Kaputt de Curzio Malaparte
( Kaputt)
Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone
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Un grand classique du XXème siècle
Curzio Malaparte est un des plus grands écrivains du XXème siècle. Il est Italien ; né à Florence en 1898.
C'était un homme de conviction : il a été le premier écrivain à s'élever contre le fascisme en Italie et ailleurs en Europe dès 1931 avec son livre "La technique du coup d'état" ; cette publication lui valut cinq années de déportation et l'inimitié farouche de Mussolini qui ne lui pardonnera jamais. En 1941 il se trouve sur le front russe comme correspondant de guerre et c'est là qu'il rédige son Kaputt qui paraîtra sous le manteau en 1943.
A la fin de la guerre, dans les années cinquante, Malaparte était un personnage mythique, un peu comme l'était Hemingway, et son Kaputt était aussi célébré que ne l'était Le Vieil Homme et la Mer, si pas plus. L'auteur y révèle les horreurs de la guerre dont il a été le témoin. Comme il le dira lui-même, son Kaputt est un livre horriblement cruel et gai.
Le mot "kaputt" est un mot allemand qui désigne, avec une connotation très fataliste, ce qui est détruit, brisé, anéanti. Pour Malaparte c'est le mot qui convenait le mieux à l'Europe au sortir de cette guerre. Mais il préférait cette Europe "kaputt" qui renaîtrait d'un amoncellement de débris, à cette Europe gangrenée par le fascisme depuis les années trente. Son livre Kaputt est la dénonciation impitoyable de ce fascisme ; il se compose de six parties de 50 à 100 pages, qui peuvent se lire indépendamment les unes des autres mais qui brodent toutes sur ce même thème.
Ce livre est un enchantement : gaieté cruelle, certes, mais aussi raffinement et régal d'érudition. Malaparte y raconte, et probablement invente et embellit, ses rencontres pendant la guerre dans l'Europe de l'Est avec les dignitaires du régime nazi, les aristocrates déchus, les gouverneurs des provinces, les ministres et autres seigneurs de la guerre. Ca nous vaut des descriptions de personnages d'une acuité cinglante et lucide ; ça nous vaut aussi des comptes rendus de conversations mondaines qui se tiennent dans les banquets et les soirées de gala où notre reporter est l'invité d'honneur et qui sont des régal d'humour, d'ironie féroce, et de fines observations psychologiques.
Malaparte y tient le beau rôle, il a tout vu et il raconte : il a vu les villages de Russie incendiés pour éclairer le passage des troupes, il a vu les ghettos de Varsovie et de Cracovie, il a vu des scènes de cannibalisme semblables à des curées bref, il a vu la guerre dans ce qu'elle a de pire. Et il prend un malin plaisir à raconter tout ça, sur le ton de la conversation mondaine, aux dames de la nouvelle aristocratie de la "race des seigneurs".
C'est un livre d'une lucidité hallucinante et par moment surréaliste. Le tout est écrit dans un style raffiné, qui rappelle parfois Chateaubriand tant l'écriture est belle et précise. J'ai rarement lu des reportages de faits de guerre, aussi bien racontés, avec autant d'humanité et de compassion retenue, que dans ce Kaputt.
Malaparte a été un témoin impitoyable de son temps, un philosophe lucide, un grand humaniste épris de liberté. Il fut aussi, selon moi, un des plus grands écrivains classiques de tous les temps.
Les éditions
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Kaputt... [Texte imprimé] Curzio Malaparte traduit de l'italien par Juliette Bertrand
de Malaparte, Curzio Bertrand, Juliette (Traducteur)
Gallimard / Collection Folio.
ISBN : 9782070362370 ; 9,70 € ; 26/10/1972 ; 510 p. ; Poche
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Les critiques éclairs (8)
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Kopparoth !
