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Il y a une sorte de piège avec cette pièce des Troyennes. Le texte original est d'Euripide, mais il a été "adapté" en 1965 par Jean-Paul Sartre. Perlimplim semble avoir lu l'adaptation de Sartre, tandis que Nance semble par contre avoir lu l'édition originale (http://lemeac.com/catalogue/…) , la "vraie" si j'ose dire (ce qui n'enlève rien à la valeur de l'adaptation qu'en a fait Sartre).
Dans l'édition des Troyennes de Sartre de 1965 il est du coup assez frustrant de ne pas avoir d'information sur ce qui a amené Sartre à adapter et à moderniser le texte d'Euripide.
Heureusement un article de Pierre Voelke sur le site Etudes de Lettres (http://edl.revues.org/404?lang=en#tocto1n3) nous éclaire quelque peu sur le sujet.
Pour résumer (je cite l’article):
- [Pour Sarte] cette adaptation doit rendre le texte conforme aux habitudes théâtrales du spectateur du XXe siècle, en « dramatisant » la pièce. Dramatiser signifie introduire du dialogue là où se développait un chant choral ou la rhêsis d’un personnage, mais également expliciter et « psychologiser » des antagonismes entre personnages, tels que l’opposition entre Andromaque et Hécube. La captation du public passe aussi par l’usage d’un lexique parfois trivial, tel le verbe « crever » que Sartre utilise à plusieurs reprises, et par l’explicitation de la dimension sexuelle dans les rapports entre personnages.
-Le travail d’adaptation est la condition, selon les termes de Sartre, « pour que notre public puisse ressentir les vérités profondes exprimées par Euripide ». Mais ces « vérités profondes » elles-mêmes doivent être mises en résonance, de façon explicite, avec des réalités politiques contemporaines. C’est ainsi que Sartre sature son texte de références à l’Asie et à l’Europe, pour faire de la guerre de Troie le modèle des guerres coloniales menées par l’Occident dans le tiers-monde.
Connaissez-vous d'autres cas où une pièce antique a été modernisé de la sorte ? Oserait-on le faire pour un ouvrage (roman ou pièce de théâtre) d'un auteur plus récent libre de droit ? J'ai à l'esprit le cas d’œuvres pour la Jeunesse (le club des cinq, les six compagnons) qui ont été "réécrites" dans leur cas de rééditions récentes (cela avait fait débat par rapport à leur appauvrissement que cela avait amené), mais on est en dehors de toute ambition littéraire, contrairement à ce cas des Troyennes, qui est finalement un exemple de "remake" (pardon pour ce vilain mot) dans la littérature.
Je lirai bien à cette occasion l'originale, pour voir la différence !
Dans l'édition des Troyennes de Sartre de 1965 il est du coup assez frustrant de ne pas avoir d'information sur ce qui a amené Sartre à adapter et à moderniser le texte d'Euripide.
Heureusement un article de Pierre Voelke sur le site Etudes de Lettres (http://edl.revues.org/404?lang=en#tocto1n3) nous éclaire quelque peu sur le sujet.
Pour résumer (je cite l’article):
- [Pour Sarte] cette adaptation doit rendre le texte conforme aux habitudes théâtrales du spectateur du XXe siècle, en « dramatisant » la pièce. Dramatiser signifie introduire du dialogue là où se développait un chant choral ou la rhêsis d’un personnage, mais également expliciter et « psychologiser » des antagonismes entre personnages, tels que l’opposition entre Andromaque et Hécube. La captation du public passe aussi par l’usage d’un lexique parfois trivial, tel le verbe « crever » que Sartre utilise à plusieurs reprises, et par l’explicitation de la dimension sexuelle dans les rapports entre personnages.
-Le travail d’adaptation est la condition, selon les termes de Sartre, « pour que notre public puisse ressentir les vérités profondes exprimées par Euripide ». Mais ces « vérités profondes » elles-mêmes doivent être mises en résonance, de façon explicite, avec des réalités politiques contemporaines. C’est ainsi que Sartre sature son texte de références à l’Asie et à l’Europe, pour faire de la guerre de Troie le modèle des guerres coloniales menées par l’Occident dans le tiers-monde.
