Le rire de l'ogre de Pierre Péju
Catégorie(s) : Littérature => Francophone
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Les infinis recommencements du mal
Eté 1963, Paul Marleau, un jeune Français, séjourne chez son correspondant, dans la petite ville allemande de Kehlstein, en vue d'améliorer sa connaissance de la langue de Goethe. Et peut-être avec l'espoir plus secret qu'une meilleure connaissance de la culture des ennemis d'hier permettra d'éviter à l'avenir une répétition des horreurs de la seconde guerre mondiale. A première vue, Kehlstein semble être l'endroit idéal pour laisser s'épanouir de tels espoirs. Epargnée par les bombardements, la ville s'est empressée de tourner la page sur ces années noires dès que la paix est revenue: "Comme ce doit être bon de se laisser aller à ce qui vient, de jouir d'une grande paix innocente. Rien derrière soi: il ne s'est rien passé! Et mille occasions de plaisirs devant soi. Le monde est à nous! Du soleil par-dessus le marché. Logique de paix. Logique heureuse." Mais...
Mais le jeune Paul n'ignore rien "des bombes silencieuses, ni du malheur coulant sous les jours tranquilles comme un ruisseau coulant sous la neige", lui dont le père est mort assassiné deux ans auparavant, victime d'un règlement de comptes vraisemblablement lié à ses activités dans la Résistance pendant la guerre. Et c'est peut-être bien cette conscience du "malheur à retardement" qui le rapproche de Clara Lafontaine, la fille du médecin de Kehlstein, une adolescente étrange, très solitaire, et qui semble percevoir le monde exclusivement à travers l'objectif de son appareil photo. Clara qui sait elle aussi, comment la violence endormie des crimes de guerre peut un jour ressurgir et métamorphoser un paisible père de famille en meurtrier.
Pierre Péju retrace dans "Le rire de l'ogre" les vies de Paul et de Clara. Leurs métiers: Paul deviendra sculpteur et Clara photographe et journaliste, écumant les zones de conflits armés. Et les rencontres qui les marqueront: Max Kunz, vétéran de la guerre d'Algérie et professeur de Philosophie, et Jeanne, l'infirmière au sourire lumineux qui vint au secours de Paul, blessé pendant les événements de Mai 68. A travers le destin de ses personnages, Pierre Péju nous livre une réflexion toute en nuances sur les infinis recommencements du mal, sa présence permanente en chacun de nous, et sur les fragiles remparts que nous pouvons lui opposer. L'art pour dompter les fantômes. La vision du photographe qui lutte contre l'oubli et l'ignorance. L'énergie lumineuse avec laquelle Jeanne s'engage chaque jour pour soulager un peu de souffrance.
"Le rire de l'ogre" s'articule en deux parties bien distinctes. La première est tout entière imprégnée par la douceur ombreuse des contes romantiques allemands, la délicatesse avec laquelle ils évoquent nos peurs les plus secrètes. La seconde, plus âpre, dans le corps-à-corps de Paul avec la pierre, dans son coeur-à-coeur avec les paysages du Vercors, est un discret hommage à Jean Giono et à son magnifique "Roi sans divertissement", "la nuit, cette cruauté sans visage qu'[il] a tenté d'écrire, le sang sur la neige, le silence blanc, le crime, la banalité du mal...". Mais malgré le changement d'atmosphère, Pierre Péju conserve tout du long la même qualité d'écriture qui faisait la beauté de "La petite Chartreuse": une écriture fine, sensible mais qui n'hésite pas à tracer son trait là où ça fait mal, sans trembler.
Un très beau livre, d'ombres et de lumières.
Les éditions
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Le rire de l'ogre [Texte imprimé], roman Pierre Péju
de Péju, Pierre
Gallimard / BLANCHE
ISBN : 9782070775446 ; 13,50 € ; 22/08/2005 ; 307 p. ; Broché
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Les critiques éclairs (6)
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De l'influence du passé sur nos vies...
Critique de Lindy (Toulouse, Inscrite le 28 mai 2006, 46 ans) - 18 janvier 2008
Chacun va essayer de se construire, malgré un contexte familial difficile et qu'on leur à très peu dévoilé (un père assassiné pour l'un et des parents ravagés par la guerre pour l'autre) avec en toile de fond une réflexion sur l'art et sur la vie.
Au contraire de "la petite Chartreuse" du même auteur, que je n'avais particulièrement pas aimé, ce roman m'a bouleversée.
Je reconnais en effet qu’il y a certaines longueurs, notamment dans la seconde partie mais la fluidité du texte permet de diluer ce sentiment de lassitude. Même les descriptions des sensations du personnage par rapport à la sculpture, - domaine que je ne connais pas - m’ont intéressée dans la mesure où ces précisions sont essentiellement basées sur la relation physique que Paul a avec sa passion, un véritable corps à corps avec la matière. Rien n’est superflu et tout est au service de cette histoire liée à la recherche perpétuelle de son identité profonde par le personnage principal.
