Entre guerres de François Lecointre
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Témoignages et réflexions d'une rare humilité et franchise par un ancien chef d'état-major des armées, qui a vécu quand il était jeune officier la transformation des armées et la bascule dans l'après "guerre froide"
François Lecointre fut chef d’état-major des armées de juillet 2017 à juillet 2021. Néanmoins, son livre est singulier et se distingue de la plupart des livres écrits par des chefs militaires, qui ne parviennent pas toujours à éviter le préchi-précha grandiloquent des valeurs morales qu’ils ambitionnent incarner. A rebours de la plupart de ses illustres pairs, le général Lecointre, pour témoigner des enjeux humains de l’engagement militaire et plus largement de l’évolution des armées, qui s’inscrit dans le cadre de la transformation du monde depuis la fin de la guerre froide, fait le choix - de prime abord étonnant - de s’appuyer sur son expérience personnelle de jeune officier et non sur ses années d’exercice des hautes responsabilités. Ce faisant, il se dévoile avec une franchise qui suscite autant de réflexion que d'émotion, et contribue fortement au plaisir de lecture. Cette franchise peut aussi décontenancer le lecteur civil qui, n’ayant jamais été déployé en opérations, n'a pas été confronté à la pression de situations extrêmes. Certaines remarques de François Lecointre, qui a véritablement connu l’expérience du combat au contact de l’ennemi, peuvent interloquer le lecteur qui sera offusqué par son apparent consentement à la mort (qu’elle soit donnée ou reçue), tout comme peut choquer - par exemple - la lecture des ouvrages commis par Ernst Junger entre les deux guerres (notamment « La guerre comme expérience intérieure », que j’ai présenté sur CL). En fait, pour bien comprendre la valeur de son témoignage, il faut savoir que François Lecointre, qui ne l’expose qu’à la fin du livre, est un officier dont le statut est particulier au sein des armées françaises car il est l’un des deux officiers (Lecointre étant alors capitaine) qui a mené l’assaut pour la reprise du pont de Vrbanja en mai 1995, afin de délivrer des soldats français casques bleus retenus en otage par des miliciens serbo-bosniaques. L’assaut fut violent, avec des morts des deux côtés. A titre personnel, j’ai rencontré François Lecointre pour la première fois en 1996, peu après mon entrée à l’Ecole navale. François Lecointre était venu nous partager son expérience du feu et faire comprendre aux jeunes élèves-officiers, par son exemple parlant, que même si le Mur était tombé et que la guerre froide avait pris fin, la guerre rôdait toujours et que nous pourrions donc tous, nous aussi, être un jour confrontés à la mort violente. Contrairement à de nombreux politiques, les militaires n’ont jamais cru aux fameux dividendes de la paix… Je me souviens encore très bien de sa conférence, qui nous avait fortement impressionné (d’autant qu’il n’avait qu’une dizaine d’années de plus que nous : lui la trentaine et nous la vingtaine), ainsi que nos cadres. Toujours à titre personnel, en tant qu’officier de marine dont l’expérience militaire est essentiellement celle des déploiements navals, en opex ou au titre de l’action de l’Etat en mer, je n’ai pas subi le stress du combat comme l’a connu François Lecointre (de la guerre du Golfe à la guerre d’ex-Yougoslavie) mais j’ai connu des moments de tension, qui imposent de tester ses limites de résistance, de prendre des risques ou de donner des ordres exposant d’autres que moi à des risques nécessaires pour la mission confiée. J’ai aussi reconnu, tout au long de ma lecture, certains des doutes qui ont assailli François Lecointre quand il était jeune officier, et aussi certaines interrogations sur les incohérences entre les missions ordonnées par les dirigeants politiques et la réalité du terrain, ou leur présentation médiatique…
L’ouvrage est assez mince (à peine plus d’une centaine de pages) et construit chronologiquement. Il s’ouvre sur l’enfance et la naissance de sa vocation militaire. Fils d’un officier de marine, le jeune François, à 6 ou 7 ans, est impressionné par le sous-marin que commande son père, par le sentiment de puissance que dégage la silhouette noire du navire en surface. Mais, né dans une famille de forte tradition militaire, il est aussi impressionné par les collections d’armes et les photographies de ses ancêtres morts au combat, notamment celle de son jeune oncle Hélie, qui a péri à 23 ans, en 1959, brûlé vif pendant la guerre Algérie. Sur la photo, son oncle est un jeune homme souriant et joyeux, à rebours des portraits plus austères de ses ancêtres morts pendant les deux guerres mondiales. François se projette, jusqu’à l’identification, sur cet oncle Hélie, en s’interrogeant sur les raisons de sa mort et sur sa capacité à faire face à l’inhumanité de la guerre. Peut-être son oncle était-il d’un caractère trop jovial, et pas assez dur, pour surmonter l’épreuve…