Critique de Lafcadio_ (, Inscrit le 13 septembre 2014, 35 ans) - 19 octobre 2014
Témoin privilégié de la seconde grande guerre en sa qualité de correspondant pour l’Italie fasciste de Mussolini bien qu’il soit critique envers elle, Malaparte nous livre des anecdotes de deux types.
D’un côté, nous assistons aux pires horreurs que la guerre peut créer ; de la façon dont sont traités les prisonniers aux bombardements dévastant des villes et des populations ou aux tragédies que les ghettos ont engendrées. C’est aussi lors de descriptions des moments passés avec des gens simples, continuant à vivre alors que tout s’écroule, que le récit devient touchant.
D’autre part, nous sommes témoins des dîners somptueux, des beuveries et des idées décadentes de la haute société de l’époque où l’auteur évolue malgré lui mais pourtant avec beaucoup d’aisance, pratiquant une ironie féroce, que ce soit lors de dialogues avec des dignitaires du 3ème Reich, ou de simples cancans d’aristocrates dont la chute fait écho à celle de l’Europe toute entière.
Car oui, Malaparte a pour but de montrer ce continent brisé, réduit en miette par la guerre, cet amoncellement de débris qu’il est dorénavant.
Six parties portant le nom d’animaux (les chevaux, les rats, les chiens, les oiseaux, les rennes et les mouches) vont nous entraîner dans ces histoires où l’homme fait preuve de bestialité mais où les bêtes auront des accents de noblesse, le tout à chaque fois magnifié par l’écriture ciselée et fluide de l’auteur qui nous prévient avoir voulu un texte cruel et gai. Si bien sûr certains des faits rapportés sont enjolivés, le talent de l’auteur le justifie en nous offrant des fulgurances poétiques, de la beauté et surtout de la grande littérature. Lorsque le dernier chapitre se termine comme une des apothéoses jalonnant le texte, l’envie de reprendre la lecture d’autres passages se fait irrésistiblement sentir ; la force d’évocation de ce qui est l’un des plus grands témoignages de ce monde « Kaputt » imprègne notre mémoire.
« Tout ce que l’Europe a de noble, de fin, de pur, meurt. Le cheval c’est notre patrie. Vous comprenez ce que je veux dire par cela. Notre patrie meurt, notre ancienne patrie. Et toutes les images obsédantes, cette continuelle idée fixe des hennissements, de l’odeur affreuse et triste des chevaux morts, renversés sur les routes de la guerre, ne vous semble-t-il pas qu’elles répondent aux images de la guerre : à notre voix, à votre odeur, à l’odeur de l’Europe morte ? »
Lyrisme et horreur
Critique de Pacmann (Tamise, Inscrit le 2 février 2012, 59 ans) - 3 janvier 2014
Au lyrisme de cet auteur, il faut souligner aussi sa capacité à évoquer sur le ton juste les affres innommables de ce conflit. Sans s’étendre sur des descriptions voyeuristes, colorant ses épisodes d’anecdotes mouillées de traits d’humour, Malaparte fut à la fois un visionnaire sur l’issue du conflit, mais aussi une « victime ».
En résumé, un livre fort, trop méconnu sans doute parce qu’il évoque essentiellement le conflit à l’Est, et qui devrait intéresser le lecteur attiré par les aspects politiques de la guerre 39-45.
formidable
Critique de Fabulan1968 (montpellier, Inscrit le 4 août 2010, 56 ans) - 7 mai 2011
A la différence des Bienveillantes de J. Littell où certains passages sont d'une cruauté absolue, Malaparte dépeint les horreurs de la guerre de façon totalement différente . Il y a de la légèreté ,du lyrisme, de la poésie chez Malaparte. La scène des têtes de chevaux gelées qui seules dépassent du lac glacé en est un parfait exemple.
A lire absolument
Epique, unique, horrible
Critique de Poignant (Poitiers, Inscrit le 2 août 2010, 58 ans) - 17 août 2010
Rarement le terme replonger a pris autant de sens au niveau lecture. Car « Kaputt » c'est tout un univers qui ne peut pas laisser indifférent.
