travail avec le sentiment d’être exploité, maltraité, oublié de mon chef, pourquoi ne pas en profiter pour écouter la petite voix de Karl Marx… Si je suis dans la salle de sport, si je prends soin de mon corps… ce sera les chuchotements de Michel Foucault qui viendront donner du sens à ma vie… Enfin, avant de s’endormir au pays des rêves, une petite discussion avec Freud s’imposera…

Oui, c’est une façon de résumer les choses mais cet ouvrage est à comprendre comme une suite de toutes ces discussions et autres dialogues de l’Antiquité qui depuis des siècles nous poussent à vouloir donner du sens à nos vies. Et si c’était un bon objectif pour cet été de lecture ? Après une terrible pandémie qui n’est pas encore terminée, n’est-il pas temps de donner ou redonner du sens à nos vies ?

Alors, comme l’été c’est fait pour lire, voici une proposition d’initiation à la philosophie, d’ouverture à la recherche de la sagesse, mais si vous avec peur d’un « Petit déjeuner avec Socrate », n’ayez crainte, il y aura d’autres choix possibles de vulgarisation philosophique…

Très bonne lecture et à demain !

Shelton
avatar 28/06/2021 @ 07:45:57
L’été c’est fait pour lire et j’ai décidé cette année de régulièrement vous parler d’un ouvrage que j’aime sans me soucier des sorties littéraires, des classiques universitaires ni des livres dits de saison… Aussi, aujourd’hui, nous allons parler de théologie de la libération en compagnie de Gustavo Gutiérrez… Ne cherchez pas, ce n’est pas un remplaçant d’une équipe de football ni un dictateur en mal de plébiscite… Juste un prêtre, un philosophe, un théologien péruvien…

Est-il possible, aujourd’hui, de porter la question théologique en dehors du club restreint des théologiens ? Si on prend le temps de se poser un instant, ne serait-ce que sur un banc public protégé du vent, c’est à dire de ce flux de l’immédiateté que notre société contemporaine nous impose, force est de constater que certaines questions fondamentales demeurent bien persistantes, prenantes, angoissantes… Qu’est-ce qu’un homme ? Comment est-il arrivé sur cette terre ? Qui l’a créé et dans quel but ? Dieu existe-t-il ? S’il existe, quels sont les attributs de ce dieu ? Enfin, si dieu il y a, l’homme a-t-il la moindre chance d’entrer en contact avec lui ? Et, pourquoi devrait-il le faire ?

Trouver un ouvrage qui répondrait à toutes ces questions me semble impossible. Je vous propose donc un livre, puisque « l’été c’est fait pour lire », signé d’un théologien dit de la libération, Gustavo Gutiérrez, Le Dieu de la vie. En effet, au moment où on voudrait nous faire croire qu’il n’y a plus d’avenir pour la gauche, osons parler de ces idées qui pourraient bien revenir à grande vitesse… Car la théologie de la libération n’est pas franchement de droite !

La théologie de la libération prend ses sources dans le Nouveau Testament, dans les textes évangéliques, ceux qui donnent une certaine image de Jésus, un être profondément humain et aimant. La théologie de la libération de Gutiérrez prend donc ces sources dans cet homme au cœur débordant d’amour, un amour qui n’exclut pas, un amour qui soigne, qui écoute, qui souffre quand l’homme souffre…

Ce préambule n’est pas limitatif et Gutiérrez continue en énonçant que Dieu ne se comprend pas, il se médite, il se vit, il se respire, il se pratique… Oui, Jésus affirme que ce n’est pas l’intelligence qui permet d’aller vers Dieu mais seulement le cœur des simples, des justes, des aimants… Dieu est d’abord Père tout simplement parce que le chrétien reconnaît en lui l’origine de tout, y compris l’origine de l’homme. Ce Dieu des origines est un libérateur. Il libère les opprimés, les esclaves. Il est le Dieu d’un peuple qui souffre et il est là pour ouvrir son horizon. Comme Dieu déploie une pédagogie, il montre cette libération par le peuple qu’il sort d’Égypte, qu’il sort du désert, qu’il ramène d’exil vers sa terre…

Seulement, voilà, il y a un petit hic. La libération totale est annoncée pour les temps de son royaume. Mais c’est quoi ce royaume ? Où est-il ? Gutiérrez nous montre que Dieu ne peut pas se faire saisir, il ne peut pas se faire enfermer dans une institution, ni même dans une église terrestre. Dieu de Jésus est un Dieu caché, un Dieu secret, un Dieu qui fuit les mondanités, le pouvoir, la force…

Alors que faire ? Où chercher Dieu ? Le théologien est simple, il reprend les paroles de l’Evangile : « Cherchez le royaume et sa justice, le reste vous sera donné par surcroît ». Cela signifie pour l’un des créateurs de la théologie de la libération que « l’universalité de l’amour de Dieu est lié de manière inséparable au choix préférentiel en faveur du pauvre ».

Il s’est donc donné comme but dans la vie de « parler de Dieu à partir de la souffrance et des espérances des pauvres ». Je le trouve très convaincant, très précis dans sa théologie, une méthode biblique irréprochable s’appuyant sur de très nombreux textes dont le livre de Job qui est très beau et très humain.

Si un tel homme avait vécu dans les palais romains et dans l’opulence nous pourrions avoir des doutes dans la mise en application mais comme il s’agit d’un prêtre qui a décidé de vivre son Evangile et son Dieu de libération au mépris de sa sécurité, du quand dira-t-on, de sa réputation, au cœur de l’Amérique latine, en n’hésitant jamais à travailler avec tous ceux qui voulaient, eux-aussi, libérer les plus pauvres… j’ai plutôt tendance à le saluer et estimer qu’il fait partie de ceux qui nous aident à trouver des réponses à nos questions initiales… Et si le Dieu créateur était un Dieu de libération prêt à mouiller sa chemise pour les plus pauvres et non les tenants du pouvoir ?

Ce livre est d’une lecture assez simple, il est imagé et je crois qu’il peut plaire à tous les lecteurs de bonne foi même ceux qui se sentent éloignés des religions… Alors comme l’été c’est fait pour lire… Bonne lecture à tous !

Hiram33

avatar 28/06/2021 @ 16:39:52
Merci pour ce feuilleton que j'attends chaque été.

Je t'offre cet article pour te donner envie de poursuivre tes lectures sur ce sujet


Martínez Andrade Luis, « Le marxisme dans la théologie de la libération aujourd’hui », Actuel Marx, 2018/2 (n° 64)


Avant d’entrer dans le vif du sujet, il convient de rappeler les principaux traits de la théologie de la libération en tant qu’expression spirituelle et religieuse de ce que Michael Löwy a qualifié de « christianisme de libération [1]
[1]Löwy Michael, La Guerre des dieux. Religion et politique en…
». Courant intellectuel et discours critique sur la foi, la théologie de la libération est également l’expression d’un large mouvement social et religieux anticapitaliste et anticolonial. Ainsi, la théologie de la libération est « un ensemble d’écrits » à tonalité subversive qui se caractérise notamment par le choix prioritaire de défendre les pauvres, la critique de l’idolâtrie du marché, de la notion du progrès et du péché structurel, et la dénonciation prophétique des injustices. De sorte que, comme le soulignait le sociologue François Houtart, cette théologie « n’est pas seulement une éthique sociale, mais bien une théologie au sens plein du mot, c’est-à-dire également une christologie, une ecclésiologie, une théologie pastorale [2]
[2]Houtart François, « La théologie de la libération en Amérique…
».

2
Pour comprendre l’apparition de la théologie de la libération dans la seconde moitié du xxe siècle en Amérique latine, il faut non seulement considérer l’importance de Vatican II (1962-1965) mais aussi prêter attention aux changements socio-culturels qui eurent lieu durant la décennie 1950 au Brésil. Ces changements sont le fruit de l’activisme de militants chrétiens brésiliens de plusieurs organisations telles que la Jeunesse étudiante catholique (JEC), la Jeunesse universitaire catholique (JUC) et la Jeunesse ouvrière catholique (JOC). Ces militants ont suivi un processus de radicalisation non seulement religieux mais aussi politique : leur conception de la foi, auparavant traditionaliste et individualiste, deviendra dans la décennie 1960 résolument anticapitaliste. Ce n’est pas un hasard si le théologien péruvien Gustavo Gutiérrez a dû interrompre la rédaction de son ouvrage intitulé Teología de la liberación [3]
[3]Gutiérrez Gustavo, Teología de la liberación : Perspectivas,…
pour se rendre au Brésil en 1969 afin de discuter et d’interviewer des militants de la JUC [4]
[4]Gómez de Sousa Luis Alberto, A JUC : Os estudantes católicos e…
. Il est donc clair que l’émergence de la théologie de la libération fut le résultat d’un processus de politisation qui a fait face, et continue encore aujourd’hui de faire face, à la modernité capitaliste et à la « colonialité du pouvoir [5]
[5]Concept proposé par le sociologue péruvien A. Quijano pour se…
». À cet égard, Michael Löwy soutient :

3

Le christianisme de la libération d’Amérique latine, en réalité, n’est pas simplement un prolongement de l’anticapitalisme traditionnel de l’Église, ni de sa variante française, catholique et de gauche. Il est essentiellement la création d’une nouvelle culture religieuse, exprimant les conditions propres à l’Amérique latine : capitalisme dépendant, pauvreté massive, violence institutionnalisée, religiosité populaire [6]
[6]Löwy Michael, La Guerre des dieux, op. cit., p. 49.
.

L’esprit de l’empire

4
Il est évident que le contexte latino-américain a profondément changé depuis les années 1960 et 1970. Pour comprendre les nouveaux défis – et le changement discursif – de la théologie de la libération, il nous faut donc conserver à l’esprit les transformations politiques, culturelles et sociales de l’Amérique latine. D’après les théologiens Néstor Míguez, Joerg Rieger et Jung Mo Sung, nous assistons à l’ère de l’Empire global qui s’exprime tant dans les mécanismes politiques et économiques que dans les conditions de subjectivité et d’auto-conception culturelle. À leurs yeux, il existe une spiritualité de la consommation géopolitiquement déterminée par les puissances nord-occidentales qui contribue au fétichisme de la marchandise. On peut dire que l’esprit de l’Empire se déploie dans la subjectivité sur trois versants.

