Le principe d'humanité de Jean-Claude Guillebaud

Le principe d'humanité de Jean-Claude Guillebaud

Catégorie(s) : Sciences humaines et exactes => Philosophie

Critiqué par Nothingman, le 6 février 2005 (Marche-en- Famenne, Inscrit le 21 août 2002, 44 ans)
La note : 8 étoiles
Moyenne des notes : 8 étoiles (basée sur 2 avis)
Cote pondérée : 5 étoiles (25 297ème position).
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L'humanité en question

Cet essai se veut avant tout un constat. Selon l'auteur, nous, les humains sommes en train de vivre une révolution, une rupture considérable : celle qu'il nomme la révolution "biolithique". L'homme actuellement, de par ses savoirs, peut maîtriser une foule de données pour améliorer son présent et son devenir, notamment via les découvertes scientifiques en matière biologique, génétique ,etc….Nous sommes actuellement capables de réaliser des prouesses telles que le clonage, la thérapie génique,…Bref, les progrès réalisés en recherche scientifique qui, ces derniers temps, ont tendance à s'accélérer nous confrontent à des questions de nature métaphysiques auxquelles il convient de donner une réponse. Car, aujourd'hui, c'est notre définition même de la personne humaine qui est en jeu, confrontée à l'avancée des savoirs, au progressisme sans borne de certains scientifiques.
D'autant plus que cette révolution s'accompagne de deux autres révolutions qui ont tendance toutes trois à former un système. Il s'agit de la révolution économique avec la mondialisation et l'hégémonie du marché; de la révolution informatique avec les avancées phénoménales du monde virtuel et d'internet, et de la révolution génétique. Il convient de dire que leur conjonction peut s'avérer quelquefois particulièrement redoutable.
Dans ce livre, l'auteur nous montre, en faisant le constat des nouvelles avancées réalisées dans le domaine de la technoscience et par l'analyse de philosophes, psychologues et autres spécialistes, que nous vivons une époque charnière et dangereuse pour l'espèce humaine. En effet, l'évolution scientifique a tendance actuellement à se fondre avec la logique du marché, les scientifiques ont tendance, une fois leur découverte faite, à en profiter pécuniairement via les brevets et autres techniques et ainsi faire fortune. Ainsi donc, le scientifique que l'on soupçonne logiquement désintéressé est attiré quelquefois par la logique du marché, le profit. Ce qui à terme peut s'avérer extrêmement dangereux. En effet il est angoissant de penser que la puissance de l'industrie génétique est en train de se transformer en un énorme business qui ne fait que croître. Pour évoquer cette fortune future, on a inventé un terme: on parle de génodollars. D'ailleurs l'on peut déjà constater que l'industrie biotechnologique est rythmée par les spéculations et les réactions boursières. Bref, le marché s'en est déjà emparé.
A cette frénésie du profit, l'internet (la révolution numérique) apporte virtuellement l'ouverture sur le marché mondial et la possibilité d'échapper à toute règle nationale.
Il existe donc d'un côté une précipitation industrielle et commerciale déterminée par le principe de concurrence; de l'autre un besoin de règles, de mesure, d'encadrement, de réflexion philosophique. Cette industrie biotechnologique bénéficie, jour après jour, de l'affaiblissement du politique. Dans les conditions actuelles du marché, le législateur, lorsqu'il prend l'initiative de légiférer, se trouve souvent conduit à entériner un état de fait en renonçant à édicter des normes ou des interdictions durables. De plus, cette industrie est internationale et la loi par essence nationale ce qui fait que certains pays hésitent à légiférer si d'autres n'abondent pas dans le même sens. Selon l'auteur, il est urgent de poser des limites sinon en cas de "démission" des politiques sur ce sujet, c'est le marché qui décidera et il n'attendra pas!
Mais le plus important est sans doute que ces nouvelles possibilités imposent que l'on se pose la question de redéfinir l'espèce humaine. En effet, certains scientistes pensent que nous n'avons pas de monopole et que l'on peut donc tout expérimenter sur l'être humain faisant fi du principe d'humanité cher Jean-Claude Guilebaud et qui caractérise selon lui l'espèce humaine. Cette question, il faut la poser dans les plus brefs délais car la science elle n'attend pas.
L'auteur, avec cette enquête dans les domaines du savoir et des techniques actuelles, ne fait preuve ni d'un catastrophisme exacerbé, ni d'un optimisme béat vis à vis de la science. De par son analyse transdisciplinaire, il nous montre les tenants et aboutissants de notre futur et nous propose un sursaut humaniste et éthique.