Adolescent, François est mis en internat au Prytanée (à La Flèche) et découvre l’armée au-delà des images d’Epinal. Il découvre aussi la mixité sociale et les mérites de tous ceux qui vivent en dehors de son milieu familial « tradi » de vieille famille d’officiers. La franchise de ces pages, qui dévoilent des préjugés empreints de bêtise et de mépris de « classe », notamment envers les sous-officiers qu’il imaginait, quand il était jeune, n'être qu'un ramassis de brutes stupides et/ou alcooliques, est admirable car la plupart des « tradi » peinent à reconnaître leurs erreurs et biais d’interprétation. François Lecointre intègre ensuite Saint-Cyr, école des officiers de l’armée de Terre, où il se montre à la fois studieux et inquiet, comme beaucoup de ses camarades, de la valeur de la formation reçue. Il a le sentiment d’une préparation académique, livresque et conceptuelle, trop éloignée de ce que sera la réalité des combats auxquels il sera peut-être confronté une fois dans les forces. J’ai ici reconnu quelques échos du livre "A l'école de la grande muette" de Guillaume Ancel (qui est de la même génération que Lecointre), que j’ai présenté sur CL, mais Lecointre se montre beaucoup moins circonspect envers Saint-Cyr : il exprime simplement son incertitude de de savoir s’il sera capable - ou pas - de tenir son rang dans le feu de la bataille. J’avoue que j’ai été un peu frustré que Lecointre n’explique pas pourquoi il avait intégré Saint-Cyr alors que ses mots d’admiration envers son père auraient dû le conduire vers la Marine. Il se peut que l’explication soit scolaire, et réside dans son trop faible niveau en mathématiques (que Lecointre avoue à demi-mot), car le concours d’entrée à l’Ecole navale est, dans les épreuves scientifiques, beaucoup plus difficile que les concours de Saint-Cyr et de l’Ecole de l’Air.
En sortant de Saint-Cyr, Lecointre est nommé chef de section. Il découvre une population très hétérogène, de militaires professionnels et d’appelés, et est frappé par la diversité et la fragilité des hommes qu’il commande. Rapidement, il comprend que son rôle (et il cite alors le fameux article de Lyautey sur le rôle social de l’officier) est avant tout d’aider ses hommes à progresser. La formation humaine (exigence personnelle, responsabilité, souci de l’autre) est plus importante que l’apprentissage des techniques de combat. Néanmoins, la préparation au combat n’est pas absente car instaurer une cohérence, créer un sentiment d’unité et de fraternité d’armes, est ce qui transforme un groupe d’individus en un groupe de soldats aptes à combattre ensemble.
Je mis quelques semaines à comprendre que ce qui, au fond, les rapprochait, c’était la fragilité, le doute, l’incertitude. Ils étaient là pour s’éprouver et c’est pour cela qu’ils avaient choisi la contrainte et la difficulté. C’est à leur contact, en me découvrant si semblable à eux, mes soldats, que je commençais à saisir ce qu’était notre vocation. Contrairement à ce que j’avais cru jusque-là, ça n’était en rien une question d’héritage. Mais, plus simplement, la quête rendue nécessaire par l’inconfort de la certitude de soi.
C’est dans le commandement de simples soldats que Lecointre achève de se débarrasser de tous ses préjugés « de classe ». Il réalise que le ressort de la vocation militaire ne réside pas dans l’héritage d’une tradition familiale (même si ce fut chez lui l’impulsion initiale) mais dans la volonté de se confronter à ses limites et faiblesses pour les surmonter. Mais, au-delà de cette quête individuelle, pourquoi et pour quoi devenir militaire ? A cette époque, à la fin des années 80, le service militaire, censé permettre au pays de faire face à toute menace de guerre, était de moins en moins bien accepté par la population, en raison d’inégalités croissantes dans les contraintes du service. Elles étaient fortes pour ceux qui subissaient l’encasernement et légères, voire gratifiantes pour les personnes de bon milieu ou de bonne éducation, qui en profitaient pour voir du pays ou nouer des contacts utiles.