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Le premier est le sujet automate et la religion du marché. Il s’agit de la désillusion postmoderne où l’ego tend à disparaître. En s’appuyant sur l’exégèse faite par Fredric Jameson à propos de la logique culturelle du capitalisme, selon laquelle la disparition du sujet individuel est à l’ordre du jour [7]
[7]Jameson Fredric, Le Postmodernisme ou la logique culturelle du…
, ces théologiens attirent l’attention sur l’influence du processus de colonisation sur la subjectivité et le désir. La référence à la théorie du fétichisme de Marx s’avère alors incontournable, car elle rend bel et bien compte de la dynamique du capitalisme où le fétiche (marchandise) devient l’objet du désir. En conséquence, « la religion du libre-marché qui identifie le divin avec le succès et avec la maximalisation de la valeur renforce ces types de liens et de subjectivité, où même Dieu devient part intégrante du marché [8]
[8]Miguez Néstor, Rieger Joerg et Sung Jung Mo, Para além do…
».

6
Le deuxième élément est relatif au désir mimétique et à la religion sacrificielle. En effet, la subjectivité est devenue une fonction du marché. En ce sens, Néstor Míguez, Joerg Rieger et Jung Mo Sung s’attardent sur la notion de désir mimétique proposée et développée par René Girard afin de montrer que le désir n’est pas naturel mais bien construit, manipulé et nuancé par la logique fétichisée du marché. Selon Girard, « le désir est essentiellement mimétique, il se calque sur un désir modèle ; il élit le même objet que ce modèle [9]
[9]Girard René, La Violence et le sacré, Paris, Grasset, 1972, p.…
». D’où l’idée, déjà avancée à la fin de la décennie 1980 par Hugo Assmann et par Franz Hinkelammert [10]
[10]Assmann Hugo et Hinkelammert Franz, A idolatria do mercado.…
, du capitalisme comme religion du plaisir où le protagoniste de la société hédoniste est bien évidemment le sujet narcissique. C’est précisément lorsque les inégalités sociales se sont gravement accrues que s’est affirmée l’idée postmoderne de l’anything goes. Quoi qu’il en soit, ce désir mimétique n’est plus réprimé par le sacrifice de boucs émissaires (pauper ante festum) ; bien au contraire, la logique sacrificielle à l’âge de l’Empire immole non seulement des peuples ou cultures mais aussi la nature.

7
Troisième et dernier élément, la stratégie du choc et la religion de l’omnipotence. Il ne fait aucun doute que dans les années 1970, le néolibéralisme fut imposé, à coups de revolvers, en Amérique latine. À ce sujet, des théologiens, en s’appuyant sur les recherches de Naomi Klein, affirment que les méthodes des chocs (psychologiques, sociaux, économiques ou écologiques) vont de pair avec des justifications idéologiques. En ce sens les recettes économiques du projet néolibéral proposées par l’École de Chicago, telles que la disparition progressive du secteur public au profit du privé, la promotion de l’économie de marché, et la diminution du budget social, furent fortement soutenues à travers un discours quasi-religieux. Comme l’avait déjà observé Franz Hinkelammert, le cadre catégoriel de la pensée néolibérale est utopique (au sens précis d’une utopie abstraite), ce qui donc entraîne ce postulat : l’équilibre parfait, la main invisible, la concurrence parfaite ne sont que des concepts transcendantaux. Selon Hinkelammert, toutes les sociétés produisent des illusions transcendantales, lesquelles jouent le rôle de boussoles ou même de paradis perdus. Certes, les concepts transcendantaux sont incontournables pour mieux comprendre la réalité et l’action mais, en même temps, ils sont impossibles à concrétiser dans l’histoire ; autrement dit, ces concepts transcendantaux sont théoriquement indispensables mais ils ne sont pas factuels [11]
[11]Hinkelammert Franz, Crítica de la razón utópica, Bilbao,…
. Lorsque l’illusion transcendantale s’établit comme « Vérité sacrée », défendue et prônée à travers des entéléchies irréfutables, et devient le fétiche par excellence, la logique sacrificielle se déclenche.

8
Face à la montée du néolibéralisme, ces théologiens essaient de dévoiler les structures tant économico politiques que culturelles et religieuses de l’Empire. On sera libre de ne pas partager leur avis, mais leur exégèse à propos du nouvel esprit de l’Empire s’avère d’une richesse inouïe car elle rend compte de la façon dont les illusions transcendantales participent au discours de la mondialisation.
Nouveaux sujets collectifs, nouvelles perspectives

9
Pour mieux comprendre les nouvelles perspectives ainsi que les défis de la théologie de la libération, rappelons brièvement certaines manifestations socioculturelles qui ont eu un fort impact sur l’imaginaire sociopolitique contemporain [12]
[12]Pour une analyse plus développée de cette section, voir…
. Durant la décennie 1970 se sont produits deux phénomènes importants. D’une part, le capitalisme s’est métamorphosé sous sa forme néolibérale : accélération de la privatisation de l’économie, structuration d’un secteur financier plus moderne, ouverture externe par le biais de la baisse du droit de douane, arrivée des investissements étrangers, politique de diversification des exportations, et enfin, politique industrielle « négative », c’est-à-dire baisse des niveaux de concurrence face aux produits manufacturés venus de l’étranger [13]
[13]Moulian Tomás, Chile Actual : anatomía de un mito, Chile,…
. D’autre part, s’est répandue l’idée selon laquelle les métarécits (y compris celui de l’émancipation) avaient perdu leur légitimité [14]
[14]Lyotard Jean-François, La Condition postmoderne, Paris, Minuit,…
. Le discours néolibéral et le discours postmoderne ont exalté l’émergence d’un individu hédoniste sans liaison avec des horizons politiques émancipateurs : « la société liquide » a sonné à la porte. Ce n’est pas un hasard si Daniel Bensaïd a mis en lumière la contre-offensive libérale exprimée par le rapport entre le changement du contexte politique et les énoncés théoriques postmodernes des années 1970 et 1980 [15]
[15]Bensaïd Daniel, Le Spectacle, stade ultime du fétichisme de la…
. Tandis que certains « soi-disant marxistes » prenaient la bannière de la social-démocratie et hurlaient à la fin de l’histoire, d’autres penseurs, plus solides intellectuellement parlant, ont pris au sérieux l’étude non seulement de l’œuvre de Karl Marx mais aussi de la Théorie Critique.

10
Que se passait-il alors du côté de l’Église ? Durement réprimée, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’institution ecclésiale, la théologie de la libération a dû faire face non seulement aux pontificats de Jean Paul II et de Benoît XVI mais aussi à la répression des dictatures militaires. En ce qui concerne l’attitude du Vatican vis-à-vis des théologiens de la libération, il faut rappeler le rôle joué par l’évêque auxiliaire de Bogota, Mgr Alfonso López Trujillo (1935-2008), qui tenta d’écarter les théologiens les plus engagés de la réunion épiscopale de Puebla de 1979, et la publication de la fameuse Instruction Libertatis Nuntions : sur quelques aspects de la « Théologie de la Libération » signée en 1984 par le Préfet de la Congrégation pour la doctrine de la Foi, un certain Joseph Cardinal Ratzinger. Relevons aussi le démantèlement, dans beaucoup de diocèses, du travail des communautés religieuses et la mise en cause de la théologie de la libération par les nouveaux évêques – de tendance conservatrice – qui ont favorisé une vague de mouvements laïcs tels que l’Opus Dei, les Chevaliers du Christ, le mouvement Communion et Libération et le Renouveau charismatique. Enfin et surtout des théologiens tels que Leonardo Boff, Giulio Girardi, Jon Sobrino et Mgr Pedro Casaldáliga, furent écartés ou marginalisés. La nomination en 2013 du pape François a suscité un énorme enthousiasme de la part non seulement des théologiens de la libération comme G. Gutiérrez, L. Boff et E. Cardenal, mais aussi des intellectuels et militants de gauche. Saluée tant par des icônes de l’altermondialisme (comme Naomi Klein) que par des théologiens de la libération (Frei Betto, Leonardo Boff, Juan José Tamayo, parmi d’autres), l’encyclique Laudato Si’ (« Loué sois-tu », encyclique du pape François sur la protection de la nature, publiée le 18 juin 2015) est devenue, pour certains secteurs de la société, une référence incontournable pour la défense de la nature [16]
[16]Voir à ce sujet, dans ce numéro, la contribution de Michael…
. On peut donc se poser la question : sommes-nous en train d’assister à un printemps de l’Église ?

11
Revenons un peu en arrière. 1992 fut une date cruciale non seulement pour le « calendrier du pouvoir » mais aussi pour la « mémoire dangereuse [17]
[17]Nous empruntons la notion de « mémoire dangereuse » (memoria…
» des vaincus de l’histoire. Tandis que les élites (politiques aussi bien qu’ecclésiales) ont essayé de faire feu de tout bois pour célébrer le cinquième centenaire de la « découverte » du Nouveau Monde, les organisations afro-amérindiennes, les mouvements sociaux, les communautés ecclésiales de base et l’Église populaire se sont plutôt mobilisés pour commémorer les 500 ans de résistance afro-indigène et populaire. Il n’est pas étonnant que leurs positions aient manifesté un rejet total de cette célébration. Vers la fin des années 1980 et le début des années 1990, dans le cadre de la campagne continentale des 500 ans de la résistance indigène-noire et populaire, le Mouvement des Sans-Terre (MST) a organisé une rencontre au Guatemala qui a abouti à la création de la Coordination Latino-Américaine des Organisations paysannes, l’un des piliers de ce qui deviendra peu après la Via Campesina. Il va sans dire que le rôle de cette campagne continentale fut décisif dans la reconfiguration des mouvements d’émancipation en Amérique latine. Certes, la résistance indigène traverse toute l’histoire de l’Amérique latine, mais la célébration de la « découverte » a mis à nu le rôle de la « violence structurelle » exprimée dans le racisme quotidien vécu par les communautés indigènes et paysannes. Par ailleurs, nous pouvons également évoquer dans la décennie 1990 les cas de l’insurrection indigène dirigée par la Confédération des nationalités indigènes de l’Équateur, la constitution de la Confédération des peuples indigènes de Bolivie née au cours du processus d’organisation de la marche « Pour le Territoire et la Dignité », ou encore celui du mouvement zapatiste au Sud-Est du Mexique, qui, tous, témoignent du séisme indigène.

