Le Docteur Faustus de Thomas Mann
( Doktor Faustus)
Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone
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La pure musique!
Le Dr Faustus de Thomas Mann est l'un des trois grands chef d'oeuvre du maitre allemand. Moins connu que "la Montagne Magique" et les "Buddenbrook", il n'en est pourtant pas moins intéressant, au contraire, ce tout dernier roman est la consécration de toute l'oeuvre de Thomas Mann, où sa maturité d'écrivain est conjuguée avec une plume brûlante purement allemande. Ce livre est la biographie d'un compositeur de génie, Adrian Leverkuhn, faite par son plus proche ami. On y apprend le parcours depuis l'enfance de ce génie hors norme, qui, grâce à une grande intelligence et une âme torturée, est l'incarnation du talent et de la création, thèmes chers à Thomas Mann. Adrian est clairement l'une des plus belles représentations du surhomme Nietzschéen, où la création y est montrée comme force libératrice. La profondeur de certains passages est à couper le souffle, notamment les discours sur la musique, et une fièvre constante atteint le spectateur que nous sommes durant la lecture. Certains passages où le vieil allemand est utilisé (remplacé logiquement par le vieux français dans la traduction) sont des sommets de la littérature mondiale, comme l'ensemble de ce livre d'ailleurs. Pour vous donner une idée du monument, il est utile de le lire au moins deux fois, non pas pour saisir toute la richesse du roman, mais pour au moins aller encore plus loin dans la réflexion (Non, ce n'est pas vraiment un livre à lire sur le plage ou pour se détendre)...
Les éditions
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Le Docteur Faustus [Texte imprimé], la vie du compositeur allemand Adrian Leverkühn racontée par un ami Thomas Mann traduit de l'allemand par Louise Servicen ; préface de Michel Tournier,...
de Mann, Thomas Tournier, Michel (Autre) Servicen, Louise (Autre)
le Livre de poche / Le Livre de poche.
ISBN : 9782253031550 ; 8,90 € ; 07/01/2004 ; 665 p. ; Poche
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Le roman de la tentation diabolique
Critique de Cyclo (Bordeaux, Inscrit le 18 avril 2008, 78 ans) - 18 décembre 2013
La vie d’Adrian Leverkühn est racontée par son ami d’enfance Serenus Zeitblom : celui-ci commence la rédaction du récit en 1943 et la termine en 1945, dans l’effondrement du nazisme et l’apocalypse. L’auteur met en parallèle la destinée de ce musicien exceptionnel modelé sur le personnage mythique de Faust, qui vendit son âme au diable en échange de la connaissance, et le destin de l’Allemagne, qui semble à partir des années 20 elle aussi possédée du démon. Le narrateur et biographe rassemble dans un ordre savamment confus des éléments divers : événements qu’ils ont vécu ensemble ou dont il n’a eu qu’une connaissance indirecte, souvenirs d’enfance et de jeunesse, idées générales, musicologie, qui reliés entre eux, forme une toile tissant une vie tragique.
Sans doute l’auteur s’est-il inspiré de la vie de musiciens réels pour composer son Adrian (Mozart, Beethoven, Berg), de la philosophie d’Adorno, et de la musique dodécaphonique de Schoenberg (celui-ci protesta d’ailleurs et Thomas Mann dut faire une mise au point qui figure en fin de volume) pour exposer l’œuvre imaginaire d’Adrian. On peut aussi y voir un lointain écho du "Jean-Christophe" de Romain Rolland, cet hymne à la musique et à la fraternité. Mais entre-temps, les deux guerres mondiales étaient passées et le relatif optimisme européen de Romain Rolland n’étant plus de mise, Thomas Mann dresse plutôt un portrait sombre de la décadence intellectuelle de l’Allemagne, qui a basculé de l’humanisme vers sa négation, en même temps que le héros se corrompt avec le temps et sombre dans une sorte de délire, alors même qu’il ne crée plus de nouvelle œuvre depuis une décade.
Le narrateur et historiographe, lucide, s’inquiète à la fois de la manière dont l’Allemagne se livre à ses démons (il démissionne de l’enseignement) et de la façon dont son ami musicien se dégrade peu à peu jusqu’à ne plus pouvoir composer. Il y a aussi tout un aspect métaphysique dans le livre, car Adrian aussi bien que le narrateur ont fait tous deux des études de théologie. Mais Adrian, ambitieux, et menacé de stérilité artistique, préfère pactiser avec le diable, prix à payer pour avoir l’inspiration et l’illumination créatrice, la condensation géniale qui éloigne le créateur de l’excès de réflexion qui peut le stériliser : le chapitre central nous transcrit cette rencontre qui a lieu dans un froid glacial. Et le Diable ( ?) lui dit : « L’amour t’est interdit parce qu’il réchauffe. Ta vie devra être frigide. Voilà pourquoi il ne t’est pas permis d’aimer un être humain. L’illumination laissera intactes jusqu’à la fin tes forces intellectuelles, même elle les stimulera par périodes jusqu’à la transe clairvoyante. Crois-tu à un génie qui n’ait rien de commun avec les Enfers ? L’artiste est frère du dément et du criminel. » La maladie (syphilis, qu’il contracte en toute connaissance de cause auprès d’une prostituée, selon le pacte avec le Diable) qui lui procure des migraines atroces et le tient confiné dans l’obscurité pendant des jours et des jours, avant de le faire sombrer dans la folie, est aussi ce qui exacerbe sa créativité, notamment deux oratorios, une Apocalypse et le Chant de douleur du docteur Faustus.
