Les cahiers de Céline, tome 2 : Le cahier rouge de Michel Tremblay
Catégorie(s) : Littérature => Francophone
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Les Travestis
Dans L’Art du maquillage, Sergio Kokis s’attaque aux faussaires en peinture. Derrière l’histoire qu’il raconte, l’auteur place le projecteur sur la mystification afin de montrer que l’homme se sent nul sans le masque qui cache souvent la sécheresse de sa vie. Michel Tremblay reprend le sujet dans Le Cahier rouge, un roman qui décrit la dynamique des travestis.
Lors de l’Exposition universelle de 1967 tenue à Montréal, Fine Dumas défie les lois municipales interdisant toutes activités qui pourraient porter atteinte à la réputation de la ville. En plein cœur d’un quartier chaud, elle ouvre donc Le Boudoir, un bar où des travestis s’adonnent au plus vieux métier du monde. C’est Céline, une waitress naine (serveuse), qui sert d’entremetteuse. Dans un décor des plus quétaine (kitch), ces guidounes de la Main (prostituées de la rue Saint-Laurent) se drapent dans des oripeaux qui évoquent d’anciennes vedettes. Après avoir massacré une chanson d’Édith Piaf ou de quelqu’une d’autres, ces « filles » se retirent au fond de l’établissement pour assouvir les besoins pressants de la riche clientèle masculine.
Dans un cahier rouge, Céline tient l’éphéméride du bar. Elle raconte les « légendes » vécues par ces « demoiselles » décalées qui appartiennent à « la plèbe carnavalesque de la Main ». Les voyeurs seront déçus en lisant ce roman. Michel Tremblay ne met pas en exergue la « mission humanitaire » de ses héroïnes. Il dédie son œuvre à ses amis qui se travestissent pour sortir d’un quotidien d’une exaspérante médiocrité. On sent toute l’empathie de l’auteur envers cette faune festive qui se déguise pour dissimuler les blessures profondes laissées par des rêves brisées. En somme, il montre l’écart, qui s’agrandit avec l’âge, entre un déterminé quelconque et un indéterminé qui ne s’est jamais articulé. Et chacun pleure finalement l’artiste qu’il aurait voulu être. À travers le personnage de la naine, il fait passer tout son amour pour ces hommes et toutes ces femmes devant qui le train ne s’est pas arrêté. Comme Jacques Poulin, il partage honnêtement le sort tragique de ces perdants à la loterie de la vie. Il n’adresse pas un seul reproche, même déguisé, à ces travestis qui ont choisi de compenser leur vie ratée par le divertissement, soit-il sexuel.
Si le roman charrie une grande humanité, la forme va en décevoir certains. L’auteur recourt à la technique du journal, laquelle a le désavantage de désarticuler le contenu. Céline rapporte les événements de la journée, en particulier ceux entourant la visite presque ratée du site de l’Exposition universelle. Il y a des longueurs, et peu de choses nourrissent ce roman sur l’amitié. Ça ne lève pas d’autant plus que c’est emballé dans une écriture qui a la caractéristique de traduire le manque de correction d’un texte écrit au fil de la plume. Heureusement, la fin est un happy end qui montre qu’il y a encore de l’espoir, surtout pour la petite hôtesse qui s’est découvert un don pour l’écriture. On est loin d’Un habit de lumière d’Anne Hébert, qui souligne mieux les désarrois du travesti. Cependant avec Michel Tremblay, on sent un investissement personnel auquel sa consœur ne s’est pas prêtée.