12
À coup sûr, l’échec de la révolution nicaraguayenne a eu un véritable impact sur certains secteurs de la société latino-américaine qui étaient en train de construire une alternative au capitalisme. Plus significative que la chute du mur de Berlin, la victoire en 1990 de « l’Union nationale d’opposition » présidée par Violeta Barrios de Chamorro a marqué les esprits de toute une génération qui voyait dans le socialisme un chemin pour bâtir le « Royaume de Dieu » sur terre. Nous n’aborderons pas les contradictions ou les impasses de cette révolution faite par des marxistes aussi bien que par des chrétiens. Nous voulons tout simplement noter que cette défaite a déboussolé un grand nombre de militants. Quoi qu’il en soit, la tradition de la « critique des armes » n’a pas capitulé face au discours de « la transition démocratique » et, le 1er janvier 1994, un groupe d’indigènes, tous cagoulés, a déclaré la guerre à l’État mexicain. Derrière la formation de l’Armée Zapatiste de Libération Nationale (EZLN) se trouvait tout un travail d’organisation et de conscientisation politique accompli par un représentant de la théologie de la libération au Mexique : Mgr Samuel Ruiz García [18]
[18]Andreo Igor Luis, Teologia da libertação e cultura política…
.

13
L’une des critiques adressées à la théologie de la libération consistait à lui reprocher d’être un courant intellectuel dans lequel la dimension économique occultait les autres formes de domination [19]
[19]Althaus-Reid Marcella, La Teología indecente, Barcelona,…
(le racisme, le sexisme, l’anthropocentrisme). Influencés par le marxisme, les théologiens de la libération se concentraient sur la dénonciation du caractère idolâtre du marché et du « péché structurel » intrinsèque à la relation centre-périphérie du système-monde capitaliste. Il est vrai que les concepts aussi bien que les catégories marxistes ont permis aux théologiens de la libération (G. Gutiérrez, E. Dussel, L. Boff, F. Hinkelammert, H. Assmann) de dévoiler, saisir et expliquer la dynamique mortifère du capitalisme. Or, au fur et à mesure que des nouveaux sujets collectifs (paysans, indigènes, femmes, militants écologistes, afro-indigènes, collectifs LGTB, etc.) ont commencé à poser de nouvelles questions liées aux autres formes de domination, les théologiennes comme les théologiens de la libération ont développé, chacun à leur manière, de nouvelles perspectives. Ainsi, durant les années 1990, certains théologiens (E. Dussel, F. Hinkelammert, L. Boff) ont élaboré la catégorie de « victime » – au sens benjaminien du terme – afin de montrer les différentes formes de domination qui accablent la créature opprimée. L’un des cas les plus intéressants est celui de L. Boff qui, à partir d’une conception holistique de l’homme et de la nature, émet une critique radicale des conséquences néfastes que la logique de la formation sociale hégémonique – la modernité capitaliste – fait peser sur les populations les plus pauvres de la Planète et sur la Mère-Terre [20]
[20]Boff Leonardo, La Terre en devenir. Une nouvelle théologie de…
.

14
Ainsi de nouvelles perspectives se sont développées au sein de la théologie de la libération telles que la théologie féministe (R. Reuther, E. Schüssler Fiorenza, M. C. Bingemer, E. Támez, S. Regina de Lima), la théologie indigène (C. Siller, E. López, S. Ruiz), l’éco-théologie de la libération (L. Boff, Frei Betto), la théologie queer de la libération (M. Althaus-Reid), la théologie de la Terre (M. Barros, I. Poletto), la théologie noire de la libération (L. Acosta, M. Mena López, A. Nascimento), l’écoféminisme (I. Gebara, M. J. Ress), la théologie décoloniale (E. Dussel), ou encore la théologie du pluralisme religieux (J. M. Virgil, J. J. Tamayo). Cette ouverture de la théologie de la libération aux analyses d’autres formes de domination nous permet de saisir les changements, expérimentés ces dernières décennies, tant au niveau socioculturel latino-américain qu’au niveau épistémique de la géopolitique de la connaissance.

15
Il est évident que la théologie de la libération n’est pas un courant de pensée homogène : au sein de celui-ci, il existe des positions très variées sur des questions qui vont de la mariologie au marxisme en passant par la critique de l’anthropocentrisme [21]
[21]Martínez Andrade Luis, Religion sans rédemption. Contradictions…
. Cependant, il existe certains traits propres de cette théologie : la valorisation positive des sciences sociales et leur intégration dans la théologie, la critique du capitalisme, le refus de la privatisation de la foi, la critique de l’individualisme et la critique acharnée de l’idéologie moderne-bourgeoise représentée par le culte du progrès et par la conception quantitative du développement [22]
[22]Löwy Michael, La Guerre des dieux, op. cit., pp. 80-98.
. Sur cette base, on peut soutenir que la théologie de la libération est un discours portant sur la foi qui, pour être moderne, ne s’oppose pas moins à la logique sacrificielle de la modernité/colonialité existante.
L’éclipse du marxisme ?

16
Après la chute du mur de Berlin, l’effondrement du socialisme réel et la déclaration de la fin de l’histoire, plusieurs penseurs, comme le philosophe polonais Józef Tischner, déclarèrent que dans ce nouveau contexte la théologie de la libération mourrait aussi [23]
[23]Dussel Enrique, Historia de la Iglesia en América Latina. Medio…
. Cette déclaration – très prématurée – révélait un manque de connaissance flagrant à l’égard de cette théologie. Certes, la théologie de la libération a pris le prisme des analyses marxistes pour expliquer et saisir la réalité latino-américaine, mais elle n’était pas marxiste en elle-même. À ce sujet, lors d’une conférence donnée à l’Université de Turin en novembre 1990, le théologien brésilien Leonardo Boff déclara :

17

Il faut rappeler clairement que, depuis ses origines, elle [la Théologie de la libération] n’a jamais placé le socialisme au centre de ses préoccupations et de sa réflexion, mais qu’elle s’est toujours occupée des pauvres, dans leur ensemble et avec leurs conflits. Elle n’a considéré le socialisme que comme un moyen de faire progresser la cause des opprimés, comme alternative historique au capitalisme, qui cause tant de souffrance parmi nos peuples […]. Le socialisme est uniquement vu comme une référence historique que l’on ne peut ignorer. Les racines véritables de la théologie de la libération sont ailleurs [24]
[24]Boff Leonardo, La Terre en devenir, op. cit. p. 144.
.

18
Enrique Dussel insiste sur le fait que la théologie de la libération est née d’une praxis chrétienne de la foi [25]
[25]Dussel Enrique, « Teología de liberación y Marxismo », in…
. En ce sens, la théologie de la libération est la réflexion d’une pratique concrète de résistance, de lutte, de transformation sociale qui la précède. Or, la théologie latino-américaine, engagée auprès des opprimés, avait besoin d’outils analytiques pour mieux expliquer les causes aussi bien que les conséquences du capitalisme. C’est pour cette raison que les théologiennes comme les théologiens de la libération se sont appuyés sur le marxisme – comme théorie critique de la société – pour saisir la logique sacrificielle de la modernité capitaliste. Ainsi, les thématiques proprement théologiques (la création d’idoles, la structure du péché, l’exode, le dieu de la vie, etc.) ont été nuancées par des réflexions plus élaborées. D’où l’importance de l’usage des apports des sciences sociales, particulièrement, d’inspiration marxiste.

19
Le choix – au sens goldmannien du terme [26]
[26]Goldmann Lucien, Sciences humaines et Philosophie. Pour un…
– des théologiens de la libération en faveur d’un certain marxisme [27]
[27]Dussel Enrique, « Teología de liberación », art. cit., p. 143.
s’explique non seulement parce que le marxisme, en tant que théorie critique, était le plus adéquat pour mettre en lumière les antagonismes de classes et les contradictions sociales, mais aussi pour « la conjonction des événements » marquants de l’histoire : l’essor de la théologie politique européenne, la Révolution cubaine de 1959 et la naissance de la gauche catholique brésilienne [28]
[28]Löwy Michael, La Guerre des dieux, op. cit., p. 104.
. C’est bien là que le choix en faveur de certaines valeurs du marxisme (société sans classes, émancipation des opprimés, préférence pour les valeurs d’usage) témoigne de l’existence d’une « affinité élective » entre le marxisme et la théologie de la libération.

20
Pour autant, présenter une vue d’ensemble de la position de la théologie de la libération à l’égard du marxisme n’est pas une tâche facile [29]
[29]Ibidem, pp. 106-108.
. D’abord parce que chaque théologien a eu une approche à géométrie variable, selon la thématique ou l’époque, du marxisme. Bien que certains théologiens (Pablo Richard ou Clodovis Boff) ne l’utilisent plus, d’autres (Enrique Dussel, Franz Hinkelammert ou Jung Mo Sung), continuent de l’assumer dans leurs perspectives théoriques. Ensuite le marxisme adopté par la théologie de la libération n’était pas celui des manuels soviétiques de « Diamat », ni celui des partis communistes. Les théologiens de la libération se sont plutôt intéressés au « néomarxisme » (de Antonio Gramsci à Ernest Mandel en passant par l’École de Francfort) et, surtout, au travail des marxistes latino-américains (de José Carlos Mariátegui à Sánchez Vázques en passant par la théorie de la dépendance). En ce qui concerne la théorie de la dépendance, le théologien Jung Mo Sung identifie deux groupes : ceux qui soutiennent que le développement n’est pas viable dans le système capitaliste et préconisent donc la nécessité de la révolution socialiste (Theotônio dos Santos, Ruy Mauro Marini et André Gunder Frank), et ceux qui ne soutiennent pas cette thèse (Celso Furtado, Fernando H. Cardoso, Aníbal Pinto, Osvaldo Sunkel et Enzo Falleto [30]
[30]Sung Jung Mo, Teologia e Economia. Repensando a teologia da…
). Finalement, la répression exercée par le Vatican ainsi que la crise des paradigmes qui culmine avec l’arrivée de la postmodernité, la défaite de la révolution nicaraguayenne, et le déclin des théories critiques, ont eu tendance à évacuer l’approche marxiste. Néanmoins nous devons souligner que quelques théologiens sont restés en dialogue avec le marxisme : Leonardo Boff, Enrique Dussel et Franz Hinkelammert. Quelle place occupent-ils dans la théologie de la libération ?