La première OPEX (opération extérieure) de Lecointre fut la guerre du Golfe. Il décrit de longues semaines d’attente dans le désert, ponctuées par des alertes chimiques suscitant une tension permanente. Les mouvements de troupes étaient systématiquement précédés d’intenses bombardements aériens et les troupes irakiennes, pilonnées et dépassées, ne résistaient pas, se montrant souvent presque soulagées de pouvoir se rendre dès qu’elles pouvaient. Ce fut une guerre quasiment sans perte du côté français, suscitant chez les militaires le sentiment que la justice et la force étaient de leur côté. Ce conflit bouleversa la nature de la guerre, qui devint un outil de régulation et de rétablissement du droit. Dès lors, les engagements furent de plus en plus nombreux. Lecointre évoque ses missions à Djibouti, où l’armée se positionne en médiateur dans les tensions et affrontements entre Afars et Issas (les deux ethnies composant la population djiboutienne), puis en Somalie, dans un contexte d’emballement médiatique alors que la situation n’y était pas pire qu’à Djibouti ou qu’en Ethiopie/Erythrée. Lecointre a des mots caustiques et même assez durs envers les politiques, notamment Bernard Kouchner (même s’il n’est pas nommé dans le texte) et l’épisode du sac de riz, qui l’a consterné. Lecointre se montre très dubitatif sur la pertinence et la légitimité de sa mission en Somalie, et recopie un texte de jeunesse plein d'ironie, intitulé « Les chemins incongrus de la sagesse », qui met en scène un jeune officier idéaliste bon chic bon genre, qui s'avère totalement dépassé par la situation et déboussolé car ses repères moraux, plein de bon sens "parisien", ne fonctionnent plus.
Lecointre rentre en France avant que la situation en Somalie ne se dégrade et ne conduise aux batailles dans Mogadiscio, mais il est déployé au Rwanda, à la tête d’une compagnie de 140 hommes. Il éprouve le sentiment d’être immergé dans une autre réalité, en décalage total avec l’objet de sa mission. Il est sidéré d’être accueilli avec chaleur par les Hutus génocidaires, qui croient que la France vient les protéger contre l’avancée du FPR (Front Patriotique Rwandais), mais aussi par le contraste entre la beauté du pays, la gentillesse apparente des habitants et l’atrocité des charniers et des crimes commis (massacres de familles par les gens du voisinage, massacre d’enfants par d’autres enfants, femmes détenues en esclavage sexuel, etc.). Les militaires français, faute d’ordres clairs, ne savent pas comment agir, et tentent comme ils peuvent d’organiser des missions de sauvetage quand ils sont informés de personnes détenues ou captives. Peu à peu, les militaires se muent en justiciers. Un jour, un milicien « interahamwe » est capturé et fait prisonnier : la foule qui s’agglutine autour d'eux attend des militaires qu’ils le lynchent. C’est ce qui faillit se produire, car les militaires qui venaient de terminer un travail d’excavation sur un charnier d’enfants, portaient en eux du dégoût et de la haine. Lecointre avoue qu’il ne sait plus comment il a réussi à canaliser la pulsion de meurtre de ses militaires et de la foule, qu’il a réussi à surmonter. Il insiste sur la difficulté, dans un pays en guerre civile, de distinguer entre le bien du mal.
Cette confusion du bien et du mal, Lecointre l’a retrouvé à Sarajevo, en Yougoslavie, guerre européenne, où chaque soldat se projetait car le théâtre des combats urbains était très proche de celui de la vie quotidienne en France. Les militaires étaient placés sur la ligne de feu entre Bosniaques et Serbes, et instrumentalisés par les deux parties. Leur rôle était limité à la stricte auto-défense et à la protection des populations civiles, notamment sur la tristement célèbre « sniper alley », où les militaires casques bleus protégeaient les civils des tireurs embusqués. Lecointre relate que la majorité des tirs venait du côté bosniaque, signifiant que des tireurs bosniaques tiraient sur sur leur propre population pour « duper » les journalistes présents en nombre afin de noircir l’image des Serbes qui assiégeaient la ville. La réalité n’était pas dite dans les média et les militaires français, qui subissaient des bombardements et tirs incessants de la part des Serbes, éprouvaient un cruel sentiment d’impuissance, car il leur était strictement interdit de riposter et même de se protéger en dehors du cadre de la stricte légitime défense. Dans ces conditions, pour quoi se battre et pour quoi consentir à être tué ?
