Le Médecin personnel du roi de Per Olov Enquist

Le Médecin personnel du roi de Per Olov Enquist
( Livläkarens besök)

Catégorie(s) : Littérature => Européenne non-francophone

Critiqué par Sahkti, le 26 mai 2005 (Genève, Inscrite le 17 avril 2004, 50 ans)
La note : 4 étoiles
Moyenne des notes : 7 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (41 967ème position).
Visites : 4 937  (depuis Novembre 2007)

Pouvoir et manipulation

"Cette perversion ne résidait pas dans le fait que ces deux êtres, dont il savait que tous deux avaient joué des rôles d’importance durant la révolution danoise, dans des camps opposés à l’époque, fussent désormais dans une telle dépendance réciproque. La perversion résidait dans la manière qu’avait eue le roi de se comporter comme un chien craintif mais obéissant, et Guldberg comme son propriétaire sévère mais affectueux" (extrait de l'Incipit)

Il était une fois un roi fou danois qui avait peur de sa jeune épouse. Les conseillers du monarque en tirèrent toute l'influence possible jusqu'à l'arrivée d'un médecin tout entier acquis aux idées des Lumières (l'histoire se passe au Danemark au XVIIIe siècle) qui décida de remettre de l'ordre dans tout cela. En 1772, Struensee, ledit médecin, a le cou tranché. Adieu révolution... Guldberg, rigoriste froid, reprend le pays en main. Et le roi avec lui.

Ce roman de Enquist parle du pouvoir, de la folie, de la manipulation, de l'hypocrisie et aussi de l'amour. Avec en toile de fond, une époque qu'il décrit par le menu, via des voyages, des complots politiques, des récits historiques. L'heure n'est pas encore au progressisme et les hommes épris de liberté l'apprennent à leurs dépens.
Roman intéressant mais parfois un peu longuet. On ne s'y ennuie pas vraiment mais il y a des passages que j'estime inutiles, n'apportant qu'une description supplémentaire de tel ou tel personnage ou événement, ajoutant une lenteur qui finit par devenir lassante.
L'idée de base est également classique, la manipulation et les obscures coulisses des cours royales. J'aurais aimé que Enquist apporte à l'ensemble la petite touche d'acidité qui aurait fait la différence.

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Une leçon d'Histoire danoise passionnante

10 étoiles

Critique de Cédelor (Paris, Inscrit le 5 février 2010, 52 ans) - 2 avril 2021

Voilà un livre très intéressant. Un récit fort, extraordinaire et édifiant. Au début de ma lecture, j’ai été un peu perturbé par le style particulier à l’auteur, qui parfois répète des phrases ou des passages. Mais on dépasse vite cela, on en prend son parti de cette façon d’écrire propre à l’auteur, pour entrer pleinement dans l’histoire qu’il raconte. Et quelle histoire ! Dès le début, l’auteur nous informe du destin final du premier des personnages principaux du livre (il y en a 4), qui est Struensee, le médecin personnel du roi, titre du livre. Il nous fait aussi entrer de plein pied dans la bizarrerie d’un autre des personnages principaux, le roi Christian VII, investi « de par la grâce de Dieu » du pouvoir absolu au bon royaume de Danemark au 18ème siècle, et atteint de troubles mentaux. On le voit soumis d’une façon choquante à son premier ministre Guldberg, 3ème des principaux personnages du roman, et détenteur du pouvoir absolu par procuration du roi, tel que l’a été aussi Struensee avant lui. On fera connaissance plus tard du 4ème et dernier du quatuor des personnages principaux, la reine Caroline Mathilde, mariée au roi.

Voilà pour l’introduction au roman. Mais cela ne suffit pas pour en donner une idée de sa force. Il nous fait découvrir une période authentiquement historique du Danemark, celle de la révolution danoise initiée en douceur par Struensee, le médecin personnel du roi Christian VII, dans les années 1770 – 1772, dont l’esprit dérangé laissait « un grand vide dans le cœur du pouvoir » et que Struensee, sans qu’il ait réellement intrigué pour cela, s’est retrouvé avec tous les leviers du pouvoir en main grâce à la confiance qu’il a su obtenir du roi. Struensee, en homme pétri des nouvelles idées des Lumières, a vu là l’occasion d’appliquer concrètement ces idées progressistes et humanistes sur le terrain politique et social du Danemark d’alors, qui, à cette époque, était un pays d’une mentalité arriérée et aux pratiques moyenâgeuses. Il va se heurter à Guldberg, qui est du parti de l’ordre ancien et se rapprocher de la reine Caroline Mathilde, qu’il va aimer et convertir aux nouvelles idées.

Voilà pour le thème principal du roman. On va dire que c’est un documentaire historique raconté sous forme romancé. C’est un choix qui fonctionne bien, le récit historique est respecté et la forme romancée permet à l’auteur de brosser à sa façon particulière les faits, les événements, les personnages et leurs pensées et sentiments, ce qui rend le tout très vivant, très documenté, et passionnant. Il rend bien le contexte de l’époque, celle de la philosophie humaniste des Lumières, qui se répand alors de plus en plus en Europe, malgré les régimes réactionnaires et conservateurs, issus du Moyen-âge. A terme, cela aboutira à la Révolution française. Mais quelques 19 ans plus tôt, une petite révolution à peine croyable a eu lieu au Danemark, grâce à Struensee, que toute l’Europe observait alors avec stupéfaction, et déchainait l’enthousiasme des esprits progressistes, tels que Voltaire, qui aura une correspondance avec le roi Christian VII et Struensee. Une révolution humaniste de velours, qui servit de répétition à celle plus sanglante de la Révolution française.

Donc, le thème fort du roman est bien celle de la relation de la lutte entre les idées progressistes des Lumières qui se répandent et celles conservatrices des régimes issus du Moyen-âge qui cherchent à les interdire. D’autres thèmes se dégagent aussi, qui montrent la mentalité des gens d’alors, du système de privilèges des classes de la noblesse et de l’aristocratie, la mise en servage du peuple, les règles rigides, absurdes et cruelles qui régissaient ce système et que Struensee a voulu changer. Les luttes de pouvoir, les intrigues, les complots… et la folie du roi Christian VII, objet de fascination et de perplexité. Le livre retrace les mesures éducatives sans pitié qu’il a subies étant enfant, et qui sont révoltantes. De là, l’origine donnée aux troubles mentaux du roi et qui l’ont rendu incapable de gouverner par lui-même et par là, vulnérable à toutes les influences pour gouverner à sa place en son nom, et dont Struensee a profité aussi, pour mettre en place, peut-être pour la première fois en Europe, une politique plus juste et humaine, conforme aux idéaux des Lumières.

Un excellent livre, passionnant à suivre de bout en bout, édifiant et instructif. Une réussite totale et un coup de cœur. Et dire que ce livre, et son auteur, Per Olov Enquist m’étaient totalement inconnus avant que je tombe sur le roman lors d’une braderie de livres qu’une bibliothèque ne voulait plus conserver. Comme quoi, on peut tomber sur des pépites inattendues et qui sont un plaisir et un enrichissement pour l’esprit. C’est un livre inconnu du grand public français. Peut-être qu’en Suède, patrie de l’auteur, ou en Scandinavie, livre et auteur sont plus connus. En tout cas, un film en a été fait «Royal affair » et je compte bien le voir un de ces jours.

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