21
Depuis plus de trois décennies, Leonardo Boff s’est plongé dans des questions relatives à l’écologie sociale. À partir d’une approche singulière, il a développé une éco-théologie de la libération qui combine la spiritualité avec la justice sociale. Avant d’aborder son rapport au marxisme, il faut se rappeler que, avant d’entrer dans son « silence de pénitence » imposé par le Vatican en 1985, ce théologien avait dit : « Je déclare que je ne suis pas marxiste. Comme chrétien et comme franciscain, je suis en faveur des libertés et du droit de religions ainsi que de la noble lutte pour la justice en vue d’une société nouvelle [31]
[31]Cf. Roma Locuta. Documentos sobre o livro « Igreja : carisma e…
». Bien que Boff assure ne pas être marxiste, il attire l’attention sur l’actualité de la pensée du Karl Marx [32]
[32]« [Karl Marx] élabora également une réflexion philosophique ;…
. La contribution de ce dernier, non seulement sur le plan théorique mais aussi au niveau de la praxis, demeure pour lui fondamentale en ce nouveau siècle. La revalorisation des apports de Marx sur la compréhension des dynamiques sociales rend compte de la pertinence de sa critique. À notre avis, l’approche du marxisme par Boff est davantage gramscienne qu’althussérienne. En effet, le philosophe sarde est mobilisé par Boff non seulement pour étudier le rôle de l’intellectuel dans une société de classes [33]
[33]Boff Leonardo, E a igreja se fez povo. Eclesiogênese : A Igreja…
et pour forger une alliance entre le catholicisme et la gauche, mais aussi pour identifier une culture contre-hégémonique partant des classes populaires [34]
[34]Boff Leonardo, A voz do Arco-Íris, Brasília, Letraviva…
, autrement dit un « bloc historique et social des opprimés [35]
[35]Dans la version française, ce terme a été traduit par…
» aspirant à construire une véritable démocratie sociale. La contribution d’Antonio Gramsci à la culture populaire et le rapport entre religion et politique ont nourri la perspective théologico-politique de Boff. Quoi qu’il en soit, le rapport de Boff au marxisme, aussi paradoxal puisse-t-il paraître, exprime le caractère novateur, original et critique de son projet théorique. Dans la même veine, mais avec des références scientifiques plus élaborées, Boff traite de la contribution de l’écologie au marxisme. Dans Ecologia, Mundialição, Espiritualidade, il explique qu’« en incorporant la nature comme un facteur non pas extrinsèque mais intrinsèque au processus productif et à la constitution des forces productives », la perspective marxiste s’est profondément enrichie. Sur cette base, Boff critique la vision productiviste entretenue par certains courants marxistes :

22

Ainsi, non seulement le travail entre dans la composition du capital mais aussi, et puissamment, la nature. La conscience écologique nous invite à prendre un certain recul par rapport à l’optimisme marxiste quant au « développement des forces productives ». La seconde loi de la thermodynamique nous enseigne que, pour maintenir les forces productives en état de fonctionnement, une certaine quantité d’énergie est nécessaire. Une partie de cette énergie se dissipe et ne peut plus être transformée en production ou en travail. De là, et dialectiquement parlant, il est impossible de séparer l’action des forces de destruction de l’action des forces de production. Ce qui nous conduit à privilégier les forces renouvelables sur celles qui ne le sont pas, et même à renoncer à certains niveaux d’accroissement […]. Le marxisme enrichi par l’analyse culturelle, écologique et féministe, continue d’être un instrument dans les mains des opprimés pour mettre au jour les mécanismes qui engendrent la pauvreté. Ce que le marxisme a observé – à propos de conditions de misère encore existantes – reste vrai. Nous ne sommes pas comme les sophistes, qui pour chaque auditoire a une vérité différente [36]
[36]Boff Leonardo, La Terre en devenir, op. cit., pp. 173-174 et…
.

23
Observons donc que Boff reconnaît les contributions qui, à partir de différents « lieux d’énonciation » de la grammaire hégémonique, ont élargi le marxisme aussi bien que la théorie sociale. Enfin, Boff continue à reconnaître l’actualité et la pertinence du marxisme pour saisir les contradictions sociales. Ainsi, lors d’une conférence prononcée le 4 décembre 2000 à São Paulo sur « Socialisme et cosmologie moderne », Boff a soutenu la thèse selon laquelle le socialisme utopique et le socialisme historique sont liés. Citant Karl Marx, Rosa Luxemburg et Antonio Gramsci, Boff appelle de ses vœux un nouveau contrat social global, où la nature et la Terre occupent une place centrale. Le rêve d’une planète où la communauté terrienne et biotique serait respectée s’inscrit dans la logique coopérative de la tradition socialiste. Donc, le socialisme est pour ainsi dire consubstantiel à l’être humain en tant qu’être de la beauté, de la coopération, de la synergie et de la solidarité. Ainsi le projet théorique de Leonardo Boff ne cesse de s’enrichir. Ses préoccupations théologiques, politiques, éthiques et écologiques continuent à engager un dialogue avec d’autres perspectives, qu’elles soient religieuses ou scientifiques. Il est vrai qu’avec son changement de paradigme, les catégories marxistes sont devenues moins visibles dans ses écrits : si ces dernières années la perspective holistique de Boff a davantage placé l’accent sur la question spirituelle, certaines traductions, notamment françaises, ont détourné le sens marxiste de ses ouvrages.

24
La deuxième grande figure est Enrique Dussel. Figure majeure de la philosophie de la libération, Enrique Dussel est aussi reconnu pour sa contribution à l’étude de l’histoire de l’Église latino-américaine, de la pensée de Saint Paul, de Marx et de Benjamin et, bien évidemment, de la théologie de la libération [37]
[37]Dussel Enrique, Pablo de Tarso en la filosofía política actual…
. Ayant produit une analyse percutante des quatre rédactions du Capital (1857-1880) [38]
[38]Dussel Enrique, La Producción teórica de Marx. Un comentario a…
, Dussel a entrepris, au cours des années 1990, une recherche sur le rapport de Marx à la théologie [39]
[39]Dussel Enrique, Las Metáforas teológicas de Marx, México, Siglo…
. N’ayant pas élaboré « une théorie de la religion », soutient Dussel, Marx nous aura plutôt légué une « critique religieuse de l’économie à travers la doctrine du fétichisme ». En examinant son parcours biographique (élève de Bruno Bauer à Bonn entre 1838-1839) aussi bien qu’intellectuel (découverte de l’ouvrage Du Culte des dieux fétiches de Charles de Brosses), Dussel souligne le fait que la thématique principale n’est pas chez Marx l’athéisme – la négation de Dieu – mais plutôt le fétichisme : l’affirmation de la divinisation sécularisée du capital. En d’autres termes, la dynamique du capital (représentée dans les figures de Mammon, Baal et Moloch) répond à la logique sacrificielle des victimes. Certes, cette thématique a occupé une place importante dans les travaux datant de la fin des années 1980 de Hinkelammert – nous y reviendrons – et de Assmann, mais, à partir d’une philosophie du non-être, Dussel radicalise la critique de la modernité capitaliste.

25
Par ailleurs Dussel affirme qu’une importante proposition écologique est forgée par Marx dans le concept de plus-value (ou survaleur), concernant le sens de la maximisation et de l’augmentation du travail nécessaire par le biais de la mécanisation. Ainsi, quand les écologistes rejettent la technologie en soi, ils ne perçoivent pas la véritable cause du problème écologique : le capital. Autrement dit, lorsque les écologistes se méfient de la technique sans aller jusqu’à la racine de la dynamique du capital, c’est-à-dire l’augmentation du taux de profit, ils condamnent les effets sans s’attaquer à la cause. La technologie n’est pas antiécologique en soi, mais c’est l’essence du capital qui, privant l’homme et la nature de leur dignité, les réduit à l’état d’outil pour nourrir le processus de valorisation. En ce sens, le capital a renversé l’éthique, en transformant l’homme en moyen tandis que les choses deviennent une fin. La crise écologique que nous traversons s’explique ainsi par le fait que la nature et les hommes sont devenus des objets à exploiter :

26

Ainsi, Marx nous a donné le cadre théorique pour développer, aujourd’hui et plus que jamais, le nécessaire chapitre d’une théologie de la libération écologique. C’est-à-dire que, dans la mesure où le capitalisme est le « démon invisible » de notre histoire actuelle, la technologie se trouve enfermée dans une structure sociale du péché ; sa véritable mission sera donc accomplie seulement au-delà du capitalisme [40]
[40]Ibidem, p. 194.
.

27
Dussel n’a donc pas renoncé à l’utilisation de concepts et de catégories marxistes. Il est en effet convaincu que la pensée de Marx peut encore nous aider, non seulement à critiquer les « apparences » fétichisées du capital, mais aussi à élaborer un projet transmoderne et décolonial qui sera assurément anticapitaliste.

28
Franz Hinkelammert est l’auteur qui a le mieux étudié le lien entre théologie et économie. Né en 1931 en Allemagne, Hinkelammert vit depuis 1963 en Amérique latine. Théologien et économiste, il a approfondi la théorie du fétichisme de Marx en articulant la théorie critique (Horkheimer, Adorno et Benjamin) et la critique de la théorie [41]
[41]Hinkelammert Franz, The ideological weapons of death : A…
pour tenter de comprendre la dynamique mortifère de la formation sociale hégémonique qu’est le capitalisme. Si dans les décennies 1980 et 1990, à côté de H. Assmann, F. Hinkelammert analysait le capitalisme comme « la religion de la vie quotidienne » qui possède sa propre théologie et ses propres théologiens, il s’est plongé ces dernières années dans la thématique de la raison mythique. Hinkelammert considère que le mythe de Prométhée représente la racine de toutes les utopies de la modernité [42]
[42]Hinkelammert Franz, Hacia una crítica de la razón mítica. El…
. Il est vrai que, depuis la Renaissance, le mythe de Prométhée a connu diverses exégèses, mais, selon lui, l’interprétation réalisée par Marx nous permet faire le distinguo entre les vrais et les faux dieux :

29

La philosophie, tant qu’il lui restera une goutte de sang pour faire battre son cœur absolument libre qui soumet l’univers, ne se lassera pas de jeter à ses adversaires le cri d’Épicure : « Impie n’est pas celui qui fait table rase des dieux de la foule, mais celui qui pare les dieux des représentations de la foule ». La philosophie ne s’en cache pas. Elle fait sienne la profession de foi de Prométhée : « J’ai de la haine pour tous les dieux ». Cette profession de foi est sa propre devise qu’elle oppose à tous les dieux du ciel et de la terre qui ne reconnaissent pas comme divinité suprême la conscience de soi humaine […]. Dans le calendrier philosophique, Prométhée occupe le premier rang parmi les saints et les martyrs [43]
[43]Marx Karl, Différence de la philosophie de la nature chez…
.