Pour Lecointre, le monde politique vivait alors dans « l’illusion qu’un militaire peut d’abord être une réponse à une indignation de l’opinion publique ou à une sommation de la communauté internationale, au nom du droit. (…) époque où, pour ne pas apparaître impuissant, on engageait les armées, en mesurant au plus strict les moyens qu’on leur donnait puisque, de toute façon, on était incapable de leur fixer un objectif politique clairement défini. Et en mettant les soldats en danger de vouloir s’ériger en justiciers pour répondre aux attentes de réparation et donc de vengeance de la société.
Sous les bombardements de l’artillerie serbe, les militaires s’interrogeaient sur le sens de leur mission et de leur présence. Pour lecointre, la réponse est simple :
Un soldat combat. (…) Puisque nous devons tuer de manière délibérée, il faut que ce soit pour une cause sacrée. Celle que nous invoquerons quand les fantômes de nos ennemis viendront hanter nos nuits. Celle, transcendante, qui nous retiendra lorsque nous serons aspirés par la jouissance de tuer par vengeance. Un soldat ne peut avoir qu’une cause sacrée et il ne peut pas s’agir du triomphe de la démocratie ou du rétablissement du droit. Il ne peut même pas s’agir de la lutte contre le terrorisme. Nous ne pouvons tuer que pour la France. Tuer en son nom. Sans le salir. Tuer le moins possible, en contrôlant notre force, en mesurant nos coups, en respectant l’ennemi que nous devons regarder comme une personne de dignité égale à la nôtre. Mais tuer lorsque la France est en danger, lorsque ses citoyens sont menacés, lorsque l’ambition universaliste qu’elle incarne est attaquée, lorsqu’on lui dénie le droit de demeurer maîtresse de sa destinée.
J’avoue que, à titre personnel et en tant que militaire, cette réponse ne me convainc pas. Elle est trop simple, et ne résiste pas à l’épreuve de l’Histoire. Comme le démontre la bataille de Dakar en 1940, où des militaires français (militaires fidèles à Vichy face aux militaires ayant rallié les forces françaises libres de De Gaulle) se sont affrontés en pensant sans doute sincèrement dans les deux camps qu’ils se battaient pour la France, se battre pour la France n’est pas une raison suffisante pour tuer et mourir car on peut se battre pour la France et être dans l’erreur… J’ai été un peu frustré que Lecointre élude trop l’enjeu des valeurs.
Lecointre achève son livre en évoquant la peur et la déshumanité du combat. L’angoisse est un sentiment toujours présent chez le soldat, dont la vie est engagée et n’a jamais la certitude qu’il sera à la hauteur de l'épreuve du feu. Lecointre relate longuement, pendant le trajet vers l’Irak, son appréhension du risque chimique et sa peur de mourir dans les convulsions d’une attaque de neurotoxiques (d’autant qu’il était responsable NRBC de sa compagnie). Il ne surmonta réellement cette peur, qui ressuscitait en lui les cauchemars de l'enfance, que lors d’une attaque, quand le déclenchement des capteurs d'agents chimiques l’amena à faire, sous combinaison étanche, des analyses en plein air tandis que ses hommes étaient réfugiés, eux aussi en combinaison, dans les véhicules blindés pressurisés. Pour montrer à tous que l’alerte était passée, il devait retirer ses effets de protection. Il ne sait plus comment il géra la situation mais il se souvint qu’il réussit, malgré le stress et la gêne des équipements, à faire les analyses puis, sous les regards braqués sur lui, il retira ses complétifs et respira une grande goulée d’air…