Dans ce roman, Thomas Mann, en exil aux USA, dresse un portrait moral de l’Empire allemand et de l’Allemagne de Weimar, avec la montée des idéologies barbares, en même temps qu’il développe la mise en place de la création artistique par un être exceptionnel. Le narrateur, qui a choisi la voie bourgeoise (professorat, mariage) observe avec précision et effroi la vie de son ami, tout en étant épouvanté par le destin de l’Allemagne, dont la nouvelle idéologie lui répugne. Il est limité par son humanisme bourgeois (portrait de l’auteur lui-même), aussi peu capable de comprendre l’esprit démesuré du compositeur que de se battre contre le nazisme. Tandis que Adrian, lui, reste totalement étranger au cataclysme qui se trame, dont il ne perçoit qu’un écho lointain, tout à ses compositions musicales, puis à son silence, après la mort d’un enfant angélique, son neveu chéri.
Le roman est en fait une sorte de fourre-tout encyclopédique, extrêmement touffu, développant des aperçus sur l’histoire, la théologie, la philosophie, et, bien sûr, surtout sur la musique. Dans ce dernier domaine, il est certain que bien des pages échappent au faible connaisseur que je suis, même si en tant que lecteur, je suis resté fasciné par les nombreuses pages traitant des accords, de l’harmonie, du contrepoint, de la construction musicale. J’apprécie toutefois des notations comme celle-ci, que dit Adrian à moment donné : « La musique oscille entre la débauche et la règle conventuelle. » Comme la vie ?
C’est donc un livre à lire lentement, car il faut se placer à la hauteur de vue de l’auteur, de son immense érudition et de la complexité du livre. Mais, nous rappelle Thomas Mann : « seul l’art pouvait donner du poids à une vie que, sinon, la facilité réduirait à un mortel ennui. »
De la douleur d'être un Allemand alors que son pays agresse le monde
Critique de Francois Sarindar (, Inscrit le 9 août 2011, 67 ans) - 8 décembre 2012
La musique de la Nouvelle École de Vienne est novatrice mais elle côtoie aussi les ténèbres, elle a des angles aigus comme aucune autre, elle pousse plus loin que Mahler la rupture avec le romantisme pur et la pure"beauté sonore", et le personnage central du roman, l'artiste dont la création nous est ici décrite avec profondeur comme celle d'un compositeur qui aurait vraiment vécu, n'est pas comme ses contemporains un artiste juif mais un Allemand, fier de ses origines, et porteur de toute une tradition, propice à l'éclosion de talents et révélatrice de toute une série de musiciens géniaux. Sauf que celui-ci, Adrian, n'arrive pas au meilleur moment, mais en une époque sombre et dure, où l'Allemagne se livre corps et âme à l'esprit du mal (et c'est l'époque du nazisme qui nous est décrite ici, et le Docteur Faustus est un roman que Mann a écrit durant sa période d'exil). Dans ce contexte, l'artiste, s'il ne rompt pas avec le pouvoir (et donc avec le pouvoir maléfique d'hommes qui ont renoncé à la tradition humaniste), ne peut que se compromettre, et compromettre sa musique avec lui, et de fait Adrian étouffe en lui la voix de sa conscience pour ne faire valoir que son talent musical et sa capacité créatrice en dépassant et repoussant les limites dans une inventivité permanente, par une sorte de pacte avec les forces du mal, comme si l'art pouvait composer avec elles. Tout ce qui avait troublé les Allemands quand ils découvrirent la musique de Wagner et s'enthousiasmèrent pour elle est venu se cristalliser dans ce roman de Thomas Mann.
De la douleur et de la fierté d'être un Allemand alors que l'Allemagne entraîne le monde dans la tourmente et l'horreur, voilà qui permit à Thomas Mann de connaître deux vies en une, et de marquer ses distances avec le nationalisme allemand après l'avoir tant exalté pendant le Premier Conflit mondial.
Un magnifique roman. Pas comme les autres.
François Sarindar
Quête vers la perfection
Critique de Fa (La Louvière, Inscrit le 9 décembre 2004, 49 ans) - 18 février 2010
D'une profondeur inouïe, souvent difficile, d'une luminosité éclatante, ce roman reste une des oeuvres les plus abouties d'un écrivain majeur du XXème siècle.
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