30
À l’instar de Marx, Hinkelammert fait sienne la proposition éthicopolitique selon laquelle « la critique de la religion aboutit à cette doctrine, que l’homme est, pour l’homme, l’être suprême. Elle aboutit donc à l’impératif catégorique de renverser toutes les conditions sociales où l’homme est un être abaissé, asservi, abandonné, méprisable [44]
[44]Marx Karl, Contribution à la critique de La philosophie du…
». Tandis que les faux dieux sont ceux qui exigent sacrifices et immolations de victimes – le marché total, l’État, le progrès et le développement –, les vrais dieux sont ceux qui deviennent hommes. De sorte que la dignité de l’être humain devient le principal critère de vérité. La raison instrumentale de la modernité capitaliste ne cesse d’assassiner les hommes aussi bien que les cultures et de détruire la nature ; c’est pour cette raison que seule une rationalité reproductive qui conçoit les hommes comme des corporalités soumises à des nécessités naturelles peut faire face aux mythes sacrificiels de cette modernité/colonialité réellement existante [45]
[45]Hinkelammert Franz, El sujeto y la ley. El retorno del sujeto…
.

31
Qu’en conclure ? Certes, bien des théologiens de la libération ont abandonné les concepts et les catégories marxistes et ont été séduits par de nouvelles théories extérieures au marxisme (la théorie de la complexité, la French Theory, pour ne citer que quelques exemples). Mais beaucoup de théologiens continuent à utiliser Marx et le marxisme en tant que théorie critique, avant tout pour dévoiler les formes fétichisées de la formation sociale hégémonique. De surcroît, la théologie de la libération, constellation intellectuelle utopique et moderne, a aussi contribué à l’analyse marxiste d’autres formes d’oppressions culturelles, et à la mise en pratique des nouvelles formes d’émancipation.
Notes

[1]
Löwy Michael, La Guerre des dieux. Religion et politique en Amérique latine, Paris, Éditions du Félin, 1998, p. 54.
[2]
Houtart François, « La théologie de la libération en Amérique latine », Contretemps, n° 12, 2005, p. 64.
[3]
Gutiérrez Gustavo, Teología de la liberación : Perspectivas, CEP, Lima, 1971.
[4]
Gómez de Sousa Luis Alberto, A JUC : Os estudantes católicos e a política, Petrópolis, Vozes, 1984, p. 9.
[5]
Concept proposé par le sociologue péruvien A. Quijano pour se référer à la structure de domination et d’exploitation imposée depuis la conquête de l’Amérique du xvie siècle à nos jours. Voir à ce sujet Quijano Aníbal, « La colonialidad del poder y la experiencia cultural latinoamericana », in Briceño R. et Sonntag H. (dir.), Pueblo, época y desarrollo. La sociología de América Latina, Caracas, Nueva sociedad, 1998, pp. 139-155.
[6]
Löwy Michael, La Guerre des dieux, op. cit., p. 49.
[7]
Jameson Fredric, Le Postmodernisme ou la logique culturelle du capitalisme tardif, Paris, Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts, 2011.
[8]
Miguez Néstor, Rieger Joerg et Sung Jung Mo, Para além do espirito do Império : novas perspectivas em politica e religião, São Paulo, Paulinas, 2012, p. 65.
[9]
Girard René, La Violence et le sacré, Paris, Grasset, 1972, p. 217.
[10]
Assmann Hugo et Hinkelammert Franz, A idolatria do mercado. Ensaio sobre Economia e Teologia, São Paulo, Vozes, 1989, p. 176.
[11]
Hinkelammert Franz, Crítica de la razón utópica, Bilbao, Desclée de Brouwer, 2002.
[12]
Pour une analyse plus développée de cette section, voir Martínez Andrade Luis, Écologie et libération. Critique de la modernité dans la théologie de la libération, Paris, Van Dieren, 2016.
[13]
Moulian Tomás, Chile Actual : anatomía de un mito, Chile, ARCIS-LOM, 1997, p. 204.
[14]
Lyotard Jean-François, La Condition postmoderne, Paris, Minuit, 1979.
[15]
Bensaïd Daniel, Le Spectacle, stade ultime du fétichisme de la marchandise, Clamecy, Lignes, 2011.
[16]
Voir à ce sujet, dans ce numéro, la contribution de Michael Löwy, « Pontifex Maximus versus Kapitalismus ».
[17]
Nous empruntons la notion de « mémoire dangereuse » (memoria peligrosa) au prêtre mexicain E. Marroquín pour faire référence au versant prophétique-révolutionnaire de la culture judéo-chrétienne : Marroquín Enrique, « Diálogo entre cristianos y marxistas », in V. V. A. A., Marxistas y Cristianos, Puebla, BUAP, 1985, pp. 86-99.
[18]
Andreo Igor Luis, Teologia da libertação e cultura política maia chiapaneca : O Congresso Indígena de 1974 e as raíces do Exército Zapatista de Libertação Nacional, São Paulo, Alameda, 2013.
[19]
Althaus-Reid Marcella, La Teología indecente, Barcelona, Bellaterra, 2005.
[20]
Boff Leonardo, La Terre en devenir. Une nouvelle théologie de la libération, Paris, Albin Michel, 1994.
[21]
Martínez Andrade Luis, Religion sans rédemption. Contradictions sociales et rêves éveillés dans l’Amérique latine, Paris, Van Dieren, 2015.
[22]
Löwy Michael, La Guerre des dieux, op. cit., pp. 80-98.
[23]
Dussel Enrique, Historia de la Iglesia en América Latina. Medio milenio de coloniaje y liberación (1492-1992), Mundo-Negro/Esquila Misional, Madrid, 1992, p. 413.
[24]
Boff Leonardo, La Terre en devenir, op. cit. p. 144.
[25]
Dussel Enrique, « Teología de liberación y Marxismo », in Ellacuría I. et Sobrino J. (dir.), Mysterium Liberationis. Conceptos fundamentales de la teología de la liberación, Madrid, Trotta, 1990.
[26]
Goldmann Lucien, Sciences humaines et Philosophie. Pour un structuralisme génétique, Paris, Gonthier, 1966, p. 97.
[27]
Dussel Enrique, « Teología de liberación », art. cit., p. 143.
[28]
Löwy Michael, La Guerre des dieux, op. cit., p. 104.
[29]
Ibidem, pp. 106-108.
[30]
Sung Jung Mo, Teologia e Economia. Repensando a teologia da libertação e utopias, São Paulo, Fonte Editorial, 2008, p. 34.
[31]
Cf. Roma Locuta. Documentos sobre o livro « Igreja : carisma e poder » de Frei Leonardo Boff, Rio de Janeiro, Vozes, 1985, p. 149.
[32]
« [Karl Marx] élabora également une réflexion philosophique ; il a toujours souhaité connaître le comment de la construction des sociétés humaines. Il en proposa une représentation très importante pour l’histoire de la pensée ; tous les scientifiques sérieux (et aussi les théologiens) sont placés face à ce défi : dialoguer avec Marx. L’analyse n’est pas encore parvenue à digérer complètement son œuvre, car il fut le seul à percevoir certains des aspects fondamentaux de la construction sociale, d’une manière évolutive et dialectique » (Boff Leonardo, La Terre en devenir, op. cit., p. 170).
[33]
Boff Leonardo, E a igreja se fez povo. Eclesiogênese : A Igreja que nasce da fé do povo, Rio de Janeiro, Vozes, 1986, p. 181.
[34]
Boff Leonardo, A voz do Arco-Íris, Brasília, Letraviva Editorial, 2000, p. 26 et 183.
[35]
Dans la version française, ce terme a été traduit par « l’ensemble des opprimés du système actuel » (Boff Leonardo, La Terre en devenir, op. cit., p. 173). Pourtant, cette traduction détourne le sens gramscien du terme « bloc historique et social des opprimés » (bloco histórico e social dos oprimidos) qui apparaît dans la version originale du texte (Boff Leonardo, Ecologia, Mundialição, Espiritualidade, Rio de Janeiro, Record, 2008, p. 151).
[36]
Boff Leonardo, La Terre en devenir, op. cit., pp. 173-174 et 177.
[37]
Dussel Enrique, Pablo de Tarso en la filosofía política actual y otros ensayos, México, San Pablo, 2012 ; Filosofías del Sur : descolonización y transmodernidad, Madrid, Akal, 2015.
[38]
Dussel Enrique, La Producción teórica de Marx. Un comentario a los Grundrisse, México, Siglo XXI, 1985 ; Hacia un Marx desconocido. Un comentario de los Manuscritos del 61-63, México, Siglo XXI, 1988 ; El último Marx (1863-1882) y la liberación latinoamericana : un comentario a la tercera y cuarta edición de « El Capital », México, Siglo XXI, 1990.
[39]
Dussel Enrique, Las Metáforas teológicas de Marx, México, Siglo XXI, 2017.
[40]
Ibidem, p. 194.
[41]
Hinkelammert Franz, The ideological weapons of death : A theological critique of capitalism, New York, Orbis, 1986 ; Sacrificios humanos y sociedad occidental, San José, DEI, 1991 ; El grito del sujeto, San José, DEI, 1998.
[42]
Hinkelammert Franz, Hacia una crítica de la razón mítica. El laberinto de la modernidad, Bogotá, Desde abajo, 2009.
[43]
Marx Karl, Différence de la philosophie de la nature chez Démocrite et Épicure, trad. Jacques Ponnier, Bordeaux, Ducros, 1970, pp. 208-209.
[44]
Marx Karl, Contribution à la critique de La philosophie du droit de Hegel (1844), Paris, Allia, 1998.
[45]
Hinkelammert Franz, El sujeto y la ley. El retorno del sujeto reprimido, Costa Rica, Euna, 2014.

Shelton
avatar 29/06/2021 @ 08:19:27
Document fort pertinent, merci Hiram33 !

