Courir à sa perte de Gilles Archambault

Courir à sa perte de Gilles Archambault

Catégorie(s) : Littérature => Francophone

Critiqué par Libris québécis, le 3 mars 2005 (Montréal, Inscrit(e) le 22 novembre 2002, 82 ans)
La note : 8 étoiles
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De Goethe à Gilles Archambault

Les œuvres récentes de Gilles Archambault, né en 1933, sont des analyses du temps qui a passé. Le rétroviseur de l’auteur lui renvoie un piètre paysage de l’humanité. À l’âge des bilans, il tire une conclusion peu flatteuse de notre passage sur terre. L’homme se laisse entraîner corps et âme par le courant de la vie. À l’automne de son existence, il constate qu’il n’y a rien qui vaille à son actif.

C’est le cas de son héros dans Courir à sa perte. Le titre est des plus significatif de la pensée de l’auteur. Nous sommes loin de l’esprit positif du Vieil Homme et la Mer de Hemingway. Jacques, le narrateur du roman de Gilles Archambault, est un serveur dans un restaurant. Il a 65 ans. Depuis 30 ans, il exerce son métier avec conviction après avoir tenté en vain de joindre le rang des artistes de la scène et de la chanson. C’est un célibataire qui a connu jadis une liaison avec Mylène, une femme mariée, décédée quelque temps après avoir laissé choir son amant. Ce fut l’amour de la vie du héros. Il s’est contenté de ce bonheur d’occasion en respectant les contraintes d’une liaison interdite qui n’était pas sans susciter querelles, renoncements et jalousie. Il a consacré le reste de sa vie à un quotidien ennuyeux, refusant même de s’investir auprès de ceux qui lui portaient de l’intérêt. Même si son entourage soulignait ses qualités avec insistance, il persistait à se déprécier sans supporter que les autres jouent ce rôle à son égard. C’est un être tout en paradoxes qui semble vouloir attirer la pitié sur lui. Pourtant, ce n’est pas le dernier venu. Il a fait des études qui pourraient le rendre fier de lui-même. Même son langage hexagonal intrigue ceux qui partagent son quotidien. Au Québec, nous ne sommes pas familiers avec les fesse-mathieux qui se magnent pour accroître leur oseille. Nous connaissons plutôt les Séraphins qui se grouillent pour s’en coller le plus possible. Il faut dire que Gilles Archambault porte à la France une admiration qui l’aveugle. Il ne semble pas voir le franglais de ses cousins. En somme, le héros pratique une fausse humilité. C’est un homme narcissique qui jalouse le succès d’autrui.

L’auteur de ce roman voulait-il faire de Jacques le portrait du Québécois pas assez ambitieux, mais susceptible quand on lui indique son manque d’audace? Voulait-il nous détourner de l’adage qui dit que nous sommes nés pour un petit pain? Il est difficile de percer les intentions profondes d’un écrivain. Si l’on ne force pas l’interprétation de cette œuvre, on peut affirmer qu’il s’agit d’une réflexion sur notre finalité. Le héros rappelle un peu Werther de Goethe quand il dit que « tout dans cette vie aboutit à des niaiseries; et celui qui, pour plaire aux autres, sans besoin et sans goût, se tue à travailler pour de l´argent, pour des honneurs ou pour tout ce qu´il vous plaira, est à coup sûr un imbécile. » Cette vision réductrice de la vie est fort dangereuse si l’on se fit au sort qu’a connu le héros de cet auteur allemand.

Jacques ne porte pas les stigmates de la souffrance aiguë du jeune héros romantique. Il se tient à l’écart d’une société qu’il juge sévèrement, mais son observation lui donne peu d'urticaire. Gilles Archambault le présente en toute simplicité. Ce n’est pas l’auteur des coups d’éclat. Il marche plutôt à pas feutrés pour surprendre son héros en flagrant délit de contradictions. Sa manière a de la classe. Il avance avec pudeur en le ménageant avec une plume plutôt arrondie. Mais la délicatesse ne filtre aucunement le message.

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