Chemins et rencontres de Hugo von Hofmannsthal

Chemins et rencontres de Hugo von Hofmannsthal

Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone

Critiqué par Fee carabine, le 8 juin 2005 (Inscrite le 5 juin 2004, 50 ans)
La note : 9 étoiles
Moyenne des notes : 10 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 6 étoiles (3 718ème position).
Visites : 3 712  (depuis Novembre 2007)

L'art du voyage immobile

“Chemins et rencontres”. Voilà un titre étrange pour un livre rassemblant trois récits ayant comme thèmes communs une rencontre inaboutie, restée à l’état de rêve, et un voyage immobile.

Dans la première de ces nouvelles, “Bonheur manqué”, datant de 1897, deux bateaux se croisent sur les flots de la Méditerranée, quelque part entre la Côte d’Azur et la Corse. Un homme, embarqué sur un des bateaux aperçoit une femme assise sur le pont de l’autre navire. Pendant quelques instants bien trop courts mais qui pourtant sont imprégnés de l’éternité du Rêve, il laisse les souvenirs affleurer à sa conscience, s’efforçant en vain d’y retrouver la trace de cette mystérieuse jeune femme “qu’il connait et qu’il ne connait pas” tout à la fois…

Le Rêve occupe une place plus importante encore dans les deux autres nouvelles, écrites dix ans plus tard. “Les chemins et les rencontres” s’ouvre sur cette phrase, belle et étrange, de Marcel Schwob: “Je me souviens des paroles d’Agur, fils d’Iaké, et des choses qu’il déclare les plus incompréhensibles et les plus merveilleuses: la trace de l’oiseau dans l’air et la trace de l’homme dans la vierge”. Une phrase qui entraîne le narrateur dans une lente méditation sur les traces de cet Agur qui sans doute sommeille en lui, dans ses rêves et dans les souvenirs très profondément enfouis de sa toute petite enfance, ses souvenirs d’avant la mémoire. Une lente méditation portée par l’ombre d’un vol d’hirondelle dans la magnifique lumière qui baigne les paysages d’Ombrie. Enfin, “Souvenirs des beaux jours” nous plonge dans une vue de Venise sous les pinceaux de Turner ou de Monet, dans l’incendie des coupoles de la basilique Saint-Marc inondées de la lumière du soleil couchant. Une errance dans Venise sur les pas d’un voyageur qui, une fois rentré dans son auberge, se laisse bercer par le rire de la belle inconnue qui occupe la chambre voisine. Un voyageur emporté dans un rêve où effleurent des forces obscures, pendant une longue nuit qui ne laisse le matin venu que “partout l’amour et le présent”. Un rêve d’amour inabouti qui ne prend pas le risque de la rencontre avec l’autre. Une éternelle promesse qui ne décevra jamais puisque restée inaccomplie.

Hugo von Hofmannsthal nous offre ici trois textes étonnants qui relèvent bien plus de la poésie que de la prose. Trois textes de toute beauté où il laisse libre cours à son talent de coloriste, et qui sont autant de prétextes à méditation et à rêverie.

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"Il y a quelque chose de très doux dans toute rencontre solitaire"

10 étoiles

Critique de Pucksimberg (Toulon, Inscrit le 14 août 2011, 44 ans) - 21 août 2023

Ces trois textes sont beaux et reposent sur une écriture magnifique. Je découvre enfin cet auteur autrichien et je suis vraiment séduit par son univers et sa prose très poétique.
Dans ces trois textes, le narrateur a une sensibilité aiguë et entre en résonance avec l'autre ou avec la nature. Ces nouvelles évoquent des rencontres, vues comme des connexions avec autrui ou des éléments naturels. Nul besoin qu'il y ait des des conversations. Ces rencontres suscitent des impressions, des rêveries, des superpositions de souvenirs. Von Hofmannsthal célèbre de le monde dans de petites choses et nous rend sensibles à ce qui nous entoure. Tous ces ressentis et ces moments en apesanteur semblent mener sur la route du bonheur même s'ils sont souvent interrompus. Lorsqu'il tombe sous le charme d'une anglaise blonde en couple, il ne cherche pas à lui parler ou à la séduire, l'idée de ne pas être avec elle suffit à lui procurer des sensations agréables : " En cet instant, il était plus magnifique d'être baigné par cette solitude, à côté d'elle, plutôt que d'être avec elle."

La nature occupe aussi une place importante comme la Méditerranée qui le conduira en Corse, ou cette Italie magique qui saura l'envoûter. Il sait regarder le ciel et observer les chemins invisibles laissés par les oiseaux. Il est sensible aussi à ses rêves qui deviennent des lieux d'exploration. Dans ces trois textes, il y a aussi une dimension mystique : par ses sens, sa capacité à ressentir et à vivre le monde, il semble réunir son Moi dans ces moments précieux. Il y a quelque chose de sacré dans sa vision du monde. On s'attendrait presque à voir des dieux païens dans cet univers. La question de l'identité est présente dans ces textes comme si le Moi n'était pas unifié et multiple.

Le lecteur qui attendra des histoires pleines de rebondissements devrait éviter ces textes car ils sont plutôt contemplatifs et expressions du paysage extérieur et du paysage intérieur. L'écriture de cet écrivain est poétique, ciselée et d'une grande justesse. L'auteur était aussi poète, cela se ressent. Je me suis totalement laissé porter par ces trois textes. Je suis totalement en accord avec Fée carabine.

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