Shelton
avatar 29/06/2021 @ 08:19:53
Mardi 29 juin 2021

L’été c’est fait pour lire et ce n’est pas parce que nous parlerions de romans policiers qu’il faudrait systématiquement trembler de peur face à des descriptions sanglantes… En fait, il en faut pour tous les goûts ! Il y a donc, aussi, à côté des thrillers des cosy-mysteries ! Attention, ce mouvement littéraire – oui, je classe les romans policiers dans la littérature – ne commence pas avec les enquêtes d’Agatha Raisin, avec les fameux détectives du Yorkshire ou notre très chère amie Georgiana, espionne royale ! Il faudrait avoir la mémoire courte pour oublier Patricia Wentworth, Agatha Christie et Charles Exbrayat qui appartiennent bien à ce mouvement, au moins partiellement !

Les meilleurs sont ceux qui ont une excellente intrigue policière, solide et cohérente, mais qui sont peuplés de personnages déjantés et imprévisibles, le tout dans une ambiance qui prête à rire, au moins à sourire… Certains romans d’Agatha Christie peuvent entrer dans cette distinction comme ceux où l’on croise Tommy et Tuppence Beresford…

Si on se tourne vers les plus célèbres des enquêteurs de ces séries romanesques, souvent des amateurs, on trouve Maud Silver, Miss Marple, Imogène… Historiquement, d’ailleurs et contrairement à une idée reçue, c’est la fameuse et attachante Maud Silver de Patricia Wentworth qui ouvre la danse… Anodine petite dame qui a de nombreux souvenirs, qui pratique le tricot avec talent et qui sait en remontrer aux policiers les plus brillants…

D’ailleurs, pourquoi ne pas profiter de cet été pour découvrir (où redécouvrir) cette enquêtrice que j’aime beaucoup avec un des romans de Patricia Wentworth, Miss Silver entre en scène.

Le roman a été publié pour la première fois en 1951 et il a été traduit en français par Patrick Berthon. On oublie souvent ces traducteurs de romans policiers et je trouve cela fort injuste. La qualité de l’ambiance des romans de Patricia Wentworth est aussi rendue par le traducteur ! Chaque mot participe à la fête, aux retrouvailles des deux amies au cœur du village de Melling, mais, aussi, à la série meurtrière qui va s’abattre sur cette bourgade paisible.

Dans ce roman, Maud est heureuse de retrouver son amie d’enfance Cecilia Voycey. Ce n’est pas tous les jours que l’on peut couper avec la routine et retrouver ceux avec qui on a joué, vécu des jours heureux et que l’on a quelque peu perdu de vue…

Dès le premier chapitre, l’auteur livre du lourd... Pas en nous livrant le crime brut comme le font certains ni en nous donnant à lire une lettre du coupable sans sa signature… Non, Patricia Wentworth nous dit que chaque histoire, chaque drame va chercher ses racines au plus profond de notre histoire… En quelques lignes, comme un résumé de feuilleton populaire à trois sous, elle nous indique que deux filles aimaient un garçon, que le garçon est parti conquérir le monde, qu’un jour il est revenu dans son village, après la mort de sa mère…

L’homme revient au village et cela réveille de nombreux souvenirs. Certains agréables, d’autres plus inquiétants et sombres… Mais le lecteur va être vite fixé, notre jeune homme sitôt revenu est assassiné !

Se faire assassiner alors que Maud Silver est là, en vacances ! Quelle idée, le coupable vient de se mettre en danger, sans le savoir vraiment ! La vieille dame et ses aiguilles à tricoter vont se mettre en chasse… Le travail ne va pas lui manquer, car lorsque le pauvre James meurt le crâne fracassé par un tisonnier et ils sont nombreux ceux qui auraient intérêt, pour une raison ou une autre, à le voir se taire à tout jamais…

Dans les forces de police, on retrouve un certain Randal March, un grand ami de Maud, mais en posture délicate. En effet, il est là, amoureux transis, d’une des suspects…

Un très bon roman estival et comme l’été c’est fait pour lire, bonne lecture à tous ! Quant à moi, je vais vous laisser car il est temps d’aller prendre une tasse de thé…

Shelton
avatar 30/06/2021 @ 06:34:06
Mercredi 30 juin 2021

L’été c’est fait pour lire et quand on parle de lecture on a le droit d’évoquer l’histoire, les grands personnages, les faits importants de notre histoire mais aussi celles des pays voisins, celle de l’humanité… D’ailleurs, vous le savez bien dès que l’on change notre point d’observation l’histoire n’est plus la même… La guerre de 14-18 du point de vue russe, français, allemand, bulgare… autant de récits différents sans pour autant qu’ils soient mensongers, complotistes, incomplets… Prenons par exemple la reine Aliénor d’Aquitaine ! On peut l’observer en reine de France, en reine d’Angleterre, en duchesse d’Aquitaine, en femme du XII° siècle, en reine maudite racontée par le XIX° siècle… Et qui pourrait bien dire où est la vérité ?

J’ai donc décidé de suivre cette fameuse Aliénor d’Aquitaine durant quelques jours pour illustrer mon propos sans pour autant vous imposer un regard ou un autre. J’ai aussi choisi d’utiliser la bande dessinée car une très belle série Aliénor d’Aquitaine existe et elle suit de très près la légende la plus noire attachée à cette reine. Enfin, nous évoquerons quelques aspects plus romancés racontant autrement cette Aliénor d’Aquitaine…

Pour commencer, aujourd’hui, je vous propose d’ouvrir la biographie Aliénor d’Aquitaine d’Alain-Gilles Minella. Cet ouvrage a la particularité de ne s’intéresser qu’à Aliénor d’Aquitaine reine d’Angleterre et de surcroît que dans la période où elle et son mari Henri II s’entendent bien… Cela limite un peu mais rend le portrait très efficace, très ciblé et cadrant parfaitement à mon envie spécifique…

Tout commencera quand Aliénor, alors encore femme du roi de France Louis VII, revient de croisade avec son mari et fait escale dans les Etats-Pontificaux. Eugène III, alors pape, reçoit le couple royal quelque peu mal en point. Il tente de rabibocher les époux qui pourtant ne semblent pas trop motivés. Il y arrive mais moins de trois ans plus tard le mariage sera annulé…

Là, tout va aller très vite et Aliénor va s’attacher à Henri Plantagenet. Moins de deux ans après, Aliénor et Henri montent sur le trône d’Angleterre et ils vont construire l’empire Plantagenet, ensemble et avec beaucoup d’efficacité…

Puis, après environ 20 ans de bonheur (enfin supposé tel), après un partage politique et du pouvoir (attention, le pouvoir d’une femme avec le regard de l’époque et non le nôtre), le couple va se séparer, Aliénor sera emprisonnée et cela durera une quinzaine d’années. L’ouvrage s’arrêtera là sans évoquer la vieillesse de la duchesse qui sera encore d’une certaine façon très active mais nous aurons l’occasion d’en reparler… Pour que chacun comprenne bien la vie d’Aliénor dans sa globalité disons qu’elle va vivre à peu près 82 ans, performance de longévité remarquable pour l’époque. Elle survivra à ses maris et ses enfants à une exception près…

L’ouvrage de Minella montre bien que l’on ne sait pas grand-chose d’Aliénor et souvent il est obligé de dire « je pense » ou « je ne peux pas imaginer que… ». Dans presque toutes les situations, il s’appuie sur les documents qui parlent plus d’Henri II, de Thomas Becket ou de Louis VII que d’Aliénor elle-même. Par contre, c’est une excellente introduction à cette époque et pour ceux qui veulent aller plus loin et plus précisément il faudra aller lire « L’empire des Plantagenêt » de Martin Aurell…

Finalement, Aliénor fut-elle une grande reine d’Angleterre ? Je ne saurais être trop catégorique mais elle fut, là c’est indiscutable, la mère et le mentor du roi d’Angleterre le plus populaire ou presque, Richard Cœur de Lion ! On peut d’ailleurs se recueillir sur sa tombe à l’abbaye de Fontevraud où elle repose avec son mari Henri, son fils Richard et la femme de Jean sans Terre, Isabelle d’Angoulême…

Une bonne biographie à découvrir durant l’été et qui peut aussi donner envie de visiter cette abbaye de Fontevraud qui fut aussi, après avoir été un centre religieux et avant de devenir une institution culturelle, un centre pénitentiaire !

Alors, comme l’été c’est fait pour lire, bonne lecture à tous !

Shelton
avatar 01/07/2021 @ 07:15:17
1er juillet 2021

L’été c’est fait pour lire et comme je vous l’avais dit nous allons continuer à nous promener en compagnie de la Reine Aliénor d’Aquitaine mais cette fois-ci en bande dessinée. En effet, la tradition historique de la bande dessinée ne date pas d’aujourd’hui et certains ont pu voyager dans le temps avec le Chevalier Ardent, Alix, Vasco durant leur jeunesse… Quant à aujourd’hui le choix est si riche qu’il est impossible de tout citer des Grandes batailles navales de Glénat aux Reines de sang de Delcourt…

Certains personnages de notre histoire de France sont dignes d’être racontés en bandes dessinées car leur vie est une grande aventure et on peut les comparer sans hésiter à des super-héros, des super-héroïnes. Quand Guy Delcourt, à Angoulême, nous avait annoncé qu’il allait y avoir une série consacrée à certaines reines de France, les Reines de sang, j’avais immédiatement pensé à Aliénor d’Aquitaine or elle fut bien la première de la série !

