Question 7 de Richard Flanagan
(Question 7)
Catégorie(s) : Littérature => Anglophone , Littérature => Divers
Visites : 750
tels que nous sommes, dans un présent épais
Dans un podcast que j'écoutais en réfléchissant à la juste façon de critiquer ce livre ébahissant, Richard Flanagan avait ces mots : "Trop souvent, avec la façon dont l'histoire européenne présente le passé, elle essaie de prétendre qu'il peut être enfermé et contenu et qu'il est fini. Et évidemment, rien n'est jamais vraiment fini, et nous vivons tous dans un monde de conséquences et d'effets secondaires."
Question 7, ce sont les mémoires hybrides d'un auteur qui, pour partie, montre comment, par une série de ricochets ou de réactions en chaine, un roman détruit Hiroshima. Pour le reste, il revient sur son histoire familiale en Tasmanie, île transformée/terraformée par la colonisation. Entre ces deux livres intriqués, le point de jonction est le père de Richard Flanagan : en tant que prisonnier australien au Japon en 1945, sa survie est liée à l'explosion de la bombe nucléaire.
Pour expliquer la destruction d'Hiroshima au moyen d'une bombe nucléaire, mille fils pourraient être tirés : un artiste comme Sammy Baloji creuse l'histoire minière de la République démocratique du Congo, dont l'uranium a servi pour assembler Little Boy. Flanagan, en écrivain qu'il est, suit plutôt la piste de la fiction créatrice de mondes. En l'occurrence, il déroule la façon dont une passion amoureuse dévorante vécue par H.G. Wells mute en un opus, La Destruction libératrice, qui inspirera les actes du physicien Léo Szilard, l'un des pères de la bombe nucléaire.
L'écriture de ce livre est saisissante ; en dehors de l'entrelacement des histoires à proprement parler, c'est ce que le dispositif ouvre pour parler des souvenirs, des mondes passés, des expériences et du temps que demande leur assimilation, leur compréhension. Quand il évoque la colonisation et l'extermination des populations aborigènes en Tasmanie, ô combien ses propos glacent et résonnent. Dans la construction de son livre, Flanagan se dit aussi largement influencé par un article d'une jeune femme yolngu expliquant que dans sa langue, un temps connecte le passé, le présent et le futur. Ce "présent épais" irrigué par le passé et conditionnant l'avenir, Flanagan le convoque régulièrement au fil de son récit, pour accentuer la portée de faits qui, une fois advenus, ne peuvent être défaits.
"[...] resaisissons le monde extérieur tel qu’il est, non seulement en surface, dans le moment actuel, mais en profondeur, avec le passé immédiat qui le presse et lui imprime son élan ; habituons-nous, en un mot, à voir toutes choses sub specie durationis : aussitôt le raidi se détend, l’assoupi se réveille, le mort ressuscite dans notre perception galvanisée." Si Bergson cité ici n'est pas présent dans Question 7, cette phrase saisit un peu de ce qui a traversé ma lecture : oui, les phrases de Flanagan réveillent et galvanisent. Et oui, ses mots nous rapprochent des morts. Certains, ses proches, deviennent palpables. D'autres, des déflagrations les ont soufflés, les soufflent, les souffleront. Et cela ne peut que nous hanter.
Les éditions
-
Question 7 [Texte imprimé] Richard Flanagan traduit de l'anglais (Australie) par Serge Chauvin
de Flanagan, Richard Chauvin, Serge (Traducteur)
Actes Sud
ISBN : 9782330195465 ; 22,50 € ; 04/09/2024 ; 288 p. Broché
Les livres liés
Pas de série ou de livres liés. Enregistrez-vous pour créer ou modifier une série
Forums: Question 7
Il n'y a pas encore de discussion autour de "Question 7".


haut de page