Un livre sombre
Critique de Lolita (Bormes les mimosas, Inscrite le 11 décembre 2001, 38 ans) - 26 juillet 2007
Cependant, à la seconde moitié du livre, on s'essouffle, on ne comprend pas toujours où veut en venir l'auteur. C'est parfois un peu longuet et on ne retrouve les toutes premières émotions de la première partie de ce roman. C'est dommage, je ne suis pas entrée dans l'univers de la sculpture au côté de Paul.
Ce livre reste quand même un ouvrage que je conseillerai de lire car il est détonant, le style est fluide et simple. Un roman certes très grave mais superbe.
Une leçon à tirer
Critique de Franaud (, Inscrite le 23 mars 2004, 49 ans) - 16 novembre 2006
une ambiance lugubre
Critique de Pascale Ew. (, Inscrite le 8 septembre 2006, 57 ans) - 8 septembre 2006
On dit que la mélancolie est fille de Satan.
Critique de Rat noir (, Inscrit le 14 août 2004, 40 ans) - 6 août 2006
Cependant, le récit est très inégal. Si la première partie est engageante, avec les horreurs de la guerre, les massacres et la névrose qui guette les anciens combattants, la seconde peine à décoller, malgré quelques révélations sur le passé de Paul. On suit la vie de cet artiste en herbe, qui s'est emmuré dans ce qu'on a vraiment l'impression d'être une "forteresse Vercors". Sa vie, bien que marquée par les tourments de son âme, est un long fleuve tranquille, presque banal. On a peu d'occasion de voir Clara (elle refait surface tous les dix ou quinze ans) , qui, elle, le traque directement.
Péju voulait faire un livre sur le mal mais à force de prendre des chemins détournés pour ne le voir que de façon indirecte, on finit par s'ennuyer. Le printemps de Prague, le conflit israélo-palestinien, la guerre du vietnam, pourtant autant d'occasions de le voir à l'action, sont à peine effleurés. Quant au conte qui sert de prologue - et d'épilogue - , on a du mal à comprendre ce qu'il veut dire.
Je passe sur les deux derniers chapîtres, où la mélancolie dégouline vraiment, et qui ont dû donner à pas mal de lecteurs l'envie de s'envoyer en l'air pour de bon. Un conseil : ne lisez surtout pas ce livre en plein été.
Une page d'histoire
Critique de Aria (Paris, Inscrite le 20 juin 2005, - ans) - 4 février 2006
Le conte, « Le rire de l’ogre », peut-être inventé par l’auteur, qui constitue le prologue du livre, laissait présager d’un roman sur l’enfance. Il est explicité, de façon assez brutale, dans la première partie du livre. Le narrateur, Paul Marleau, y raconte son séjour d’un mois en Bavière, dans la petite ville de Kehlstein, lorsqu’il avait seize ans. C’est la première fois qu’il quitte sa mère et qu’il est confronté à une culture étrangère. Il a perdu son père, assassiné en plein Paris, lorsqu’il avait douze ans et toute sa personnalité semble se construire autour de ce grand vide.
Pendant un mois de vacances, il va suivre son correspondant allemand sans grand enthousiasme mais sa vie va changer après sa rencontre avec la fille du médecin de Kehlstein, Clara, qui exerce une véritable fascination sur lui. Clara est une étrange jeune fille qui met toujours un objectif (d’appareil photo ou de caméra) entre elle et le monde.
Ce récit de vacances est entrecoupé de paragraphes à la fois très durs et très émouvants sur les terribles massacres de Juifs auxquels se sont livrés les SS en Ukraine pendant l’été 41. Le père de Clara et l’un de ses amis, alors dans la Wehrmacht, y ont assisté, impuissants, et cela va les poursuivre longtemps. Cette première partie m’a paru, de loin, la plus réussie.
La deuxième partie couvre le reste de la vie de Paul (jusqu’en 2037 !). Le jeune homme, qui avait le dessin pour passion, devient sculpteur. Cette partie est assez inégale. La vie de Paul étudiant m’a intéressée, (les quelques pages sur mai 68 sont très bien vues) mais je ne suis pas entrée dans le monde de la sculpture…
Péju dit des choses que beaucoup ont oubliées comme les sentiments mêlés que pouvaient ressentir Français et Allemands les uns envers les autres quinze ans après la fin de la guerre.
Mais j’ai presque l’impression que l’auteur a voulu traiter trop de sujets à la fois. Certes la plupart des thèmes sont abordés avec émotion : la culpabilité, l’amour, l’impossibilité pour certains êtres de vivre ensemble. Son « entrée en sculpture » est une belle histoire d’amitié.
Comme le récit, le style, excellent dans la grande majorité du récit, m’a semblé inégal : il est parfois presque lourd, pompeux, ce qui étonne par rapport à la fluidité du reste du texte.
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