Ma stupéfaction fut de découvrir que l’idée venait d’une femme italienne – que je connaissais par ailleurs – qui venait pour nous raconter notre histoire ! En réfléchissant un peu, je reconnais que ce n’est finalement pas si étonnant que cela. Nous avons un rapport étonnant avec notre histoire : nous ne la connaissons pas beaucoup, nous pensons que les rois et les reines étaient des dictateurs et des incompétents, et nous sommes si démunis en dates repères que nous avons beaucoup de mal à lire une œuvre ayant un fond historique sans être perdus (qu’est-ce qui est vrai, qu’est-ce qui est faux ?)… il fallait donc bien un regard extérieur pour oser prendre Aliénor comme héroïne et nous transporter sans précaution au douzième siècle…

Sans aucune annonce d’usage pour éloigner de la bande dessinée les plus sensibles des lecteurs, les auteurs nous immergent dans le drame de Vitry-en-Perthois, en 1143. C’est l’épisode sanglant du couple Aliénor-Louis VII, puisque c’est là, lors d’un combat déséquilibré, que le roi fait brûler des paysans qui s’étaient réfugiés dans une église… Une sorte d’Oradour avant l’heure… Le pape Eugène III lance trois ans plus tard l’Interdit sur le royaume… Et ce sera alors, comme pour obtenir un pardon officiel, la seconde croisade avec en vedette, en quelque sorte, Aliénor et Louis VII…

Il y aura six albums pour couvrir entièrement la vie de cette « double » reine. On va découvrir Aliénor, avec ses goûts artistiques, avec son sens de la fête et des vêtements originaux, bref avec son caractère de femme du sud que la cour aura tant de difficulté à admettre et comprendre… Mais les auteurs suivent volontairement la légende noire d’Aliénor en utilisant les clichés du dix-neuvième siècle et c’est un parti pris. Pour une bonne bande dessinée – et c’en est bien une – il fallait une femme bien tranchée et caractérielle, non une femme de son siècle dont on ne connaissait pas assez la vie…

On va aussi voir ce roi Louis VII, pas toujours brillantissime et perdu quand il ne suit pas son conseiller, le fameux Suger qui a été un grand conseiller de son père Louis VI. Enfin, on découvre quelques personnages plus hauts en couleurs que l’histoire n’avait pas mis autant en avant, mais œuvre de fiction oblige, je veux parler, par exemple, du troubadour Marcabru…

Tout se met bien en place, très rapidement on oublie l’histoire de France pour n’être plus que dans une bande dessinée qui raconte une certaine Aliénor d’Aquitaine qui, après avoir été reine de France, avoir participé à une croisade, divorcera et trouvera auprès d’Henri un amant, un mari et un roi avec qui elle fabriquera un empire….

Un rythme bien calculé, un scénario construit au millimètre, une série de bande dessinée que l’on dévore d’une seule traite… Le dessin de Carlos Gomez est presque parfait. Ses gros plans sur les visages sont de toute beauté, plus exactement intégrés à la narration de façon parfaite. Parfois, on se croirait presque dans de la bédé en relief, une sorte de 3D sur papier… Bref, que du bonheur !

Pour la réalité historique, il vaudra mieux attendre demain une autre proposition mais comme l’été c’est fait pour lire, il me semble que cette série est parfaitement adaptée à cette période estivale… Bonne lecture à tous !

Shelton
avatar 02/07/2021 @ 07:49:26
Vendredi 2 juillet 2021

L’été c’est fait pour lire et je suis certain que quelques uns d’entre vous attendent que je vous parle, enfin, de la reine de France Aliénor d’Aquitaine. En effet, on a croisé la reine d’Angleterre, la reine de sang mais pas encore la reine de France… Nous allons le faire avec en main la biographie de son mari, le roi Louis VII, écrite par Yves Sassier.

Si Louis VII n’était probablement pas fait pour être roi – il eut été un bon ecclésiastique – force est de constater qu’Aliénor aurait pu éviter d’être reine… Mais la fille de Guillaume X mourut trop vite et la jeune héritière du Poitou et de l’Aquitaine – territoire presque plus important que le royaume de France à cette époque – se retrouva bien seule à 13 ans… Toutes les familles royales allaient tourner leurs yeux avec avidité vers Aliénor qui d’un coup avait toutes les qualités du monde. En ces temps-là, une femme ne pouvait pas diriger un comté, un duché ou un si grand territoire seule. Il lui fallait un mari…

Autour du roi de France, on imagina que le jeune Louis, héritier, pourrait bien l’épouser et ainsi recevoir en dot le duché de Guyenne, la Gascogne, la Saintonge, le Poitou… Une très belle affaire sur papier (enfin, disons sur parchemin) mais qui ne se terminera pas complètement comme prévu. Les beaux contes en histoire finissent parfois mal…

Que faut-il réellement retenir des quinze ans de reine de France. Tout d’abord que Louis tombera un temps sous le charme d’Aliénor sous les yeux du conseiller Suger qui tentera de maitriser le roi. Cet abbé de Saint-Denis sera conseiller de Louis VI puis de son fils Louis VII et il n’aimera jamais la reine Aliénor. Pourquoi ? Difficile d’en être complètement certain car autour de la reine il est délicat d’avoir des certitudes. Par exemple, on a beaucoup dit dans sa légende noire qu’elle avait des amants, y compris au sein même de la cour mais les faits sont loin d’être avérés… Elle aurait eu de la cruauté, dominait Louis VII, lui fit faire des erreurs… Mais, si on suit les écrivains plus contemporains et sérieux, elle fut surtout préoccupée par ses terres du Poitou et de l’Aquitaine. Toute sa vie, elle a considéré qu’il s’agissait de ses terres, de son héritage, de chez elle… Et elle a poussé Louis à défendre ses intérêts, surtout ses intérêts… Pas ceux de la France !

Sans vouloir faire de la psychologie au rabais ou de comptoir, on peut quand même dire qu’Aliénor était plus sensuelle que Louis, que ce mari qui se comportait un peu comme un religieux la lassait, qu’elle avait envie de plus de fantaisie… Au fil des ans, le couple s’est distendu et cette situation a été aggravée par le fait que la reine ne fit à Louis VII que deux filles, Marie et Alix.

Là encore, sans exagérer le trait rappelons qu’une reine est avant tout un utérus qui doit être productif : la famille royale, le royaume, ses habitants ont besoin de mâles et de plusieurs car la mortalité infantile est trop forte pour tout miser sur un seul garçon…

Aliénor fut-elle alors une reine inutile ? Non, car elle apporté avec elle jusqu’à la cour de France une vision du monde différente avec un peu de joie, de poésie, d’arts en général. Les troubadours se sont fait plus entendre qu’avant et il en restera quelque chose de positif ce qui permettra à d’autres reines du Sud de venir réchauffer la cour du roi de France… mais c’est une autre histoire dont nous parlerons une autre fois !

Cette biographie d’Yves Sassier ne parle pas que d’Aliénor car le roi Louis va ensuite épouser Constante de Castille puis Adèle de Champagne qui lui donnera enfin un fils, le glorieux Philippe Auguste ! Un très bon livre pour découvrir une France que l’on ne connait pas trop, pour partir en croisade et suivre un roi qui finalement peut être considéré comme un personnage important de son époque…

Alors, comme l’été c’est fait pour lire, bonne lecture à tous !

Shelton
avatar 03/07/2021 @ 07:36:07
Samedi 3 juillet 2021

L’été c’est fait pour lire et nous arrivons à notre dernière rencontre en compagnie d’Aliénor d’Aquitaine. D’une part il faut bien passer à autre chose et d’autre part comment ne pas terminer par deux ouvrages spécifiques, pointus mais accessibles à tous, passionnants et, pourtant, très mesurés sur Aliénor…

Les deux auteurs, deux historiens confirmés, Georges Duby et Martin Aurell, commencent par le même constat : on ne sait pas grand-chose d’Aliénor d’Aquitaine qui soit sérieux, fiable, confirmé… C’est ainsi, il faudra s’y faire et si les romanciers s’en sont donné à cœur joie, les historiens sont beaucoup plus contraints…

Georges Duby, dans « Dames du XII° siècle » part des textes de l’époque dans lesquels Aliénor est citée… Il n’y en a que moins de dix ce qui limite beaucoup… Non ? D’autant plus que certains sont écrits avec des volontés de nuire ou embellir… Donc, il faudra se contenter d’une trentaine de pages pour découvrir une Aliénor qui est parfois très éloignée des romans à l’eau de rose et de la vision du Moyen-âge déformée par le XIX° siècle…

Martin Aurell, lui, en 130 pages, une synthèse grand public mais strictement basée sur les documents historiques avérés et vérifiés. C’est digeste, facile à lire, accessible à tous et même dans certains cas très pointu. Il faut dire que Martin Aurell, élève de Duby d’ailleurs, est devenu le véritable expert de l’Empire Plantagenet et donc de Henri II et sa femme Aliénor d’Aquitaine…

Que faudrait-il retenir définitivement d’Aliénor d’Aquitaine ? Qu’elle fut une femme du XII° siècle c'est-à-dire une femme ayant vécu dans une période où l’histoire de l’humanité est racontée par les hommes pour les hommes et qu’il manque donc beaucoup d’éléments de la vie de cette femme. Qu’il s’agit d’une reine c'est-à-dire une femme que l’on épouse pour gagner des terres, améliorer sa diplomatie et faire des enfants, mâles de préférence… Aliénor va avoir dix enfants ce qui n’est pas rien même si certains ne seront finalement pas élevés par elle… Enfin, ce fut une duchesse d’Aquitaine mais qui ne pourra exercer son pouvoir qu’à travers ses maris et donc cela limite considérablement son action politique directe !

Pour autant, le mythe a presque autant d’importance que la réalité… En effet, que l’on en fasse une reine de sang, une féroce femme jalouse de son pouvoir, une manipulatrice de ses enfants ou la mère aimante de son fils Richard Cœur de Lion, il n’en demeure pas moins que c’est à travers son image que l’on raconte une partie du XII° siècle ce qui n’est pas rien…

Ces deux derniers livres me semblent excellents pour qui veut mesurer l’écart entre le mythe, la légende sacrée, les fantasmes du passé, et l’histoire, véritable science basée sur la connaissance des textes, des restes archéologiques et de tous ce qui nous perdure de cette époque dans nos mentalités, nos lois, nos us et coutumes…

Alors, comme l’été c’est fait pour lire, c’était l’occasion de vous inviter à toucher la complexité de l’histoire et découvrir malgré tout un sacré personnage de notre histoire européenne !

Bonne lecture à tous !

Shelton
avatar 04/07/2021 @ 08:35:14
Dimanche 4 juillet 2021

L’été c’est fait pour lire et vous savez maintenant que je n’hésite pas à glisser dans ma sélection estivale des ouvrages de vulgarisation philosophique. Je sais bien que cela agace certains enseignants, savants et autres intellectuels qui pensent trop souvent que celui qui ne peut pas lire directement Kant, Aristote ou Pascal ne mérite pas leur enseignement… Mais, je crois que c’est une erreur car la philosophie doit être accessible à tous y compris ceux qui ne peuvent pas venir à bout seuls d’un ouvrage comme « Critique de la raison pure » ou même ceux qui ne savent pas lire !

Par ailleurs, je sais bien que Marie Robert ne plait pas à tout le monde, qu’elle a quitté l’enseignement pour être directrice pédagogique au lycée international Montessori de Bailly, qu’elle fait de la radio… bref, on finirait par la suspecter de vouloir gagner de l’argent avec la philosophie ! Là encore restons calme et buvons frais car il y a des moyens plus sûrs de faire de l’argent tandis que pour toucher les publics et les aider à philosopher dans leur vie quotidienne, elle est plutôt efficiente !