Pour moi ce livre est un chef d'œuvre où des circonstances exceptionnellement horribles ont permis à un écrivain à la personnalité très particulière de transcender son talent.
Présentons l'auteur tout d'abord. Malaparte est tout en contradictions. Père allemand, mère italienne. Milieu de haute bourgeoisie, à l'aise dans la vie mondaine, mais fasciné par les humbles et les pauvres. Humaniste et esthète, cynique et égocentrique.
A 16 ans, en 1914, il s'enfuit de son collège italien pour s'engager dans la légion étrangère française. Héroïque, blessé, il finit la guerre officier à 20 ans.
Après la guerre, il se lance dans la diplomatie et côtoie tout le gratin mondain de l'époque.
Dans une Italie au bord du gouffre, il sympathise avec Mussolini et adhère au fascisme par idéalisme.
Devenu un intellectuel officiel, il se révolte contre la corruption des élites fascistes, multiplie les provocations littéraires et finit par être condamné à 5 ans de déportation.
Pendant la guerre 39-45, correspondant de guerre de luxe sur le front russe, bravant la censure et la Gestapo, il devient après la chute de Mussolini officier de liaison avec l'armée américaine.
Malaparte est un mélange de Céline, de Malraux, de Tintin et de chroniqueur mondain, qui sait avec ironie et humour assembler l'incongru et l'inhumain.
« Kaputt », ce sont ses tribulations de 1941 à 1943 en Ukraine, en Pologne, en Finlande, en Allemagne et dans les Balkans.
Il y raconte les massacres de juifs et de prisonniers russes, les soirées mondaines entre diplomates, le ghetto de Varsovie, les fêtes des dignitaires nazis, ses manœuvres d'opposant, des histoires sur des animaux, sa lâcheté, des rencontres avec de hautes personnalités criminelles.
Ecrit sur le front, rapatrié dans l'Italie post fasciste par des diplomates Espagnols et Roumains, ce livre a été publié en 1944 dans Naples libérée.
C'est un des premiers témoignages historiques écrits de la Shoah et des crimes nazis en Russie. Mais tout n'est pas exact. Malaparte a trop d'imagination pour ne pas affabuler.
C'est en revanche une vraie œuvre littéraire, récit d'aventures à la structure complexe où le grotesque côtoie l'anecdote et le cauchemar. Le style est classique, avec un ton poétique, surréaliste et baroque exceptionnel.
Bref, ce livre est immense. A lire tout en sachant que vous allez l'adorer ou le détester.
Un témoignage étonnant
Critique de Kyp (, Inscrit le 4 septembre 2009, 31 ans) - 6 septembre 2009
Un chef d'oeuvre !
Critique de Dirlandaise (Québec, Inscrite le 28 août 2004, 69 ans) - 17 avril 2008
Mais l'écriture de Curzio Malaparte est d'une beauté telle qu'il est difficile d'y résister. Dès les premières pages, j'ai su que j'avais entre les mains un livre exceptionnel et je me suis tout simplement régalée de cette belle écriture raffinée et poétique. Les descriptions sont tout simplement sublimes. L'auteur dépeint les scènes en jouant avec les couleurs et les ombres, les sons, les odeurs, enfin tout ce que les sens peuvent percevoir et apprécier.
De part son travail de correspondant de guerre, Curzio Malaparte a vu le meilleur et le pire de cette guerre qui a tant fait couler d'encre. Il raconte parfois des expériences pénibles, vécues sur le terrain, dans la misère et la crasse de la guerre de tranchée et un peu plus loin, il nous entraîne dans de belles réceptions de hauts fonctionnaires, à des tables débordantes de mets raffinés autour desquelles sont assises de belle dames richement parées et de messieurs tout ce qu'il y a de distingués dont les seules préoccupations sont les derniers potins croustillants de la haute bourgeoisie dont ils font partie.
