Poésie d'Afrique au sud du Sahara, 1945-1995 de Bernard Magnier

Poésie d'Afrique au sud du Sahara, 1945-1995 de Bernard Magnier

Catégorie(s) : Théâtre et Poésie => Poésie

Critiqué par Léonce_laplanche, le 27 janvier 2005 (Périgueux, Inscrit le 22 octobre 2004, 88 ans)
La note : 10 étoiles
Visites : 6 287  (depuis Novembre 2007)

Un...unis... univers...universalis...

Un ouvrage très intéressant poour qui aime la poèsie.
L'Afrique, moins le Soudan et les pays du nord du Sahara, une anthologie de près de 200 poèmes .
En voici quelques uns:


Swaebou Conateh
né en 1944 (Gambie)

L'Afrique nouvelle
traduit de l'anglais.

Mon fils
Tu es rentré changé
Et tu parles une langue
Que je ne t'ai pas apprise.
Ton allure
A l'accent étranger.

Mon fils
Il manque à ta nature
La belle vivacité
Qu'en notre société
Tu as appris à cultiver
Dans ta jeunesse.

Tes frères sont troublés
Tes soeurs sont effrayées
Tout le village crépite
D'un feu de bavardages
De bavardages à ton sujet
Et moi, moi je ne comprends pas.

Fier de toi?
Non, pas vraiment.
Honteux?
Loin de là.
Je ne suis pas troublé
Ni effrayé, rien qu'un peu agité.

La cadence légère de ta langue
Au bord de ton discours?
La force nette de ton col
Alentour de ton cou?
Ta pensée brève
Sur tes lèvres?
Tu n'es pas étranger
Non, tu n'es pas étranger.
Je reconnais en toi
Une chose nouvelle
Une chose aperçue
En mes rêves récents.

Maintenant que je t'ai vu
J'en suis encore plus sûr
Ce que je vois ici
Non, ce n'est pas mon fils
C'est
C'est l'Afrique nouvelle.

traduit de l'anglais par Etienne Galle.
*****************
Bernard Binlin Dadié
né en 1916 (Côte d'Ivoire)

Je n'aime pas
écrit en langue française.

Je porte une laisse en parure
La laisse de l'Europe galante
Je n'aime pas la cravate.

Je porte une chaîne aux reins
La chaîne de l'Europe en armes
Je n'aime pas la ceinture.

Je porte une cloche sur la tête,
La cloche de l'Europe en fièvre.
Je n'aime pas le casque.

Je porte la mort au bras,
La mort de l'Europe en délire.
Je n'aime pas la montre.

Je n'aime pas la pierre, la pierre,
La pierre sourde des tombes,
La pierre gouailleuse des prisons.

Je n'aime pas le son des clés
Des clés aux mains des sentinelles
Des sentinelles aux portes des geoles
Des geoles à la lisière des cimetierres.

Je n'aime pas le cri du corbeau
Sur les villes en fête,
L'appel de l'hyène dans la nuit quiète.

Je n'aime pas voir
Les larmes aux yeux de l'enfant,
Les cernes aux yeux de la mère.
Les têtes que soutiennent les bras,
Les têtes penchées de soucis,
Des visages crispés d'épouvante,
Une femme en loques,
Un homme en guenilles.

Je n'aime pas voir
L'enfant tendre la main,

Je n'aime pas voir
L'avenir mendier.

Je n'aime pas!......

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Ezenwa-Ohaeto
né en 1958 (Nigéria)
Poème en pidgin-english, traduit par Christiane Fioupou).

C'est zoli vizaze zé va prend bouffer ?

Ma sèr t'es zoli trop trop
Façon ton nez il est pitit on dit pas
façon ton bousse il est rond on dirait arc
Façon ton dé zié i gardé on dirait flesse
Quand ti tiré lèr fort fort fioum !
Mon kèr i tombé mouk net !

Ma sèr t'es zoli trop trop
Ton dix doigts ti peinturé bien bien
Ton pied façon c'est rouze on dirait sang
Ton lèvres façon i brillé on dirait soleil
Wei ! Ton vizaze-là c'est importation ou bien ?

Ma sèr t'es zoli trop trop
Ton tête son dedans ya rien
Zé sarsé cerveau ya pas
Préparer bouffément ti moyen pas
Ma sèr t'es zoli trop trop
Mais c'est zoli vizaze zé va prend bouffer ?