En Yougoslavie, l’armée française subissait, comme tous les Casques Bleus, l’intensification des bombardements serbes. Des miliciens serbes commencèrent à s’emparer de positions tenues par les Casques Bleus. Lorsque des militaires français furent à leur tour faits prisonniers, tous ressentirent un profond sentiment d’humiliation, qui déclencha la décision d’une reprise de vive force, autorisée par Jacques Chirac qui venait tout juste d’être élu et souhaitait rompre avec la prudence de François Mitterrand. Lecointre, qui fut chargé d’organiser et mener l’assaut, relate que la décision de l’assaut, loin de susciter la peur du combat à venir, suscita un sentiment de sérénité, car une décision avait été prise et les sortait des affres de l’attente et de l'indécision. L’attaque fut planifiée puis conduite au matin, avec assaut au fusil-mitrailleur et baïonnette. Ce fut d’abord un chaos total car les Serbes choisirent de se défendre et de contre-attaquer. Des hommes tombent de part et d’autre, blessés ou morts, mais l’assaut se poursuit, jusqu’à la reprise complète de la position. Lecointre évoque que, à la vue de ses compagnons blessés par balle (notamment son lieutenant, homme qu’il admirait), il se sentit submergé par la haine et un puissant désir de venger ses camarades tués ou blessés, et avoir réellement éprouvé l’animalité du combat, au point de prendre un soldat serbe en otage et de menacer, en lui braquant un pistolet au visage, de lui faire sauter la cervelle si les Serbes ne relâchaient pas immédiatement les militaires français qu’eux-mêmes détenaient comme otages. Ce n’est que le regard posé sur lui d’un de ses sous-officiers, qui ne s’était pas laissé submerger par la haine, qui le ramena à la raison. Lecointre cite alors ces vers de Robert Desnos, que je ne connaissais pas mais qui ne me surprennent pas car Desnos prit une part active dans la résistance, et dut lui aussi connaître ce sentiment :
Ce cœur qui haïssait la guerre voilà qu’il bat pour le combat et la bataille !
Ce cœur qui ne battait qu’au rythme des marées, à celui des saisons, à celui des heures du jour et de la nuit,
Voilà qu’il se gonfle et qu’il envoie dans les veines un sang brûlant de salpêtre et de haine.
Lecointre ne le dit pas mais l’assaut mené par l’armée française a changé le regard des Serbes sur l’armée française. Tous les militaires français présents en Yougoslavie disent que les Serbes ont respecté l’armée française comme aucune autre armée occidentale, car elle seule a assumé le risque d’affronter le feu du combat. Au contraire d’autres pays qui, par exemple, portent à jamais la tâche d’avoir laissé commettre le massacre de Sebrenica plutôt que d’avoir pris le risque d’intervenir…
Le combat de Vrbanja a duré 18 minutes, dont aucun des combattants n’a une vision claire et complète, provoquant chez tous un double sentiment d’interrogation, sur soi-même et sur les autres. Après le combat, Lecointre constate la nécessité de recoudre la cohésion du groupe. Ceux qui ont mené l’assaut sont désormais à part de ceux n'ont pas subi le feu. C’est un sentiment difficile à vivre, d’autant que le regard des autres a changé, suscitant chez certains l’obligation morale d’être désormais au niveau de l’image héroïque qu’ils incarnent. Quinze ans plus tard, tous se retrouvent aux obsèques du caporal-chef surnommé « monsieur », celui dont le regard avait retenu Lecointre de basculer sur le chemin de la barbarie. Il s'est suicidé. Lors de la cérémonie, tous pleurent, devant la femme et les enfants du caporal, avec le regret de n’avoir su mieux l’accompagner et de l’avoir peut-être négligé, ou oublié, alors qu’il y avait sans doute une blessure jamais refermée depuis ce jour de l’assaut, comme une pression trop grande à surmonter. C’est sur un cri du cœur et de fraternité d’armes que s’achève le livre :
O mes Forbans, mes frères, aidez-moi à ne jamais vous laisser déserter mon esprit !
Il est rare qu'un chef militaire de ce rang dévoile, avec autant de franchise et d'humble lucidité, ses craintes et ses fragilités. C'est au final cette dimension humaine qui rend le livre touchant, et presque émouvant.
Les éditions
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Entre guerres [Texte imprimé] François Lecointre
de Lecointre, François
Gallimard
ISBN : 9782072988325 ; 17,00 € ; 11/04/2024 ; 128 p. Broché
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