Connaissez-vous d'autres cas où une pièce antique a été modernisé de la sorte ? Oserait-on le faire pour un ouvrage (roman ou pièce de théâtre) d'un auteur plus récent libre de droit ? J'ai à l'esprit le cas d’œuvres pour la Jeunesse (le club des cinq, les six compagnons) qui ont été "réécrites" dans leur cas de rééditions récentes (cela avait fait débat par rapport à leur appauvrissement que cela avait amené), mais on est en dehors de toute ambition littéraire, contrairement à ce cas des Troyennes, qui est finalement un exemple de "remake" (pardon pour ce vilain mot) dans la littérature.
Je lirai bien à cette occasion l'originale, pour voir la différence !
Pardon Dirlandaise si tu me lis, je me suis trompé, c'est toi à non pas Nance qui a fait la première "critique éclair" des Troyennes.
En y réfléchissant à nouveau on peut trouver d'autres exemples, ainsi il y a Antigone de Sophocle et celui d'Anouilh, mais on dit "Antigone de Anouilh" alors que Les Troyennes ne sont pas présenter ici comme "Les Troyennes de Jean-Paul Sartre", est-ce parce que l'auteur a jugé les adaptations purement cosmétiques, ne modifiant pas l'architecture de la pièce ?
Pour compléter ma réflexion, je me suis procuré la version originale des Troyennes, issues de l’intégrale des pièces d'Euripide proposée par les Belles Lettres, publiée en 1990 (qui semble être le fac-similé d’une édition de 1925, texte établi et traduit par H. Grégoire et L. Parmentier (http://lesbelleslettres.com/livre/…).
En comparant la version originale et celle de Sartre, je note les points suivants:
- Sartre a respecté scrupuleusement la structure de la pièce d’Euripide. Les successions des scènes et les face-à-face des personnages sont identiques. Seule différence notable: dans son adaptation Sartre clôt la pièce par un monologue de Poséidon.
- Les indications scéniques chez Euripide sont très factuelles ("Athéna quitte la scène"), chez Sarte elles sont régulièrement enrichies par des précisions sur les sentiments des personnages (ainsi Poséidon à Athéna: "Il se reprend, ironique", ou Hécube, à Andromaque: "sans amitié").
- Sartre a gardé les composantes traditionnelles des tragédies grecques, c'est à dire le chœur et le coryphée (chef de chœur qui dialogue directement avec les personnages), mais limitant leur intervention. Dans la scène III, il fait en outre intervenir une ou deux troyennes qui se détachent du choeur.
- La prose et les tournures de Sarte sont plus directes, plus simplifiées que chez Euripide, dont le texte, présentant une langue plus solennelle, plus cérémonieuse, avec beaucoup de référence aux mythes et aux légendes grecques, se révèle être une lecture plus exigeante, demandant plus de concentration.
- Exemple: l'imprécation vengeresse de Poséidon chez Euripide:
Insensé le mortel qui détruit les cités et livre à l'abandon les temples et les tombes, asiles saints des morts: sa perte d'ensuivra.
devient chez Sartre:
À présent vous allez payer
Faites la guerre, mortels imbéciles
Ravagez les champs et les villes
Violez les temples, les tombes et torturez les vaincus
vous en crèverez tous !
- Pour conclure: malgré une volonté simplificatrice de Sartre je trouve que c’est un beau tour de force de sa part que d’avoir modernisé le texte d’Euripide tout en gardant sa puissance, sa structure et son esprit. Le texte d’Euripide, quoique moins facile d’accès, présente ou une deux scènes (je pense notamment à la plaidoirie d’Hélène et à Hécuble pleurant la mort d'Astyanax) sont peut-être encore plus marquante et émouvante que leurs équivalentes chez Sartre.
En comparant la version originale et celle de Sartre, je note les points suivants:
- Sartre a respecté scrupuleusement la structure de la pièce d’Euripide. Les successions des scènes et les face-à-face des personnages sont identiques. Seule différence notable: dans son adaptation Sartre clôt la pièce par un monologue de Poséidon.
- Les indications scéniques chez Euripide sont très factuelles ("Athéna quitte la scène"), chez Sarte elles sont régulièrement enrichies par des précisions sur les sentiments des personnages (ainsi Poséidon à Athéna: "Il se reprend, ironique", ou Hécube, à Andromaque: "sans amitié").
