Un été de glycine de Michèle Desbordes

Un été de glycine de Michèle Desbordes

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Fee carabine, le 8 mai 2005 (Inscrite le 5 juin 2004, 50 ans)
La note : 9 étoiles
Visites : 3 641  (depuis Novembre 2007)

Yoknapatawpha, au soleil noir de la mélancolie

"Un jour je me suis bâti une maison dans l'Yoknapatawpha, et bien avant que je sache ce nom-là, si compliqué, ni même tout à fait ce qu'était une maison, je me suis bâti une maison parmi les grands champs de coton et de maïs et les collines vertes plantées de pins, avec le fleuve et les vieux nègres fatigués et les femmes qui marchaient, n'en finissaient pas de marcher dans les grandes chaleurs de là-bas, une maison dans les printemps, dans les étés de glycine, et les tonnelles où pour quelques temps, avant que tout ne fût que décombres, on buvait le vin sous les treilles muscates."

Après avoir évoqué avec beaucoup de sensibilité dans "La robe bleue" le destin tragique de Camille Claudel, Michèle Desbordes nous offre avec "Un été de glycine" un émouvant hommage à William Faulkner et à ses personnages. Et dès les premiers mots, c'est toute la chaleur écrasante, la torpeur du Sud des Etats-Unis, la démarche lente et lasse de ses habitants qui nous sautent au visage. Et cette terrible force qui pousse les hommes et les demeures vers leur déclin, une force à laquelle on n'ose même plus donner le nom de destin, un déclin qu'on ne qualifiera même plus de tragique tant il s'y mêle de fatalisme et de résignation: "(...) aussi bien n'était-ce même plus de courage ni de vaillance qu'il était question, mais de cette chose sans nom, aveugle, sourde et désespérée par quoi il s'agissait d'endurer, oui quand c’était vivre qu'il fallait, c'est-à-dire non seulement respirer, manger et cela fait dormir pour recommencer le lendemain, mais tenir suffisamment debout pour les jours qui venaient, les prochains coups, les prochaines blessures, cet entêtement, cette obstination mauvaise qu'ils avaient et qui d'un trait les dessinait, dans le malheur ou simplement cette idée du désastre dont, plus encore que ce qui les tourmentait, ils semblaient ne pouvoir se défaire."

Comme pour "La robe bleue", je ne peux m'empêcher de me demander si tout est vrai dans ce portrait de William Faulkner, de son enfance, de ses rêves d'héroïsme ou des femmes qu'il a aimées. Mais peu importe, car mêlant des souvenirs d'une enfance française (la sienne?) au temps de l'exode et de la pauvreté de l'immédiat après-guerre à son évocation de la vie et des romans de Faulkner, c'est à ce "soleil noir de la mélancolie" qui sommeille sans doute en chacun de nous que Michèle Desbordes nous permet de nous confronter, à cette certaine fascination pour l'échec, le chagrin - dont on ne meurt pas mais dont on fait des livres -, la mort et la "fin des choses" (une expression qui revient souvent sous sa plume) que l'on s'efforce souvent de repousser dans un petit coin de son âme et de couvrir d'un voile. Une obscure fascination dont on ne peut combattre l'emprise qu'en en prenant conscience, et ce n'est pas le moindre mérite de cet "Eté de glycine" que de permettre cette prise de conscience, tout en douceur, par la grâce et la beauté de l'écriture de Michèle Desbordes.

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