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Les éditions

  • Le principe d'humanité [Texte imprimé] Jean-Claude Guillebaud
    de Guillebaud, Jean-Claude
    Seuil / H.C. Essais
    ISBN : 9782020474344 ; 20,20 € ; 01/09/2001 ; 380 p. ; Broché
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L'homme ?

8 étoiles

Critique de Saule (Bruxelles, Inscrit le 13 avril 2001, 58 ans) - 4 janvier 2007


La thèse de l'auteur c'est que nous assistons à une révolution biologique et génétique et que cette révolution met en péril ce qu'il appelle "le principe d'humanité". Cette révolution génétique, couplée au libéralisme et à la révolution numérique, produit déjà des dérives importantes et le risque est réel que la "technoscience" (et sa dérive le scientisme, une croyance absolue dans la science) couplée à la recherche du profit ramène l'homme au rang de machine ou d'animal, ou , c'est encore pire, qu'on en vienne à introduire une gradation dans le rang d'humanité (ce qui ouvre la porte toute grande à un retour de l'eugénisme).

L'auteur touche à beaucoup de choses dans cet essai épais et détaillé. En vrac quelques idées maîtresses : il s'attaque aux cognitivistes qui veulent nous faire croire que notre cerveaux n'est qu'un "super-logiciel". Il pointe le retour en force de l'eugémisme justifié par beaucoup de scientifiques (légalisation du test de dépistage de la trisomie, voila qui pose problème au principe d'humanité). De manière très intéressante il accuse les multinationales détenteuses de brevets sur les OGM de néo-colonianisme. De manière un peu anecdotique il met en garde les nouveaux adeptes du bouddhisme en Occident contre une compréhension nihiliste du bouddhisme (dissolution de soi). On rit (jaune) devant les délires de la deep-ecology qui, en promouvant les droits des animaux, arrive en fait à ramener l'homme au rang de l'animal. Plus dangereux : la réelle inféodation du scientifique à la logique de marché et au profit (brevets et autre start-up juteuse, on parle de génodollar)

Mais ou le livre est vraiment intéressant c'est quand l'auteur montre le risque d'une science qui se transforme en idéologie : un simple exemple avec le "mysticisme" de l'ADN. On "sacralise" nos gènes, puisqu'elles seules déterminent notre destin (l'auteur prend pour exemple la soi-disant gène de l'homosexualité, une idée apparemment séduisante mais en réalité dangereuse ). L'auteur touche une doigt une idôlatrie scientifique couplée à l'ultra-libéralisme et qui n'est pas sans conséquence. Les enjeux sont énormes et souvent mal compris: si nos gènes déterminent tout on perd la notion de culpabilité, ce qui est dans l'air du temps, mais aussi celle de libre arbitre. On en revient en fait au pire moment de la bourgeoisie capitaliste du 19ème siècle qui se reposait sur les théories de Darwin et de Malthus pour justifier l'exclusion et la pauvreté. Ca paraît exagéré ? En fait c'est un discours qui revient plus souvent qu'on ne le pense.

Bref on assiste à un véritable retour en arrière, se basant sur une croyance aveugle dans la science et un dédain pour toute approche philosophique et religieuse de l'homme on arrive à une véritable abdication de la pensée et à un déni des valeurs humaines telle que : respect du faible, l'altruisme.

Mais attention, plutôt que de triomphe du matérialisme on peut tout autant parler de naufrage ; la découverte de l'infiniment petit remet la notion de matériel en question, l'ADN et son langage codé entraîne le matérialiste dans une religiosité dangereuse (le language qui donne la vie, ça ne vous dit rien ?). Il y a une sorte d'"intentionalité vaine" inscrite dans l'ADN, auquel on donne le nom de hasard (mais finalement pourquoi ne pas dire Dieu ?). Bref rien n'est simple.

Ce livre est excessivement détaillé et bien documenté, l'auteur touche une masse de choses. Il a le mérite d'attirer notre attention sur un débat capital qui passe largement inaperçu (manque d'intérêt, complexité des questions, abdication des politiques devant la raison économique, respect exagéré pour la science, jusqu'au prochain accès de fièvre aphteuse du moins). On parle beaucoup de génétique pour l'instant : cfr la procréation assistée et la fascination pour les théories cognitives (dans l'Economist de décembre il y a un dossier entier sur le sujet, la notion de conscience de soi est remise en cause, effrayant en réalité). Mais on ne réalise pas toujours la portée et l'ampleur des questions éthiques que cela pose. La plus grande erreur qu'on puisse faire est de laisser le débat au main des scientifiques, c'est clair, et l'auteur le démontre intelligemment ! Il faut d'une manière ou d'une autre parvenir à réconcilier les matérialistes et les spiritualistes, telle est la conclusion de l'auteur.

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