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Lenrie Peters

né en 1932 (Gambie)
traduit de l'anglais par Etienne Galle.

Isatou

Isatou est morte
Elle n'avait que cinq ans
Si fière
Juste avant de savoir
Qu'à si peu de gens
Sa mort ferait si peu de peine
Sa mère qui a pleuré
Presque reconnaissante
De la perdre si tôt
N'a pas vu le sourire
Qui lui scellait les yeux
Tendre comme la racine
De la plante qui lève
Les voisins ont gémi
Ils étaient payés pour
Et pensait au festin
Qu'eût été son mariage
Son père l'a regardée
Avec des yeux de marbre
Et murmuré
"Qui a renversé le parfum
Mêlé à la rosée de l'aube ?".

****************
René Philombe

né en 1930 (Cameroun)
Poème en langue française.


L'enfant des poubelles
Le hangar du marché dormait, l'oeil irrité.
Comme un monstre frustré de ses rires farouches.
Un enfant, concurrent des dogues et des mouches,
cherchait dans la poubelle un repas empesté.

Sa frimousse était grave et veuve de gaieté,
Et meurtri par la faim, silencieuse cartouche,
il arborait un deuil solennel et sa bouche
semblait toujours grogner contre l'humanité.

Bientôt il eut les bras chargés par le destin!
Il allait commencer son horrible festin
Quand, pressé de douleur, soudain je le côtoie.

Je lui tend une main qu'il saisit en tremblant
Mais en rouvrant la sienne, il s'étonna et, de joie,
sans me dire au revoir, il déploie son élan.

********************
Käbbädä Mikael
né en 1915 (Ethiopie)


Le caractère de l'homme
Aux animaux sauvages un jour le Tout-Puissant
Dit: "Rassemblez vous tous à mon commandement !"
Depuis le lion soi-même et jusqu'au moucheron,
Ils vinrent en courant tous, sans aucune exception,
Créatures nées d'un souffle et par lui s'animant,
A ce commandement, en foule obéissant.
Au pied de son trône les voyant rassemblés,
Dieu appela alors le babouin en premier.
" Regarde tous ceux là, lui dit-il, dis moi bien
S'il y en a dont l'aspect soit supérieur au tien.
Parle et soit sans crainte, car moi je referai
Sur ta personne la partie qui te déplaît."
Le babouin répondit: "Seigneur, je suis heureux;
Mon visage, ma poitrine, mes mains, ma queue,
Tout est beau tout est bien, où trouver un défaut?
Qu'ai-je donc qui soit laid? J'ai tout ce qu'il me faut.
N'ai-je pas aussi, comme eux tous deux pieds?
Mais par contre l'hyène, il faut la redresser:
Sa bouche est bien trop grande et son pied est boiteux."
L'hyène fut appelée à venir devant Dieu.
" Quel défaut ai-je donc? Voyez, je suis parfaite.
Mais par contre, dit-elle, reprenez et refaites
A nouveau l'éléphant. Ce serait merveilleux!
Et si Dieu m'écoutait ce serait beaucoup mieux:
Ajoutez à la queue en prenant sur l'oreille!"
L'éléphant vint. Tous eurent un rire sans pareil,
S'attendant qu'il demande à être enfin refait.
Mais lui, il déclara: "Voyez, je suis parfait;
Il n'y eut jamais en moi ni défaut ni laideur,
Je le sais et j'en remercie mon créateur."
La bêtise nous tient sans que nous y pensions.
Le monde est campement, il faut que nous passions.
Naisse et coule l'eau courante ayant oublié
Qu'elle a la rivière pour pays. Regardez
Se mettre en route toute cette humanité:
Chacun passe à son tour et tous entre eux sont liés.

Traduit de l'ambarique par Constantin Kaïtéris.
******************
Eugène N'Goma
né en 1945 (Congo)

Une semaine au Biafra


Le rat court après l'insecte,
L'enfant court après le rat,
La mère court après l'enfant,
L'homme court après sa femme,
Le soldat les voit:
Il épaule,
Ajuste,
Et tire.
_Trois fois mouche.
L'insecte et le rat se retournent,
Et s'étonnent.
Le soldat se retourne,
Et pâlit.
_Mon sergent,
Je vais en permission
Enterrer ma famille.
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