Alors, cet été, pourquoi ne pas partir avec dans son sac – c’est un petit livre de poche pas lourd – son ouvrage « Kant tu ne sais plus quoi faire… ». C’est un texte simple divisé en 12 chapitres courts, concis et construits de façon identique… Un problème simple de la vie quotidienne, simple mais parfois complexe à résoudre vite dans l’action, du passage à Ikea jusqu’à la soirée avec les beaux-parents en passant par l’adolescence, m’amour, la mort…

Pour chaque situation, l’autrice annonce un auteur avec ses pensées fortes, son livre majeur… Enfin, pour clore le chapitre un résumé de la pensée de l’auteur, son livre majeur ou correspondant à la crise rencontrée et, cerise pour sur le gâteau, un zoom rapide, presque scolaire, sur quelques concepts. Mais le tout, soit environ 8 à 12 pages, reste très digeste !

Alors, certains resteront sur leur faim, certes. Ils auraient aimé un cours complet sur Platon. Je vous rassure, cela existe bien. Vous pouvez lire cet été, par exemple, « Introduction à la lecture de Platon » d’Alexandre Koyré avant de vous mettre directement à la lecture de l’intégrale de Platon dans la collection La Pléiade… Mais je ne suis pas certain que ce soit accessible à tous ni bien utile pour mieux vivre au quotidien…

Par contre, après avoir lu un chapitre ou un autre, vous aurez peut-être envie de vous confronter à un des textes philosophiques et ce sera, qui sait, le début du grand amour avec Levinas, Spinoza ou Wittgenstein… Je n’ai pas pris ces trois derniers au hasard car pour tout vous dire ils sont bien présents dans le livre de Marie Robert mais je n’ai jamais lu un ouvrage intégral de ces philosophes… Alors il se pourrait bien que j’en teste un cet été et vous n’aurez qu’à me suivre… Après tout, l’été c’est fait pour lire !

Très bonne lecture à toutes et tous et à très vite !

Shelton
avatar 05/07/2021 @ 08:07:01
Lundi 5 juillet 2021

L’été c’est fait pour lire et après quelques jours en compagnie d’Aliénor d’Aquitaine, revenons-en à des lectures plus estivales, plus faciles, en clair à un bon roman policier ! Mais, comme on est en été, j’ai choisi aujourd’hui un roman policier qui se déroule dans le Finistère, entre Brest et Bénodet. Au moins, cela donnera quelques senteurs de vacances et permettra à certains une forme de dépaysement…

Attention, pour autant, le roman – et même la série car il y a maintenant plusieurs titres avec les mêmes héroïnes, Les trois Brestoises – ne peut pas être classé en roman régional. C’est vraiment un polar et l’auteur, Pierre Pouchairet est lui-même un ancien policier. Depuis qu’il est passé à l’écriture il a aussi eu le Pris du Quai des Orfèvres 2017 avec « Mortels trafics »… Vous me direz que ce n’est pas obligatoirement un signe de qualité car certains lauréats ne furent pas à la hauteur et ont été oubliés depuis longtemps… Cette fois-ci le prix était bon et la suite avec les Brestoises est très correcte… En tous cas, moi, j’aime !

Donc, pour vous donner l’ambiance générale et le contexte particulier de cette série, Léanne Galji qui était aux Stups à Nice a été mutée à Brest comme chef de la Police judiciaire du Finistère. Elle a deux adjoints hommes et elle doit « faire ses preuves » pour se faire accepter… L’occasion arrive très vite avec un meurtre à la fois cruel et glauque, l’assassinat de Corentine Ledantec. Cela s’est déroulé dans le sud du département en Pays Bigouden…

Deuxième chose à bien intégrer, Léanne ne fait que revenir chez elle et elle retrouve deux amies d’enfance, Elodie qui exerce comme médecin légiste et Vanessa, ancienne militaire, devenue psychologue et dont une grosse part d’activité se fait en lien avec la Police nationale. Or ces trois copines ont participé à la vie d’un groupe musical qu’elles ont envie de remettre sur pied… Au moins, on a bien compris que la musique sera le loisir-passion de ces trois actrices du polar…

L’histoire est très bien construite et il y aura un peu plus qu’une simple énigme. En effet, d’une part, on aura la « compétition » police-gendarmerie, avec un colonel de gendarmerie Erwan Caroff qui aura toute sa place dans le roman policier. D’autre part, une histoire d’indic qui va mettre en difficulté Léanne y compris au-delà de ce roman, mais c’est une toute autre histoire…

Attention, il ne s’agit pas d’une petite histoire légère car ici il y des sous, un héritage, de la drogue, une victime âgée, du sordide, du mystérieux… et même plus si affinités !

Bonne écriture de polar, simple mais très efficace, bonne connaissance de la région et donc un dépaysement qui fonctionne et qui offre un séjour dans une partie du Finistère que certains ne connaissent pas encore. Enfin, trois femmes très professionnelles qui tout en menant leur enquête restent humaines, sympathiques, agréables à suivre… On en redemande, quoi !

Alors puisque l’été c’est fait pour lire n’hésitez pas à vous retrouver du côté de Brest dans les bureaux de la PJ. Par contre, les éditions Palémon ne sont pas simples à trouver en librairie ailleurs qu’en Bretagne et vous serez obligés de commander votre exemplaire de « Haines »… Heureusement, votre libraire se fera un plaisir d’accéder à votre demande…

Bonne lecture à tous !

Shelton
avatar 06/07/2021 @ 06:26:49
Mardi 6 juillet 2021

L’été c’est fait pour lire et on devrait s’arrêter là sans avoir ni à se justifier de ses choix de lecture, de l’abandon de certains livres, de l’oubli de certains auteurs. Comme le dit très bien Daniel Pennac on a le droit de lire ce que l’on veut, de ne pas finir un livre commencé, de ne pas lire tel auteur ou telle nouveauté… La lecture c’est avant tout une liberté totale ! Pourtant, je pense qu’il faut parfois passer par ces justifications ne serait-ce que pour casser certains a priori, pour donner accès à de nouvelles lectures… La littérature est un domaine si vaste qu’il y a de bons livres pour chacun d’entre nous à condition de ne pas rester enfermés dans nos conditionnements nés à l’école, dans nos familles, dans nos vies…

Je suis un grand amateur pour ne pas dire amoureux de la littérature d’Annie Ernaux. Mais comment classer Annie Ernaux ? C’est chose presque impossible ! D’ailleurs, faut-il toujours vouloir enfermer un auteur dans une boite en lui interdisant d’en sortir ? Annie Ernaux est l’autrice de la vie quotidienne…

Comme c’est une femme, certains, trop rapidement, la cataloguent en écrivain féministe, en romancière de la femme… Erreur ! Mille fois erreur ! C’est un écrivain qui a choisi de s’occuper du sujet et ce sujet c’est elle. C’est par les hasards de la génétique que le sujet est une femme. Elle parle à l’Homme en général, en tant que genre humain, non en tant qu’être sexué… Ce qui ne l’empêche pas de parler sexe car ce dernier est bien présent dans sa vie, cette vie dont elle parle beaucoup puisque son sujet s’y meut… Même quand elle parle de viol, de souffrance féminine, elle parle aussi à l’homme et c’est là qu’à mon avis elle est très forte. Elle produit une littérature universelle !

Chaque texte d’Annie est comme une tragédie grecque, chaque personnage, elle, son père ou sa mère, son mari ou son amant du moment, est là comme coincé dans sa destinée, héros de la vie, une vie ordinaire mais transcendée par les mots…

C’est en 1974 qu’Annie Ernaux a fait paraître son premier roman, « Les armoires vides ». Dès cette première parution, la question est posée : est-ce un roman, un livre de souvenir, la réalité romancée ? Ce qui est certain, c’est que le souvenir est déjà là, « On se souvient », et que cette vie qui passe est certainement une angoisse d’Annie Ernaux. La vie passe, il ne reste pas grand-chose de notre passage, demain nous ne serons plus là et qui pensera encore à nous ? «Ce qu’ils en disent ou rien», en 1977, vient confirmer cette vision du monde, le sommeil étant aussi comme une mort, un instant où l’on oublie… Dans ce deuxième roman, on constate qu’Annie s’identifie de plus en plus à son héroïne, Anne. Cela deviendra de plus en plus fort jusqu’au moment où l’on saura de façon certaine que le sujet, le personnage, l’auteure ne font qu’une seule comme dans « L’usage de la photo », texte de 2005, pas encore abordé dans cette biographie littéraire de 1994.

Annie Ernaux consacrera les deux ouvrages suivants à la mémoire de son père (« La place » en 1983) et à sa mère (« Une femme » en 1987). Le doute n’est plus possible pour la façon de se positionner de cette romancière qui parle de sa vie pour toucher tous les êtres, pas seulement les femmes, car qui n’a jamais tenté de comprendre qui était son père ou sa mère pour lui au moment d’une séparation cruelle et soudaine (même quand la maladie travaillait depuis longtemps dans l’ombre ou dans la lumière) ? Ce sont d’ailleurs ces deux derniers ouvrages qui ont, du moins à mon avis, fait connaître cette normande exilée en banlieue parisienne. « La place » a obtenu, d’une façon très pertinente et méritée, le prix Renaudot 1984.

Pour cette chronique, j’ai relu ce matin Une femme, le livre qui commence par « Ma mère est morte le lundi 7 avril à la maison de retraite de l’hôpital de Pontoise, où je l’avais placée il y a deux ans. » Ce petit texte, très touchant, est une sorte d’ode à la mère qui ne tombe pas dans l’hagiographie ni les platitudes. Ici, l’amour semble sec, la vie rude, l’humanité dénuée de sens et en ce sens il y a bien un petit quelque chose de Camus… On vit sur cette terre et une fois mort ceux qui survivent tentent de garder un peu de mémoire pour donner un semblant de sens à tout cela…

Vous pourriez me dire que cela semble très éloigné d’un livre d’été mais en fait, au contraire, il a tout d’un texte estival : il vous offre le souvenir de ceux que vous avez aimés et cela n’a pas de prix ! Imaginez, un dernier été avec maman…

Alors comme l’été c’est fait pour lire, bonne lecture à tous !

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