Le son de ma voix de Ron Butlin

Le son de ma voix de Ron Butlin
( The sound of my voice)

Catégorie(s) : Littérature => Anglophone

Critiqué par Sahkti, le 14 mars 2005 (Genève, Inscrite le 17 avril 2004, 50 ans)
La note : 7 étoiles
Moyenne des notes : 7 étoiles (basée sur 3 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (27 360ème position).
Visites : 4 144  (depuis Novembre 2007)

Boire pour vivre

Morris Magellan est cadre dans une florissante fabrique de biscuits. Tout semble lui réussir. Le boulot, les amis, sa jolie femme et ses deux adorables enfants. Oui mais Morris a un problème: il boit. Il engloutit, il survit, il est dépendant, tout n'est que leurre dont le moindre élément lui sert de prétexte à boire encore et encore. Ce récit, c'est son histoire, sa lente déchéance inexorable.

Que cette couverture est affreusement moche! Assez grossière même comparé à la subtilité avec laquelle est traité le sujet principal du livre, l'alcoolisme.
Subtilité qui me dérange dans la mesure où l'alcoolisme est ici présenté comme un fléau contre lequel le narrateur ne peut rien. Il est victime bien plus que coupable et son comportement (assez odieux tout de même par moments) suscite la compassion du lecteur, par la manière dont le mode narratif donne le ton. Quelqu'un parle à Morris. la voix de sa conscience ou celle du verre qui ne le quitte jamais. Le tutoiement est de rigueur, nous suivons Morris dans toutes les étapes de la journée et dans toutes ses réflexions. Il y a une certaine forme de tendresse dans le dialogue entamé avec Morris, même si derrière tout cela, la condamnation est présente et implacable.
Face à l'alcool, Morris est un perdant. Vraiment perdant? Ce n'est pourtant pas ce qu'il pense et à certains moments, le lecteur se laisserait volontiers prendre lui aussi au piège. Il n'y a que quand il a bu quelques verres que Morris se sent bien et gagnant. Son boulot lui réussit plutôt pas mal, il se sent sûr de lui, tout va bien... à condition que quelques verres de cognac lui aient permis de démarrer la journée. On entre là dans une spirale difficile. Jusqu'où accepter ce verre qui fait du bien? Quand s'arrêter? Les limites de l'un ne sont pas celle de l'autre et si on s'en tient aux répercussions de cette piccole sur la vie familiale, c'est un désastre.
Là encore, j'ai un peu de mal avec le portrait qui nous est dressé de Mary, épouse soumise et présentée comme compréhensive, qui ramasse tout sur son passage, épaule et soulage, avec de temps en temps un petit mouvement d'humeur, mais si léger. Cette présentation me dérange car, à la limite, cette femme paraît elle-aussi coupable, elle ne fait rien. Pire, elle enfoncerait presque son mari en se montrant compatissante. Mais a-t-elle le choix? On peut supposer que oui mais c'est peut-être une erreur que de penser cela.

Le récit de Ron Butlin est assez dur dans la mesure où il nous montre de manière impitoyable la descente aux enfers d'un homme complètement dépendant de l'alcool.
C'est franchement pathétique, révoltant dans certains passages, des envies de crier ou de gifler puis très vite, le calme revient et la pitié s'installe à nouveau. Pitié pour cet homme qui boit, tout le temps, c'est vital. Sur ce point, Butlin excelle! Il nous prend par la main, fait ce qu'il veut de nous, connaissant nos réactions à tel et tel moment et orientant de suite son récit pour nous faire aller où il veut.
Et voici l'alcoolisme humanisé. C'est dérangeant. Comme l'envie de ne pas affronter la réalité les yeux dans les yeux. Comme un refus d'accepter que c'est bigrement bien fichu et que sa façon de se placer dans la tête de quelqu'un qui a bu sonne lucidement juste et réaliste.
Ce personnage de Morris Magellan est absolument détestable et on ne peut s'empêcher de le prendre contre son épaule, avec l'envie de le secouer, certes, mais dans le but de l'aider.