Et l'auteur d'alterner et d'entraîner son lecteur du haut vers le bas et encore du bas vers le haut sans relâche. Un témoignage exceptionnel sur l'absurdité de la guerre et sur le contraste étonnant du destin de l'homme selon sa naissance et son rang dans la société. J'avoue avoir préféré les récits sur le terrain au longues discussions qui sont un peu trop nombreuses à mon goût.
J'ai été tout simplement éblouie par l'écriture de Malaparte. Le tout dernier chapitre du livre est fabuleux. Quelle force dans la description de Naples sous les bombes et de la fuite des habitants vers les abris. Je n'avais encore jamais lu rien de semblable, d'aussi hallucinant même dans les meilleurs livres de science-fiction qui me sont passés entre les mains.
Faut-il croire tout ce qui est relaté dans ce livre ? Je ne sais pas. L'épisode des chevaux de glace, j'ai peine à y croire. C'est beau mais est-ce réaliste ? J'en doute. D'autres histoires m'ont fait tiquer mais qu'importe. C'est si bien écrit qu'on se laisse emporter par le talent de conteur de Curzio Malaparte sans pouvoir y résister. En tout cas, moi, je n'ai pas pu !
Trop baroque
Critique de Avada (, Inscrite le 26 avril 2007, - ans) - 9 avril 2008
Sa structure m’a lassée. Le livre se présente sous la forme d’une compilation d’anecdotes bien tournées, avec des chutes toujours étonnantes qui visent à dénoncer les horreurs de la guerre. Ces petites histoires sont intégrées au récit des conversations du narrateur avec les « grands de ce monde » qu’il appelle « le côté de Guermantes ». Il y a, comme chez Proust, une critique de l’aristocratie, de la haute bourgeoisie - et des gouvernants, snobs cyniques et privilégiés qui continuent de deviser tandis que le monde sombre dans le chaos. Visionnaire, Malaparte semble même avoir pressenti que la seconde guerre mondiale sonnait le glas de cette caste dirigeante (l’aristocratie en particulier) et que l’Europe se construirait sur de nouvelles bases. Voilà comment j’ai compris l’utilité de ces passages mais je me suis demandé à plusieurs reprises où l’auteur voulait en venir. Sans doute « ce livre horriblement cruel et gai » est-il trop baroque pour moi.
Le style, très descriptif et très beau, devient parfois pompeux. Les fréquentes comparaisons à l’oeuvre de tel ou tel peintre manquent de naturel et m’ont gênée. Mais surtout comment peut-on décrire un monde « kaputt » avec un style aussi "classique" ?
Je voudrais terminer ma critique sur une note positive. Deux scènes m’ont particulièrement marquée. La première apparaît sur la quatrième de couverture de l’édition Gallimard et raconte la fascinante histoire des chevaux de glace. La seconde décrit, dans un style macabre et époustouflant, la chute depuis un wagon de deux cents cadavres de Juifs sur le Consul Sartori.
Je suis assez sévère avec ce livre car j’ai vu mon intérêt décroître au fur et à mesure de ma lecture. Il n’en demeure pas moins que cette oeuvre a dû fortement marquer les lecteurs à l’époque de sa publication, ne serait-ce que par le témoignage exceptionnel qu’elle apportait sur la guerre, dès 1943.
pas un livre pour moi
Critique de Ald_bzh (Brest, Inscrite le 11 janvier 2005, 46 ans) - 7 septembre 2005
Donc je met un peu de temps à prendre mes marques, je continue, j'apprécie de nombreux passages, je ne comprends pas de nombreux d'autres. Donc j'ai passé mon temps avec ce livre comme un yoyo, j'aime, j'aime pas, je suis perdue, je comprends. Et je regrette parce que j'avais envie de persévérer mais je n'ai pas pu. Il y a quelque chose que je n'ai pas saisi. Tant pis. Mais je pense que c'est un livre à lire.
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