- Sartre a gardé les composantes traditionnelles des tragédies grecques, c'est à dire le chœur et le coryphée (chef de chœur qui dialogue directement avec les personnages), mais limitant leur intervention. Dans la scène III, il fait en outre intervenir une ou deux troyennes qui se détachent du choeur.
- La prose et les tournures de Sarte sont plus directes, plus simplifiées que chez Euripide, dont le texte, présentant une langue plus solennelle, plus cérémonieuse, avec beaucoup de référence aux mythes et aux légendes grecques, se révèle être une lecture plus exigeante, demandant plus de concentration.
- Exemple: l'imprécation vengeresse de Poséidon chez Euripide:
Insensé le mortel qui détruit les cités et livre à l'abandon les temples et les tombes, asiles saints des morts: sa perte d'ensuivra.
devient chez Sartre:
À présent vous allez payer
Faites la guerre, mortels imbéciles
Ravagez les champs et les villes
Violez les temples, les tombes et torturez les vaincus
vous en crèverez tous !
- Pour conclure: malgré une volonté simplificatrice de Sartre je trouve que c’est un beau tour de force de sa part que d’avoir modernisé le texte d’Euripide tout en gardant sa puissance, sa structure et son esprit. Le texte d’Euripide, quoique moins facile d’accès, présente ou une deux scènes (je pense notamment à la plaidoirie d’Hélène et à Hécuble pleurant la mort d'Astyanax) sont peut-être encore plus marquante et émouvante que leurs équivalentes chez Sartre.
Sartre a également adapté la pièce d'Alexandre Dumas, "Kean ou désordre et génie", qui fut jouée par Pierre Brasseur.
Camus a bien adapté Lope de Vega ("Le chevalier d'Almedo") et Calderon de La Vega ("La dévotion à la croix").
Enfin, n'oublions pas que tous les grands mythes et pièces de théâtre antiques ont été de multiples fois repris et réécrits pour un public contemporain (voir Racine au XVIIème, Giraudoux, Cocteau, O'Neill et bien d'autres au XXème). N'importe qui peut s'en emparer, car les thèmes sont de tous les temps.
Je viens de lire, en poésie, "L'Antigone manquée" de Catherine Baptiste, un petit bijou que je chroniquerai prochainement...
Camus a bien adapté Lope de Vega ("Le chevalier d'Almedo") et Calderon de La Vega ("La dévotion à la croix").
Enfin, n'oublions pas que tous les grands mythes et pièces de théâtre antiques ont été de multiples fois repris et réécrits pour un public contemporain (voir Racine au XVIIème, Giraudoux, Cocteau, O'Neill et bien d'autres au XXème). N'importe qui peut s'en emparer, car les thèmes sont de tous les temps.
Je viens de lire, en poésie, "L'Antigone manquée" de Catherine Baptiste, un petit bijou que je chroniquerai prochainement...
Merci pour ces précisions Cyclo, je ne connaissais pas les adaptations de Sartre et de Camus que tu cites !
Par rapport à ce que tu dis, ne faut-il pas cependant bien distinguer les adaptations où l'auteur d'origine est crédité plus ou moins de façon importante (cas des "Troyennes" ou de "Kean" de Sartre, ou les pièces de Camus que tu cites) des œuvres entièrement réécrites comme par exemple l'Antigone de Giraudoux. La démarche en effet ne me semble pas tout à fait la même.
Par rapport à ce que tu dis, ne faut-il pas cependant bien distinguer les adaptations où l'auteur d'origine est crédité plus ou moins de façon importante (cas des "Troyennes" ou de "Kean" de Sartre, ou les pièces de Camus que tu cites) des œuvres entièrement réécrites comme par exemple l'Antigone de Giraudoux. La démarche en effet ne me semble pas tout à fait la même.
Certes, s'emparer d'un mythe déjà traité au théâtre peut conduire à faire autre chose. Reconnaissons que beaucoup de grands textes de l'Antiquité ont été revisités, souvent par les plus grands (encore récemment Henry Bauchau). Mais c'est pareil pour des mythes plus récents : Faust, Don Juan et leurs innombrables relectures et réécritures. La puissance du mythe est bien de devenir de tous les temps !
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