Texte très fort car très actuel, pas caricatural. Cela peut se passer avec n'importe qui n'importe quand. Nous sommes dans une classe sociale répandue, avec une situation familiale et professionnelle courante... bref c'est du banal et c'est peut-être pour ça que ça fait un peu peur, on ne peut pas détourner les yeux en se disant que ça se passe ailleurs, loin. Non, c'est là, tout à côté et on ne peut que s'impliquer. Et ça me dérange d'éprouver de la compassion pour ce type qui n'a aucun respect des siens, sauf dans ses rêves. Butlin fait mouche... me voilà embarrassée!

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La spirale infernale

9 étoiles

Critique de Débézed (Besançon, Inscrit le 10 février 2008, 77 ans) - 7 septembre 2013

Avec ce texte écrit à la deuxième personne, ce qui établit une plus grande proximité entre le narrateur et le héros tout en laissant suffisamment de recul au premier pour jauger le second sans qu’il se mette à sa place, Ron Butlin évoque le problème de la dépendance alcoolique, non pas du point de vue de celui qui constate et accuse mais du point de vue de celui qui vit ce drame, celui qui doit composer chaque jour avec son poison, celui qui doit trouver la juste dose pour exister sans sombrer.

A 34 ans, le héros, un des principaux cadres-dirigeants d’une biscuiterie est fortement alcoolisé, il s’en rend compte, il connait bien son problème mais il est pris dans l’engrenage de l’addiction et ne sait plus comment, ne peut pas, sortir de l’impasse dans laquelle il s’est fourré. Il se souvient de ses angoisses d’enfant, ses angoisses devant le monde immense, réduit, loin, près, toutes ces distances qui le troublaient. Il se souvient quand il était jeune, qu’il faisait quatre fêtes par nuit chaque vendredi et chaque samedi, il a ainsi pris l’habitude de boire, de boire beaucoup, trop, de boire déraisonnablement. « D’autres allaient aux fêtes et se soûlaient, tu te soûlais et allais aux fêtes ». C’est lors de l’une de ces fêtes qu’il a appris le décès de son père qui ne l’aimait pas beaucoup et, qu’en retour, lui n’aimait pas plus. Il a alors tenté d’enfoncer sa douleur au fond du ventre d’une fille qu’il avait rencontrée au cours de la nuit comme pour noyer cette douleur, la faire disparaître. Mais la fille a refusé en le suppliant et il entend encore le son de sa voix.

Désormais, il est un directeur respecté, même brillant selon certains, mais il ne peut pas être lui-même sans avoir bu sa dose. Pour lui l’alcool n’est pas un problème mais une solution, « la solution : qui dissout toutes les parties séparées en une seule. Un solvant universel. Un océan ». Mais il supporte de moins en moins la pitié qu’il lit dans le regard de sa femme, le regard muet de ses enfants, « les accusations », la condescendance de ses subalternes, la comédie qu’il joue en permanence pour paraître normal, à jeun, la plongée dans le monde qu’il a bâti pour y loger son délire éthylique, ses hallucinations, et ce monde qui se déforme sans cesse autour de lui. Il arrive de moins en moins à résoudre la terrible adéquation qui consiste à boire assez pour exister et travailler sans boire trop au risque de sombrer corps et âme devant les siens.

Ron Butlin a remarquablement su reconstituer, avec beaucoup de compréhension et de délicatesse, ne sombrant jamais dans les clichés grotesques de l’ivrognerie, le monde que le héros a créé pour faire accepter son addiction par les autres mais aussi par lui-même. Il se livre à une analyse d’une très grande finesse, jusque dans les moindres détails, il n’est pas l’accusateur, il est l’alcoolique totalement dépendant qui voudrait sortir de la nasse mais n’en trouve pas l’issue et joue la comédie, se joue aussi la comédie, pour faire croire qu’il n’est pas différent des autres qu’il est seulement quelqu’un de très sensible, très sensible à la musique classique notamment.

