Dostoïevski, mémoires d'une vie de Jacques Catteau, Anna Grigorʹevna Dostoevskaâ

Dostoïevski, mémoires d'une vie de Jacques Catteau, Anna Grigorʹevna Dostoevskaâ

Catégorie(s) : Littérature => Biographies, chroniques et correspondances

Critiqué par Saint-Germain-des-Prés, le 12 août 2005 (Liernu, Inscrite le 1 avril 2001, 56 ans)
La note : 9 étoiles
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Dostoïevski, l’homme...

A 45 ans, Dostoïevski est tombé dans le piège que lui a tendu son éditeur, escroc sans pitié : il a un mois pour lui remettre le manuscrit de son prochain livre. Dostoïevski cherche alors à engager un ou une sténographe pour accélérer son rythme d’écriture. C’est ainsi qu’Anna Grigorievna, alors âgée de vingt ans, rencontre Dostoïevski. Intimidée par la notoriété de l’écrivain et par sa réputation d’ours, Anna met un point d’honneur à donner d’elle une image sérieuse, consciencieuse. Dostoïevski finit par remarquer la jeune fille derrière l’employée et, après un mois de travail en commun, lui demande de l’épouser. Anna sait que leur vie ne sera pas facile. Dostoïevski est criblé de dettes et sa santé est mauvaise : il est régulièrement en incapacité de faire quoi que ce soit à cause de crises d’épilepsie, aussi impressionnantes que graves. Amoureuse, elle accepte néanmoins de l’épouser.

S’en suivront quatorze années de vie commune décrites minutieusement par Anna. Nous n’apprendrons malheureusement pas grand chose sur l’oeuvre littéraire de Dostoïevski. Par contre, les multiples détails de la vie quotidienne nous donnent accès à l’homme, tout simplement.
A propos du volet « écrivain », Anna explique sans fausse pudeur que leur situation financière désastreuse forçait Dostoïevski à enchaîner les livres sans avoir l’occasion de les laisser mûrir en lui, ni de revenir sur un texte pour le corriger. Ce qui était pondu la nuit (il aimait le calme pour créer), était dicté à sa femme le lendemain, au début de l’après-midi et ensuite retranscrit du texte sténographié en russe le soir-même. Bref, un rythme soutenu, pas le temps de revenir sur un passage ou l’autre. « C’était alors chez lui un vrai chagrin, un chagrin d’artiste qui voyait clairement où et comment il s’était trompé, et qui n’avait pas la possibilité de réparer la moindre erreur ; malheureusement, il n’eut jamais l’occasion de le faire ! Il fallait de l’argent pour vivre, pour payer les dettes ; pour cette raison, malgré la maladie, et quelquefois le lendemain d’une crise, il était nécessaire de travailler, de se hâter, sans même revoir le texte écrit, pourvu que celui-ci pût être remis le jour fixé et rapporter le plus vite possible l’argent qu’on en attendait. »

Et d’argent, ils en avaient besoin. Entrons dans la sphère plus privée : Dostoïevski et sa femme ont eu quatre enfants. Le premier est mort à quelques mois. Anna évoque brièvement sa propre souffrance mais s’attarde plus longuement sur celle de Dostoïevski : il est anéanti. Trois autres enfants suivront (l’un d’entre eux mourra également) et feront le bonheur de leur papa, un Dostoïevski qui fait passer ses enfants avant tout, qui les vénère, qui les protège, qui joue avec eux. J’en veux pour preuve cette anecdote où l’on s’étonne de voir Dostoïevski traverser la ville de long en large à la recherche d’une vache brune. On le croit devenu fou, lorsqu’Anna explique : « Vous ignorez, cher Monsieur, que Fiodor Mikhaïlovitch n’est pas seulement un écrivain de talent ; c’est aussi un tendre père de famille pour lequel tout ce qui se passe dans la maison a une grande signification. Si donc notre vache n’était pas rentrée hier au soir, nos enfants, et particulièrement le plus petit, seraient restés sans lait, ou bien ils auraient eu celui d’une vache inconnue et peut-être malade, voilà pourquoi mon mari est parti à sa recherche ! » Et il ne faut pas compter sur le jeu, auquel Dostoïevski est accro, pour agrémenter le quotidien. Au contraire, il y perd de grosses sommes. Il faudra attendre une cuisante déconvenue pour lui faire prendre la décision d’arrêter définitivement le jeu. Et il s’y tiendra.

Je laisse encore la parole à Anna qui nous aide à comprendre le caractère de Dostoïevski. Dans ce passage, on voit également à quel point elle l’aimait. « Mon cher mari, dis-je avec enthousiasme, représente l’idéal d’un homme. Toutes les hautes qualités morales et spirituelles qui peuvent orner un être, il les avait au plus haut degré. Il était bon, généreux, charitable, juste, désintéressé, délicat, compatissant comme personne. Et sa simplicité, sa sincérité incorruptibles, qui lui ont valu tant d’ennemis ! Y a-t-il une seule personne qui soit sortie de chez lui sans avoir reçu un conseil, une consolation, une aide sous une forme ou sous une autre ? Il est vrai que lorsqu’on le dérangeait, encore souffrant, après une crise, ou pendant un travail sérieux, il était morose, mais cette sévérité faisait aussitôt place à la bonté, s’il voyait que la personne qui s’approchait de lui avait besoin de son secours. (...) »
Cette bonté, cette générosité lui joueront bien des tours : certains vont tout bonnement l’arnaquer, aggravant encore sa situation financière.

La mort de Dostoïevski, rapportée avec autant de précision que le reste, est assez poignante. Atteint d’emphysème, il décède d’une hémorragie pulmonaire. Son enterrement fut grandiose, suivi par plusieurs dizaines de milliers de personnes. Même ses ennemis littéraires lui rendront hommage.

La valeur de ce témoignage n’est pas à chercher dans le style, le livre n’est pas particulièrement bien écrit. Le but d’Anna ne se situait pas au niveau de la qualité littéraire. Par contre, nous pouvons lui être reconnaissants de nous avoir fait rencontrer Dostoïevski, l’homme, de nous avoir donné accès à sa vie quotidienne, d’avoir élargi notre compréhension du personnage. J’admirais l’écrivain, je respecte à présent l’homme...

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