Les éditions
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Le cahier rouge [Texte imprimé], roman Michel Tremblay
de Tremblay, Michel
Actes Sud
ISBN : 9782742753352 ; 20,30 € ; 08/03/2005 ; 333 p. ; Reliure inconnue
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Le monde est une fête
Critique de Dirlandaise (Québec, Inscrite le 28 août 2004, 69 ans) - 24 février 2013
Un roman fort réussi dans lequel Michel Tremblay décrit un monde qu’il connaît bien, celui des travestis de la Main. On sent chez lui une immense tendresse pour ses personnages et leur misère. Leur vie n’est pas rose et les déboires amoureux sont monnaie courante. Pourtant, une solidarité existe malgré les coups bas et les vacheries et c’est l’essentiel. J’ai beaucoup aimé les nombreuses références à la nouvelle de Maupassant « La maison Tellier ». Monsieur Tremblay termine d’ailleurs son livre avec une phrase tirée de cette nouvelle.
Un beau moment de lecture. J’ai refermé ce livre avec regret mais il me reste un tome à lire des cahiers de Céline ce qui me console un peu. J’aurais aimé demeurer plus longtemps en compagnie de Fine Dumas, Jean Le-Décollé, Greluche, La Duchesse et les autres. Mais toute bonne chose à une fin comme on dit et je me résigne à quitter ce monde unique et savoureux né de la plume de l’écrivain québécois que je préfère.
Eloge de la différence
Critique de Blue Boy (Saint-Denis, Inscrit le 28 janvier 2008, - ans) - 15 décembre 2012
Même si j’ai trouvé que le récit mettait du temps à décoller et flottait parfois, j’ai fini par tomber sous le charme de cette galerie de transformistes éclopés, qui malgré leurs travers et leur côté « cliché » demeurent attachants dans toute leur extravagance quasi balzacienne. Avec finesse et humour, et surtout sans voyeurisme, Michel « Céline » Tremblay nous fait apprécier ces personnages qui, de façon touchante, ne deviennent eux-mêmes que lorsqu’ils se déguisent, et sous des dehors superficiels et « bitchy » cachent souvent un cœur énorme.
En hommage aux maisons closes ?
Critique de Tistou (, Inscrit le 10 mai 2004, 68 ans) - 11 juillet 2006
C’est écrit dans une langue châtiée, sans laisser-aller. Les péripéties ne manquent pas et les rebondissements se succèdent allègrement mais on ne peut s’enlever de l’idée qu’il s’agit plus d’un patchwork de morceaux de bravoure que d’un tissu de faits fondant une histoire.
J’avoue avoir eu du mal à m’identifier à la psychologie de Mae East (tout le monde n’est pas à l’Ouest !), Nicole Odeon ou Jean-Le-Décollé, les travestis colocataires de notre Céline. On lit, oui, mais sans plus que cela s’impliquer, s’identifier. Voyeur plus que lecteur. Dommage car Michel Tremblay a plutôt une belle plume.
« Les heures sont longues, c’est vrai, le milieu peut se montrer dur malgré sa superficialité, parfois même dangereux quand les clients ont trop bu ou perdent la tête. Le fait d’être sans cesse plongée dans un environnement où le sexe, une sexualité non orthodoxe en plus, tient la plus grande importance alors que je n’y participe jamais s’avère à l’occasion difficile à expliquer si j’y pense trop - j’y vis mais je n’en vis pas, j’en suis témoin mais je ne collabore pas -, comme si j’évoluais dans un monde auquel je n’avais pas accès parce que je n’en étais que la gardienne, le maître d’hôtel. Mais ce n’est jamais ennuyant et l’effort, le vrai, celui au bout duquel se trouve le précieux dollar, ce n’est pas moi qui ai à le faire, après tout, je ne suis que celle qui tient les comptes et tend le menu.
…
Il m’arrive bien sûr de me demander comment je réagirais si j’avais un jour à participer à ce qui se passe dans la chambre rose ou celle aux miroirs, à écarter mes courtes jambes pour gagner ma croûte, à feindre la jouissance en petits halètements courts ou en grands cris désespérés comme le font avec tant de talent les filles du Boudoir, mais je ne m’y attarde jamais très longtemps. »
Du vrai dans tout cela, mais j’avoue avoir du mal à m’y attarder aussi très longtemps !
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