Son style glisse le lecteur dans la peau du dépendant le faisant progresser d’un espace de lucidité à un autre espace de lucidité avant de revenir en arrière pour évoquer ces autres espaces plus obscurs que le héros n’a découverts ou compris qu’après coup. Le récit avance ainsi par bond, recollant à chaque étape les morceaux de la vie du héros qui s’assemblent de moins en moins bien au fur et à mesure de la dégradation de son état, donnant ainsi au texte un rythme qui soutient l’attention du lecteur.

Après lecture de ce texte, nous pourrions suivre Irvine Welsh quand il écrit dans sa préface : « Si vous demandez à n’importe quel étudiant en littérature celtique de citer une œuvre de fiction, écrite en Ecosse lors de ces vingt dernières années, la liste est plutôt prévisible… Mais il y a un livre que peu de gens mentionneront, c’est un roman écrit par un poète écossais, Ron Butlin, et intitulé le Son de ma voix… A mon avis ce livre est un des romans majeurs de la Grande-Bretagne des années 1980… »

ça saoûle un peu !

6 étoiles

Critique de Clarabel (, Inscrite le 25 février 2004, 48 ans) - 15 juin 2005

La mort d'un père peut-elle entraîner la déchéance d'un fils ? Ou l'auto-destruction serait-elle finalement un gène ancré au plus profond de Morris Magellan ? Cadre dirigeant, marié à Mary, père de deux enfants, il vit dans une maison en banlieue chic, s'habille de costumes élégants, propre sur lui, confiant, etc... Irréprochable, quoi ! Et pourtant cet homme cache un monstre, cet homme se détruit à petits feux : Morris est alcoolique.

Il tente de sauver les apparences, et se défend d'être un ivrogne - non ! "Tu travailles - et tu travailles bien. Brillamment, selon certains. Tu es admiré. Respecté." - Et pourtant ! Le drame se joue en coulisse : les nausées, le goût de boue dans la bouche, les troubles de la vue, les pertes de contrôle de soi, Morris est un homme en dérive, il est sur la corde raide, sans cesse aux aguets, méfiant et cachottier. Car il doit tenter de maîtriser son vice, lustrer son image modèle. Dans son couple ou au boulot, c'est un sang-froid infernal ! Car Morris est embarqué dans une spirale : pour pallier au stress, aux menaces de flancher, il sait qu'un petit verre de cognac va lui donner de l'aplomb ! Bref, cet homme est fichu. Son ivrognerie, sa peur, sa lâcheté et même sa sexualité sont pathétiques. De plus, il ne mérite pas sa femme, Mary, et sa patience, sa pitié et sa compréhension. Il mérite qu'elle prenne les enfants, ferme la porte à tout jamais, qu'elle le quitte et qu'il demeure seul avec sa bassine et ses éclaboussures de vomis !

Dans ce roman de Ron Butlin, rédigé entièrement à la deuxième personne du singulier, la narration, perturbante, sonne comme une voix rauque. Un peu d'outre-tombe, celle du Jugement dernier. Il y a beaucoup de solennité dans ce procédé, mais qui glace le sang. Il faut la lecture de plusieurs pages avant de s'y adapter et d'y consentir. Moi je m'y suite faite à moitié. Par contre j'ai apprécié l'ironie sous-entendue, la raillerie de cette voix. A plusieurs reprises, "Le son de ma voix" souligne le pathétisme de Morris - Non, tu ne bois pas seul, mais avec Bach, Mozart ou Beethoven ! Tout comme la "compréhension" de Mary, l'épouse dévouée, qui cherche à le sortir de sa mare boueuse, au lieu de le houspiller, elle le porte, le tient dans ses bras, et en remerciement, lui la menace de sa bouteille de vin en pleine poire !

J'aurais souhaité une fin plus violente, une radicalisation au problème, car j'ai comme l'impression que le cauchemar de Morris n'est pas fini ! Certes, cette lecture est vivifiante par son approche de l'alcoolisme chronique, de la désintégration d'un homme et de son foyer, mais elle est également poisseuse, déconcertante et dérangeante. Et pour couronner le tout, le personnage de Morris Magellan n'est guère sympathique !

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